Statistique de l’insurrection de la Commune

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Statistique de l’insurrection de la Commune
Journal des économistesTome 42 (p. 283-288).
STATISTIQUE DE L’INSURRECTION DE LA COMMUNE.


Rapport de la Commission des grâces[1]. — Rapport de la Commission d’amnistie[2].


Une loi du 17 juin 1871 avait constitué la Commission des grâces pour l’examen des dossiers des condamnés pour faits relatifs à l’insurrection du 18 mars 1871, commission dont le double Rapport a été déposé sur le bureau de la Chambre en décembre 1875 et en mars 1876[3].

Composée de quinze membres[4], élus en séance publique les 21 et 22 juin 1871, la Commission s’est réunie pour la première fois le 30 juin, et pour la dernière fois le 20 décembre 1875 ; elle a tenu, en quatre ans et demi, 246 séances, soit un peu plus d’une par semaine.

Ce long Rapport occupe près de 12 pages de l’Officiel, ou 35 colonnes ; il renferme l’exposé minutieux des travaux de la commission, et contient nombre de faits et de chiffres dont il a paru bon de donner ici le résumé.



Le nombre des individus compromis dans les 6.536 affaires soumises à l’examen de la commission se répartit ainsi :


Pour le sexe :

Hommes ........ 6.438
Femmes ........ 98 = 6.536

Pour l’origine :

Département de la Seine ........ 1.716
Province ........ 4.626
Étranger ........ 194 = 6.536


Comme situation de famille :

Célibataires ........ 3.295
Mariés sans enfants ........ 829
— avec — ........ 126
Veufs sans — ........ 2.068
— avec — ........ 218 = 6.536


Comme profession :

Occupés aux travaux des champs ........ 615
Occupés à des travaux industriels ........ 4.013
Concierges ou domestiques ........ 418
Négociants, marchands, logeurs, employés divers ........ 910
Exerçant une profession libérale ........ 126
Militaires ou marins ........ 330
Sans profession ........ 104 = 6.536


Près de 600 ont été signalés comme vivant en concubinage, et un grand nombre comme souteneurs de filles. 1.500 au moins avaient des antécédents judiciaires ; mais, depuis les incendies de la Commune, il est toujours bien difficile de donner des chiffres précis à cet égard.



Classées d’après la nature des condamnations prononcées, les 6.536 affaires soumises à la commission des grâces se décomposent ainsi :

Condamnations à mort ........ 111
— à la déportation dans une enceinte fortifiée ........ 744
— à la déportation simple ........ 2.191
— à la détention ........ 1.232
— au bannissement ........ 68
— aux travaux forcés à perpétuité ........ 82
— aux travaux forcés à temps ........ 135
— à la réclusion ........ 61
— à l’emprisonnement ........ 1.895
— à l’emprisonnement dans une maison de correction ........ 5
— à la surveillance de la haute police ........ 12
Total ........ 6.536

Si l’on rapproche ce chiffre de celui des condamnations contradictoires prononcées par les conseils de guerre ou les cours d’assises[5], on voit que ces deux juridictions, statuant en matière criminelle, ont prononcé, du 15 mars 1874 au 30 novembre 1875, un nombre total de 9.596 condamnations contradictoires se décomposant ainsi :

Condamnations à mort .................. 110
— à la déportation dans une enceinte fortifiée .................. 4.197
— à la déportation simple .................. 3.446
— à la détention .................. 1.321
— au bannissement .................. 333
— aux travaux forcés à perpétuité .................. 94
— aux travaux forcés à temps .................. 179
— à la réclusion .................. 70
— à l’emprisonnement .................. 2.670
— à l’emprisonnement dans une maison de correction .................. 59
— à la surveillance de la haute police .................. 117
Total .................. 9.596


Sur les 9.596 condamnés, 6.536 ont formé un premier recours en grâce ; sur ce nombre, 2.064, le tiers environ, ont obtenu soit des commutations, soit des remises partielles ou totales de leur peine.

1.222 ont formé un second recours en grâce, et 855 ont été l’objet de décisions favorables.

