Statistique de l’Empire chinois

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ESSAI
DE
STATISTIQUE DE LA CHINE.



Chaang si lieu yang ro p,blaat,
Nakpraat yàng ro p,blang ?
Maxime siamoise en langue T’Hai.


Si le puissant éléphant chancèle quelquefois, devons-nous être surpris qu’un homme faible tombe dans l’erreur ?

L’état de la Chine a été depuis deux cents ans le sujet des recherches des Européens. Les missionnaires ont trop vanté, quelques auteurs, tels que Sonnerat et Maltebrun, ont trop dénigré cet antique pays, où tout semble tenir de l’extraordinaire, ce peuple industrieux qui est l’antipode de tous les peuples du globe.

On a attribué au climat les défauts et les qualités des descendans des anciens Sères[1]: hypothèse ressuscitée de Charron et de Montesquieu. Le climat a moins d’influence sur les hommes que leur organisation, l’éducation, la religion et le gouvernement ; et comme le dit fort bien le poète chinois Lieou-Chi ; « aucun climat n’adoucit le tigre, ni ne donne du courage au lapin. »

Les travaux des Occidentaux sur la chronologie de la Chine, et surtout ceux du P. Gaubil, sont dignes, malgré quelques erreurs, d’une sérieuse attention. La description physique et géographique a été passablement traitée, et l’ouvrage de Duhade est à cet égard ce que nous possédons de mieux sur l’empire le plus riche par son sol, et le plus peuplé du monde actuel. L’histoire de la Chine, quoique traduite du chinois par l’abbé Grosier et le P. Mailla, est une assez mauvaise compilation dénuée de tout esprit de saine critique. En fait de livres chinois, il faut également se méfier de l’exagération et des mensonges dictés par la vanité nationale. Heureux quand on peut consulter des ouvrages aussi estimables que le Chou-King[2]. Tout ce qui concerne l’antiquité, la religion, la philosophie, les mœurs, la géologie, l’histoire naturelle et les belles méthodes employées par les Chinois dans l’agriculture et les arts industriels laisse beaucoup à désirer. Mais c’est surtout la statistique de l’empire du Kitaï[3], qui est imparfaite et semée de contradictions et de lacunes. J’oserai presque dire qu’elle est encore à faire. Mais ces erreurs n’ont rien d’étonnant ; elles montrent seulement l’état d’imperfection où se trouve encore la géographie générale.

Les rédacteurs de l’ambassade en Chine de lord Ambert, MM. de Schlegel et Balbi, et l’érudit Maltebrun à qui j’ai envoyé plusieurs fois les descriptions des parties de l’orient que je visitai, ont publié à ce sujet des recherches infiniment utiles, mais quelquefois dépourvues d’authenticité.

Le roi des voyageurs (M. de Humboldt), les doctes MM. Morrison et Klaproth, le véridique observateur M. Timkoffski et notre savant sinologue M. Abel de Rémusat, avec qui j’ai eu l’avantage de correspondre pendant un assez long séjour en Chine, me paraissent s’être le plus rapprochés de la vérité ; leurs travaux m’ont été utiles. Un grand nombre de renseignemens m’ont été communiqués par plusieurs hanistes, bonzes et mandarins, par M. l’évêque de Péking, les pères Gonçalès et Rafaele, M. le docteur Morrisson, M. Davis, mon honorable ami M. le colonel de Figueiredo (procureur du sénat de Macao auprès du gouvernement chinois), M. de Miranda-Lima, et plusieurs autorités de Kanton, Emoï, Macao et autres lieux.

J’ai comparé leurs renseignemens avec les dénombremens de la Chine de 1790 et de 1818, le Si-Iou-kian-Ouen-Lou, description des pays occidentaux (ouvrage rare et estimé), la grande géographie des Mandchous, le Dai-Sin-i-Toundschi, géographie chinoise ; le Taï-Thsing y toung, contenant des tableaux statistiques curieux ; la Gazette de Péking, quoique souvent mensongère, et les gazettes provinciales ; le Tai-thsin hoei tian, code administratif des Tai t’hsin (la dynastie mandchoue), édition de 1794 ; le Tai-t’hsing-tchoung-tchon-pi-lon, état général du service militaire (manuscrit en 2 vol.) ; le Tai t’hsing-chin-thiouan-Chou, liste complète de tous les employés civils de la maison de Tai-t’hsing (4 vol. in-8o) ; l’almanach impérial chinois ; le Tsin Chin, revue trimestrielle, publiée par ordre du gouvernement ; un ouvrage sur les revenus et les dépenses de l’empire par Ouang-Kouei-ching, composé en 1823, et republié avec des corrections pendant ma résidence en Chine ; le Jy-pen-kou-kioun-thou, cartes du royaume et districts du Jypen ou Japon, contenant à la marge une notice manuscrite raisonnée sur les forces et le commerce de la Chine, comparés avec ceux du Japon ; le trop fameux Atlas statistique de Tchou-Szou-pen ; le Yaou-tien, livre obscur, mais curieux, suivi d’un commentaire chinois (il y est principalement question de la Chine dans les premiers temps, et des empereurs Yaou et Chou) ; le Sing-Li ou principes éternels, ouvrage écrit au quatorzième siècle par un certain nombre de savans, sous le patronage de l’empereur Young-Lo, en 30 vol. in-8o ; le You king (les 5 livres, ouvrage classique et sacré) ; le Ghang-Djian-Youl, description du pays de neige ou Thou-Bet (le Thibet), manuscrit suivi d’une description abrégée de la Chine, et de l’explication, en langue mandchoue, des six syllabes mystiques om, ma-ni, pad, mé, houm, en usage chez les Thoubetains, et chez tous les peuples de race mongolique[4], etc. Plusieurs lettrés ont bien voulu m’applanir les difficultés qui s’opposaient à l’intelligence de ces ouvrages.

