Système de la nature. Classe première du règne animal, contenant les quadrupèdes vivipares & les cétacées/Empire de la Nature

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EMPIRE
DE LA
NATURE

Sortant comme d’un profond ſommeil, je leve les yeux, ils s’ouvrent & mes ſens ſont frappés d’étonnement à l’aſpect de l’immenſité du Dieu éternel, infini, tout-puiſſant qui m’environne ; partout, je vois les traces empreintes, dans les choſes qu’il a créées ; partout, juſques dans les objets les plus petits & preſque nuls, quelle ſageſſe ! quelle puiſſance ! quelle inconcevable perfection ! J’obſerve les animaux portés ſur les végétaux, les végétaux ſur le regne mineral, celui-ci ſur le globe, qui roule en ſa marche invariable autour du ſoleil, dont il reçoit la vie. Je vois enfin ce ſoleil lui-même tourner alentour d’un axe avec les autres aſtres ; & l’incompréhenſible amas d’étoiles ſuſpendu dans le vuide, dans l’eſpace ſans bornes, ſoutenu par la volonté ſeule du premier Moteur, de l’Être des Êtres, la Cauſe des cauſes, le Conſervateur, le Souverain de l’univers, le Seigneur & l’Artiſan de l’Édifice du monde. Voulez-vous le nommer le Destin, vous le pouvez, c’eſt de lui que tout dépend. Voulez-vous le nommer la Nature, vous le pouvez encore, il eſt l’Auteur & le Pere de toutes choſes. Voulez-vous le déſigner par le nom de Providence, c’eſt encore lui dont l’intelligence préſide à l’Univers. Il eſt tout Sens, il eſt tout Œil, il eſt tout Oreille, tout Ame, tout Esprit, tout Soi ; ſon eſſence eſt un abîme où ſe perd l’entendement humain ; il eſt ſeul Dieu, éternel, immenſe, non créé, ni engendré ; ſans lui, rien ne ſeroit, ſa puiſſance a tout formé ; il ſe dérobe à nos yeux éblouis, mais il ſe manifeſte à la penſée, & caché à nos ſens dans ſon impénétrable retraite, ce n’eſt qu’à l’eſprit qu’il ſe découvre.

Le Monde comprend tout ce qui ſous le ciel peut parvenir au moyen des ſens à notre connoiſſance ; ce ſont les Aſtres, les Élémens & la Terre tournant avec une indicible vélocité. Cette imperturbable viteſſe ne peut être que l’effet d’une loi éternelle ; cet ordre, cet enchaînement ne ſauroit venir du hazard & une rencontre fortuite ne feroit point que le peſant globe de la terre, mû avec tant de célérité, paroîtroit cependant le ſpectateur immobile du ciel, qui ſemble ſe précipiter autour de lui.

Les Astres ſont des corps lumineux, très-éloignés de nous ; ce ſont ou des Étoiles, reſplendiſſantes de la lumière qui leur eſt propre, comme le Soleil, & les Étoiles fixes ; ou des Planètes qui empruntent leur éclat des premières. Les principales Planètes ſolaires ſont : Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus, Mercure. Les Planètes ſecondaires ſont les ſatellites des autres, telle eſt la Lune à l’égard de la Terre. Ce magnifique ouvrage ne ſauroit ſubſiſter ſans un ſouverain modérateur, ni le cours de ces corps être produit par une impulſion aveugle, car ce que le hazard dirigeroit, ſe ſeroit bientôt entrechoqué & troublé.

Les Élémens ſont des corps très ſimples qui compoſent l’atmoſphère des planètes & qui rempliſſent peut-être l’eſpace entre les Aſtres.

Le Feu lumineux, réjailliſſant, chaud, volatil, vivifiant.
L’Air tranſparent, élaſtique, ſec, affluant, productif.
L’Eau diaphane, fluide, humide, filtrante, conceptive.
La Terre opaque, fixe, froide, tranquille, ſtérile.

Ainſi tout l’accord du Monde eſt formé de choſes diſcordantes.

La Terre eſt ce globe planétaire, tournant ſur lui-même en vingt-quatre heures, faiſant pendant l’eſpace d’un an une circonvolution autour du ſoleil, entouré & comme voilé par une atmoſphère d’élémens, portant à ſa ſurface le prodigieux aſſemblage des objets Naturels que nous nous étudions à connoître. Ce Globe eſt diviſé en terre & eau, ſa partie la plus baſſe eſt couverte par cet élément liquide, où il forme les mers, qui ſe retréciſſent inſenſiblement ; tandis qu’il abandonne peu à peu la partie plus élevée & la change en continent ſec & habitable. Les vapeurs des eaux raſſemblées par les vents en nuages, l’arroſent, & de ſuite les hautes montagnes, couvertes d’une neige éternelle, produiſent les ſources qui, ſe raſſemblant en fleuves intariſſables, ajoutent en leur cours le boire à l’aliment terreſtre pour la nourriture commune de ſes habitans, en même temps que l’Air met en mouvement le Feu qui les vivifie par ſa chaleur. L’influence & le recours des Élémens ſont alternatifs, ce qui périt à l’un, paſſe à l’autre, & tous leurs changemens ſont réciproques.

