Tableau de Paris/558

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CHAPITRE DLVIII.

Couvens, Religieuses.


Les couvens sont jugés. Les curiosités excessives, la bigoterie & le cagotisme, l’ineptie monastique, la bégueulerie claustrale y regnent. Ces déplorables monument d’une antique superstition sont au milieu d’une ville où la philosophie a répandu ses lumieres ; mais les murailles de ces prisons sacrées séparent les victimes de toutes les idées régnantes.

Quelques directeurs ont droit de contrôle sur l’administration de cet empire. Un mêlange adroit de décence & de mondanité les en rend le génie tutélaire.

On voit d’un côté la plus implicite obéissance, & de l’autre les petitesses du commandement. Ajoutez ensuite le désespoir du plus grand nombre, la résignation pacifique de quelques-unes, & l’abrutissement d’esprit des plus spirituelles. Là le devoir n’est plus qu’une routine ; on fait le bien par contrainte & sans goût ; on prie sans savoir ce que l’on demande, & l’on se mortifie pour obéir à la regle.

L’habitude adoucit un peu le joug ; mais les imaginations ne sont pas assujetties. On apprend aux novices à craindre le démon, tellement qu’elles désapprennent à aimer Dieu. On leur fait faire par terreur ce qu’elles auroient fait par amour.

Les passions ne dorment pas dans le silence de la retraite ; elles s’éveillent & jettent un cri plus long & plus perçant. Que de larmes secretes ! Les moins infortunées tombent dans une stupeur machinale ; les autres, après s’être abandonnées aux sourdes imprécations du désespoir, meurent à la fleur de l’âge.

Le nombre de ces victimes diminue ; mais qu’il eût été facile de détruire ces prisons tristes, en reculant l’époque des vœux à vingt-cinq ans ! Une loi timide est ordinairement une mauvaise loi.

Autrefois de jeunes sœurs étoient sacrifiées à l’avancement d’un frere au service ; & plus d’une mere coquette voyoit avec déplaisir auprès d’elle une fille qui grandissoit.

On a tant écrit sur cet abus, que les meres les plus ambitieuses & les plus dénaturées n’osent plus parler de couvent à leurs filles. Celles qui peuplent les monasteres sont des filles pauvres & sans dot.

Mais les demoiselles y restent jusqu’à ce qu’on les marie ; & quand elles sont femmes, elles racontent à voix basse les histoires secretes que tout le monde sait, & les singulieres passions qui y regnent. Ce qu’il y a d’étrange & d’inconcevable, c’est que cette même mere ne manquera pas d’y mettre un jour sa fille, quoique bien instruite du danger que l’innocence y court.

Je ne sais si les pauvres religieuses étrillent tous les jours leur dos & leurs épaules à grands coups de discipline, si elles s’éveillent constamment à minuit ; si elles regardent leur directeur comme doué d’une science surnaturelle : mais je sais qu’on ne se jette plus aux pieds de ces vertus sublimes, & qu’on a cessé de les admirer.

Ainsi les monumens de l’extravagance humaine subsistent, lors même que la raison en a montré les abus & les dangers. Le vœu de virginité, loin d’être une perfection de la nature humaine, entraîne après lui tous les excès qui la déshonorent. Voyez d’un autre côté tous ces moines rubiconds, aux épaules larges, à la taille nerveuse ; & jugez de la loi qui éleve des grilles, des verroux, des portes pour condamner ces malheureux prisonniers des deux sexes, à des plaintes & à des tourmens qui se renouvellent à la naissance de chaque aurore.

Je n’ai jamais vu une religieuse placée derriere une grille de fer, sans la trouver souverainement aimable ; il n’y a point d’ornement qui vaille cette guimpe. Ce voile, ces habits lugubres, la mélancolie de leurs regards, qui dément leur parole ordinairement vive & précipitée ; l’impossibilité de changer leur état, le sentiment que tant de charmes sont perdus, & que le soupir de l’amour malheureux sera éternel dans leur cœur ; tout m’attriste devant la barriere impénétrable, que rien ne peut briser. Quand je m’éloigne, je sens avec amertume qu’il n’est point au pouvoir d’un mortel d’adoucir les maux de ces infortunées. Elles ont sans doute quelque jouissance qui leur aide à supporter le fardeau de la vie. Mais tout me dit qu’il n’y a plus de félicité pour elles ; & je répete tout bas ce vers de Lucrece, qu’on est forcé de redire si fréquemment dans les états catholiques :

Quantum relligio potuit suadere malorum !

Si les vocations ne sont plus forcées, la séduction a toujours lieu dans les cloîtres, pour conduire l’inexpérience aux vœux monastiques & éternels.

Voici un fait singulier, arrivé à Paris en 1773.

Un pere voulant marier sa fille qu’il avoit mise dans un couvent pour y recevoir sa premiere éducation, éprouva l’opposition la plus décidée. Il reconnut sans peine l’inspiration des filles indiscretes & pieuses qui l’avoient élevée. Il ne permit pas qu’elle retournât dans ce couvent, & se chargea du soin de guérir cette grande aversion pour le monde, & de lui faire perdre le goût pour le voile. Deux jours après il reçut la lettre suivante.

« Dieu, à qui tout appartient, Souverain de l’univers & de toutes créatures, Juge des vivans & des morts.

» Écoute, impie, les paroles de ton Dieu. Si tu les méprises, je commande à l’ange exterminateur de te frapper avant la fin de l’année. Oses-tu préférer la fortune au salut de ton ame, & satisfaire tes vues ambitieuses en allant contre mes volontés ! Ne sais-tu pas que tous les biens sont dans ma main puissante, & que je les distribue selon qu’il me plaît ? Ta fille est à moi, sa volonté & son être m’appartiennent. N’es-tu pas trop heureux que je la range parmi mes épouses pacifiques, & que je consente à ce qu’elle désarme, par ses prieres, ma justice irritée ? Tes crimes ont mérité les plus grands châtimens, & mon bras est encore suspendu. C’est son innocence & ses larmes qui ont arrêté ma vengeance ; c’est le lieu qu’elle habite qui a fléchi mon courroux. Si tu oses balancer la vocation qui l’appelle vers moi, tremble ; mon bras va se baisser & te percer dans ma colere. »

Le pere vit bien que Dieu n’avoit pas écrit une pareille lettre ; il méprisa assez le fanatique qui l’avoit forgée, pour ne pas daigner en faire la recherche. Il maria sa fille à un militaire aimable, qui lui fit perdre le goût de la retraite. Le pere vit encore, & embrasse dans la joie de son cœur les enfans de sa fille qui, au lieu d’être l’épouse stérile de Jésus-Christ, fait une excellente mere de famille.