Malgré tous les soins que j’ai pris pour rester dans le cercle de la vérité et de l’exactitude, je ne me flatte pas d’y avoir entièrement réussi, car il est difficile de compléter et de rectifier les résultats statistiques chinois, d’autant plus que certaines classes ne sont pas comprises dans les recensemens. Mes calculs sont fort éloignés du Tai t’hsin hoei-tian, ouvrage orné d’une préface par l’empereur Kienlong, en 1793. Plusieurs lettrés m’ont assuré qu’il était fort inexact et fort exagéré. Et pourquoi pas ? L’orgueil national des Russes n’a-t-il pas placé sur leurs cartes de prétendues villes dont il n’existe que le poteau qui en porte le nom ? L’ouvrage le plus digne d’estime est le Tai t’hsin y toung. Je l’ai comparé avec mes autres documens, et mes calculs se rapprochent assez des siens, sauf l’article des colonies chinoises, qui n’a pas encore été traité, même en Chine.

Ce faible essai, tout imparfait qu’il est, a été fait en conscience. Depuis mon naufrage, j’ai pu, en attendant à Singapora le résultat des travaux des plongeurs de Bintang, me procurer de nouveau, grâce à mes amis de Chine, plusieurs des documens authentiques les plus estimés qui avaient été engloutis par les flots. Les lecteurs français accueilleront, je l’espère, avec indulgence, l’humble tribut d’un naufragé et d’un compatriote.

L’empire chinois, y compris tous les états tributaires, tels que le Thoubet propre et le Boutan, le petit Thoubet, la petite Boukharie ou Tourkestan oriental, l’Oïgourie, la Kalmoukie ou Mongolie[5]occidentale, la Dzoungarie (grande tribu kalmouke ), la Daourie, le pays des Mongoux, la Mandchourie, la Mongolie avec son grand Chamo, ou désert de Kobi, et ses oasis, le Tangout ou le pays des Eleuths de Kôkenoor (les Kalmouks orientaux), la presqu’île de Corée et la grande île Segallien ou Tchoka, et celles de Formose (Taï-Ouan) et de Hay-nan (qu’on devrait appeler Haï-Lam, contrée occidentale), a pour limites au nord la Sibirie, à l’ouest la grande horde des Kirguis ou Tâtars septentrionaux, et la grande Boukharie ou Tâtarie méridionale, que les Européens nomment Tâtarie indépendante ; au sud les états de Ranjet-Singh et l’Hindoustan, l’empire Birman, le royaume de Layn-sayn-chan (que nous appelons Laos), et l’empire d’An-Nam, la mer de Chine, la mer orientale, la mer Jaune (Hoan-haï), et la mer du Japon.

Tout l’empire chinois-uni a quatorze cents lieues françaises de longueur, en comptant depuis Kâchgar à l’ouest jusqu’au cap Lesseps à l’est, et sept cent soixante lieues en largeur, depuis la pointe la plus septentrionale des monts Daba au nord, jusqu’à Loui-Tcheou, ville maritime de la province de Kouang-toung au sud. Ses côtes maritimes ont une étendue de plus de mille lieues.

La surface géométrique de tout l’empire peut être estimée par approximation à six cent soixante-quatorze mille lieues carrées, à peu près le dixième de la terre habitable. Il est par conséquent plus grand que l’ancien empire romain sous Trajan, plus grand que l’empire d’Alexandre, plus grand que l’Europe entière. Il n’a été surpassé en étendue que par les empires fondés par le Mongol Djenghis-Kan et le Tâtar Timour-Lenk, et aujourd’hui par le gigantesque empire russe qui lui est bien inférieur en richesses, en industrie et en population, mais qui semble déjà le menacer, ainsi que le reste du monde.

Quant à la Chine propre, que les Chinois appellent Tchon-Kou (centre de la terre), elle s’étend du 21° au 41° lat. N. et du 95° au 120° long. E.

Elle n’est circonscrite que par des limites irrégulières. Au nord, elle est séparée des Mongols par la célèbre grande muraille de quatre cent cinquante-six lieues de longueur ; à l’ouest, elle a le Thou’et et quelques frontières politiques qui retiennent difficilement les Eleuths de Kôkenoor[6], les Sifans et les Kalmouks ; au midi par l’Océan, et à l’est par l’Océan et par la barrière des Pieux qui la sépare de la Corée. Sa figure géographique est presque semblable à un cercle.

Comme il n’existe, même en Chine, de documens à peu près certains que sur la Chine propre, cet essai ne sortira pas des limites que nous venons de tracer.

La Chine propre offre une étendue de 195,209 lieues carrées, et de près de 1,400,960,800 arpens.

Le nom de Chine vient de Thsin. Il fut donné à l’empire de Kitaï[7](le Katai) par la dynastie des Thsin, qui commença de régner deux cent cinquante-six ans avant J.-C. Ce nom a prévalu depuis que les Portugais l’ont transmis à l’Europe, après l’avoir reçu de leurs pilotes malais, qui connaissaient la Chine trois siècles avant l’ère chrétienne. En effet, à cette époque, Tsin-Che-Houang-Ti, leur premier monarque suprême, soumit le midi de l’empire, le Tun-King[8] et la Cochinchine[9]. Les Malais n’ayant pas le ts aspiré, le remplacent par le ch, et en ajoutant la terminaison a, au lieu de Tsin ils prononcent China. Nous avons changé l’a en e muet, suivant notre coutume. Les anciens Hindous convertirent Tsin également en China, parce que l’alphabet Devanagari et ses dérivés n’ont pas la consonne aspirée ts. Plus tard, on voit ce pays nommé Maha China dans les livres en langue sanskrite, Maha-Chin par les Persans, et sin par les Arabes qui n’ont pas la lettre ch de la Chine. Les Mandchous nomment les Chinois Tsing-Jin, hommes de Tsing, ou sujets de la dynastie Tsing. Ils désignent quelquefois la Chine sous le nom de Abkai-Fejezghi, ce qui est sous le ciel, ou par amplification, le monde, ainsi que le faisaient les Romains de leur empire. Les Chinois donnent encore à leur pays le nom de Choung-Yâng, que le docte M. Klaproth traduit le vaste plateau du milieu. Il me semble que ces mots signifient : le véritable centre d’un lieu, et que dans ce sens on doit traduire le centre de la terre, de même qu’on doit entendre par les mots chung-kouô, qu’ils appliquent aussi à leur empire, la nation du milieu (dans le sens physique et non moral). J’ai cent fois entendu des Chinois lettrés se servir de ces deux expressions, et plusieurs d’entre eux qui ont voyagé aux Philippines et aux Moluques, m’ont donné en portugais, en espagnol, en anglais ou en malai[10], la traduction que je viens d’employer.