La Nature eſt la loi immuable de Dieu, par laquelle chaque choſe eſt ce qu’elle eſt, & agit comme elle doit agir. Elle eſt l’ouvrière univerſelle, uſant toujours de ſes droits, ſavante, & recevant d’elle-même ſa ſcience ; elle ne va point par ſauts, travaille en cachette, tient en toutes ſes opérations la marche la plus profitable ; ne fait rien en vain, rien d’inutile, donne chaque choſe à chaque choſe & tout à tous, & parcourt opiniâtrement ſa route accoutumée. Tout vient à point à la Nature pour l’accompliſſement de ſes ouvrages.

Les Êtres-naturels ſont tous les corps ſortis de la main du Créateur, & qui conſtituent la Terre par leur aſſemblage ; ils forment les trois Regnes de la Nature, dont les limites rentrent l’une dans l’autre par les Zoophytes, (ou animaux-plantes-pierres).

Les Pierres ſont des corps aggrégés, ſans vie ni ſentiment.

Les Végétaux ſont des corps organiſés, ayant vie, ſans ſentiment.

Les Animaux ſont des corps organiſés, ayant vie & ſentiment, & qui ſe meuvent ſpontanément.

La Nature ne compoſe point ſon ouvrage ſur un ſeul modèle, mais elle ſe joue dans ſon inépuiſable variété ; elle fait ſuccéder l’une forme à l’autre, ne ſe contente pas d’un ſeul type, mais ſe plaît à jouir immutablement de toute ſa force.

Les Regnes de la Nature, qui font l’enſemble de notre Planète, ſont encore au nombre ternaire dans les rapports ſuivans ;

Le Minéral, groſſier, occupe l’intérieur de la ſurface, où il eſt formé dans les terres par des ſels, où il eſt mêlé au hazard, où il ſe modifie par accident.

Le Végétal, verdoyant, couvre la ſuperficie, où il pompe les ſucs terreſtres par ſes plus tendres racines, où il reſpire les ſubſtances éthérées au moyen de ſes feuilles agitées ; où il célèbre des noces ſolemnelles par l’union des ſexes dans ſes fleurs épanouies, & produit des ſemences qui aux temps préſcrits ſeront confiées au ſein fécond de la terre.

L’Animal, pourvu de ſens, fait l’ornement des parties extérieures ; où il ſe meut volontairement, où il reſpire, où il engendre ; il y eſt preſſé par la faim impatiente, excité par l’amoureux deſir, troublé par la triſte douleur. En dépouillant les végétaux, en devenant tour à tour la proie l’un de l’autre, il conſerve à tous les genres le nombre proportionnel qui en aſſure la durée.

L’Homme, doué de ſageſſe, le plus parfait ouvrage de la Création, & ſon dernier & principal objet, portant en lui des indices étonnans de la Divinité, habite la ſurface de la terre ; il juge d’après l’impulſion des ſens du méchaniſme de la nature, il eſt capable d’en admirer la beauté, & doit au Créateur ſon juſte tribut d’adoration. En rétrogradant de génération en génération, il faut qu’il s’arrête à un premier Auteur ; en avançant de même dans l’ordre ſucceſſif des productions, il apperçoit la Nature qui en ſuit les loix ; il eſt invité à cette double contemplation par la beauté, l’arrangement, le lien, la cauſe finale, l’utilité des corps naturels. Ici la toute-puiſſance annoblit le minéral par l’exiſtence des végétaux, les végétaux par celle des animaux, & ceux-ci enfin par l’exiſtence de l’homme, pour qu’il réfléchiſſe vers la Majeſté ſuprême les rayons de ſageſſe qu’elle fait briller de toutes parts. Ainſi l’univers entier eſt rempli de la gloire divine, lorſqu’au moyen de l’homme toutes les œuvres créées rendent hommage au Dieu de l’univers. Tiré par ſa main vivifiante, d’un vil limon, l’homme a pour but de ſa création de contempler ſon Auteur ; c’eſt un hôte reconnoiſſant, logé ici-bas pour célébrer à jamais l’Être des Êtres.

Cette contemplation de la Nature eſt un commencement de la volupté céleſte, l’eſprit qui s’y livre ſe promène dans un ſéjour de lumiere & paſſe la vie comme dans un ciel terreſtre. C’eſt ſurtout alors que l’homme aperçoit, quel amour, quelles actions de grâces, il eſt redevable à la Divinité ; c’eſt pour cette fin qu’il exiſte, & l’étude de la Nature eſt un chemin sûr & facile qui mène à l’admiration de Dieu.

