Stello/XII

La bibliothèque libre.
Charles Gosselin (p. 75-78).


CHAPITRE XII


« Voilà une horrible fin, dit Stello, relevant son front de l’oreiller qui le soutenait, et regardant le Docteur avec des yeux troublés… Où donc étaient ses parents ?

— Ils labouraient leur champ, et j’en fus charmé. Près du lit de mes mourants, les parents m’ont toujours importuné.

— Eh ! pourquoi cela ? dit Stello…

— Quand une maladie devient un peu longue, les parents jouent le plus médiocre rôle qui se puisse voir. Pendant les huit premiers jours, sentant la mort qui vient, ils pleurent et se tordent les bras ; les huit jours suivants, ils s’habituent à la mort de l’homme, calculent ses suites et spéculent sur elle ; les huit jours qui suivent, ils se disent à l’oreille : Les veilles nous tuent ; on prolonge ses souffrances ; il serait plus heureux pour tout le monde que cela finît. Et s’il reste encore quelques jours après, on me regarde de travers. Ma foi, j’aime mieux les gardes-malades ; elles tâtent bien, à la dérobée, les draps du lit, mais elles ne parlent pas.

— O noir Docteur ! soupira Stello, — d’une vérité toujours inexorable !…

— D’ailleurs, Gilbert avait maudit avec justice son père et sa mère, d’abord pour lui avoir donné naissance, ensuite pour lui avoir appris à lire.

— Hélas ! oui, dit Stello, il a écrit ceci :

 
Malheur à ceux dont je suis né !
Père aveugle et barbare ! impitoyable mère !
Pauvres, vous fallait-il mettre au jour un enfant
Qui n’héritât de vous qu’une affreuse indigence ?
Encor si vous m’eussiez laissé mon ignorance !
J’aurais vécu paisible en cultivant mon champ…
Mais vous avez nourri les feux de mon génie.


— Voilà des vers raisonnables, dit le Docteur.

— Mauvaises rimes, dit l’autre par habitude.

— Je veux dire qu’il avait raison de se plaindre de savoir lire, parce que du jour où il sut lire il fut Poète, et dès lors il appartint à la race toujours maudite par les puissances de la terre… Quant à moi, comme j’avais l’honneur de vous le dire, je pris mon chapeau et j’allais sortir lorsque je trouvai à la porte les propriétaires du grabat, qui gémissaient sur la perte d’une clef… Je savais où elle était.

— Ah ! quel mal vous me faites, impitoyable ! N’achevez pas, dit Stello, je sais cette histoire.

— Comme il vous plaira, dit le Docteur avec modestie ; je ne tiens pas aux descriptions chirurgicales, et ce n’est pas en elles que je puiserai les germes de votre guérison. Je vous dirai donc simplement que je rentrai chez ce pauvre petit Gilbert ; je l’ouvris ; je pris la clef dans l’œsophage et je la rendis aux propriétaires. »