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Tableau de Paris/113

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CHAPITRE CXIII.

École de droit.


Les docteurs en droit, pour être reçus, font assaut public d’argumens ; celui qui a le plus de mémoire démonte son adversaire & l’emporte. C’est un tour de force incroyable que de loger dans sa tête cet absurde & indigeste amas de loix, de gloses, de commentaires. Une tête bien organisée en sauteroit ; celle d’un docteur admet ce chaos que l’on nomme droit civil & droit canon, le code, le digeste, les loix romaines, toute la friperie enfin des siecles effacés, & qui ne convient plus du tout à notre taille.

Là, celui qui veut acheter une charge va prendre le grade d’avocat & fait semblant d’étudier le droit ; on ne voit les professeurs que les jours où l’on porte l’argent des matricules. Les docteurs en droit se font un revenu honnête des prétendans aux charges de judicature. S’ils usoient de trop de sévérité, leurs marmites seroient à sec.

Les examens qu’on fait subir sont pour la forme : les argumens sont communiqués ; & il ne faut guere plus de science, a dit le marquis d’Argens, pour être conseiller au parlement que pour être fermier général.

Quand on a acheté des lettres d’avocat, on est censé docte. Plus de theses à soutenir. On se fait recevoir membre du tribunal que l’on a choisi. L’un plaide, l’autre s’assied pour l’entendre : l’argent fait toute la différence. Celui qui en a, juge ; tandis que celui qui n’en a pas assez pour s’asseoir sur les fleurs-de-lis, développe debout les matieres, cite les auteurs, use ses poumons & sa santé. Le juge tranquille & sommeillant à moitié, n’a d’autre peine que celle d’adopter le sentiment qui lui paroît le plus raisonnable.

Votre fils, disoit quelqu’un, fait son droit. Mais y songez-vous ? Il n’a pas les qualités requises pour le barreau. — Mais j’en fais un conseiller, reprit le pere.

Les premiers souverains qui vendirent les offices de judicature, ont fait au royaume une blessure dont il ne pourra jamais guérir.