Sur la route (Bruant)/Contre l’hiver

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Sur la Route : chansons et monologuesAristide Bruant (p. 179-182).
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CONTRE L’HIVER


Pour Séverine.


Hélas ! oui, chère Séverine,
Voici l’hiver et son ciel gris
Et son froid noir. Ça vous chagrine,
Ça vous fait penser qu’à Paris
On va geler à la barrière,
Lorsque des snobs indifférents
S’en vont payer un bock de bière

Cinq francs !


Votre chronique me rappelle
Quand j’étais au chemin de fer.
Sur l’omnibus de la Chapelle
Je fus glacé, tout un hiver
Par la bise et par la froidure,
Certes, j’eusse été mieux dessous,
Mais pour entrer dans la voiture
Il fallait dépenser six sous !
Plus tard je fis la chansonnette.
Après, je fus cabaretier :
Je chantai Pantin, la Villette,
À Saint-Lazare. — Un dur métier !
Brailler, pendant la nuit entière,
Devant des snobs indifférents,
Pour leur vendre des bocks de bière

Cinq francs !

Or j’ai chaud… mais je me rappelle
Combien de fois je fus gelé
Sur l’omnibus de la Chapelle.
Je ne puis donner un millé ;
Mais je puis donner — avec joie —
Vingt bocks de snobs indifférents.
Séverine, je vous envoie

Cent francs.

Novembre, 1896.