TITRE OEUVRE/L’Amour à passions/06

La bibliothèque libre.
Jean Fort (p. 97-113).

VI

La Coco à Montmartre


De temps en temps les tribunaux condamnent à l’amende et, même, à la prison des pharmaciens ou des commis de pharmaciens pour vente de morphine ou de cocaïne. La police traque ces commerçants, elle visite soigneusement leurs locaux, ne laissant rien passer.

Mais, elle souffre que tous les chasseurs de tous les cafés de Montmartre en débitent à toutes les femmes au prix de 2 et 3 francs le gramme qui vaut chez les pharmaciens 4 ou 5 sous…

Et elles en usent, les malheureuses ! Telle était rose, grassouillette, vive, gaie il y a deux ans qui aujourd’hui traîne paresseusement, lourdement son corps maigre, à la poitrine tombante, aux mains décharnées, aux yeux éteints, aux lèvres pâles. Elle n’a plus de courage, elle se néglige ; de temps en temps on lui voit encore une chemisette élégante, un manteau de chez le bon faiseur, une aigrette de dix louis — vestiges des beaux jours. Mais, les mains sont sales, la figure sans poudre. Et les yeux s’éteignent de plus en plus tout en s’agrandissant, ils se cernent de rides. L’allure devient fantasque, tantôt lente, écrasée, tantôt rapide, exubérante. La femme chante des mots sans suite, elle entame un air, l’abandonne, en reprend un autre. Elle ne pense même plus à allumer le client, à chercher du pain. Elle mange à peine — tous les deux ou trois jours. Si elle se décide c’est qu’elle a besoin d’argent pour acheter de la cocaïne, de la coco, comme on dit à Montmartre.

Un soir, vers six heures, à l’apéritif, le calé est plein, l’on fume, l’on bavarde, l’on joue aux cartes, on lit les journaux du soir ; des filles promettent à leurs voisins les diverses joies du Paradis. Tout à coup, des cris s’élèvent : « Misérable ! Voleur ! Lâche ! » L’on se retourne : c’est la cocaïnomane qui attrape le chasseur : « Je te vendrai à la police ! Oui, je vais te dénoncer ! je vais appeler un agent ! »

Le gérant intervient, l’on s’informe. Il paraît que la pauvre femme réclame de la drogue, mais qu’elle n’a pas le sou pour payer. D’où refus de l’autre de lui en donner. Or, elle ne peut s’en passer. Ses nerfs sont à bout. Elle va piquer une attaque, elle le sent. Néanmoins, elle a encore assez de force pour tenter un dernier effort : elle se fait douce, sourit, murmure : « Donne m’en ! donne m’en, je t’en prie ! je serai gentille avec toi, tu viendras chez moi tout à l’heure. »

Tous les clients du café se sont levés, ils s’approchent curieusement. Le chasseur se dérobe. Alors, la malheureuse rugit : « Souteneur ! voleur ! », ses bras battent l’air, elle tombe par terre, entraînant tables et consommations, se roulant parmi des cris affreux, inhumains, le corps tantôt raide, droit, tantôt en arc de cercle, tantôt recroquevillé, se cognant la tête, donnant des coups de pied. Il faut trois agents pour la maintenir et l’emporter jusqu’au poste…

… La cocaïne ! Elle a détrôné la morphine car elle est d’un maniement plus facile, et, peut-être, tout de même moins dangereux. Elle mène à la mort comme elle, mais moins rapidement.

Elle offre un autre avantage, elle soutient, remplace un repas ; deux francs de cocaïne valent deux francs de viande !

On la prise, on la prend en injection sous-cutanée. En prise, elle excite les sens, réveille, stimule. L’effet est bizarre : le corps s’échauffe cependant que les extrémités se refroidissent, se glacent. D’un côté la chaleur s’accroît, de l’autre le froid. D’où le plaisir factice.

En injection, l’effet est plus foudroyant : à peine échauffé, le corps se gèle, l’anesthésie s’étend rapidement, c’est l’apparence de la mort.

