Tableau chronologique des œuvres de Ronsard/03/02

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Librairie Hachette et Cie (p. 87-92).


FOLASTRIE III


En cependant que la jeunesse
D’une tremoussante souplesse
Et de manimens fretillars
Agitoit les rougnons paillars

De Catin à gauche et à dextre :
Jamais ny à Clerc ny à Prestre,
Moine, Chanoine, ou Cordelier
N’a refusé son hatelier.

N’aCar le mestier de l’un sus l’autre,
Où l’un dessus l’autre se veautre,
Luy plaisoit tant, qu’en remuant,
En haletant et en suant
Tel bouc sortoit de ses esselles,
Et tel parfum de ses mammelles,
Qu’un mont Liban ensafrané
En eust été bien embrené.

N’aCeste Catin en sa jeunesse
Fut si nayve de simplesse,
Qu’autant le pauvre luy plaisoit
Comme le riche, et ne faisoit
Le soubresaut pour l’avarice,
Mais ell’ disoit que c’estoit vice
De prendre ou cheine ou diamant
De pauvre ny de riche amant :
Pourveu qu’il servist bien en chambre
Et qu’il eust plus d’un pié de membre,
Autant le beau, comme le laid,
Et le maistre, que le valet,
Estoient receus de la doucette
A la luitte de la fossette,
Et si bien les ressecouoit,
Les repoussoit et remouvoit
De meinte paillarde venue,
Qu’apres la fievre continue
Ne failloit point de les saisir,
Pour payment d’avoir fait plaisir
A Catin, non jamais soulée
De tuer, pour estre foulée,
Et qui de tourdions a mis
Au tombeau ses plus grans amis.


N’aMais quoy ? il n’est rien que l’année
Ne change en une matinée.
Catin, qui le berlam tenoit
Au premier joueur qui venoit,
Or’ se voyant décolorée
Comme une image dedorée,
Se voyant dehors et dedans
Chancreuses et noires les dens,
Se voyant rider la mammelle
Comme un Escouillé de Cybele,
Se voyant grisons les cheveux,
L’œil chassieux, le nez morveux,
Et, par ses deux conduis soufflante
A bas une haleine puante,
Elle changea de voulonté
Et son premier train éfronté
Par ne scay quelle frenaisie
A couvert d’une hypocrisie.

N’aMaintenant des le plus matin
Le Secretain ouvre à Catin
Le petit guichet de l’eglise,
Et pour mieux voiler sa feintise
Dedans un coing va marmotant,
Rebarbotant, rebigotant
Jusqu’au soir que le curé sonne
Le couvrefeu, puis ceste bonne
Bonne putain va pas à pas,
Pieusement, le nez tout bas,
Triste, pensive et solitaire
Entre les croix du cimetière.

N’aEt là, se veautrant sus les corps,
Appelle les ombres des mors,
Ores s’elevant toute droite,
Ores sur une fosse estroite
Se tapissant comme un fouyn,
Contrefait quelque Mitouin,

D’un drap mortuere voilée,
Tant qu’elle et la nuit étoilée
Ayent fait peur au plus hardi,
Qui, passant là le mécredi,
Vient de la Chartre, ou de la foire
De l’Avardin, ou de Montoire.

N’aCatin a mille inventions
De mille bigotations,
Quand la terre est la plus esprise
De froidure, elle en sa chemise
Masquant son nez de toile blanche
D’un gros caillou se bat la hanche,
L’estomac, les yeux et le front,
Ainsi comme l’on dit que font
Ceux qui sont maris de leur mere,
Ou ceux qui meurdrissent leur pere.
Expiant l’horrible forfait
Qu’innocemment ils avoyent fait.

N’aEt toutesfois cette insensée,
Ayant bani de sa pensée
Le souvenir d’avoir esté
L’exemple de mechanceté,
Ose bien prescher ma pucelle,
Pour la convertir ainsi qu’elle
A mille bigotations,
Dont elle a mille inventions.

N’aEt quoy (dit-elle) ma mignonne ?
Ce n’est pas une chose bonne
D’aymer ainsi les jouvenceaux :
Amour est un goufre de maux,
Amour affole le plus sage,
Amour n’est sinon qu’une rage,
Amour aveugle les raisons,
Amour renverse les maisons,
Amour honnist la renommée,
Amour n’est rien qu’une fumée

Qui par l’air en vent se répand.
Tousjours d’aymer on se repent.
Fuyez les banquetz et les dances,
Les cheines d’or, les grands bombances,
Les bagues et les grands atours :
Pour avoir suyvi les amours
Les saintz n’ont pas sauvé leur ame.

N’aAinsi Catin la bonne dame
(Maintenant miroer de tout bien)
Prescha dernierement si bien
La jeune raison de m’amie,
Qu’en bigote l’a convertie.
Si qu’or’, quand baiser je la veux,
Elle me tire les cheveux :
Si je veux tater sa cuissette,
Ou fesser sa fesse grossette,
Ou si je metz la main dedans
Ses tetins, elle à coups de dens
Me dechire tout le visage
Comme un singe émeu contre un page.

N’aPuis elle me dit en courroux :
Si autrefois avecques vous
M’abandonnant j’ay fait la folle,
Je ne veux plus que l’on m’acolle.
Pource ostez vostre main d’abas.
Catin m’a dit qu’il ne faut pas
Que charnelement on me touche.
Halà, ma cousine, il me couche,
Ha, ha, lessez, lessez, lessez,
Bran, pour néant vous me pressez,
Bran, j’aymeroy mieux estre morte
Que vous m’eussiez de telle sorte :
Ostez vous doncques, aussi bien
Mercydieu vous ne gaignez rien,
Ma cuisse en biez accoustrée
Vous defendra tousjours l’entrée.

Et plus les bras vous m’entorsez
Et plus en vain vous efforcez.

N’aAinsi depuis une semeine,
La longue roydeur de ma veine,
Pour neant rouge et bien en point,
Bat ma chemise et mon pourpoint.
Qu’à cent diables soit la prestresse
Qui a bigotté ma maistresse.

N’aSus donq, pour venger mon esmoy,
Sus Iambes secourez moy,
Venez Iambes sur la teste
De ce luitton, de ceste beste,
Qui ores femme n’estant plus,
Mais ombre d’un tombeau reclus,
Miserablement porte envie
Aux doux passetems de ma vie,
Qui Dieu me faisoient devenir.
Et si ne veut se souvenir
Qu’en cependant que la jeunesse
D’une tremoussante souplesse
Et de manimens fretillars
Agitoit ses rougnons paillars
Ores à gauche ores à dextre,
Jamais ny à Clerc ny à Prestre
Moine, Chanoine ou Cordelier
N’a refusé son hatelier.

(Livret de folastries, 1553).