Stances (Jean Polonius, I)

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Poésies (p. 29-32).
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Stances



 
Tu triomphes ! le monde à ses jeux te rappelle ;
Le nuage a passé : tu renais au bonheur,
Comme aux vents printaniers l’herbe se renouvelle ;
Tu ris, tu crois encore à la brise infidèle,
Et moi, je reste seul dans la nuit de mon cœur !

Souviens-toi de ces temps d’abandon et d’outrage,
Ou ce monde inconstant t’exilait de son sein ;
Où, chaque jour, en butte aux flèches de sa rage,
Ton front cherchait partout un refuge a l’orage,
Trop heureux que l’oubli le sauvât du dédain.


Qui partagea tes maux ? qui recueillit tes larmes ?
Quand tous les cœurs fuyaient, qui t’apporta son cœur ?
De toi seule occupe, qui respecta tes charmes,
Quand le temps, quand le sort, tout lui donnait des armes,
Pour dompter tes refus et vaincre ta pudeur ?

Ton souffle me touchait : sa chaleur enivrante
M’embrasait, m’agitait de désirs frémissants ;
Et de tes yeux en pleurs chaque goutte brûlante
Tombant, tombant sur moi comme une lave ardente,
Semblait d’un feu subtil inonder tous mes sens.

Ah ! si, de mes désirs suivant l’impatience,
J’avais livré mon âme à leur essor sans frein,
Pouvais-tu de l’Amour repousser la puissance ?
Pouvais-tu résister, quand la reconnaissance
Venait plaider pour lui dans le fond de ton sein ?

Sous le fardeau du sort tu restais abattue ;
Tu ne combattais plus : tu cédais au malheur.

Je te voyais sans force à mes pieds étendue,
Pareille à la colombe, aveuglée, éperdue,
Qu’un éclair fait tomber aux pieds de l’oiseleur.

Mais honte à qui reçoit de la beauté qu’il aime
Un don qu’elle abandonne et livre sans transport !
Quoique ce don pour moi fût le bonheur suprême,
Je voulais le devoir à toi, rien qu’à toi-même ;
Mon cœur était trop fier pour l’accepter du sort.

En vain tout s’unissait pour servir ma tendresse ;
En vain mes sens émus me criaient : « Sois heureux ! »
Mon orgueil te sauva de ta propre faiblesse ;
J’arrêtai de mon sang l’impétueuse ivresse ;
J’étouffai sous ma main ses battements affreux.

Tu ne les as pas vus, tu n’as pu les connaître,
Ces combats, ces tourments, sans témoins et sans bruit !
Ils sont morts dans mon sein, morts sans oser paraître,

Comme ces feux impurs qu’un air brûlant fait naître,
Et qui, fils de la nuit, expirent dans la nuit.

Que dis-je ? il a fallu les cacher à Dieu même !
T’aimer était un crime ; et mes frôles désirs,
Trop heureux d’échapper au céleste anathème,
Ne devaient pas monter vers le trône suprême
De celui qui, d’en haut, recueille nos soupirs.