Voyez, plutôt, ces notes :

L’Éther offre un grand avantage : pour dix sous par jour, chez n’importe quel pharmacien et sans ordonnance, on en voit la farce. Il offre un grand désavantage : son odeur tenace que des odorats exercés perçoivent encore quatre jours après son absorption, et qui fait que partout où entre l’éthéromane l’on s’écrie : « Ce que ça pue ! » L’Éther aspiré donne à rêvasser à la façon du tabac d’Orient ; il endort paresseusement le corps et l’esprit, d’une manière infiniment douce, comme le murmure monotone de la mer sur la grève ; il conduit la pensée sur des sentiers nouveaux, fleuris, charmants, qui vont s’élargissant, faisant comprendre l’étroitesse des conventions sociales, conseillant le pardon, l’oubli des injures, causant des remords peu cruels, évoquant les heures exquises du Passé, ainsi que le mélancolique coucher du soleil qui apaise les haines et les colères… Jamais un éthéromane ne sera un être dangereux, il fuira peut-être le monde, éclairé, dégoûté : il n’attaquera pas. L’Éther n’est pas un amant ennuyeux, on ne s’y habitue pas, on peut le quitter du jour au lendemain, sans regret, sans inconvénient physique. Il calme les sens, éteint l’amour grossier, matériel, le mue en une suave idylle spirituelle.

La Morphine est une maîtresse qu’on quitte moins facilement, elle, s’attache à qui l’aime, elle cramponne. Comme Satan, elle consent à se donner, mais elle veut qu’on se donne à elle, elle exige un pacte, le pacte du sang dans lequel elle demeure une fois introduite. Le morphinomane n’est plus son maître, il ne jouit plus du libre-arbitre, il est l’esclave de la morphine ; il abrège courses, visites, travaux, ayant hâte de rentrer chez lui où sa maîtresse impatiente l’attend, il pense sans cesse à elle, n’appartient qu’à elle, ne dépend que d’elle. L’engourdissement par la morphine diffère sensiblement de l’engourdissement par l’éther : il s’empare plus rapidement du corps et de l’esprit, descend entre eux et le monde un rideau, un brouillard qui trouble les choses, les efface, qui étouffe les bruits, les tire du lointain. C’est la mort arrivant doucement, mais une mort gracieuse, sans cauchemar, point effrayante, une mort paisible comme celle qui prend les vieillards ne regrettant rien de la vie, qui leur promet le ciel et ses félicités. N’est-elle pas Satan, ne défie-t-elle pas le Seigneur cette morphine qui arrête les souffrances avec lesquelles Dieu prétend nous dompter, qui éloigne les remords, les chagrins, qui sèche les larmes de l’amour blessé ? La Morphine est le Maître, la Douleur l’Apprenti. La Morphine surveille jalousement son amant, elle l’empêche de sortir, le rend lourd, paresseux, inapte au travail, elle le fatigue. Pas plus que l’éthéromane le morphinomane ne saurait être dangereux : il chérit trop son foyer, il désire trop la paix !

Doit-on donc tant condamner cette pauvre Morphine, mère du Calme, du Sommeil et de l’Oubli ? Que l’État agirait sagement en interdisant plutôt l’absinthe dont le Fisc encourage la vente ! L’absinthe, le poison du pauvre, la cause des crimes ! Sans doute, elle féconde le cerveau, y multiplie les idées, les pousse sous la plume, excite celle-ci ; mais elle soulève aussi la haine, la vengeance, elle déclare la guerre, elle sonne la bataille ! Et, pourtant, l’heure verte, l’heure de l’absinthe… L’heure des illusions… L’heure guettée par l’ouvrier, le bureaucrate, l’heure de la revanche, l’heure de gaieté, de liberté, loin de l’atelier, loin de la femme grognon, des mioches bruyants… Le bohème devient riche, le travailleur patron, les châteaux en Espagne s’élèvent par enchantement !

… L’on ne se figure pas à quelles ruses se livre le morphinomane pour se procurer sa chère drogue ! Il sait que les pharmaciens voisins des gares, habitués à des clients pressés, examinent mal les ordonnances ; c’est à ceux-là qu’il s’adresse de préférence ; car, il se sert d’ordonnances truquées. Au besoin il fait confectionner du papier à entête. Ou bien il se lève à deux heures du matin pour aller réveiller un pharmacien, sachant qu’à cette heure, encore endormi, il exécutera n’importe quelle ordonnance pour se recoucher plus vite.

