Têtes et figures/De la coupe aux lèvres

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La Compagnie de Publication de "Le Soleil" (p. 246-264).

De la coupe aux lèvres


Il vous arrive parfois dans la vie des coïncidences étranges. Et quand la guigne vous empoigne par le collet, elle ne vous lâche pas de sitôt.

Oyez ! Oyez ce qui m’advint un jour ! C’est ainsi qu’un soir, vers la Saint-Michel, entre la poire et le fromage, un vieil ami à moi débutait dans le récit d’une des plus amères désillusions de sa vie……….……….……….……….……….………

C’était la veille de Noël, dit-il. Je venais de mettre à la poste plusieurs centaines de cartes de tous formats, de toutes les couleurs, après triage, suivant destination ; ce qui n’est pas mince affaire.

— Oui, en effet, fis-je, moi-même j’en sais quelque chose.

— Je ne vous parle pas des boîtes de bonbons, des éventails, des chevaux de carton ou de bois, tout l’assortiment enfin ; j’avais mis toutes les messageries sur les dents. C’était invraisemblable.

— Je vous en crois, interjetai-je.

Ahuri, éreinté, je m’en fus m’échouer au restaurant du Château Frontenac pour me remonter un peu le corps et l’âme. J’y trouvai mon ami Bob. Vous savez, Bob, ce grand garçon à la moustache toujours en crocs, que nous rencontrions et que je vous présentais l’été dernier sur la terrasse ?

— Oui, oui, en effet, je crois me remettre.

— Bob et moi, nous étions des inséparables. Comme amis, Castor et Pollux ne nous auraient pas tenu la chandelle.

— Tu sais, Bob, lui dis-je en l’abordant et en lui tapant sur l’épaule, demain, jour de Noël, nous dînons ensemble.

— Mon cher, me dit-il en hésitant un peu, tous mes regrets, je ne le pourrai pas. Je serai absent de la ville.

— Morbleu ! encore un désappointement ! Moi qui comptais sur toi pour manger l’oie traditionnelle et déguster le petit verre………… Mais, alors, où vas-tu comme ça ?…………………………………………

— Chut ! mon cher, fit Bob, l’index sur sa moustache en crocs. Ne m’en demande pas davantage. D’ailleurs, tu en sauras quelque chose bientôt, à mon retour peut-être.

Et il me quitta.

Assez ennuyé d’avoir à dîner en tête à tête avec moi-même le jour de Noël, je pris le parti, moi aussi, d’aller passer la fête à la campagne, chez des amis. Et dès le lendemain, je prenais le train pour Montmagny.

Peu de monde dans le wagon-salon. Mollement étendu sur le velours d’un siège double, les jambes allongées à l’américaine, je songeais, en regardant distraitement par le carreau, lorsque, soudain, la porte du char s’ouvrit. Une jeune femme entra un peu en coup de vent et vint s’asseoir sur une banquette, juste à côté de celle que j’occupais.

D’un tour d’œil, — moi, vous savez, ça ne me prend pas grand temps pour voir ces choses-là — j’avais constaté qu’elle avait un minois exquis, adorable. J’eus de suite l’impression intime qu’elle était veuve. Comment ça, me direz-vous ? Ne m’en demandez pas davantage. Est-il plus difficile de distinguer une jeune veuve d’une femme qui ne l’est pas, qu’entre de la crème fraîche et de la crème fouettée ? D’ailleurs, je me flatte d’un petit talent de physionomiste qui n’est pas commun. J’étais donc à peu près sûr qu’elle était veuve. Du reste, je l’appris plus tard.

Ses deux mains gantées de noir disparaissaient dans un petit manchon d’astracan. Je me pris à envier le manchon et les petites menottes à l’intérieur. Et quelle séduisante gracieuseté dans tous les mouvements de la sémillante jeune femme ! Parlez-moi à votre aise des beautés célèbres, si vous le voulez, mais pour moi, dans le moment, ça ne pouvait être que de la saint-Jean auprès de celle-ci.

D’ailleurs, les grandes beautés, je vous dirai bien, moi, que j’en suis tout à fait revenu. Ça commence bien, mais on ne sait pas comment ça se termine. Souvent « Desinit in piscem mulier formosa superné » — Vous comprenez le latin, je suppose ?

— Oui, surtout quand dans les mots il brave l’honnêteté. Mais, allez-y !