La nation chinoise est divisée en quatre classes : les lettrés, les laboureurs, les artisans et les marchands. On voit que les professions sont placées suivant leur utilité et l’estime dont elles jouissent. Ces classes n’ont aucun rapport avec l’abominable division de castes usitées chez les bons, mais faibles et malheureux Hindous.

On ne connaît point de noblesse héréditaire. Chacun est le fils de ses œuvres ; un Chinois, distingué par ses talens ou par ses vertus, annoblit ses ancêtres, et cette marche rétrograde nous paraît plus raisonnable que l’hérédité.

Les lettrés de première classe remplissent les premières charges, et forment en quelque sorte la noblesse viagère du pays : chacun avec du zèle peut aspirer à cet honneur.

Le monarque et les princes de la famille impériale jouissent seuls de l’hérédité, sauf les descendans du grand législateur, du sublime moraliste Konfoutze[11], à qui l’on a élevé des temples.

La couronne est héréditaire dans la ligne masculine, mais on ne suit pas toujours l’ordre de primogéniture.

Le pouvoir suprême est exercé par l’empereur, qui prend le titre de souverain seigneur et de fils du ciel.

Le principe du gouvernement est le despotisme asiatique, caché sous les formes patriarcales, et mitigé par l’influence des maximes de leur ching sing (sage)[12], par des lois généralement justes, par le droit de représentation donné à certains magistrats, et par l’obligation où est le monarque de choisir les hommes en place, d’après des règles invariables et dans le corps des lettrés. Mais le fouet, le bambou et les licteurs précèdent toujours le souverain, ainsi que ses agens. Sa personne est adorée au moins à l’égal du thian (le ciel), et ce père du peuple fait mettre à mort les malheureux qui, se trouvant sur son passage, ne se précipitent pas aussitôt la face contre terre, en tournant le dos à ce demi-dieu.

La religion de l’empereur régnant est celle du Dalaï-Lama, qui vit sous sa protection. Elle est suivie par un grand nombre de Mandchous. Le peuple est livré au panthéïsme ; ses dieux sont aussi nombreux que les sables du fleuve Hang, (Hang-Ho-Cha-Sou, comme disent les adorateurs de Fo.) Les lettrés sont adonnés à une espèce de spinosisme. Ils m’ont paru croire à la matière et à l’âme du monde, ou aux deux principes mâle et femelle, ainsi que Pythagore, les Égyptiens et la plupart des peuples de l’antiquité, et non pas à un Dieu créateur, quoique quelques écrivains chinois attribuent à Li, et d’autres à Taou, l’éternité et la spiritualité, et en fassent une espèce de Logos. Ils n’ont pas même la satisfaction de croire à un dieu rémunérateur et punisseur. Ils adorent, ou plutôt ils honorent seulement l’Esprit du ciel[13]. C’est par analogie qu’ils appellent leur Hoan (l’empereur) Thian-Tseou, ou le fils du ciel. On compte plusieurs sectes, entre autres celle de Lao-Kioun (Chine), qui ressemble un peu à la doctrine d’Épicure.

Le gouvernement se compose de six conseils souverains, ou ministères. Les ministres, de même que les mandarins, sont soumis, quoique absolus, aux mêmes châtimens que le dernier couli (porte-faix).

Le système de police est fort remarquable, et mérite d’être étudié.

Les peines n’ont aucune proportion avec les délits. Le code pénal chinois est le code le plus sanguinaire qui existe dans un état civilisé ; mais, en général, l’exécution de la loi est fort douce, comparativement à son texte.

La rébellion d’un Chinois entraîne le châtiment de toute sa famille.

Le divorce s’y fait avec la plus grande facilité. Les causes du divorce sont toutes censées provenir des femmes.

Un mari peut demander le divorce contre sa femme :

1o Pour stérilité ;

2o Pour adultère ;

3o Pour médisance ;

4o Pour vol ;

5o Pour jalousie ;

6o Si elle a la maladie de la lèpre ;

7o Si elle refuse de servir son beau-père ou sa belle-mère.

La loi n’accorde pas à la femme le droit de demander le divorce contre son mari ; mais elle peut demander la séparation de corps pour sévices et mauvais traitemens.

Le commerce de province à province est beaucoup plus

considérable que celui de l’extérieur, qui n’est pas en proportion avec la grandeur et la richesse du pays. L’exportation du thé est de 50 millions de francs pour les Anglais seulement, et l’importation de l’opium, de 45 millions de fr.

Quant aux antiquités chinoises, toutes respectables qu’elles sont, il faut en bannir les observations astronomiques, qu’on voudrait faire remonter au-delà de 1100 avant Jésus-Christ, ainsi que les fables de Fo-hi et de Hang-ti, qui sont abandonnées par plusieurs lettrés, doués du véritable esprit philosophique.

Nulle part peut-être, pas même en Angleterre, on ne trouve autant de patriotisme et d’amour du travail que chez les Chinois : ce sont là leurs plus grandes vertus. On peut leur reprocher le libertinage, un trop grand amour du gain, le mensonge et la lâcheté.

Mais je doute qu’on doive les blâmer de nous fermer l’intérieur de leur empire. C’est à l’ambition et aux intrigues des jésuites que nous devons cette mesure rigoureuse ; je dirai plus : quel bien retirent-ils de leur commerce avec les Européens ? Nous les abrutissons, nous les empoisonnons avec cette drogue (l’opium) d’autant plus redoutable, qu’il est dangereux d’en abandonner l’usage une fois qu’on l’a contracté. Il est vrai qu’en revanche ils nous énervent avec le thé (châ.)

J’ai vu rarement des Chinois qui ne sachent pas lire et écrire : ils l’emportent à cet égard sur les Français, les Anglais et même les Allemands, et pourtant ils n’ont pas, comme les ignorans en France, cette impertinence et ce ton léger, moqueur et tranchant qui ne doutent de rien. On sait que la langue chinoise était primitivement hiéroglyphique, et qu’elle est aujourd’hui monosyllabique. Ses caractères idéographiques lui donnent plusieurs avantages sur les autres langues. Il a fallu un peuple d’une ouïe aussi fine que les Chinois pour former une langue composée de trois cent trente syllabes, partagées en une multitude de mots auxquels six accens donnent autant d’acceptions différentes, et dont les nuances sont si délicates, qu’elles ne peuvent être saisies que par ceux qui ont vécu en Chine.

