Tableau de Paris/548
CHAPITRE DXLVIII.
Le Fat à l’Angloise.
C’est aujourd’hui un ton parmi la jeunesse de copier l’Anglois dans son habillement. Le fils d’un financier, un jeune homme dit de famille, le garçon marchand prennent l’habit long, étroit, le chapeau sur la tête, les gros bas, la cravate bouffante, les gants, les cheveux courts & la badine. Cependant aucun d’eux n’a vu l’Angleterre, & n’entend un mot d’anglois.
Tout cela est fort bien, parce que ce costume exige de l’uni & de la propreté. Mais quand vous venez à raisonner avec ce soi-disant Angloie, au premier mot vous reconnoissez un ignorant Parisien. Il dit qu’il faut prendre la Jamaïque ; & il ne sait pas où la Jamaïque est située ; il confond les grandes Indes avec le continent de l’Amérique. Il s’habille comme un habitant de la cité de Londres, marche la tête haute, se donne les airs d’un républicain ; mais gardez-vous d’entrer en conversation sérieuse avec lui, car vous ne trouverez pas plus de lumieres dans sa tête, que dans celle d’un huissier-audiencier au Châtelet de Paris.
Reprends, mon jeune étourdi, reprends ton habillement françois ; mets des dentelles ; que ta veste soit brodée ; galonne ton habit ; fais-toi coëffer à l’oiseau royal ; porte un petit chapeau sous le bras, deux montres avec leurs breloques. Ce n’est pas assez de prendre l’habit des gens, pour en avoir l’esprit & le caractere. Retiens ton costume national, il te sied ; c’est sous cette livrée que tu dois parler sans rien dire, déraisonner agréablement sur tout, & étaler les graces de ta profonde ignorance.
Ne prendrons-nous jamais des Anglois que l’habit ? Ils ont des fats, mais leur fatuité tient à l’orgueil, & les nôtres n’obéissent qu’à une puérile vanité. Ils ont des hommes vicieux ; mais ils le sont là moins qu’ailleurs, parce qu’en tout autre pays ils se verroient obligés de faire les hypocrites. Enfin, ils ont des voleurs, mais ces voleurs ont une ombre de justice : ils ne vous dépouillent pas entiérement, ils partagent ; ils ne font pas couler le sang, comme le voleur François. Qu’il me tarde d’être volé à l’angloise ! Mais nos voleurs de grands chemins ne sont guere plus avancés que nos fats modernes, prétendus imitateurs des mœurs britanniques.
Les marchands mettent sur leurs enseignes, magasins anglois. Les limonnadiers, sur les vitres de leurs cafés, annoncent le punch en langue angloise. Les redingotes de Londres, avec leurs triples collets & leur camail, enveloppent les petits-maîtres. Les petits garçons ont les cheveux ronds, plats & sans poudre. On voit le pere sortant de son hôtel, vêtu de gros drap, trotter à l’angloise, le dos courbé. Il y a long-tems que les femmes sont coëffées en chapeau élégant, dont la mode nous est venue des bords de la Tamise. Les courses de chevaux établies à Vincennes, rappellent celles de Newmarket. Enfin, nous avons les scenes de Shakespeare, qui, mises en vers par M. Ducis, font le plus grand effet.
Ainsi nous n’avons plus tant de peur de nos ennemis. Nous voilà familiarisés avec les formes que nous rejetions avec hauteur & dédain il y a trente années. Mais avons-nous pris ce qu’il y avoit de meilleur ? Ne nous resteroit-il pas à adopter toute autre chose que le punch, les jockeis, & les scenes du grand Shakespeare ?