— Très bien ! je continue. Ça n’est pas pour dire, mais j’ai de l’œil. Aussi, dois-je vous déclarer qu’après une première enquête, j’avais relevé deux joues délicatement rosées et agrémentées de deux fossettes, oui, deux petites fossettes, là… toutes petites, juste pour dire que c’en était……… ; une nuque étourdissante, des lèvres rouges comme des cerises, des yeux bruns brillant de lueurs fugitives, et frangés de cils de même couleur, un petit nez qu’on eût dit ciselé dans du carrare et retroussé d’agaçante façon, une luxuriante chevelure enroulée sans prétention. Bref, mon inventaire terminé, je me trouvais là en face d’un fruit savoureux, d’une pêche aux contours veloutés, tout fraîchement ravie au pêcher.

Les femmes n’ont vraiment pas le droit d’être belles comme ça, et d’exciter la gourmandise des hommes qui, la plupart du temps, n’ont ni le temps ni la force de se mettre en défense.

Ça n’est pas juste.

Tout à coup, voilà bien le petit manchon qui dégringole et roule à terre. Pur accident…… Du moins, je le suppose.

Ai-je besoin de vous dire que la seconde d’après, j’étais à quatre pattes, l’arrière-train beaucoup plus haut que la tête, les genoux dans la poussière, furetant d’ici et de là d’une main sous la banquette, et frôlant du nez la jupe d’une robe. Je finis par saisir le petit manchon dodu, et j’eus la faiblesse d’introduire une main dans sa doublure encore toute chaude. — Voyez-vous ça un peu ? L’insidieuse tentation ! Ce qu’elle en prend des formes. Naturellement, comme tous les novices en vertu, qui courent au martyre et défient la tentation, je me croyais à l’abri.

Je me relevai de là, la chevelure un peu avariée, mais, pour ce qui m’en reste, le dommage ne fut pas grand, et je n’eus pas de difficulté à rétablir la raie savamment tracée par mon coiffeur, le matin même. Ces détails peuvent vous paraître puériles, mais, croyez m’en, ils ont leur importance, surtout en pareils cas ; on ne sait pas jusqu’où peut aller dans l’existence d’un homme, l’influence, même, sur une jolie femme, mettez même un diplomate, d’une raie mal faite ou tant soit peu chiffonnée.

Je lui remis le manchon, non sans l’avoir secoué un peu, en imprimant à mon échine une courbe d’au moins quarante-cinq degrés de rayon, comme du reste, on n’en fait plus, excepté à la cour d’Angleterre, devant les archevêques, les grands vicaires, ou encore les ministres canadiens.

— Merci, monsieur, fit la jeune veuve en minaudant. Vous êtes bien bon de vous être dérangé.

— Mon Dieu ! madame, répliquai-je en esquissant la pose à la fois la plus élégante et la plus distinguée, trop heureux d’avoir eu cette occasion de vous adresser la parole ; je ne demanderais pas mieux que de vous être encore de toutes façons, utile et agréable.

— C’est tout-à-fait galant de votre part………… Pourriez-vous me dire à quelle heure nous arrivons à Montmagny ?

— À Montmagny ! m’écriai-je. Vous allez à Montmagny ? Comme ça arrive ; c’est aussi ma destination. Nous y serons………… hum !……… dans une heure et quart. L’Intercolonial, comme à l’ordinaire, est un peu en retard.

Je lui demandai la permission de m’asseoir sur la banquette en face.

— Mon Dieu, monsieur, si cela vous fait plaisir, faites ! D’autant plus que, la banquette une fois occupée, je ne serai pas exposée à voir un ennuyeux ou quelque malotru venir s’installer près de moi.

— Je pris le siège pour……… lui rendre un nouveau service.

Savez-vous ce que c’est que l’on appelle le coup de foudre ? C’était à moi qu’il posait cette question.

— Oui, répondis-je négligemment, il m’a déjà brûlé trois fois. Le fait est qu’il est peu de gens qui ne l’attrapent pas. C’est comme pour les enfants, la rougeole.

— Eh bien, ! tel que vous me voyez, le coup de foudre m’avait enfilé comme le plus simple paratonnerre. Un coup de foudre de cette intensité sur la tête d’un célibataire de quarante printemps, ne peut exactement se décrire. En un moment, j’étais devenu incandescent, ignescent, ignifère, ignivome, ignivore, ignare que j’étais.

— Peste ! l’interrompis-je, vous y alliez !

— Oui, en effet, j’y allais. Mais, pour piquer au plus court, je vous confesserai que j’étais, là, tout en feu.

