Tableau de Paris/347
CHAPITRE CCCXLVII.
De la Cour.
Le mot de cour n’en impose plus parmi nous, comme au tems de Louis XIV. On ne reçoit plus de la cour les opinions régnantes ; elle ne décide plus des réputations, en quelque genre que ce soit ; on ne dit plus avec une emphase ridicule, la cour a prononcé ainsi. On casse les jugemens de la cour ; on dit nettement, elle n’y entend rien, elle n’a point d’idées là-dessus, elle ne sauroit en avoir, elle n’est pas dans le point de vue.
La cour elle-même, qui s’en doute, n’ose pas prononcer affirmativement sur un livre, sur une piece de théatre, sur un chef-d’œuvre nouveau, sur un événement singulier ou extraordinaire ; elle attend l’arrêt de la capitale : elle-même a grand soin de s’en informer, afin de ne pas compromettre son premier avis, qui seroit cassé avec dépens.
Du tems de Louis XIV, la cour étoit plus formée que la ville ; aujoud’hui la ville est plus formée que la cour. Leurs idées s’accordent rarement : ce qui ne doit pas étonner ; car l’instruction reçue est trop différente, pour ne pas dire opposée. La cour se tait sur plusieurs points, par prudence & même par timidité : tant la conscience nous en dit plus que l’adulation n’a voulu nous en faire croire ! La ville parle avec assurance sur tout & sans relâche ; la cour sent qu’elle ne doit pas trop hasarder son prononcé sur nombre d’objets, de peur du retour. La ville, où sont tous les arts & toutes les lumieres, qui se prêtent une plus grande force par leur mêlange, décide hardiment, parce qu’elle sent sa force, & qu’elle est plus sûre de son tact tant de fois éprouvé : & l’autre estime confusément qu’il lui manque plusieurs données propres à confirmer son opinion.
La cour a donc perdu cet ascendant qu’elle avoit sur les beaux-arts, sur les lettres, & sur tout ce qui est aujourd’hui de leur ressort. On citoit, dans le siecle dernier, le suffrage d’un homme de la cour, d’un prince ; & personne n’osoit contredire. Le coup-d’œil n’étoit pas alors aussi prompt, ni aussi formé ; il falloit s’en rapporter au jugement de la cour. La philosophie (voilà encore un de ses crimes) a étendu l’horizon ; & Versailles, qui ne forme qu’un point en ce genre, y est compris. Cette révolution dans les idées est bien nouvelle ; car lorsqu’on songe que l’opinion se joignoit au pouvoir, & qu’on réfléchit d’où émanoit l’opinion, ce que c’étoit, quant aux idées, que cette cour de Louis XIV ; les préjugés grossiers qui y dominoient ; ce qu’étoit la dévotion du tems ; ce que faisoient un prédicateur de Versailles, un directeur de conscience, un confesseur du roi ; quand on pense que Luxembourg accusé alloit faire une retraite chez le P. la Chaise : alors on observe avec étonnement, & sans oser le croire, l’incroyable différence d’un siecle à l’autre.
C’est de la ville que part l’approbation ou l’improbation adoptée dans le reste du royaume.
Louis XIV trembloit à la voix de Bossuet, qui le pénétroit de terreurs imaginaires : on siffleroit aujourd’hui l’air prophétique de Bossuet, son ton, ses menaces, & il n’inspireroit pas ses craintes mystiques au dernier chef-d’office. C’est la ville qui a appris à la cour la valeur réelle des choses qui l’épouvantoient alors.