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Tableau de Paris/165

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CHAPITRE CLXV.

Architecture.


Je ferai une question aux gens de l’art : pourquoi toujours des colonnes dans l’architecture ? Pourquoi toujours le même entablement ? Pourquoi les mêmes compositions éternellement répétées ? Ces colonnes rappellent des tiges d’arbres ; fort bien : cet entablement, des solives : ces ornemens, des vases entourés de plantes ; à merveille. Mais cela frappe mes yeux pour la millieme fois. Ne pourroit-on pas imaginer d’autres proportions ? L’art est-il borné à ce point, ou le génie des architectes ? Faudra-t-il que tout palais ressemble plus ou moins à tel autre palais ? J’accuse donc l’architecture de la plus grande monotonie, & je suis las de voir des colonnes, encore des colonnes, & par-tout des colonnes.

Une foule de maisons charmantes, ayant un aspect varié & leur forme particuliere, bordent depuis peu les remparts & embellissent les fauxbourgs. Cette diversité annonce que l’art peut renoncer quelquefois à ses vieilles regles coutumieres, pour mieux enchanter l’œil & le surprendre.

Mais les prodiges de l’architecture sont à Paris, dans l’intérieur des maisons. Des coupes savantes & ingénieuses économisent le terrein, le multiplient & donnent des commodités neuves & précieuses ; elles étonneroient fort nos aïeux, qui ne savoient que bâtir des salles longues & quarrées, & croiser d’énormes poutres d’arbres entiers. Nos petits appartemens sont tournés & distribués comme des coquilles rondes & polies, & l’on se loge avec clarté & agrément dans des espaces ci-devant perdus & gauchement obscurs.

Auroit-on imaginé, il y a deux cents ans, les cheminées tournantes qui échauffent deux chambres séparées, les escaliers dérobés & invisibles, les petits cabinets qu’on ne soupçonne pas, les fausses entrées qui masquent les sorties vraies, les planchers qui montent & descendent, & ces labyrinthes où l’on se cache pour se livrer à ses goûts, en trompant l’œil curieux des domestiques ?

Auroit-on deviné que l’art seroit parvenu au point qu’au moyen d’un petit bouton secret, on feroit tourner subitement, sur un pivot rapide, un miroir de quatre pieds de hauteur, & un vaste secretaire, ou une large commode, lesquels, appliqués contre une prétendue muraille, offrent en s’ouvrant une issue dans la garde-robe d’une maison voisine, issue cachée à tous les regards, excepté à ceux des intéressés, mais propre à favoriser les mysteres de l’amour & quelquefois ceux de la politique ? Des êtres qui semblent ne s’être jamais vus, communiquent ensemble à des heures réglées ; des ombres impénétrables sont répandues autour d’eux, l’ardente jalousie & l’espionnage le plus subtile perdent jusqu’à leurs soupçons, & se trouvent en défaut.

La peinture arabesque a repris faveur après des siecles d’oubli. C’est un genre de décoration agréable, mais coûteux. Qu’a-t-on fait ? On a trouvé le secret de le mettre en papier, & le coup-d’œil sera pour les fortunes médiocres comme pour les riches. Les inventions de notre siecle tendent sur-tout à imiter parfaitement les couleurs du luxe ; on se contente de sa superficie ; on croit toucher aux richesses, quand on en a les dehors : preuve que leur plus grand mérite réside dans l’éclat. Aussi voyez qu’on peint le marbre où il n’est pas ; que du papier représente le velours & la soie ; qu’on bronze le plâtre ; qu’on dore les chenets ; & que, jusques sur nos tables, la figure brillante des fruits dédommage de leur absence au dessert. Il est même des plats en relief[1], auxquels il est convenu de ne pas toucher ; & ces mets fantastiques servent jusqu’à ce qu’ils soient entiérement décolorés. Bientôt nos bibliotheques ne seront plus qu’une toile peinte ; & n’avons-nous pas déjà ainsi de la sculpture, de la menuiserie, de la porcelaine, des vases de porphyre, & jusqu’aux bustes des grands hommes ?

  1. On sait l’histoire du lapereau de bois, qu’un étranger à vue courte voulut absolument dépecer, malgré les sollicitudes plaintives de la maîtresse de la maison.