Leur littérature est fort riche en poésie, et surtout en romans et en nouvelles.

Leur musique est inférieure à celle des Arabes, des Persans et des Hindous ; et c’est le seul peuple que j’aie vu qui ne danse pas.

L’agriculture est très-honorée des Chinois, et fait leur principale richesse. Rien n’est plus curieux que leurs jardins, et les moyens qu’ils emploient pour enter divers fruits à noyaux sur des arbres à pépins, et vice versâ.

Ils connaissaient l’imprimerie en planches gravées, la poudre à canon, les bombes, les feux d’artifice, les télégraphes, les puits salins et les puits à feu, la boussole (ting-nan-ching), l’art dramatique, etc., bien long-temps avant les Européens. Rien n’égale l’élégance de leurs sanpans (bateaux), la solidité de leurs porcelaines, la beauté de leurs laques, de leurs ponts et de leurs canaux.

Il ne manque peut-être aux Chinois, pour être le premier des peuples, que d’avoir formé des colonies protectrices de l’excédant de leur population, d’avoir favorisé la liberté de la pensée et la liberté d’innover : alors ils n’auraient pas été soumis par les Mandchous ; ils auraient perfectionné leurs arts, qui sont restés stationnaires, et ils seraient plus heureux. Mais ce sentiment sacré de la liberté existe aussi dans leur âme. La société secrète de la Triade et celle du Nénuphar reconnaissent un chef chinois que la police mandchoue n’a pu encore découvrir ; ces sociétés ont pour but de secouer le joug des barbares, et de prouver combien la haine de la domination étrangère est invétérée dans le cœur des patriotes chinois. La révolte du Tâtar Chang-ki-ouih les seconde ; malgré les échecs qu’il a éprouvés, cette guerre n’est pas terminée ; si les insurgés du Cashgar sont vaincus, les sociétés secrètes ont dans Chaou-You-Long un chef fort, brave, patient et habile ; et, avec de l’union et le temps, les Chinois pourront secouer l’autorité des chaînes et du bambou.

NOUVELLE DIVISION DE LA CHINE.
Provinces du Nord.
Habitans ou bouches, suivant
l’expression chinoise.
Pe-Tchi-Li 
3,402,000
Chan-Si 
1,920,142
Chen-Si 
582,000
Chan-Toung 
24,841,504
Kan-Sou 
840,000
Provinces du centre.
Kiang-Sou.
Ces deux provinces formaient
jadis la province de Kiang-Nang.
28,853,198
An-Hoeï 1,148,023
Ho-Nan 
2,614,000
Kiang-Si 
6,127,425
Sse-Tchhouan 
7,813,000
Tche-Kiang 
18,975,000
Hou-Nan.
Ces deux provinces formaient
l’ancien Hou-Kouang.
10,000,000
Hou-Pe 24,132,408
Fou-Kian 
2,312,000
Provinces du midi.
Koueï-Tcheou 
2,018,109
Youn-Nan 
3,209,000
Kouang-Si 
3,081,000
Kouang-Toung 
3,604,000
Total 
145,456,809
Il faut ajouter à ce nombre les habitans qui vivent sur l’eau (hommes, femmes et enfans.)
2,418,237

Infanterie régulière 
300,108
Infanterie irrégulière 
400,000
Cavalerie régulière 
227,000
Cavalerie irrégulière 
273,000
Artillerie (elle est détestable) 
17,000
À la suite de l’armée régulière 
30,000
Officiers réguliers de toutes armes 
6,892
Officiers de troupes irrégulières 
5,201
Marine 
32,440
Les neuf classes de mandarins et employés subalternes 
102,379
Total 
3,812,257
Total du premier tableau 
145,456,809
Grand Total 
149,269,066


Outre cela, il faut compter encore près de dix millions de Chinois expatriés à Liou-Kieou, à Formose, dans la Corée, au Japon, en Tâtarie, au Thoubet, au Tourkestan, dans la grande Boukharie et en Arménie ; à Maurice, à Sainte-Hélène et au cap de Bonne-Espérance ; au Brésil et à la Guiane française ; dans l’Indoustan et le Bengale ; dans les royaumes de Siam, d’An-Nam, et dans l’empire birman ; à Malacca et dans la péninsule de ce nom ; à Poulo-Pinang, Singapora, Soumâtra, Bintang, Banca, Lingin et Lingan ; dans les îles de Java et de Sounda ; à Célèbes et aux îles Moluques ; dans l’archipel de Jolo, à Bornéo et aux Philippines ; dans la Nouvelle-Guinée, à Ouaigiou, et jusque dans les îles de la mer du Sud. On en voit même quelques-uns dans quelques capitales d’Europe, telles que Pétersbourg, Londres, Lisbonne, Rome et Paris. On recherche les Chinois dans tout l’orient, car ils sont les courtiers et les meilleurs cultivateurs et ouvriers de ces vastes et nombreuses régions.

Quoique dispersés dans les cinq parties du monde, un bon nombre de ces émigrans retourne en Chine, après avoir fait fortune ailleurs, malgré les lois qui prohibent l’expatriation, et qui doivent punir les expatriés à leur rentrée sur le sol natal. Mais la plus grande partie d’entre eux se sont formés en populations stables dans les pays de l’Orient déjà cités, après s’y être mariés avec les filles des naturels.

En joignant les dix millions de Chinois établis dans l’étranger, ou y trafiquant pendant une partie de leur vie, aux 149,269,066 qui forment la population de la Chine, la population entière de la race chinoise (non compris les états qui lui sont soumis), forme un total général de près de 160,000,000, nombre qui n’est inférieur que de 18,000,000 à la population entière de l’Europe, et qui surpasse de 90,000,000 la population entière de tout l’empire russe.

Pour ne rien livrer au hasard, nous n’avons pas voulu donner la statistique des pays soumis à la Chine, mais nous pouvons tracer un tableau passablement exact de leur population, d’après l’almanach impérial, différens édits impériaux sur la Mandchourie, les états tributaires, etc., savoir :

Habitans ou bouches.
Pour la Korée (anciennement Kao-Li, aujourd’hui Tchao-Sien 
8,463,000
Pour le Thoubet et le Boutan 
6,800,000
Pour la Mandchourie, la Mongolie, la Kalmoukie, la petite Boukarie, le petit Thoubet, la Dzoungarie, la grande île Tchoka, et les autres pays tributaires 
9,000,000
Total 
24,263,000
Ce qui, joint au total de la Chine propre, de 
149,269,066
Et au total pour les colonies de 
10,000,000
Donne à l’empire chinois, et aux tributaires de l’empire, un total général de 
184,000,000

C’est-à-dire 134,000,000 de plus que tout l’empire russe et presque le quart du globe entier.