Le morphinomane est un être perdu. Exposé à mourir des suites d’un abcès déterminé par une piqûre sale, d’une crise de tétanos ou d’urémie, ou tout simplement d’empoisonnement, que peut-il espérer ? oublier, c’est-à-dire qu’il est obligé de forcer chaque jour la dose. Et comme sa solution est saturée depuis longtemps c’est le nombre de piqûres qu’il doit forcer.

L’on peut aller, par jour, jusqu’à cinq ou six grammes de chlorydrate de morphine avec un ou deux de cocaïne et sept à huit milligrammes de strychnine ! Ajoutez le chloral ! Mais, aussi, quel état moral et physique ! Le teint est jaune, le dos se voûte, la démarche s’alanguit. L’esprit est nul. Plus d’énergie, plus de volonté puisqu’on est l’esclave d’une drogue ! La notion du bien et du mal n’existe plus. Le morphinomane est généralement kleptomane.

C’est le mensonge personnifié : on le pince en flagrant délit de piqûre : il nie !

Et, pourtant, il se découvre facilement en vertu du principe connu qui veut que les gens atteints d’un vice cherchent à le donner ou à en donner un analogue à ceux qui les approchent, soit inconsciemment, parce que cela leur semble naturel, charitable même que ceux-ci éprouvent leurs jouissances, soit par calcul parce que ceux-ci n’auraient plus le droit de le leur reprocher.

Le morphinomane est un « professeur de mal ». Non content d’en subir l’attirance au point de s’en rendre esclave, il prétend l’enseigner. Il y goûte, d’abord, comme au fruit défendu, uniquement parce qu’il est défendu, parce qu’on le déconseille, parce qu’il le sait nuisible à la santé et à l’esprit. Puis, il s’en fait le complice, lui rabat ses parents, ses amis. Il aime le mal pour son vertige. Peut-être, aussi, s’excuse-t-il à ses propres yeux en voyant ses proches y tremper. La morphine elle-même ne le tente pas ; c’est la voix de la raison qui l’entraîne en lui disant : « N’y va pas, tu cours à ta ruine, à ta mort ! » Plus elle le lui crie, plus il s’approche ; dilettante pervers, par curiosité, par défi à l’opinion, par bravade.

Tous les morphinomanes commencent par jouer la comédie, ils prennent des airs mystérieux, supérieurs, s’enorgueillissent de la morphine qu’ils s’injectent. Ils ne le crient pas sur les toits, mais ils le donnent à entendre, se laissent plaindre, posent pour les gens malades, neurasthéniques, demandent à entrer dans une maison de santé pour guérir leur tare qu’ils disent inguérissable, affectent de se traîner lamentablement, persuadés, bien entendu, qu’ils se portent comme vous et moi, et qu’ils abandonneront la drogue le jour où ils le voudront.

Malheureusement, ce jour-là, ils ne le peuvent plus, il s’aperçoivent qu’ils sont les dupes de la comédie, qu’ils sont pris à leur propre piège.

Alors, commence la seconde partie de la pièce : ils désirent dissimuler leur passion. C’est qu’ils ne veulent pas avouer qu’ils n’ont plus assez de volonté pour y renoncer, c’est qu’aussi ils ont besoin qu’on ne la sache pas pour se procurer de la morphine ! Ils se mettent à mentir avec une incomparable habileté.

Mais, cela n’est rien encore : certains n’éprouvent plus de plaisir avec les femmes que lorsqu’ils les savent, grâce à la morphine, vouées à une mort prochaine, ou, au moins, fortement atteintes. Ce n’est pas leur teint terreux, leurs pupilles rétrécies, leurs allure maladive qu’ils aiment ; non ! ils se plaisent aux femmes qui ne sont plus maîtresses d’elles-mêmes, ils ressentent une vive jouissance à les voir cruellement souffrir en les privant de morphine !

