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Tableau de Paris/304

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CHAPITRE CCCIV.

Filles nubiles.


Le nombre des filles qui ont passé l’âge du mariage est innombrable. Rien de si difficile qu’un mariage, non pas tant parce que ce nœud est éternel, que parce qu’il faut aller consigner une dot par-devant notaires. Les filles laides & nubiles abondent ; les jolies ont encore beaucoup de peine à passer. Il faudroit peut-être renouveller à Paris ce qui étoit en usage chez les Babyloniens. On rassembloit toutes les filles nubiles dans un marché public ; les jeunes gens venoient, & comme de raison, achetoient les plus belles ; mais l’argent qui en provenoit, servoit à doter les laides délaissées.

On voit que le mariage est devenu un joug pesant, auquel on se soustrait de tout son pouvoir : on voit qu’on a raisonné depuis peu le célibat, comme une situation plus douce, plus sûre & plus tranquille. La fille célibataire par choix, n’est point rare aujourd’hui dans l’ordre mitoyen : des sœurs ou des amies s’arrangent pour vivre ensemble, & doubler leurs revenus en les plaçant en rentes viageres. Ce renoncement volontaire à un lien constamment chéri des femmes, ce systême anti-conjugal n’est-il pas bien remarquable dans nos mœurs ?

Chez les Lacédémoniens, les femmes chaque année fouettoient les célibataires dans le temple de Vénus. Que diroit Licurgue, s’il voyoit aujourd’hui nos demoiselles dédaigner l’autel de l’hyménée, embrasser le célibat, s’en montrer les apologistes, & vivre dans une espece de liberté masculine ? liberté qui, chez aucun peuple de la terre, ne fut le partage de leur sexe.

Qu’arrive-t-il de cet étrange désordre ? Les gens aisés, qui ne se marient point, ou qui se marient tard, ne font presque pas d’enfans : les gueux qui se marient intrépidement, & qui se marient trop tôt, en font beaucoup ; de sorte que les richesses se concentrent de plus en plus dans un très-petit nombre de mains ; & l’ordre de la société à qui elles seroient le plus nécessaires, en a le moins.

Dans toutes les compagnies on ne rencontre que de ces vieilles filles qui ont fui les devoirs d’épouse & de mere, & qui trottent de maisons en maisons. Affranchies des peines & des plaisirs du mariage, elles ne doivent pas usurper la considération & le respect qui sont dus à la mere de famille environnée de ses rejetons ; & l’on devroit les regarder comme ces vignes infertiles, qui au lieu de porter des raisins, n’ont poussé sous les rayons du soleil que des feuilles jaunes & rares.

Ces filles décrépites sont ordinairement plus malicieuses, plus méchantes, plus tracassieres & plus durement avares que les femmes qui ont eu un époux & des enfans.

Il faudroit assujettir les vieux garçons & les vieilles filles à une contribution, reculer encore également pour les deux sexes l’époque des vœux forcés ou indiscrets, abolir le célibat des soldats, qui occasionne le célibat des filles ; d’autant plus que des soldats mariés seroient plus courrageux & plus attachés à la patrie. Il faudroit enfin, que le législateur fît revivre les anciens mariages de la main gauche, afin de diminuer les difficultés du mariage. Une concubine étoit autrefois une femme non mal-honnête. En voulant trop gêner la liberté de l’homme, on l’a précipité dans de nouveaux écarts ; & c’est bien le cas de répéter ici, que c’est souvent la loi qui fait le péché.