Stello/I

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Charles Gosselin (p. 3-6).

CHAPITRE PREMIER

CARACTÈRE DU MALADE


Stello est né le plus heureusement du monde et protégé par l’étoile du ciel la plus favorable. Tout lui a réussi, dit-on, depuis son enfance. Les grands événements du globe sont toujours arrivés à leur terme de manière à seconder et à dénouer miraculeusement ses événements particuliers, quelque embrouillés et confus qu’ils se trouvassent ; aussi ne s’inquiète-t-il jamais lorsque le fil de ses aventures se mêle, se tord et se noue sous les doigts de la Destinée : il est sûr qu’elle prendra la peine de le disposer elle-même dans l’ordre le plus parfait, qu’elle-même y emploiera toute l’adresse de ses mains, à la lueur de l’étoile bienfaisante et infaillible. On dit que, dans les plus petites circonstances, cette étoile ne lui manqua jamais, et qu’elle ne dédaigne pas d’influer pour lui sur le caprice même des saisons. Le soleil et les nuages lui viennent quand il le faut. Il y a des gens comme cela.

Cependant il se trouve des jours dans l’année où il est saisi d’une sorte de souffrance chagrine que la moindre peine de l’âme peut faire éclater, et dont il sent les approches quelques jours d’avance. C’est alors qu’il redouble de vie et d’activité pour conjurer l’orage, comme font tous les êtres vivants qui pressentent un danger. Tout le monde, alors, est bien vu de lui et bien accueilli ; il n’en veut à qui que ce soit, de quoi que ce soit. Agir contre lui, le tyranniser, le persécuter, le calomnier, c’est lui rendre un vrai service ; et s’il apprend le mal qu’on lui a fait, il a encore sur la bouche un éternel sourire indulgent et miséricordieux. C’est qu’il est heureux comme les aveugles le sont lorsqu’on leur parle ; car si le sourd nous semble toujours sombre, c’est qu’on ne le voit que dans le moment de la privation de la parole des hommes ; et si l’aveugle nous paraît toujours heureux et souriant, c’est que nous ne le voyons que dans le moment où la voix humaine le console. — C’est ainsi que Stello est heureux ; c’est qu’aux approches de sa crise de tristesse et d’affliction, la vie extérieure avec ses fatigues et ses chagrins, avec tous les coups qu’elle donne à l’âme et au corps, lui vaut mieux que la solitude, où il craint que la moindre peine de cœur ne lui donne un de ses funestes accès. La solitude est empoisonnée pour lui, comme l’air de la Campagne de Rome. Il le sait ; mais s’y abandonne cependant, tout certain qu’il est d’y trouver une sorte de désespoir sans transports, qui est l’absence de l’espérance. — Puisse la femme inconnue qu’il aime ne pas le laisser seul dans ces moments d’angoisse !

Stello était, hier matin, aussi changé en une heure qu’après vingt jours de maladie, les yeux fixes, les lèvres pâles et la tête abattue sur la poitrine par les coups d’une tristesse impérissable.

Dans cet état, qui précède des douleurs nerveuses auxquelles ne croient jamais les hommes robustes et rubiconds dont les rues sont pleines, il était couché tout habillé sur un canapé, lorsque, par un grand bonheur, la porte de sa chambre s’ouvrit et il vit entrer le Docteur Noir.