La Sagesse humaine, foible rayon de la lumière divine, eſt le principal attribut de l’homme, — c’eſt par elle, qu’il juge ſainement de l’impulſion des ſens, ceux-ci lui tranſmettent les impreſſions des objets naturels environnans. Donc le premier degré de la Sageſſe eſt de connoître les choſes mêmes. Cette connoiſſance conſiſte dans l’idée vraie des objets, par laquelle on diſtingue les corps ſemblables d’avec les diſſemblables au moyen des caracteres propres, qui leur ſont empreints par le Créateur. Et afin de pouvoir communiquer aux autres cette connoiſſance, il eſt néceſſaire que l’homme donne à chaque objet différent des noms particuliers ; car ſi les noms périſſent, la connoiſſance des choſes périra de même. Ils ſont comme des lettres & des ſyllabes fans leſquelles perſonne ne ſauroit lire dans le livre de la Nature ; & toute deſcription eſt vaine, ſi l’on ignore le genre propre ; l’exactitude même qu’on y employeroit à définir & démontrer un objet certain, n’en ſeroit que plus propre à induire en erreur.

La Méthode, l’ame de la ſcience, met à ſa place au premier aſpect chaque corps naturel, de façon que ce corps indique de ſuite ſon nom propre, & ce nom tout ce qui en eſt connu par le progrès des lumières. C’eſt ainſi qu’au milieu de la grande confuſion apparente des choſes, le grand ordre de la nature ſe montrera à découvert.

Un ſyſtême naturel ne doit proprement avoir que cinq ſous-diviſions. Savoir :

La Claſſe, l’Ordre, le Genre, l’Eſpece, la Variété.
Genre ſuprême, G. intermédiaire, G. prochain, eſpece, individu.
Provinces, Diſtricts, Quartiers, villages, domicile.
Légions, Regimens, Bataillons, compagnies, ſoldat.

Car à moins qu’on n’ordonne ainſi le tout & comme une armée rangée en bataille, le déſordre naîtra & l’on ne rencontrera que trouble & confuſion.

Que les Noms correſpondent à la Méthode ſyſtématique, qu’il y ait donc :

des Noms de claſſes, d’ordres, de genres, d’eſpeces, de variétés.
des Caracteres de claſſes, d’ordres, de genres, d’eſpeces, & de variétés.

avec leurs différences ; car qui veut connoître les choſes, il doit en ſavoir les noms ; les noms étant confondus, il en ſuivra néceſſairement que tout ſera confondu.

Auſſi dans l’âge d’or de l’enfance du globe, le premier acte du premier homme, fût-il l’inſpection des choſes créées, ſuivie par la dénomination des eſpeces, ſuivant leurs genres.

La Science de la Nature a pour guide la connoiſſance de la nomenclature méthodique & ſyſtématique des corps naturels, c’eſt le fil d’Ariane ſans lequel il n’eſt pas donné de ſe tirer ſeul & avec ſureté du dédale de la Nature. En cela les claſſes & les ordres ſont l’ouvrage de la ſcience, les genres & les eſpeces celui de la Nature ; la connoiſſance générique eſt bien une connoiſſance ſolide, mais la connoiſſance ſpécifique eſt la véritable.

Autre eſt l’ordre de l’architecte, autre eſt l’ordre de celui qui habite. Le Créateur commence par les plus simples élémens terreſtres, & remontant des pierres, des végétaux, aux animaux, il finit par l’homme. Que l’homme commence par ſoi-même & finiſſe par la terre. Que l’auteur d’un ſyſtême monte du particulier à l’univerſel, mais que le profeſſeur deſcende au contraire du général au ſpécial. Les ſources ſe forment en ruiſſeaux, ceux-ci ſe raſſemblent en rivieres, que le nocher remonte juſqu’où il pourra, & encore n’atteindra-t-il pas les dernieres origines des fontaines. Après la connoiſſance diſtincte des choſes, il eſt néceſſaire de pénétrer ultérieurement en leurs propriétés les plus particulieres, leurs phénomènes, leurs opérations les plus ſecrettes, leurs qualités, leurs vertus, leurs uſages. Car la ſcience naturelle des trois regnes eſt le fondement de toute ſcience diététique, médicinale, œconomique ſoit de la nature, ſoit rurale.

Heureux le Laboureur, trop heureux s’il ſait l’être ! Virg.

Les choſes créées ſont les témoins, de la ſageſſe & de la puiſſance divine, elles ſont la richeſſe de l’homme, & la ſource de ſon bonheur ; la bonté du Créateur ſe manifeſte dans l’uſage qu’il en accorde ; ſa ſageſſe ſe développe par leur beauté ; ſa puiſſance éclate par l’économie de leur conſervation, leur proportion, leur renouvellement. Les hommes laiſſés à leur penchant naturel, ont toujours eſtimés les recherches dont elles étoient l’objet ; les vrais ſavans ont toujours aimé de s’y livrer ; elles furent toujours ennemies des gens mal inſtruits & barbares.



Seigneur, je dirai tes merveilles,

Et que les générations célèbrent la puiſſance de ton bras.David.