Je m’arrête ……….……….……….……….……….……….……….……….……….……… Si vous croyez que je m’en vais tout vous dire…………… allez donc là-bas, dans la rue, voir si j’y suis !……………

Mon ami toussa, se moucha, en allumant un cigare, et reprit son récit :

Mon imagination détalait, telle une belle cavale aux naseaux brûlants, frémissante, fougueuse, hennissante, caracolant dans quelque plaine de l’Arabie heureuse. Ce qu’elle — mon imagination, cela va sans dire, — m’en fit construire en un instant des châteaux dans le pays des hidalgos, des senoritas et des torreadors, inutile de vous raconter ça au long. La fable de « Perrette et du Pot au Lait » de ce bon et naïf Lafontaine, n’est que……………

De la saint-Jean, glissai-je de suite ?

— Oui, comme vous dites, de la saint-Jean, en comparaison. Je me vis dans un cottage bien élégant, bien confortable, avec, comme épouse, tout naturellement, une radieuse petite femme, joyau et joie de la maison. Je me figurai avec elle au bras, à la promenade, dans la rue, au théâtre, à l’église, enfin partout.

Et je l’entendais me dire d’une voix mielleuse :

— Thomas, mon cher Thomas, que préfères-tu comme menu pour ce soir ou pour demain ? — Tu sais, ton habit, il va falloir le rafraîchir un peu. J’y verrai, car la bonne ne s’y entend pas : d’ailleurs les bonnes d’aujourd’hui………… on sait ce que ça vaut………………

En rentrant, le soir, discrètement, elle nous préparait un généreux toddy chaud. Je lui serrais les mains avec effusion, histoire de la remercier de toutes ces attentions « ad rem » Vous comprenez ?………………

— Le latin, je suppose ?………………

— Oui, toujours, mon vieux !…… continuez………………

— Tenez, comme le loup de la fable, je me forgeais déjà une félicité qui me faisait presque pleurer de tendresse. Puis, d’autre part, je me représentais Bob. — Eh bien ! mon pauvre ami Bob, pensais-je, que me dirais-tu de tout ça ? Ça te couperait le sifflet, hein ! vieille miche encroûtée dans le célibat. Si tu me voyais, là un peu, à distance, où en serais-tu de tes imperturbables théories sur les embêtements du conjungo ?

Ce que j’aurais voulu le voir là, dans le moment……… En eut-il fait une tête, lui qui se croit bien plus fort que moi, avec trois ou quatre ans plus jeune ; comme si, au milieu de la vie, trois ou quatre ans de plus ou de moins font une grande différence. En est-on plus mort ou moins vivant ?

— C’est assez vrai, ce que vous dites là, dis-je, tout en sirotant mon verre………………

Comment donc ?………………

Nous causâmes de tout ; d’abord, pour commencer, de la température ; c’est obligé. Et ensuite tous les potins du jour y passèrent. Elle parlait de tout avec une volubilité et une originalité tellement exquises, que j’en étais à peu près pâmé d’admiration.

Elle m’avoua qu’elle préférait le séjour de la ville à celui de la campagne ; comme moi, du reste. Elle raffolait de l’opéra ; moi aussi. Elle censura vertement le mouvement féministe moderne. J’opinai du bonnet, mais avec des semblants de restrictions ; il faut être prudent et se ménager des portes de sortie. À son avis, le domaine de la jeune femme, c’était le foyer domestique ; son rôle, celui de ministre de l’intérieur.

Vous croyez peut-être que je lui dis qu’elle exagérait ? Détrompez-vous ! Bref ! nous étions d’accord sur tous les points, et il me semblait que nos deux âmes vibraient admirablement à l’unisson. Quel délicieux duo nous chantions, du moins, de mon côté. Je faisais ma partie, je vous en réponds. J’étais tout simplement devenu virtuose.

— Eh bien ! me disais-je, mon vieux Bob, pour du bonheur, vas-y-voir, j’en ai à te revendre. — Mon Dieu ! mon Dieu ! comme les choses arrivent !……… Dire là, qu’aujourd’hui, si tu ne t’étais pas absenté, je serais en tête-à-tête avec toi, avec la perspective d’une oie ou d’une dinde, et non la réalité d’une femme ravissante comme celle-ci ! Eh bien ! arranges-toi, mon bon ! Ballades-toi tant que tu voudras en omnibus, en carriole, chez des amis, au diable, etc., moi, je suis parfaitement satisfait de mon sort en ce moment.

Et je me redressai de toute ma taille, toisant d’un air vainqueur, en imagination, Bob de la tête aux pieds, et lui présentant ma conquête.

J’eus un léger accès de toux, rien qu’à me repeindre les visions enchanteresses que tout cela provoquait dans ma boîte crânienne.