Je n’insisterai pas : dans la première série de ces études[1] j’ai cité quelques cas de morphinomanes : la Comtesse de C…, kleptomane, volant dans les grands magasins ; son mari obligé à chaque instant d’aller la rechercher au poste ; Mme Y…, femme d’un grand bijoutier, roulant de souteneurs en souteneurs, abandonnant sa fortune à des marchandes à la toilette et à des cartomanciennes ; Mme R. T. piquant d’épouvantables crises en voiture, dans la rue, au théâtre ; etc., etc.

L’effroyable dilemne ! Se piquer pour oublier la torture morale qu’inflige l’idée qu’on ne peut y renoncer ! Se piquer parce qu’on désire ne plus se souvenir du manque de volonté ! Souhaiter d’avoir l’énergie de se corriger, et penser puiser cette énergie dans la morphine qui précisément l’enlève !

…Je ne saurais mieux terminer ce chapitre que par cette fantaisie trouvée dans les papiers d’un morphinomane : Réforme de la Pénalité :

Le Ministre des Finances finit par convaincre ses collègues du Cabinet, et la loi appuyée par le Président du Conseil fut adoptée par les deux Assemblées, sans trop de difficultés.

Le Ministre des Finances — on le conçoit aisément — jubilait à la pensée de cette loi permettant une économie colossale, la suppression presque totale des prisons ! Plus de prisonniers à entretenir !

En somme, tous les partis y trouvaient leur compte : la peine de mort disparaissait théoriquement, pratiquement elle demeurait. Et personne ne pouvait se déclarer ouvertement l’ennemi d’une mesure dont le principe donnait à l’individu condamné la faculté de se libérer de sa peine lui-même.

Il lui suffisait de vouloir…

Car, cette loi condamnait à la morphine, à la cocaïne, à l’éther. Certains députés avaient proposé, aussi, l’opium et la strychnine, mais sans succès, l’opium étant d’un entraînement long, et, partant, trop coûteux pour l’État, et la strychnine, même à dose infinitésimale, pouvant, au début, déterminer la mort.

Voici comment l’on appliquait ces nouvelles peines :

Le Tribunal, sur l’avis de médecins experts ayant minutieusement étudié le tempérament de l’individu, infligeait les châtiments suivants : tantôt, le condamné ne devait être relâché qu’habitué à une dose quotidienne de deux grammes de morphine et cinquante centigrammes de cocaïne, tantôt, d’un gramme de cocaïne, sans morphine, etc. ; bref, la dose se proportionnait à la faute commise et au tempérament. Tantôt, encore, la peine consistait en l’habitude de boire ou respirer une certaine quantité d’éther.

L’application de cette nouvelle loi présentait un grave inconvénient : la décision du Tribunal dépendait surtout du diagnostic du médecin, et celui-ci, soit crainte d’erreur professionnelle, soit pitié, conseillait trop souvent un minimum ridicule.

… Quelle que fût la peine, l’on conduisait le condamné dans un spacieux établissement — le plus généralement une ancienne prison transformée de fond en comble, les cellules tapissées de papiers aimables, garnies de meubles simples mais confortables, les corridors et le jardin de vastes fauteuils d’osier, la cuisine modeste mais appétissante. La plus grande liberté régnait dans la maison, les prisonniers se levaient, se couchaient, lisaient à leur guise.

L’on remarquait, même, chez la plupart un air de béatitude, d’ivresse infinie que reflètent bien peu de nous.

Disons de suite que la seule chose à laquelle ils devaient s’astreindre était de subir des injections de morphine ou de cocaïne, ou des inhalations d’éther.

Le terme « subir » que nous venons d’employer est impropre : au début, peut-être, ils les « subissaient » ; bientôt, ils les désiraient ardemment.

… On les prévient loyalement : « La première piqûre de morphine vous causera, probablement, des vomissements. Mais, vous vous y habituerez vite, et, alors, vous verrez… » Au reste, l’on égaye la piqûre : la salle où elle se pratique n’a rien de commun avec une salle de prison ou d’hôpital, elle approche bien plutôt d’une salle de récréation, d’une salle de billard ; ses habitants parlent cordialement. Et le condamné ne s’aperçoit pas qu’on le pique. Puis, on le conduit, selon la saison, dans le jardin ou dans les corridors vitrés transformés en serres, on l’étend sur une chaise-longue, et on l’abandonne à lui-même.

