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Tableau de Paris/115

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CHAPITRE CXV.

Notaires.


Les notaires sont devenus de véritables Protées dans les affaires : ils font plier la coutume, les loix, les contrats précédens, aux intérêts de leurs parties. Remueurs d’argent, agioteurs, ils étudient tous les moyens d’emprunter à ceux-ci, de prêter à à ceux-là. Ils sont intéressés dans tous les prêts un peu considérables ; leurs fortunes sont rapides, & à trente-cinq ans on les voit riches, abandonner leurs études & vendre leurs charges, dont le prix a triplé depuis dix années.

Courtiers officieux des opérations de finance, ils ont des prête-noms pour reproduire les especes, selon les offres qui se présentent. Ils sont devenus précieux au ministere, parce qu’ils disposent les particuliers à prêter leur argent au roi ; ils ont même un bénéfice dans chaque emprunt.

Beaucoup plus financiers que jurisconsultes, ils savent se glisser à travers les entraves de la loi, l’annullent ou la modifient ; ils évitent par ce moyen beaucoup de procès à la génération actuelle, mais pour en préparer sans doute à la génération suivante.

Les magistrats sont excessivement jaloux de leur crédit & de leur opulence, & furieux sur-tout de ce qu’ils rétrécissent l’empire de la chicane. Avec leurs transactions, ils tranchent en effet une foule de discussions embrouillées, qui seroient fort avantageuses à la rapine des gens de palais.

Les notaires sous leur robe forment un corps séparé & étranger à la robe, qui en général les déteste. Leur influence doit s’étendre encore plus loin ; vu le mouvement incroyable que l’on imprime de nos jours à l’argent ; les maximes de la vieille probité sur les dépôts sont parfaitement mises en oubli.

Je ne parle pas de leurs actes, qui deviennent d’une cherté affreuse, parce qu’on ne laisse pas que d’avoir le droit de les marchander, & de faire son prix d’avance.

Ils font quelquefois banqueroute, ainsi que les marchands. Mais la banqueroute d’un notaire devroit être très-soigneusement examinée, à raison de la confiance qu’on leur accorde & qu’on est forcé de leur accorder.

Les notaires traitent leurs clercs avec un peu de morgue, oubliant que ceux-ci deviendront dans peu leurs confreres.

On rapporte qu’un notaire disoit qu’il foudroit que tous les clercs de Paris fussent bâtards, athées & eunuques ; bâtards, ils n’auroient pas de parens ; athées, il n’iroient pas à la messe ; eunuques, ils n’iroient point voir de filles ; par conséquent point de prétexte pour sortir ; & tout ce tems, selon lui si mal employé au-dehors, tourneroit au profit de l’étude.

Le métier est devenu si bon, que depuis le premier bourgeois jusqu’au dernier, c’est à qui enfermera son enfant dans l’étude d’un notaire. D’un coup de pied sur le pavé, l’on fait sortir un régiment de clercs.

Les moindres places sont avidement courues ; plus de quatre mille jeunes gens aspirent à acheter cette charge, & il n’y en a que cent treize à vendre. La concurrence les fait hausser à chaque mutation, les mutations deviennent rapides. On étoit autrefois notaire pendant quarante années ; aujourd’hui, au bout de huit ans, on a amassé de quoi jouir, & la fortune est faite. Le public a payé l’opulence précoce de ces notaires encore imberbes.

Quand un moribond fait son testament, il n’a pas la consolation de parler à des vieillards qui doivent bientôt le suivre : médecins, notaires, tous lui présentent de jeunes visages, & il sent plus de regret à mourir.

Les notaires, il y a cinquante ans, faisoient payer le dépôt d’argent ; aujourd’hui ils l’empruntent à six pour cent. Le prix excessif des charges causera quelque révolution dans ce corps sorti de ses limites, & que le luxe de l’opulence perdra.

Ils commencent ainsi tous leurs actes : Par-devant les conseillers, notaires, &c. & il n’y en a jamais qu’un qui reçoit l’acte ; l’autre signe sans lire, dès qu’il voit la signature de son confrere : ainsi un seul homme atteste un fait & dicte une loi de famille très-importante. Quand on met ensuite, deniers nombrés & délivrés, c’est le plus souvent une fiction ; fait & signé en l’étude, autre fiction, la plupart des parties signent dans leur hôtel.