— Vous souffrez d’un rhume, dit la jeune veuve de sa voix la plus tendrement sympathique ? — Tenez ! Prenez donc une de ces pastilles, elles sont bien bonnes, je vous l’assure. Essayez-en une ! Comme j’hésitais : —……… — Allons, Monsieur, au moins une, insista-t-elle. J’en cueillis une, en effet, mais, j’eus bien soin de la garder et l’introduire dans ma poche de côté de mon paletot, près du cœur, sans faire semblant de rien, naturellement.

— Madame, fis-je d’un ton dégagé, un vieux garçon comme moi est exposé, comme tous ses pareils, du reste, à s’enrhumer souvent, et à prendre facilement la coqueluche, surtout dans le voisinage d’une jolie femme.

— Vieux garçon, dites-vous, vous êtes vieux garçon ? Moi qui, je ne sais pourquoi, vous pensais marié……………

— Malheureusement, madame, je ne le suis pas encore.

— Mais, alors, vous savez qu’on peut s’amender tout âge.

— C’est ce qui me rassure et me console, répondis-je du ton le plus galant que je pus prendre.

— Croyez-moi, Monsieur, reprit-elle avec un soupir attendrissant, et un regard qui semblait plonger dans le passé, il n’y a encore rien de mieux que la vie conjugale.

Ses paupières, modestement, se baissèrent, en recouvrant à demi l’orbe de ses yeux limpides.

Puis, se reprenant :

— À quoi bon, dit-elle, vous dire ces choses-là ? Vous ne pouvez guère les apprécier.

— Je crois, madame, que je suis en état de comprendre tout ce à quoi vous faites allusion.

— Vous devriez pouvoir de suite vous trouver une femme jeune et gentille, articula-t-elle en déployant un tout petit mouchoir, traîtreusement parfumé, enguirlandé, ajouré d’une large et fine dentelle, et dans lequel il restait juste assez de batiste pour un petit nez mutin comme le sien. Quelle vie pouvez-vous mener ainsi seul, la moitié de vous-même……………

Cela ne doit pas être drôle, à la fin des fins. Mon Dieu ! combien plus heureux ne seriez-vous pas, si vous aviez là, près de vous, une âme sœur de la vôtre !  !  !

Je fus subito pris d’un battement de cœur que, d’une main, j’essayai de comprimer.

— Madame, répliquai-je en hésitant un peu, je me mets en campagne, à la poursuite de cet idéal. Je me suis déjà fait un tableau de l’existence à laquelle vous donnez un si ravissant coloris.

— Vraiment, dit-elle en me fixant de ses deux séduisantes prunelles. Alors, contez-moi un peu ça.

— Sérieusement, désireriez-vous en savoir quelque chose ?

— Assurément, si ça n’est pas trop vous demander.

Tonnerre de Dieu ! Ça marche, me dis-je in petto, c’est plus facile que je pensais de devenir amoureux, que de bâcler une affaire. Mon pauvre Bob, avec tous tes tours et détours de vert-galant, tu es dans le trente-sixième dessous. Je te dame décidément le pion.

— Est-elle brune ou blonde ? demanda-t-elle d’un air imprégné d’une suave sollicitude.

— Ni brune ni blonde, madame, elle a à peu près votre teint.

— Eh bien ! fit la jeune femme en riant, est-elle jeune au moins ?

— Oui, madame, elle paraît avoir, hum !……… à peu près votre âge.

— Est-elle jolie ?

— Elle est plus que jolie, j’oserai dire qu’elle est tout simplement délicieuse.

La jeune veuve, fronçant légèrement les sourcils :

— Monsieur, fit-elle, il me semble que vous devriez devenir un modèle de mari. À quand le mariage ?

— Dès que je pourrai la décider elle-même à fixer la date de la cérémonie.

— C’est juste, observa-t-elle, mais n’oubliez pas de lui faire comprendre que, le plus tôt, le mieux.

— Mon Dieu, madame, soupirai-je…… je le sais fort bien moi-même.

— Me permettrez-vous, une fois à Montmagny, d’aller vous présenter mes hommages ?

— Comment donc, monsieur, mais certainement, pourvu toutefois, vous savez, que cette dame n’y ait pas d’objection.

— Elle n’en aura pas la moindre, prenez-en ma parole ! Pendant que j’y pense, veuillez donc me dire où vous descendez à Montmagny.

— Je me rends chez Madame A…… Avez-vous beaucoup de connaissances dans l’endroit, s’enquit-elle ?……

— Quelques-unes fis-je nonchalamment. Je vais à Montmagny, histoire de me payer une distraction ; et, à part cela, je vais profiter du voyage pour m’occuper d’une affaire dans l’intérêt d’un client.