L’homme s’étonne : il sent son corps et son esprit s’engourdir béatement. Les ennuis s’effacent, s’estompent doucement. Peut-être, est-ce le jugement qui se brouille, le sens commun, la conscience qui se noie, abandonnant les choses au principe dominant dans le libre arbitre. Il comprend qu’il ne va pas mourir malgré qu’il en ait la sensation. Les sons s’étouffent comme arrêtés par une tapisserie de plus en plus épaisse, les couleurs s’atténuent, se confondent bientôt toutes en un bleu-de-prusse qui, à son tour, se dilue. La douceur de dormir sans dormir, de vivre sans vivre, d’entrevoir le spectacle derrière un opaque rideau…

L’homme qui ne connaît que la saoulerie grossière de l’absinthe s’étonne, au réveil, d’un tel charme — qu’un manque d’éducation intellectuelle ne lui permet pas de définir, mais que l’instinct lui montre venant de la morphine.

D’abord un peu effrayé, il se dit ensuite : « Bah ! oublions ! », et il réclame une autre piqûre, puis une autre.

Seulement, les jours suivants, les piqûres engourdissent trop superficiellement. Lui-même conseille de forcer la dose, assurant qu’il n’y a pas de danger, qu’il supportera aisément n’importe quelle quantité.

Et c’est, à l’heure des piqûres, devant la porte de la salle où les médecins les pratiquent, un grouillement de gens se bousculant, se pressant, souhaitant de gagner un tour. Quelques-uns essayent de tricher, reprennent, une fois piqués, la file, espérant une autre injection : il faut les menacer de les mettre le lendemain à demi-ration !

Voilà le régime. Nul ne songe à le quitter, à se sauver de la prison. L’on a même toutes les peines du monde à décider les condamnés à l’abandonner à l’expiration de leur peine, c’est-à-dire lorsqu’ils sont habitués à la dose voulue. Il faut littéralement les jeter à la porte !

Le châtiment commence.

… Qu’ils travaillent, qu’ils ne travaillent pas, l’État n’a plus à s’occuper d’eux, il ne les surveille nullement, les laisse parfaitement libres d’aller et venir, de quitter le territoire.

Il leur faut de la morphine, de la cocaïne, de l’éther !

Oh ! l’éther, chaque pharmacien en délivrera sans formalités. Mais, cette drogue s’évapore si vite ! en vérité, le flacon se vide aussitôt que débouché, et tant de flacons finissent par coûter cher. Et puis, cette odeur d’éther compromet les plus discrets, les désignant comme les sonnettes désignaient les lépreux forcés de s’en parer pour que l’on s’écartât d’eux ; aujourd’hui l’on s’écrie : « Tiens ! un éthéromane ! un repris de justice ! » Cela a un bon côté : déshabituer de l’éther quelques honnêtes déséquilibrés qui s’y adonnaient.

Quant aux cocaïnomanes… Quant aux morphinomanes… Ils ont tôt épuisé la dérisoire provision de drogue qu’on leur remet à la sortie de la prison. Avec leurs derniers sous, grâce à des ordonnances qu’ils fabriquent et signent de noms des médecins ils réussissent à se procurer quelques centigrammes de la matière convoitée.

Ils travaillent pour le pharmacien, ils se privent de nourriture. Passe encore pour les premiers : la cocaïne apaise la faim…

Bientôt, les malheureux doivent diminuer la dose, cherchant à se leurrer, en s’accordant le même nombre de piqûres. Le supplice se dessine, effroyable. On les aperçoit rôdant autour des pharmacies, le teint jaunâtre, les yeux creusés, les traits tiraillés, les lèvres blanches, les membres agités de tressaillements nerveux.

On en rencontre tordus par d’épouvantables crises d’hystérie, écumant, hurlant, et chacun s’en éloigne avec dégoût. D’autres pleurent, inoffensifs, comme des enfants, appelant : « Maman ! maman ! » D’autres, encore, râlent sur le trottoir, ou bien abordent les passants, réclamant de la morphine. On en voit qui, pour tromper leur besoin, se font des injections d’eau sale, d’eau du ruisseau !




  1. Voir Les Détraquées de Paris, du même auteur. Un vol. 3 fr. 50.