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Sur l’antimoine détonant

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SUR
L’ANTIMOINE DÉTONANT

(Lu le 1er juillet 1864)


Par M. J. NICKLÈS




Sous le nom d’antimoine détonant, M. Gore, de Birmingham, a fait connaître un métal qui produit de petites explosions sous l’influence du choc, explosions toujours accompagnées d’une légère fumée blanche et d’une émission de chaleur parfois assez intense pour enflammer du papier (Annal. de Poggend, t. 95 et 103, p. 486).

Ce métal explosif s’obtient au moyen de la pile ; un morceau d’antimoine est fixé au pôle positif d’une petite batterie de Smée et plonge dans une dissolution de chlorure d’antimoine, le pôle négatif est terminé par une lame de cuivre bien décapée. Dès qu’on ferme le circuit, le dépôt métallique s’opère à la surface de la lame de cuivre et peut même acquérir le brillant de l’argent.

Pareil résultat est obtenu avec le bromure et l’iodure d’antimoine ; seulement, le produit est moins explosif et émet aussi moins de chaleur lorsqu’il détonne.

Bien des hypothèses ont été forgées pour expliquer ces phénomènes et on ne sera pas surpris d’apprendre que les mots : catalyse, état moléculaire, état particulier et autres expressions qui n’expliquent rien, ont été prononcés à cette occasion.

Dès le principe, j’ai vu dans ce produit, autre chose qu’un métal dans un état moléculaire particulier : me basant sur les propriétés explosives du chlorure, du bromure et de l’iodure d’azote et sur l’analogie qui existe entre l’azote et l’antimoine, j’ai admis dans le métal de M. Gore, la présence d’un corps semblable au chlorure d’azote, par conséquent d’un composé, qui peut être considéré comme un hydrure d’antimoine dans lequel une partie de l’hydrogène est remplacée par du chlore (Journ. de Pharm. et de Chim. t. xxvii, p. 283 ; t. xxxiv, p. 235 ; t. xxxix, p. 155)[1].

De nouveaux faits constatés par M. Bœttger et par M. Gore lui-même viennent à l’appui de cette explication. Le premier reconnaît d’abord que le dépôt galvanique d’antimoine ne se forme qu’à la condition d’opérer sur un composé halogène de ce métal et que de plus, il contient toujours les éléments de ce composé ; car, après avoir fait détoner dans de l’eau chaude le métal explosif qui nous occupe, on remarque que cette dernière est devenue acide et qu’elle renferme invariablement une notable proportion de chlorure d’antimoine.

M. Gore obtient des résultats analogues avec le bromure et l’iodure d’antimoine (Journ. de Pharm. et de Chimie, t. xlv, p. 459), et suppose, en conséquence, que l’antimoine détonant représente une combinaison formée d’antimoine métallique et d’un sel de ce métal.

Il n’a rien obtenu en opérant sur du fluorure d’antimoine.

Si l’explication de M. Gore n’explique rien et n’est basée sur aucun fait positif ni même sur aucune analogie, les résultats nouveaux auxquels il vient d’arriver, permettent d’en donner une qui nous paraît complétement satisfaisante ; c’est celle-là même dont nous venons de parler et qui admet la présence dans le métal, d’un composé à base d’antimoine, très-mobile à la manière du chlorure, du bromure ou de l’iodure d’azote et qui emprunte ses éléments à la fois au composé halogène mis en jeu et à l’eau qui sert de dissolvant.

Déjà en 1858 j’ai fait voir que la production de l’antimoine détonant sous l’influence de l’eau et d’un courant électrique n’ôte rien à la validité de cette explication, attendu que le chlorure d’azote se produit aisément sous l’influence de la pile. Il suffit de faire passer un courant électrique dans une dissolution concentrée de sel ammoniac pour percevoir d’une part, l’odeur sui generis de ce composé si dangereux et pour remarquer bientôt, à la surface de la dissolution, des gouttelettes huileuses qu’il importe de ne pas laisser se réunir en une goutte unique, car on sait qu’elle peut, au moindre ébranlement, donner lieu à une explosion capable de compromettre la vie de l’opérateur[2].

Le bromure et l’iodure d’azote, très-explosifs aussi, sont bien moins dangereux ; ce fait vient également à l’appui de ma manière de voir, l’antimoine détonant, préparé avec le concours du brome ou de l’iode étant, lui aussi, bien moins altérable et bien moins explosif que ne l’est celui qu’on obtient avec le chlorure.

Les propriétés de l’antimoine détonant peuvent donc être comprises et expliquées sans qu’il soit nécessaire d’inventer des théories nouvelles ou d’admettre l’existence de composés nouveaux qui, tels que ceux imaginés par M. Gore, non-seulement seraient sans précédent dans la science, mais n’auraient réellement pour eux qu’une supposition dénuée de toute espèce de preuves.



  1. Il faut donc s’attendre à voir produire un jour du phosphore explosif, de l’arsenic explosif sinon même du bismuth explosif, en raison des analogies qui rattachent tous ces corps simples à l’azote et à l’antimoine (v. dans Mém. de l’Acad. de Stanislas de l’année 1861, p. 126, le travail intitulé « Sur les relations d’Isomorphisme qui existent entre les métaux du groupe de l’azote. »)
  2. Le chimiste qui a découvert le chlorure d’azote, l’illustre Dulong, en a été aussi la première victime.

    On peut augmenter la stabilité de ce composé en l’additionnant d’un peu d’essence de térébenthine.