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Sur la mort du prince de Condé

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ODE
Sur la mort de S. A. S. Louis-Joseph de
BOURBON, Prince de CONDÉ,
QUI A CONCOURU POUR LE PRIX ;
Par Mr Eugène HUGO.


Je lui ai dit : j’ai travaillé en vain, j’ai consumé inutilement et sans fruit toute ma force ; mais le Seigneur me fera justice, et j’attends de mon Dieu la récompense de mon travail.

Isaïe


Le cèdre, en vain battu des vents de la tempête,
Mais enfin ébranlé par les eaux d’un torrent,
Prête encor son ombrage au chasseur qui s’arrête.
Et qui l’admire en soupirant.
Bientôt il tombe ; il tombe, et la nuit dans l’orage
On entend gémir le feuillage
Des jeunes arbrisseaux qu’il a long-temps couverts,
Et l’aigle sans abri, planant dans les nuages,
Suit, en poussant des cris sauvages,
Son vieux tronc dépouillé qui roule vers les mers.

Je rêvais, l’œil fixé sur ma lyre héroïque,
Tristement appendue aux rameaux d’un cyprès ;
Soudain la corde prophétique
Frémit, en résonnant sur des tons de regrets.
Je me lève ; je vois dans nos murs en alarmes
Les peuples rassemblés, les magistrats en larmes,
Des guerriers d’un long crêpe entourant des drapeaux ;
Et loin, dans Saint-Denis, sous la voûte déserte,
La pâle mort veillant près d’une tombe ouverte,
Parmi les tombes des héros.

La renommée, errant au milieu de nos plaines,
Rassemblait sur ses pas les peuples attendris ;
Les remparts sanglans de Vincennes
Répétaient ces lugubres cris :
CONDÉ n’est plus, criaient les vieux fils de la guerre ;
CONDÉ n’est plus, criaient les puissans de la terre
Autour de la patrie en deuil ;
Et tous les malheureux, famille gémissante,
Enfans, vieillards, pressant leur démarche tremblante,
Couraient en foule à son cercueil.

Tels lorsqu’on avait vu des licteurs en silence
Rentrer, le front baissé, dans la cité de Mars,
Les Romains frémissaient ; toute une foule immense
En tumulte au Forum marchait de toutes parts ;
Et bientôt, déployant les nouvelles fatales,
Le Préteur paraissait aux rostres triomphales
Attestant leurs récens lauriers ;
Et ses cris indignés, et sa douleur profonde,
Dénonçaient aux maîtres du monde
La défaite de leurs guerriers.

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Déja s’est élevé sur un lit funéraire,
Dans ces funèbres lieux encor pleins du héros,
Supportant des Condés l’épée héréditaire,
Un cercueil entouré d’armes et de drapeaux.
Déjà, touchés du sort du Héros de la France,
Ces hommes divisés de parti, d’espérance,
Se souviennent qu’ils sont Français.
Au pied de son cercueil la France se rassemble ;
Peuples divers surpris de se trouver ensemble
Réunis des mêmes regrets.

L’un contait sa vertu de malheurs poursuivie,
L’autre sa gloire et ses combats ;
Le pauvre racontait les secrets de sa vie :
Tous gémissaient de son trépas.

L’un disait : dès le jour de son adolescence
Ses trésors bienfaisans s’ouvraient à l’indigence ;
Il nourrissait le peuple en des temps désastreux.
Tous disaient : il fut grand ; tous disaient : il fut juste,
Il mérita son rang auguste,
Il eût mérité d’être heureux.

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Il n’était plus celui qui nous fut le modèle
Des hommes ses aïeux qu’on vit revivre en lui,
Qui d’un laurier toujours fidèle
À nos lis agités prêta le noble appui ;
Celui qui, vaincu d’un long âge,
Supporta des malheurs dignes de son courage
Comme il eût supporté l’ivresse des succès :
Par ses vertus, à nos forfaits égales,
Montrant aux nations de la France rivales
Qu’il était toujours des Français.

Comme un phare impuissant au milieu des tempêtes,
Comme un roc protecteur entraîné par les flots,
Nous l’avions vu jadis sur nos coupables têtes
Relever, mais en vain, l’étendard des héros :
Témoignage éclatant que les maux de la France
Par la vertu, par la vaillance,
Vainement en leur cours allaient être arrêtés,
Et que Dieu, nous frappant de sa main redoutable,
Voulait manifester un exemple effroyable
A tous les peuples révoltés.

Le ciel, à ses vertus donnant leur récompense,
Voulut que de ses yeux, témoins de nos malheurs,
Ce vieux Français pût voir le salut de la France,
Pour qu’un trépas tranquille endormît ses douleurs.
Il ne fut pas permis qu’après tant de misères,
Ses os ensevelis loin des os de ses pères

Dussent à l’étranger l’asile d’un tombeau,
Et qu’on pût reprocher l’exil de sa poussière
À cette terre illustre, enfin hospitalière,
Qui s’honorait de son berceau.
 
La France avec respect accueillit la vieillesse
Du patriarche des guerriers ;
Un moment il parut retrouver sa jeunesse,
Assis sous nos jeunes lauriers.
Mais la mort l’attendait : ce monstre impitoyable
A rejoint à son fils ce vieillard vénérable,
Autrefois notre espoir, et toujours notre orgueil ;
Fier d’avoir renfermé cette race si belle,
Qui dût être éternelle,
Dans l’horreur d’un même cercueil.

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