Sur la mort, conformément aux principes du Christianisme

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Sur la mort, conformément aux principes du Christianisme
Œuvres de ChaulieuPissotTome 1 (p. 13-17).

À M. LE MARQUIS DE LA FARE.


En 1695.[1]


J’ai vu de près le Styx, j’ai vu les Euménides ;
Déjà venoient frapper mes oreilles timides


Les affreux cris du chien de l’Empire des Morts ;
Et les noires vapeurs, et les brûlans transports
Alloient de ma raison offusquer la lumière ;
C’est[2] lors que j’ai senti mon ame tout entière
Se ramenant en soi, faire un dernier effort
Pour braver les erreurs que l’on joint à la mort :
Ma Raison m’a montré (tant qu’elle a pu paroître)
Que rien n’est en effet de ce qui ne peut être ;
Que ces fantômes vains sont enfants de la peur,
Qu’une foible nourrice imprime en notre cœur,
Lorsque de loups-garoux, qu’elle-même elle pense,
De Démons et d’Enfer elle endort notre enfance.

Dans ce pénible état mon esprit abattu
Tâchoit de rappeler sa force et sa vertu ;


Quand du bord de mon lit une voix menaçante,
Des volontés du ciel interprete[3] lassante,
Tremble, m’a-t-elle dit, redoute, malheureux,
Redoute un Dieu vengeur, un juge rigoureux ;
Tes crimes ont déjà lassé sa patience ;
Mais[4] vient enfin, et tes égaremens,
        Mis dans son austere balance,
Vont bientôt éprouver, sans grâce et sans clémence,
        La rigueur de ses jugemens.

Mon cœur à ce portrait ne connoît pas encore
Le Dieu que je chéris, ni celui que j’adore,
Ai-je dit : Eh ! mon Dieu n’est point un Dieu cruel ;
On ne voit point de sang ruisseler son Autel ;
C’est un Dieu bienfaisant, c’est un Dieu pitoyable,
Qui jamais à mes cris ne fut inexorable.
Pardonne alors, Seigneur, si, plein de tes bontés,
Je n’ai pu concevoir que mes fragilités,
Ni tous ces vains plaisirs qui passent comme un songe,
Pussent être l’objet de tes sévérités ;
Et si j’ai pu penser que tant de cruautés
Puniroient un peu trop la douceur[5] d’un mensonge.



Eh quoi, disois-je, hélas ! au fort de mes miseres,
Ce Dieu dont on me peint les jugemens séveres,
C’est le Dieu d’Israël, c’est le Dieu de nos peres,
Oui, toujours envers eux si prodigue en bienfaits,
A pour les secourir oublié leurs forfaits ;
C’est ce Dieu qui pour eux renversa la Nature,
        Et qui pour leurs soulagemens,
        Força même les élémens
        À rompre cet ordre qui dure
        Depuis la naissance des Temps ;
Et c’est ce même Dieu de qui la main puissante
De ma frêle machine ajusta[6] les ressorts,
        Et, dès-lors qu’elle est chancelante,
Rallume mon esprit, et ranime mon corps :
Son souffle m’a tiré du sein de la matiere ;
C’est lui, qui chaque jour me prête sa lumiere ;
Lui, dont, malgré mes maux, et l’état où je suis,
Je compte les bienfaits par les jours que je vis :
En ce Dieu de pitié j’ai mis ma confiance ;
Trop[7] sûr de ses bontés, je vis en assurance
Qu’un Dieu, qui par son choix au jour m’a destiné,
À des feux éternels ne m’a point condamné.

Voilà par quels secours mon ame[8] défendue
A banni les terreurs dont on l’a prévenue,

Et, sans vouloir braver le céleste pouvoir,
A fait céder la crainte aux douceurs de l’espoir.

Ami, de qui pour moi l’amitié tendre et sûre
Fit que pour toi mon cœur n’eût jamais de détours,
J’ai voulu te tracer la fidelle peinture
       Des mouvemens de la Nature,
Au moment[9] que j’ai cru voir terminer mes jours.
À ne rien déguiser cet[10] instant nous convie :
Et j’ai cru que c’étoit, Ami, te faire tort,
Si, ne t’ayant jamais rien caché de ma Vie,
J’avois pu te cacher mes pensers sur la Mort.

  1. M. de S. Marc convient qu’il ignore les dates de cette Pièce & de la suivante auxquelles il donne le nom d’Odes, d’après une assez mauvaise raison qu’il tire du manuscrit de M, le Prince d’Auvergne, sur lequel il a fait son édition de Chaulieu. Quoique nous soyons convaincus que ce manuscrit n’est ni aussi complet, ni aussi exact que ceux dont nous nous servons ; cependant nous mettrons scrupuleusement au bas des pages les différences qui se trouvent entre la leçon de ce manuscrit & la nôtre.

  2. Quand j’ai senti mon ame toute entière
    Se ramener en soi, faire un dernier effort,
    Pour brayer les horreurs que l’on sent à la mort
  3. Interprète effrayante.

    Quoique Lassé revienne trois Vers ci-dessous, nous n’avons point fait difficulté de nous en tenir à la leçon de nos manuscrits.

  4. Il vient enfin ce Juge ce Dieu, &c,
  5. La douceur du mensonge.
  6. Ajuste les ressorts.
  7. Certain de ses bontés.
  8. Mon ame soutenue.
  9. Au moment où j’ai cru.
  10. Ce moment nous convie.