Sulamite/3

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III


VANITÉ DES VANITÉS…


Parce que tu ne m’as demandé ni toute une longue vie, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, parce que, chez moi, tu as fait appel à la seule sagesse, —qu’il soit donc fait selon ta parole ! Je te donne en partage un cœur sage et clairvoyant. Jamais il n'y eut, il n'y aura jamais personne qui puisse t’égaler.

Ainsi parla l’Eternel à Salomon, et selon sa promesse, le roi connut la constitution de l’Univers et la force agissante des Eléments ; il conçut l'origine, la fin, l’évolution des âges et pénétra ce mystère! l’éternel retour des grands cycles cosmiques.

Les mages de Byblos et d’Acre, de Borsippe et de Ninive lui avaient appris à observer le cours des astres, à étudier les révolutions annuelles. Il connaissait également la nature de tous les animaux et devinait leurs sentiments. Rien ne lui était resté caché : ni l’origine et la direction des vents, ni la nature des plantes diverses, ni la vertu des herbes médicinales. Les intentions des hommes au fond de leur cœur sont pareilles à des eaux profondes, mais le sage roi savait les ramener à la surface, les paroles et les inflexions de voix, les yeux et les mouvements des mains lui révélant les profondeurs les plus secrètes d’une âme avec la même netteté que s’il les avait lues dans un livre ouvert.

Et c’est pourquoi une multitude de gens venait à lui de tous les coins de la Palestine, et le roi leur rendait justice, distribuait conseils et secours, tranchait les différends et interprétait les présages et les songes, laissant les êtres émerveillés de la finesse et de la profondeur de ses réponses.

Il avait composé trois mille paraboles et mille et cinq cantiques, qu’i1 dictait à deux scribes adroits et rapides, comparant ensuite ce qu’ils avaient écrit. Et toujours ses pensées étaient parées d’expressions élégantes, car il n’ignorait pas que la parole, lorsqu’on sait s’en servir, est pareille à une pomme dorée dans une coupe de sardoine transparente, et aussi parce que les paroles du sage sont fines comme une aiguille, fermes comme un clou planté, et que toutes elles ont pour source le Pasteur Unique. Et le roi appelait la Parole « une Étincelle dans le mouvement du cœur ».

En science et en sagesse, Salomon surpassait tous les fils de l’Orient et même les égyptiens. Mais déjà cette sagesse, privilège des humains, commençait à le lasser et n’avait plus à ses yeux la beauté et la valeur d’autrefois. Son esprit scrutateur et inquiet était assoiffé de la sagesse surhumaine qui avait guidé l’Eternel dès ses œuvres les plus anciennes, dès le Commencement, avant même l’origine de la terre ; de cette sagesse qui, Artiste sublime, présidait à son œuvre, lorsqu’il traça un cercle à la surface de l'abîme.

Et cette sagesse-là, Salomon ne la découvrait point.

S'étant approprié le Savoir des mages de la Chaldée et de la Ninive, la science des astrologues de Saïs, d’Abydos et de Memphis, ainsi 26 SULAMITE que les secrets des devins, époptes et mysta- gogues de l’Assyrie et des prophètes dela Bactriane et de Persépolis, il s’était aperçu que cette science n’était encore qu’une science humaine. Alors, dans l’espoir de trouver la sagesse dans les pratiques occultes des au- ciennes croyances païennes, il se mit à fre- quenter les temples,ofl`rant des sacrifices aux déités les plus diverses: au puissant Baal- Libanon, dieu de la création et dela destruc- tion, celui-là même qui accordait sa protec- tion aux navigateurs et qui, vénéré sous le nom de Melkart à Tyr et à Sidon, se nommait Ammon dans l’Oasis de Sivah, où son idole, d’un hochement de tête, indiquuitaux cortèges des grandes fêtes la route qu’ils devaient suivre. Ce même dieu portait chez les Chal— déens le nom de Bel, et celui de Moloch chez les Chananéens. A son épouse aussi, la ter- rible et voluptueuse Astarté, connue dans dif'- férents autres temples sous les noms d’Ichtar, d’Issaar, de Baaltis, d’Achéra, d’Istar-Bélitli et d’Atargatis, Salomon consacra des offrandes. Il fit des libations d’huile sacrée et brûla de summrris 27 l’encens en l’h0nneur des dieux égyptiens, Osiris et Isis, frère et sœur que l’hymen avait unis dès le sein de leur mère, et qui y avaient engendré le dieu Horus. Derkéto, la déesse- poisson de Tyr et Anoubis à la tête de chien, dieu de Fembaumement; la divinité babylo- nienne Oann et le Dagon des philistins ; le dieu des `Assyriens Avdénago et Outsabou, l’id0le de Ninive ; la sombre Cybèle et Bel- Marduc, protecteur de Babylone, dieu de la planète Jupiter; le dieu ehaldéen. Or, dieu du feu éternel, et la mystérieuse Omoroga, aïeule de tous les dieux, que Bel avait tranchée en deux, créant de son corps le ciel et la terre, et de sa tète l’homme, tous ils avaient reçu les hommages du roi Salomon, de même que cette déesse Athanaïs, en 1`honneur de laquelle, sur le seuil des temples, les vierges de l’Ar— ménie, de la Lydie, de la Perse et de la Phé- nicie offraient aux passants leur corps en ho- loeauste. Mais dans tous ces rites païens, Salomon n’avait découvert rien cl’autre que fornication, orgies nocturnes, inceste et passions contre 28 SULAMITE nature ; et quant aux dogmes, ils se réduisaient pour lui à quelques vaines et fallacieuses pa- roles. Cependant, jamais il n’interdit à ses sujets de servir la divinité de leur choix, et lui—même, pour plaire à la belle et pensive Elloan, son épouse préférée d’alors, avait, sur la montagne des Oliviers, fait construire un temple consacré à Pabominable dieu des Moa— bites, Hamos. Seule parmi toutes les formes du sacrifice, Pimmolation des enfants fut tou— jours prohibée par Salomon et chàtiée de la peine de mort. Et au cours de toutes ces vaines recherches, il fut amené à reconnaître une similitude entre le sort des humains et celui des bêtes. Il s`aperçut que les uns comme les autres étaient voués à la mort, qu’ils respi- raient tous de même, et que nulle supériorité ne distinguait l’homme de la bête. Et le roi comprit alors que toute grande sagesse en- gendrait une grande douleur, et qu’en augmen— tant le savoir, on augmentait la souffrance. Il apprit que sous le rire joyeux se cachait parfois un cœur douloureux, et que la joie souvent précédait la tristesse. Et un matin, pour la première fois, il dicta à Elichover et Achia :

« Tout est vanité des vanités et angoisse de l’âme » — ainsi parle l’Ecclésiaste.

Mais le roi ne savait pas encore à ce moment, que Dieu allait lui envoyer un amour tellement beau, tellement rempli d'ardeur et de tendresse, qu’auprès de lui paraîtraient vaines richesse, sagesse et gloire, et la vie elle-même, puisqu’il ne tenait pas à la vie et ne craignait pas la mort.