Voici le relevé de la population des villes que nous avons le plus d’intérêt à connaître :

Habitans ou bouches.
Péking[14], capitale de l’empire, compte 
1,700,000
Nanking 
514,000
Hang-Tcheou 
700,200
Oou-Tchang 
580,000
King-Tchin 
500,000
Fok-Han 
320,000
Nan-Tchang 
300,000
Sou-Tcheou-Fou 
214,017

Cette dernière ville, qui n’a pas encore été décrite avec exactitude, est située sur le grand canal impérial, qui a un cours de six cents lieues, porte des ponts de la plus belle construction, et est souvent bordé de quais en pierre et de villages charmans. Sou-Tcheou est le Paris de la Chine ; c’est lui qui est l’arbitre du bon goût, du beau langage, des modes et des théâtres ; là sont les femmes les plus jolies et les plus aimables ; là se réunissent les meilleurs comédiens et les jongleurs les plus adroits ; là les hommes les plus riches viennent se fixer pour y vivre en sybarites : aussi le proverbe chinois dit : Le paradis est dans les cieux, Sou-Tcheou-Fou est sur la terre.

Ngao-Men (Macao) compte 32,268 habitans, dont 20,000 Chinois (un certain nombre de ceux-ci vit dans des sanpans ou bateaux sur la rade), 10,000 Portugais, Européens, ou fils d’Européens et de Chinoises, et le reste Malais, Manilois, Cafres, Timoriens, Hindous, Parsis, etc.

Koang-Tcheou-Fou (Kanton), aujourd’hui la ville la plus commerçante et la plus riche de la Chine, est la seconde de l’empire en population, car elle possède 845,729 habitans, contenus dans les villes chinoise et mandchoue, et dans la jolie île d’Ho-nan (située sur le beau fleuve Ta, et où les négocians tiennent leurs femmes dans des harems élégans), et 128,000 individus à qui il n’est pas permis d’habiter la terre, et qu’on oblige de vivre sur la rivière, répartis dans 43,021 sanpans.

Il est utile de savoir que le plus ancien dénombrement de l’empire, que j’ai trouvé dans un manuscrit complet du Moadjem-Al-Boldan, ou alphabet des contrées (espèce de dictionnaire géographique arabe de Chéhâb-êddyn-abou-abdallah-yakout[15], en 12 grands volumes in-folio), et le Sang-Houng-Pen-ki, recueil manuscrit des traditions chinoises, (deux des objets les plus précieux que j’aie perdus dans mon naufrage), que ce dénombrement, dis-je, qui eut lieu au commencement de l’ère chrétienne, ne donne à la Chine que 60,000,000 d’habitans. Fait remarquable ! Ainsi, quand l’Europe possède aujourd’hui une population moindre que celle de l’Europe romaine, celle de la Chine[16] s’est accrue de près de deux tiers dans un même laps de temps.

On voit donc que les calculs du père Lecomte, qui portaient la population de Kanton à 1,500,000 habitans, de Sonnerat à 75,000, et de Maltebrun à 250,000, et que ceux de l’estimable almanach de Gotha, qui élèvent la population de Nanking à 2,000,000 et celle de la Chine à 257,000,000, sont aussi erronés que les calculs de lord Macartney et du mandarin Choou-Ta-Zing, qui donnent 3,000,000 d’âmes à Péking, et 333,000,000 à l’empire céleste (Tien-Chaou, nom que les Chinois donnent à leur pays ).

BUDGET DE LA CHINE.
Perception.

La contribution ou tribut se perçoit en argent et en grains ou riz ; la taxe d’argent en taëls, pièce qui équivaut généralement à 8 francs. Une partie considérable du revenu en riz et en blés est déposée dans les greniers publics, et on en garde toujours en réserve 30,000,000 de seïs, c’est-à-dire 5,550,000,000 de nos livres ; la mesure du seï équivalant à 185 livres pesans.

Cette quantité de grains et de riz est destinée à la nourriture des troupes et aux besoins du peuple en cas de disette.

On peut l’estimer de la manière suivante :


Grains 
25,481,164 seïs.
Riz 
5,115,625 seïs.
30,596,789 seïs de grains ou riz.
Ou 
5,660,405,965 livres poids.


Ce qui équivaut à la somme de 41,112,331 taëls, ou 328,898,648 francs.

Les terres paient 5 fr. 30 cent. par moou (le moou vaut un septième d’arpent).

Les autres impôts sont levés sur le sel, les charbons, etc.

Voici de quelle manière se prélèvent les taxes et les droits par provinces.

RECETTES.


Province de Pe-Tchi-Li.
Les taxes prélevées à Tchan-Tien-Fou s’élèvent à 
154,173 taëls.
Les taxes prélevées par le trésorier 
2,334,475
Les droits sur les charbons 
32,420
Id. sur le sel 
473,949
Autres droits 
119,753
Province de Chan-Si.
Taxes 
2,990,675 taëls.
Droits sur le sel 
507,028
Autres droits 
42,019
Province de Chen-Si.
Taxes 
1,658,709 taëls.
Droits[17] 
40,623
Province de Chan-Toung.
Taxes 
3,376,165 taëls.
Droits sur le sel 
120,720
Droits prélevés à Tsing-Choou-Kouan 
29,680
Taxes payées en grains 
353,963 seïs.
Province de Kan-Sou.
Taxes 
280,652 taëls.
Droits 
39,450
Taxes payées en grains et en riz 
218,550