— Connaissez-vous Monsieur Robert C., frère de Madame A…… interrogea la jeune veuve ?

— Mais oui, madame, Robert C…… articulai-je, l’air un peu étonné, l’humeur un peu refroidie, Robert C…… c’est le nom d’un de mes meilleurs amis. Entre nous, dans l’intimité, nous l’appelons Bob. Mais, assurément, si je le connais…… je le voyais encore hier soir au café. Excellent garçon, Bob, cœur d’or ! Il n’a pas toujours l’humeur égale…… vous savez…… un vieux garçon……

— Tiens, fit-elle, je ne savais pas qu’il avait des caprices d’humeur. Je suppose que vous êtes sûr de ce que vous dites.

— Assurément, madame,……

— Je suppose que malgré cela, vous êtes tous deux en bons termes.

— Parfaitement, madame, parfaitement. Nous sommes de vieilles connaissances…… Un cœur d’or, Bob…… Vous savez, ne prenez pas en mal ce que je vous disais tantôt de son humeur inégale…… Moi, j’ai fini par m’y faire. Rien de bien grave tout de même.

— Cependant, monsieur, je trouve moi que ça doit finir par être un peu ennuyeux, surtout en ménage.

— Oui, en effet, vous avez peut-être raison. Mais, c’est un vert galant que mon ami Bob. Et chez sa sœur où vous allez, s’il s’y trouvait, il serait capable de vous faire une déclaration d’amour. Très entreprenant, l’ami Bob.

— Une déclaration d’amour, dites-vous……

— Mais oui, madame, une de plus ou de moins…… Ça lui est indifférent…… Naturellement ! avec lui, une jolie femme doit être toujours un peu sur ses gardes……

— Est-ce possible ? murmura la jeune femme.

— C’est comme je vous le dis.

— Alors je vous remercie du conseil. Une femme avertie en vaut plusieurs.

Pensez-vous que j’éprouvais le moindre remords de cette perfidie ? Bien au contraire, je rayonnais. J’en étais là de mes réflexions lorsque le conducteur cria : Montmagny ! Montmagny !

Nous étions arrivés.

Je me mis aussitôt en quatre pour rassembler les effets de ma charmante compagne de voyage, cartons, châles, sacoches, et de m’en charger, comme bien vous pensez.

Nous descendîmes en bon ordre sur le parapet de la station. J’y avais à peine mis le pied que, qu’est-ce qui m’arrive ?  ?  ?  ?  ?

Devinez……………

Bob, lui-même, en chair et en os.

Vous comprenez mon ébahissement………

— Hallo ! Tom, me dit-il en me serrant la main. Comment ça ? Toi ici à Montmagny ! J’eus à peine le temps de lui répondre, qu’il me planta là et se précipita du côté de ma compagne.

— Que vois-je ? C’est vous, Joséphine, ma chère Joséphine, s’écria-t-il en lui saisissant les deux mains ! Ma sœur et moi nous ne vous attendions que par le train de midi.

— Mon cher Robert, répliqua-t-elle en rougissant, en effet, c’était convenu, mais j’ai changé d’idée et…… me voilà. En route, j’ai rencontré ce monsieur-ci qui s’est montré on ne peut plus charmant pour moi.

— Eh bien ! il n’aurait plus manqué que ça, interrompit le scélérat, s’il se fût conduit autrement. Merci, excellent Thomas ! C’est bien aimable de ta part. Attends un peu que je te débarrasse de ces paquets…… Ma voiture est là.

Et Bob de tout emporter.

Je le laissai faire, vu que j’étais resté comme médusé sur place.

— Vous me semblez assez bien vous connaître, murmurai-je un peu nerveusement.

Elle allait répondre……

Ce fut Bob qui lui coupa la parole.

— Mais, je te crois, mon bon, que nous nous connaissons bien. Tellement bien, que nous nous marions le dix janvier prochain…… Je te présente donc ma fiancée…… Et, tu sais, tu seras de la noce, cela va sans dire…… Nous comptons sur ta visite chez ma sœur, dans le courant de la journée.

Je sais que je balbutiai quelques mots, mais vraiment je ne me rappelle pas ce qu’alors je dis……….……….……….……….……….……….……….……….……….……….……….……….……….……….………


***

Je repris pour Québec le premier train qui passa…… le premier, vous entendez !…… Quant à la noce…… bonjour !…… Et Bob ?…… Bob ? je ne l’ai pas revu depuis…… Vous savez,…… la vie…… parfois. C’est dégoûtant… Ça ne vaut pas…

— De la saint-Jean, interrompis-je……

— Oui, en effet, de la saint-Jean, comme vous dites.