Sur la route (Bruant)/Marchand d’crayon

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Sur la Route : chansons et monologuesAristide Bruant (p. 21-26).


MARCHAND D’CRAYON


à l’ami Paul Somniès.


Qu’est-c’que vous dit’s, mossieu l’gendarme ?
Que j’pilonn’, que j’n’ai pas d’métier,
Que j’suis sans aveu-z-et sans carme,
Vous rigolez, mon brigadier ;

Quels sont mes moyens d’existence ?
D’où que j’viens ?… Ej’viens d’n’importe où.
Quant à c’que j’fais, ya pas d’offense,
Ej’vends mon crayon pour un sou.

Oui, je l’sais ben, j’ai-z-un’sal’ fiolle,
J’ai vraiment pas l’air d’un rupin.
Aussi, bon Dieu, j’fais pas l’mariolle,
Ej’cranott’ pas comme un youpin,
Ah ! bon Dieu ! non, j’suis pas d’leur tierce :
J’suis un trimardeur, un voyou,
J’fais pas parti’ du haut commerce :
Ej’vends mon crayon pour un sou.

Quand j’dis qu’je l’vends, c’est z-un’ figure,
Entre nous on n’me l’prend jamais,
Vrai, ya déjà longtemps qu’i’ dure ;
Pourtant, i’n’est pas pus mauvais
Qu’un aut’, mais ya-z-un’ concurrence !!
C’est à qui qui s’ra l’pus filou…
C’qu’i’ yen a des Mangin en France…
Moi, j’vends mon crayon pour un sou.


Et c’est ceux-là qu’a des boutiques !
Des étalag’ ébouriffants !!
Un fonds !… des clients !!… des pratiques
Et des femm’ avec des enfants…
Des môm’s qui leur fait des caresses !…
Moi… j’vis tout seul comme un hibou.
Avec quoi qu’j’aurais des gonzesses ?
Ej’vends mon crayon pour un sou.


Allons !… au r’voir, mossieu l’gendarme,
Vous l’voyez ben, j’ai-z-un métier
Avec quoi que j’me fais du carme,
Allons… au r’voir, mon brigadier,
Les v’là mes moyens d’existence…
À présent j’m’en vas n’importe où…
Vous l’voyez ben, ya pas d’offense,
Ej’vends mon crayon pour un sou.