Province de Kiang-Sou.
Les taxes prélevées à Kiang-Sou montent à 
3,116,826 taëls.
Les droits sur le sel à Kiang-Sou 
93,240
Autres droits prélevés à Kiang-Sou 
46,916
Province de An-Hoeï.
Taxes prélevées à An-King-Sou 
1,718,824 taëls.
Les droits sur le sel à An-Hoeï 
38,584
Les droits prélevés sur les melons et autres légumes à An-Hoeï 
7,660
227,286
Autres droits 
557,722
Province de Ho-Nan.
Taxes 
3,164,758 taëls.
Droits 
12,650
Taxes payées en grains 
221,342 seïs.
Taxes payées en grains à Kiang-Sou et à An-Hoëi 
431,723
Province de Kiang-Si.
Taxes 
1,878,682 taëls.
Droits sur le sel 
5,150
Autres droits 
224,821
Taxes payées en grains 
795,063 seïs.
Province de Sse-Tchhouan.
Taxes[18] 
631,094 taëls.
Droits 
20,529

Province de Tche-Kiang.
Taxes 
2,914,489 taëls.
Droits prélevés sur le sel, etc. 
501,044
Autres droits 
191,840
Taxes payées en grains et en riz 
678,320 seïs.
Province de Hou-Nan.
Taxes 
882,745 taëls.
Droits prélevés par les troupes 
20,350
Droits des postes 
13,880
Autres droits 
30,530
Taxes payées en riz 
96,214 seïs.
Province de Hou-Pe.
Taxes 
1,074,489 taëls.
Droits prélevés par les troupes 
32,640
Droits sur les postes 
18,140
Autres droits 
68,425
Taxes payées en grains 
96,934 seïs.
Province de Fou-Kian.
Taxes 
1,974,489 taëls.
Droits sur le sel 
85,470
Autres droits 
98,399
Province de Koueï-Tcheou.
Taxes 
102,628 taëls.
Droits sur le sel 
6,230
Autres droits 
13,690
Province de Youn-Nan.
Taxes 
416,399 taëls.

Droits 
34,256
Taxes payées en grains 
227,626 seïs.
Province de Kouang-Si.
Taxes 
416,399 taëls.
Taxes prélevées sur les bureaux de prêts, etc. 
25,880
Droits sur le sel 
47,150
Province de Kouang-Toung.
Taxes 
1,264,304 taëls.
Taxes prélevées sur les bureaux des prêts 
5,990
Droits prélevés à Kanton 
43,750
Droits prélevés à Tchaou-Tchou 
53,670
Droits sur le sel 
47,510

Le total général des taxes et des droits en argent s’élève à 33,288,276 taëls ou 266,306,208 francs ; celui des taxes payées en grains monte à 4,230,959 seïs ou 782,727,415 livres poids.

Plus, 30,596,789 seïs de grains et riz versés dans les greniers publics, ce qui donne 5,660,405,965 livres : total général 34,827,748 seïs ou 6,443,133,380 livres poids de grains et riz, ce qui fait au taux ordinaire du riz, un total de 74,400,607 taëls ou 595,204,856 francs.

DÉPENSES ANNUELLES
POUR LE DÉPARTEMENT CIVIL.
Province de Pe-Tchi-Li : elle possède dix villes fou (c’est-à-dire de département ou de première classe), vingt-cinq villes tcheou (c’est-à-dire d’arrondissement ou de deuxième classe), et cent vingt-quatre districts ou hian (villes de troisième classe.)
Le nombre des officiers civils, y compris les mandarins et officiers civils de toutes classes et employés subalternes, est de huit cent soixante-neuf, et leur solde s’élève à 
281,148 taëls
Province de Chan-Si : on y remarque neuf villes fou, seize villes tcheou (deuxième classe), et quatre-vingt-sept districts ou hian. Le nombre des officiers civils s’y élève à cinq cent douze, et leur solde à 
296,270
Province de Chen-Si : elle possède sept villes fou, dix villes tcheou, et soixante-treize districts hian ; le nombre des officiers civils y est de quatre cent huit, et leur solde monte à 
144,100
Province de Chan-Toung : elle possède dix villes fou, onze villes tcheou, et quatre-vingt-treize districts hian ; le nombre des officiers civils y est de six cent soixante-quinze[19] ; leur solde se monte à 
293,162
Province de Kan-Sou : on y voit neuf villes fou, treize villes tcheou, et quinze districts hian ; le nombre des officiers civils y est de trois cent trois, et leur solde monte à 
293,162


Province de Kiang-Sou : on y voit huit villes fou, trois villes tcheou., et cinquante-trois districts hian ; le nombre des officiers civils s’y élève à neuf cent cinquante-neuf, et leur solde monte à 
314,590
Province de An-Hoaï : elle possède huit villes fou, huit villes tcheou, et cinquante districts hian ; le nombre des officiers civils est de trois cent soixante-dix-huit, et leur solde s’élève à 
124,000
Province de Ho-Nan : elle a neuf villes fou, dix villes tcheou, et quatre-vingt-dix-sept districts hian ; cinq cent soixante-dix-huit officiers civils, dont la solde monte à 
260,970
Province de Kiang-Si : elle a treize villes fou, deux villes tcheou, et soixante-quinze districts hian ; trois cent soixante-quinze officiers civils, et leur solde monte à 
190,840
Province de Sse-Tchhouan : elle possède douze villes fou, treize villes tcheou, et cent douze districts hian ; le nombre des officiers civils y est de cinq cent soixante-sept, et leur solde monte à 
217,230
Province de Tche-Kiang : on y voit onze villes fou, une ville tcheou, et soixante-seize districts hian ; les officiers y sont au nombre de cinq cent cinquante-six, et leur solde s’élève à 
181,850
Province de Hou-Nan : on y voit neuf villes fou, sept villes tcheou, et soixante-quatre districts hian ; les officiers y sont au nombre de quatre cent trente-huit, et leur solde s’élève à 
154,500

Province de Hou-Pe ; elle a dix villes fou, sept villes tcheou et soixante districts hian ; le nombre des officiers s’y élève à quatre cent soixante-trois, et leur solde à 
172,896
Province de Fou-Kian ; elle possède dix villes fou, deux villes tcheou, et soixante-deux districts hian ; le nombre des officiers civils est de quatre cent soixante-onze, dont la solde monte à 
159,640
Province de Kouei-Tcheou ; on y voit quatorze villes fou, trente-quatre villes tcheou, et trente-quatre districts hian ; les officiers civils y sont au nombre de deux cent vingt-neuf, et leur solde s’élève à 
117,060
Province de Youn-Nan ; elle possède quatorze villes fou, trente-deux villes tcheou, et quarante-sept districts hian ; le nombre des officiers civils y est de trois cent quatre-vingt-neuf, et leur solde monte à 
204,821
Province de Kouang-Si ; elle a onze villes fou, dix-sept villes tcheou, et quarante-sept districts hian ; le nombre des officiers civils y est de quatre cent trente, et leur solde monte à 
165,186
Province de Kouang-Toung ; on y remarque neuf villes fou, dix villes tcheou, et soixante-huit districts hian ; le nombre des officiers civils y est de six cent vingt-deux, leur solde s’élève à 
198,140
Total des dépenses du service civil 
3,614,903 taëls.
Ou 
28,917,624 fr.

