Sur le même sujet (Alcandre)

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Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 145-148).


II

[SUR LE MÊME SUJET]

1610


« Donc cette merveille des cieux,
Pource qu’elle est chere à mes yeux,
En sera tousjours esloignée,
Et mon impatiente amour,
Par tant de larmes témoignée,
N’obtiendra jamais son retour !

« Mes voeux donc ne servent dé rien !
Les dieux, ennemis de mon bien,
Ne veulent plus que je la voye ;
Et semble que les rechercher
De me permettre cette joye
Les invite à me l’empescher.

« Ô beauté, Reyne des beautez !
Seule de qui les volontez

President à ma destinée,
Pourquoy n’est, comme la Toison,
Votre conqueste abandonnée
À l’effort de quelque Jason ?

« Quels feux, quels dragons, quels taureaux,
Quelle horreur de monstres nouveaux,
Et quelle puissance de charmes
Garderait que jusqu’aux enfers
Je n’allasse avecques les armes
Rompre vos chaisnes et vos fers ?

« N’ay-je pas le coeur aussi haut.
Et, pour oser tout ce qu’il faut,
Un aussi grand desir de gloire,
Que j’avois lorsque je couvry
D’exploits d’éternelle memoire
Les plaines d’Arques et d’Ivry ?

« Mais quoy ! ces loix, dont la rigueur
Retient mes souhaits en langueur,
Regnent avec un tel empire
Que, si le Ciel ne les dissout,
Pour pouvoir ce que je desire,
Ce n’est rien que de pouvoir tout.

« Je ne veux point, en me flattant,
Croire que le sort inconstant

De ces tempestes me delivre ;
Quelque espoir qui se puisse offrir,
Il faut que je cesse de vivre
Si je veux cesser de souffrir.

« Arriere donc ces vains discours !
Qu’aprés les nuits viennent les jours,
Et le repos aprés l’orage.
Autre sorte de reconfort
Ne me satisfait le courage
Que de me resoudre à la mort.

« C’est là que de tout mon tourment
Se bornera le sentiment ;
Ma foy seule, aussi pure et belle
Comme le sujet en est beau,
Sera ma compagne éternelle,
Et me suivra dans le tombeau. »

Ainsi, d’une mourante voix,
Alcandre, au silence des bois,
Témoignoit ses vives attaintes ;
Et son visage sans couleur
Faisoit cognoistre que ses plaintes
Estoient moindres que sa douleur.

Oranthe, qui par les zephirs
Receut les funestes souspirs

D’une passion si fidelle,
Le cœur outré de mesme ennuy,
Jura que, s’il mouroit pour elle,
Elle mouroit avecques luy.