Enfin, 167 dossiers ont été examinés une troisième fois, cinq une quatrième fois[6]. ;


En résumé :

1° Le nombre des condamnés qui ont fait appel à la clémence de la commission et du président de la République est de ....... 6.536
2° Le nombre total des condamnés qui ont obtenu des commutations, remises partielles ou totales de leur peine, de ....... 2.649
3° Le nombre total des avis émis par la commission est :
En premier examen, de
....... 6.536
En deuxième examen, de .......... 1.426
En troisième examen, de .......... 210
En quatrième examen, de .......... 7
Nombre total .......... 8.179
4° Nombre total des avis de la commission concluant au rejet des recours en grâce .......... 5.039
5° Nombre total des avis de la commission concluant à des commutations, remises partielles ou totales de peines .......... 3.140
Total général .......... 8.179

avis émis par la commission des grâces du 28 août 1871 au 20 décembre 1875.


À la date du 1er juillet 1875, date la plus récente à laquelle des renseignements aient pu être donnés, il y avait :


À la Nouvelle Calédonie, dans la presqu’île Ducos :

Condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée :

Hommes ........ 805
Femmes ........ 6 = 811


Parmi eux, 364 ont été antérieurement frappés par des condamnations judiciaires.


La Nouvelle-Calédonie renferme, dans l’île des Pins :

Condamnés à la déportation simple :

Hommes ........ 2.795
Femmes ........ 13 = 2.808


Parmi eux, 995 ont été antérieurement frappés par des condamnations judiciaires.


Enfin, on a un total de .......... 3.609


individus condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la déportation simple.

Le nombre de ceux qui ont été embarqués pour la Nouvelle-Calédonie a été en réalité un peu plus considérable ; il s’est élevé, en effet, à 3.781 ; mais il a été ramené au chiffre de 3.609, par suite de 138 décès et de 34 évasions.

À une date beaucoup plus récente (20 novembre 1875), les condamnés de l’insurrection de 1871, dont la peine doit être subie en France ou dont le départ pour la Nouvelle-Calédonie n’avait pu encore être effectué, étaient répartis, au nombre de 1.647, entre onze établissements pénitentiaires de l’intérieur[7].

Ainsi, sur les 40.000 individus arrêtés et interrogés à propos des faits du 18 mars, restent aujourd’hui :


Déportés .......... 3.609
Hommes condamnés aux travaux forcés .......... 233
Femmes condamnées aux travaux forcés .......... 7
Hommes et femmes condamnés à des peines diverses et se trouvant en France .......... 1.647
Soit, au total .......... 5.496

individus condamnés à l’occasion des faits de l’insurrection de 1871, et subissant actuellement leur peine[8].



Le Sénat ayant été, presque à son début, saisi d’une proposition d’amnistie présentée par MM. Victor Hugo, Peyrat, etc., une commission a été nommée d’urgence et a déjà publié son Rapport[9], concluant au rejet pur et simple.

Ce Rapport, qui s’est appuyé avant tout sur celui si remarquable et si curieux du général Appert, reprend et met en évidence les chiffres suivants relatifs aux individus compromis dans les événements de la Commune.

Nous ne voulons revoir, dit-il, « ni ces révolutionnaires cosmopolites, toujours mêlés à nos discordes (la justice en a frappé 396, sans compter les contumax), ni les repris de justice les plus vulgaires, voleurs ou escrocs (on compte, parmi les condamnés, 2.911 individus coupables de crimes ou de délits antérieurs[10], ni les incendiaires, ni les assassins (97 subissent en ce moment la peine des travaux forcés ou de la déportation,… ni ces instigateurs de l’insurrection qui ont égaré tant de malheureux et cherché, à l’heure du danger et de la justice, un asile au delà de la frontière (3.313 contumax, condamnés aux peines les plus graves[11], n’avaient pas été repris, à la date du 1er juillet 1875, et s’étaient, en grande partie, réfugiés à l’étranger…