Le nombre des villes est de seize cent cinquante-neuf, et non de deux mille ainsi que le disent MM. de Guignes et Pinkerton. Sur ce nombre, il y a deux cent quatorze grandes villes du premier ordre. Je n’ai compté que dix-huit provinces, ou plutôt gouvernemens, quoique sir Georges Staunton et autres doctes sinologues, en comptent trois de plus, savoir : Ching-King (Moukden), Hing-King (Yenden), et He-Loung-Kiang, qui n’appartiennent pas à la Chine propre. Quelques provinces sont plus riches, plus peuplées, plus étendues que plusieurs puissans royaumes d’Europe.


DÉPENSES ANNUELLES
POUR LE DÉPARTEMENT MILITAIRE.
Provinces Nombre de troupes régulières et irrégulières, y compris les officiers et mandarins militaires. Solde.[20]
King-Sse, la capitale ou la ville impériale 
26,150 434,272 taëls.
Pe-Tchi-Li 
151,000 2,470,807
Chen-Si 
104,000 1,759,677
Chan-Si 
53,000 875,600
Chan-Toung 
35,000 582,814
Kan-Sou 
123,000 2,040,995
Kiang-Sou 
ancien Kiang-Nang
132,000 2,182,707
An-Hoeï 

Ho-Nan 
24,051 395,613
Kiang-Si 
39,000 641,339
Ssetchhouan 
85,000 1,402,162
Tche-Kiang 
56,000 967,402
Hou-Nan 
ancien
Hou-Kouang
51,000 844,990
Hou-Pa 
37,000 621,254
Fou-Kian 
76,000 1,228,006
Koueï-Tcheou 
70,000 1,161,103
Youn-Nan 
53,000 892,678
Kouang-Si 
42,000 728,268
Kouang-Toung 
99,000 1,582,654
Totaux 
1,256,201 20,812,341 taëls.
Ou 166,498,728 francs.

Je n’ai pas compris les dépenses de la marine, qui sont incertaines.

Les résultats précédens donnent, comme on voit, 33,288,276 taëls, ou 266,306,208 francs.

Total des recettes annuelles des taxes de tous genres, non compris la valeur des grains réservés 
33,288,276 taëls.
Ou 
266,306,208 francs.
Dépenses civiles et militaires 
24,427,544 taëls.
Réparations annuelles de la rivière Jaune (Hoan-Ho) 
2,000,000
Réparations annuelles des jardins Yueu-Ming et Djih-Hou 
1,000,000
Total des dépenses 
27,427,544 taëls.
Ou 
219,420,352 francs.
Balance. Reste 
5,860,732 taëls.
Ou 
44,885,856 francs.

Cet excédant est absorbé par le traitement des ministres d’état, par les dépenses affectées au collége de Hanlin, qui est composé de 282 officiers, et enfin, par les dépenses du palais. Mais, en comprenant les taxes et les grains déposés dans les greniers publics des différentes provinces, on peut calculer que les ressources de la Chine qui s’élèvent à 74,400,607 taëls ou 595,204,856 francs, joints aux 266,306,208 francs des autres recettes annuelles, sont de 861,511,064 francs.

Les impôts prélevés sur les étrangers à Kouan-Tcheou-Fou (Kanton) Ngao-Men (Macao), Ning-po, ou Emoï[21], Formose ou Taï-Ouan, rendent encore des sommes considérables (ceux de Kanton sont de 6 millions). Il faut encore ajouter la vente des charges publiques, et la recette des douanes aux frontières et à l’extérieur ; plus, les revenus perçus sur les états tributaires. Il faut encore ajouter 50 millions de francs des tributs prélevés sur la soie, les étoffes de différentes matières et quelques autres produits.

Les revenus des domaines du grand empereur, le monopole du Jin-Chen (Ginseng), les confiscations, les présens et différens petits détails ne sont pas compris dans le total général.

Nous aurions pu donner un aperçu de ces différens revenus, ainsi que de la population des 1659 villes de la Chine, d’après la deuxième édition de l’ouvrage de Ouang-Kouoï-Ching, qui a paru à Kanton et à Macao durant notre séjour en Chine ; mais nous avons de puissantes raisons de croire que cette partie de son ouvrage est beaucoup moins exacte que celle qui traite des finances. Ainsi, nous pensons que la somme entière des revenus de tout l’empire s’élève à près de 1,000,000,000 de francs (somme qui approche du budget ordinaire de la France) ; que ces revenus surpassent de beaucoup la dépense, et que l’avidité des hommes en place, qui sont d’ailleurs mal payés, en distrait une bonne partie ; mais il y a encore loin de là aux 79,600,000 liang ou taëls de revenu annuel, que M. Martucci donne à la Chine. Cette somme équivaudrait à environ 5 milliards de francs.

Le dernier dénombrement des chrétiens en Chine n’est pas sans intérêt pour nous. On y compte 64,327 chrétiens, qui ont 40 prêtres chinois et 14 européens, 36 écoles de garçons, et 58 de filles, un petit séminaire au collége de Saint-Joseph à Macao, plus l’école tenue par le vénérable abbé Lamiot dans cette ville. C’est lui qui a envoyé à Paris, en 1829, quatre jeunes Chinois pour y faire leurs études ecclésiastiques. Il existe, en outre, à Poulo-pinang, un collége chinois tenu par des ecclésiastiques français, et dans le midi de la Chine, deux évêques[22], un français et un italien, si toutefois ils n’ont pas payé de leur tête leur zèle évangélique. Les Anglais ont un collége anglo-chinois à Malacca, où l’on élève de jeunes Chinois dans la religion calviniste. Cet établissement compte parmi ses fondateurs deux sinologues d’un mérite distingué, M. le docteur Milne et surtout M. le docteur Morrison, auteur du grand Dictionnaire chinois et anglais. Il nous paraît difficile de croire que la religion chrétienne fasse plus de prosélytes en Chine que chez les Hindous et chez les Malais. Les pompes du culte catholique plaisent davantage à ces peuples que l’austérité des cultes protestans ; mais les Orientaux n’estiment pas plus nos prêtres célibataires que les bonzes ou les prêtres de Boudha, également voués au célibat, et ils ne renonceront jamais volontairement à la polygamie.


