Sur la mort du roi Louis XIII

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Sur la mort du roi Louis XIII
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 87-91).

XXIX

Sur la mort du Roi Louis XIII.
Sonnet.

Ce sonnet, composé à l’occasion de la mort de Louis XIII, qui arriva le 14 mai 1643, n’a pas été imprimé du vivant de Corneille, et s’est conservé imparfaitement dans la mémoire de ses contemporains ou dans des copies peu exactes. Nous le donnons d’après une transcription de la main de Gaignières[1], signée P. Corneille, qui nous a été obligeamment signalée par M. Ludovic Lalanne[2]. Gaignières étant mort en mars 1715, ce texte est le plus ancien de ceux que nous possédons. Nous le faisons suivre de cinq autres rédactions classées d’après le rapport qu’elles ont avec celle qui nous sert de type.


Sous ce marbre repose un monarque sans vice,
Dont la seule bonté déplut aux bons François,
Et qui pour tout péché ne fit qu’un mauvais choix,
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, l’audace, l’avarice, 5
Saisis de son pouvoir, nous donnèrent des lois,
Et bien qu’il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

Vainqueur de toutes parts, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine perd le jour, 10
Que jusque dans la tombe il le force à le suivre.

 
Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ?
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre[3].




Variantes.

Texte de Voltaire dans les notes sur l’Épitre dédicatoire d’Horace.


Sous ce marbre repose un monarque sans vice,
Dont la seule bonté déplut aux bons François,
Ses erreurs, ses écarts vinrent d’un mauvais choix,
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, la haine, l’avarice,
Armés de son pouvoir, nous donnèrent des lois ;
Et bien qu’il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut toujours celui de l’injustice.

Fier vainqueur au dehors, vil esclave en sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine perd le jour,
Que jusque dans sa tombe il le force à le suivre ;

Et par cet ascendant ses projets confondus,
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.



Sonnet. Épitaphe de Louis XIII. Feuillet ajouté à certains exemplaires des Œuvres diverses de 1738. Ce feuillet porte au verso le Placet au Roi sur le retardement de sa pension. Ce texte et le suivant se trouvent à la Bibliothèque impériale.


Sous ce tombeau repose un roi qui fut sans vice,
Dont la seule bonté fit tort aux bons François,
Et qui pour tout péché ne fit qu’un mauvais choix,
Dont il fut à la fois et victime et complice.

L’ambition, l’orgueil, la fraude, l’avarice,
Saisis de son pouvoir, nous donnèrent des lois ;
Et bien qu’il fût en soi le plus juste des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

Craint de tout l’univers, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine sort du jour,
Que jusque dans sa tombe il le force à le suivre.

Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ?
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.



Sonnet sur la mort de Louis XIII. Feuillet imprimé, différent du précédent, ajouté à d’autres exemplaires du même ouvrage, et ne contenant que le sonnet.


Sous ce marbre repose un monarque françois,
Que ne sauroit l’envie accuser d’aucun vice ;
Il fut et le plus juste et le meilleur des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

L’ambition, l’orgueil, l’intérêt, l’avarice,
Revêtus de son nom, nous donnèrent des lois ;
Sage en tout, il ne fit jamais qu’un mauvais choix,
Dont longtemps nous et lui portâmes le supplice.

Vainqueur de toutes parts, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine sort du jour,
Que jusque dans la tombe il le force à le suivre.

Jamais pareils malheurs furent-ils entendus ?

Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.



Épitaphe sur Louis XIII. Copie, signée P. Corneille, occupant les pages 211 et 212 du « second recueil » d’un manuscrit in-4o de la bibliothèque de l’Arsenal portant le no 135 des Belles-Lettres.


Sous ce marbre repose un monarque françois,
Que ne sauroit l’envie accuser d’aucun vice ;
Il fut et le meilleur et le plus grand des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

Sage en tout, il ne fit jamais qu’un mauvais choix,
Dont longtemps nous et lui portâmes le supplice ;
L’ambition, l’orgueil, l’intérêt, l’avarice,
Revêtus de son nom, nous donnèrent des lois.

Vainqueur de toute parts (sic), esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine sort du jour,
Que dans la tombe même il le force à le suivre.

Jamais pareils malheurs furent-ils entendus ?
Après trente et trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.



« Sonnet sur la mort de Louis XIII, qu’on assure être de P. Corneille et n’avoir jamais paru. » Les Nouveaux Amusemens du cœur et de l’esprit, ouvrage périodique, [par Philippe de Prétot], à la Haye, chés Zacharie Chastelain, etc., 1737-1745, tome XIV, p. 330.


Sous ce marbre repose un monarque françois,
Que ne sauroit l’envie accuser d’aucun vice ;
Il fut et le plus juste et le meilleur des rois,
Son règne fut pourtant celui de l’injustice.

Sage en tout, il ne fit jamais qu’un mauvais choix,
Dont longtemps nous et lui portâmes le supplice ;

L’ambition, l’orgueil, l’intérêt, l’avarice,
Revêtus de son nom, nous donnèrent des lois.

Vainqueur de toute part, esclave dans sa cour,
Son tyran et le nôtre à peine sort du jour,
Que dans la tombe même il l’oblige à le suivre.

Jamais pareils malheurs furent-ils entendus ?
Après trente-trois ans sur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.


  1. Sur Gaignières, voyez le tome VIII des Lettres de Mme de Sévigné, p. 153, note 1.
  2. Elle se trouve à la Bibliothèque impériale, fonds Gaignières 1001, Mélanges, pièces galantes, satiriques, etc., p. 14.
  3. À la suite de notre pièce XXIX devrait se placer, d’après l’ordre chronologique, la pièce intitulée : À la Reine régente, sonnet, que l’abbé Granet a publiée à la page 149 des Œuvres diverses ; mais comme elle est extraite de la dédicace de Polyeucte, nous y renvoyons le lecteur (voyez tome III, p. 473), et nous nous contentons de la rappeler ici à sa date, qui nous est donnée par l’Achevé d’imprimer de Polyeucte (20 octobre 1643).