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Tableau de Paris/252

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CHAPITRE CCLII.

Contraste.


Les femmes dans la capitale jouissent non-seulement de la plus grande liberté possible, mais encore du plus incroyable crédit. Par des manœuvres secretes & particulieres, elles sont l’ame invisible de toutes les affaires, elles réussissent sans presque sortir de chez elles : elles déterminent la voix publique dans des circonstances où elle sembloit d’abord demeurer indécise.

Qu’il y ait une rixe entre mari & femme : le mari commence par avoir tort ; & au bout de trois jours, il est peint des plus affreuses couleurs. La ligue offensive & défensive se manifeste de tous côtés : enfin les avocats, les loix, le jugement sont pour le pauvre époux ; tout cela est cassé à un autre tribunal. Les femmes soutiennent leur parti, malgré les démonstrations les plus authentiques ; & après avoir ameuté les esprits, finissent par les entraîner.

Mais malheur à celle qui n’est pas mariée ! rien ne lui est permis, on lui fait un crime de tout. Les meres sont d’autant plus vigilantes qu’elles connoissent tous les tours que les passions peuvent inspirer. Ainsi le rôle de fille est le plus cruel rôle du monde. On la dresse à tous les rians atours de la mignardise & de la coquetterie ; on ne lui imprime que l’amour des arts qui servent & embellissent la volupté ; on ne lui impose d’autre devoir que la science de plaire : & l’on veut que, renonçant au but de tant d’instructions, elle soit froide, sourde à tous les propos qui circulent autour d’elle, & qu’elle demeure même insensible au plaisir qui naît de l’impression de ses charmes.

Il faut donc qu’elle dissimule avec un cœur neuf, & qui ne sembloit pas né pour soutenir le rôle d’une feinte perpétuelle. Elle ne peut jamais dire un mot de ce qu’elle sent si bien ; le monde devient injuste & absurde à son égard. Qu’elle soit mélancolique, elle est tourmentée, dit-on, du desir & du besoin d’avoir un amant. Est-elle gaie, folâtre ? Cet enjouement touche à peu de réserve. Elle ne peut ni rire ni soupirer : on veut qu’elle soit fille & qu’elle ne le soit pas.

Et voilà pourquoi les filles s’ennuient avec les femmes, & les femmes avec les filles. Aussi ne peuvent-elles pas causer ensemble ; & s’il y a une très-étroite union entre une femme & une fille, l’innocence de celle-ci touche à son terme.