Louis-Domeny de Rienzi.
  1. Je pense que la Chine est le pays des anciens Seres de Pline et de Ptolémée, et non la contrée des Sinœ, que je crois trouver sur la côte de l’empire birman.
  2. L’imprimerie de la Revue n’ayant pas de caractères chinois ni orientaux, j’ai essayé d’en donner la valeur en caractères romains.
  3. Ancien nom de la Chine, lorsqu’elle fut visitée au treizième siècle par le célèbre Marco-Polo, si long-temps calomnié et si digne de l’estime et de la reconnaissance de l’Europe.
  4. Les Chinois me paraissent appartenir à la race mongolique, ou jaune, mêlée, et à une variété des races hindoue et malaye, qui ne sont peut-être elles-mêmes qu’un mélange de la race éthiopienne avec la race blanche, ou scythique. J’ai vu ces deux races bien distinctes et séparées dans plusieurs îles de l’Océanie, où s’est opéré ce mélange. Dans mon opinion, les Chinois n’ont pas conservé de leurs ancêtres les Mongols ce caractère belliqueux qui les distinguait ; mais ils ont acquis l’industrie et le commerce, que les Mongols n’avaient pas, et ont trop scrupuleusement gardé leur amour de l’étiquette, des puériles civilités, des ornemens minutieux et des formes bizarres. Je crois que les Chinois ressemblent aussi beaucoup aux anciens Égyptiens par leur caractère et leurs institutions.
  5. Il faut bien se garder de confondre ces quatre nations principales de l’Asie centrale avec les Tâtars, peuple originaire du Tourkestan, et qui étaient vraisemblablement les anciens Scythes asiatiques d’Hérodote et de Strabon. Ils sont aujourd’hui disséminés dans la Krimée, la Tâtarie dite indépendante, la Perse, les régions caucasiennes et la Sibirie. Malgré l’opinion du savant M. Étienne Quatremère, ils diffèrent autant, par leurs langues et leur conformation, des Mandchoux, des Oïgours, des Kalmouks et des Mongols, que les Hindous diffèrent des Malais.

    Voyez, à ce sujet, les fragmens du premier voyage que fit l’auteur en Orient, accompagné de M. André Ariston. Ce voyage comprend l’Asie mineure, la Palestine, l’Arménie, les régions caspiennes, caucasiennes, etc. Ces fragmens sont imprimés dans le Mercure de France, 1819.

    Cependant, pour se faire entendre des gens du monde, nous devons avertir que, dans l’absurde dénomination de Tâtarie chinoise, on ne doit du moins comprendre que la Mongolie, la Mandchourie, la Kalmoukie et la petite Boukharie.

  6. On les nomme ainsi parce qu’ils habitent près du lac Kôkenoor (lac bleu).
  7. Ce mot de Kitaï fut donné à la Chine par les Kitans, tribu mongole-tungouse, qui gouvernait alors ce pays. Nous remarquerons que Cosmas Indopleustes, dont nous parlerons dans les fragmens de notre voyage en Abyssinie, nomme la Chine Tzinitza (voyez sa Cosmographie chrétienne dans Montfaucon). Cosmas voyageait dans l’Inde au sixième siècle de l’ère chrétienne.
  8. Ce mot signifie en chinois la cour du midi. Les naturels l’appellent Aï-Nam.
  9. Les Portugais ont donné le nom de Cochinchine à cette partie de l’empire d’An-nam, d’après les Japonais, qui l’appellent Cotchin-Djina, le pays à l’ouest de la Chine. Les naturels le nomment Ki-nam.
  10. Ce sont les quatre langues étrangères avec lesquelles un grand nombre de Chinois de Kouang, de Youn-Nan, Foukien et Kouang-Toung, sont le plus familiarisés.
  11. Confucius. Ce grand homme me paraît néanmoins avoir trop ménagé les superstitions de son temps, et s’être trop plié au despotisme.
  12. Épithète que les Chinois donnent à Konfoutze.
  13. En effet, quoique les mots Chang-Ti signifient le régisseur suprême, il paraît, par l’emploi qu’en font les auteurs des quatre livres, que Chang-Ti et Tien (le ciel) ne sont qu’une même divinité suprême.
  14. C’est l’ancien Kambalouk que Marco-Polo me paraît avoir italianisé dans le nom de Gamalecco.
  15. Cet estimable écrivain vivait, si je m’en souviens, au douzième siècle de l’ère chrétienne. Il est probable qu’il a eu connaissance de ce dénombrement par le voyage des Arabes qui visitèrent le Kita (la Chine) au neuvième siècle, comme nous l’apprenons par le voyage que Ouahab et Abousaid firent par mer à Canton, vraisemblablement le Canfou du Vénitien Marco-Polo.
  16. On compte généralement en Chine de huit à dix personnes par famille ; neuf en est le nombre moyen.
  17. Dans cette estimation n’est pas comprise celle des droits prélevés à Tung-Kouan, ceux-ci n’étant pas bien connus.
  18. On ne comprend point dans cette estimation les droits prélevés sur le sel à Ta-loung-yen.
  19. Le nombre des officiers civils chargés du temple de Konfoutze (Confucius ) est de soixante-cinq.
  20. La paie des troupes se fait de la manière suivante : Un soldat d’infanterie reçoit huit francs par mois, et trois mesures de riz ; un soldat de cavalerie reçoit seize francs et six mesures de riz, outre le fourrage et les différens objets que les habitans doivent lui fournir.
  21. Les Européens ne sont plus reçus qu’à Canton, Ouampou, Linting et Macao. Les navires espagnols ou européens, sous pavillon espagnol et avec une licence de Manille, le sont encore à Emoï, port de la province de Fo-Kien, situé vis-à-vis la grande île Formose, et d’où partent les navires qui commercent au Japon.
  22. M. Perocheau, évêque de Maxoula : j’ai oublié le nom de l’Italien.