Le rapport de M. le général Appert constate que, sur 43.522 inculpés, 7.213 ont été relâchés sur « refus d’informer », 23.727 en vertu d’ordonnances de non-lieu, et que parmi les 12.582 plus compromis qui ont été mis en jugement, 10.137 ont été condamnés, et 2.443 acquittés. Le nombre des acquittements, devant le conseil de guerre, a ainsi dépassé la moyenne habituelle des tribunaux ordinaires. Il nous apprend, dans le même document, que, dès le mois de juillet 1875, la justice militaire avait, pour ainsi dire, terminé sa tâche. Elle se bornait à poursuivre les individus signalés comme ayant à leur charge des faits de droit commun, des actes importants d’organisation ou de direction pendant la période insurrectionnelle, et à juger contradictoirement les condamnés par contumace qui avaient été repris ou qui se présentaient volontairement.

La commission des grâces, nommée en séance publique le 10 juillet 1871, a fonctionné jusqu’au jour où son mandat a expiré avec celui de l’Assemblée nationale qui l’avait instituée. D’après le Rapport supplémentaire présenté le 8 mars dernier à la commission de permanence, 6.536 condamnés, sur 10.137 ont formé un premier recours en grâce. 2.064 ont obtenu, soit la commutation, soit la remise partielle ou totale de leur peine. La commission a admis les seconds, les troisièmes, les quatrièmes recours ; sur 1.643 demandes ainsi reproduites, 1.077 décisions sont intervenues, soit au profit de condamnés qui n’avaient encore obtenu aucune grâce, soit au profit de ceux qui avaient été l’objet d’une commutation antérieure. En résumé, 6.536 condamnés ont présenté un recours ; 2.649 ont obtenu grâce complète ou partielle. La commission a émis 8.179 avis ; 5.039 ont été favorables. Ajoutons, pour compléter les renseignements qui nous paraissent nécessaires à l’examen de cette grave question, que le nombre des condamnés à la déportation dirigés sur la Nouvelle-Calédonie est de 3.575, et que, parmi eux, l’on en compte 1.504 qui avaient commis des crimes ou des délits antérieurement à l’insurrection du 18 mars.

La Commission des grâces a examiné 8,179 dossiers, et prononcé 3,140 commutations ou remises de peines.

Edm. R.


  1. Présenté par MM. Martel et Félix Voisin.
  2. Présenté par M. Paris.
  3. Le 8 mars, jour où la Commission de permanence s’est réunie à Versailles et où l’ancienne Assemblée a transmis ses pouvoirs aux nouvelles Chambres, M. Martel, président de la Commission des grâces, a dit que les pouvoirs de cette Commission expiraient en même temps que ceux de l’Assemblée. Dans une séance tenue depuis ce Rapport, elle a statué sur tous les recours en grâce qui lui ont été adressés.
  4. MM. Martel, président ; Piou, vice-président ; comte de Bastard, secrétaire ; Félix Voisin, id. ; Batbie, comte de Maillé, comte Duchâtel, Peltereau-Villeneuve, Sacaze, Tailhand, marquis de Quinsonnas, Bigot, Merveilleux du Vignau, Paris, Corne.
  5. 22 conseils de guerre, 14 cours d’assises. Ces dernières ont eu à juger 41 affaires comprenant 236 accusés. 116 accusés ont été condamnés, 120 ont été acquittés. Sur les 116 condamnés, 2 ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 3 à la déportation simple, 6 à la déportation dans une enceinte fortifiée, 7 aux travaux forcés, 20 à la détention, 8 à la réclusion et 70 à l’emprisonnement.
  6. Sur les 110 condamnations à mort, 26 seulement ont reçu leur exécution.
  7. Hommes, 1.598, — Femmes, 49.
  8. Voy. dans le Journal des Économistes, no  d’avril 1875, « la Déportation à la Nouvelle-Calédonie », par M. Marcel.
  9. Rapporteur, M. Paris.
  10. Contre l’ordre public .......... 504
    — les personnes .......... 454
    — les mœurs .......... 128
    — la propriété .......... 1534
    Vagabondage .......... 291
    2911
  11. Condamnés à la peine de mort .......... 175
    — à la déportation .......... 2910
    — aux travaux forcés .......... 159
    — à la détention .......... 30
    — à des peines correctionnelles .......... 39
    3313