Sur la route (Bruant)/Le Bœuf gras

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Sur la Route : chansons et monologuesAristide Bruant (p. 111-114).


LE BŒUF GRAS


Dis donc, tu sais pas la nouvelle ?
Paraît que l’cons’ municipal,
D’accord avec Mossieu Poubelle,
I’s vont r’commencer l’carnaval.
C’est une idée, ya pas à dire,
On va rigoler… tu verras…
Ça va marcher comm’ sous l’Empire.
V’là qu’on nous ramène l’bœuf gras !


Et pis tu vas voir el’cortège :
El’bœuf qu’est gras comme un cochon,
Et pis l’amour, blanc comm’ la neige,
Avec son arc en tir’-bouchon,
Et pis des dieux et des négresses,
Des rein’s, des tétons, des appas…
On va n’en voir des pair’s de fesses…
V’là qu’on nous ramène l’bœuf gras !

Et des princ’s, des ducs et des pages,
Des ch’valiers avec leur écu,
Et des louchersbem, en sauvages,
Qui vont guincher l’soir au pinc’cul
Avec des gonzess’s en Apaches…
Non, mon vieux, ça m’épat’rait pas
Quand on rouvrirait l’bal des vaches…
V’là qu’on nous ramène l’bœuf gras…

El’gouvernement qu’est pas gnole
S’a dit comm’ça : « Mon vieux colon,
C’est pas trop tôt que l’peup’ rigole
Dedpuis l’temps qu’i’ paye l’violon. »
Alors, en avant la musique !
On va n’en pousser des hourras
Et gueuler : « Viv’ la République ! »
V’là qu’on nous ramène l’bœuf gras !

Février, 1896.