Tableau de Paris/309
CHAPITRE CCCIX.
Encan.
Mais nos seigneurs, sous le nom de curieux, sont le plus souvent des brocanteurs magnifiques, qui achetent sans besoin, sans passion, & seulement pour avoir de bons marchés, bijoux, chevaux, tableaux, estampes antiques, &c. Ils font des haras ou des cabinets, qui sont bientôt des magasins : on les croiroit passionnés pour les beaux arts ; ils aiment l’argent.
Ces vases, ces bronzes, ces chefs-d’œuvres, auxquels ils semblent tenir, & dont ils se montrent idolâtres, appartiendront à qui voudra les en débarrasser pour de l’or. La médaille la plus antique ne restera pas au médaillier, malgré tout l’étalage du propriétaire ; on en fera la conquête. Ces brocanteurs décorés usurpent ainsi les profits des classes commerçantes, & ils vous diront néanmoins qu’ils n’achetent que pour les artistes : ils en sont les véritables tyrans.
Au reste, c’est aux ventes que le prix réel des tableaux se manifeste, & qu’ils n’en imposent plus, comme dans le sallon de l’orgueilleux possesseur. Là finit le rôle avantageux de l’homme usurpateur & médiocre : là, les prétendus connoisseurs voient leur prononcé chimérique réduit à zéro : là, la superbe école françoise apprend à rabattre de sa fastueuse préemption. Un peintre a beau s’appeller premier peintre du roi, on donne pour dix écus (c’est-à-dire pour la toile) une de ses compositions de quatre pieds de hauteur. L’huissier-priseur ne lui fait pas grace, & le livre impitoyablement à l’acheteur qui va en décorer une anti-chambre enfumée, ou une salle à manger.
Philippe duc d’Orléans, régent du royaume, s’amusoit à peindre ; mais la main de son altesse, habile à mouvoir l’Europe, ne surpassoit pas en peinture celle du plus misérable barbouilleur. Qu’est-il arrivé ? Son principal tableau, quoique décoré de son nom, successivement chassé de tous les cabinets, se trouve actuellement exposé dans un passage public des Tuileries, sollicitant en vain un acquéreur qui lui donne un asyle. On le regarde, on lit le nom auguste, on sourit, & personne ne veut en donner trente-six livres ; ce qui prouve que dans les arts qui tiennent au génie, on ne paie point le public avec des titres.