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Tableau de Paris/609

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CHAPITRE DCIX.

Diamans.


Cloris n’est que parée & Cloris se croit belle,
En vêtemens légers, l’or s’est changé pour elle ;
Son front luit, étoilé de mille diamans,
Et mille autres encore, effrontés ornemens,
Serpentent sur son sein, pendent à ses oreilles ;
Les arts, pour l’embellir, ont uni leurs merveilles.
Vingt familles enfin, couleroient d’heureux jours,
Riches des seuls trésors perdus pour ses atours.
Fille de Scipion, illustre Cornélie,
Que n’ai-je pu te voir briller dans l’Italie ?
Pour montrer à ton tour des bijoux précieux,
Tu fis voir tes enfans, dignes de leurs aïeux ;
Tu fis voir des héros. Et nos meres coquettes,
Étalent des colliers, arborent des aigrettes.

S’il est permis aux rois & aux princes d’employer des sommes considérables à l’achat des diamans, n’est-ce point une folie insigne chez les particuliers de mettre tant de prix à des brillans qui ne donnent point la beauté ?

Que le pytre & le grand-sancy, appartiennent à la couronne, qu’ils rivalisent avec le diamant du grand-Mogol, avec celui du grand-duc de Toscane, ce sont là jeux de princes ; mais que des hommes sensés consacrent en bagues, en pendeloques, en bracelets, ce qui suffiroit à l’entretien des enfans, à la nourriture des pauvres, n’est-ce point une honte, un crime au tribunal de l’humanité ?

Ce délire de l’opulence n’est plus toutefois aussi vif qu’il l’étoit jadis. Le lapidaire ne vend plus ces petites pierres au prix excessif où la concurrence les avoit fait monter. Ce luxe avili, pour ainsi dire, par nos courtisannes, commence à tomber.

Crésus, revêtu de ses habits royaux & tout couvert de pierreries, demanda à Solon, s’il avoit jamais vu une pompe si belle. Oui, dit le philosophe, je trouve un paon vêtu plus magnifiquement que vous ; sa beauté est naturelle, & vous ne brillez que d’un éclat emprunté.

Le philosophe devrait s’étudier à flétrir les diamantaires, les lapidaires, & les représenter comme des pestes publiques, moteurs d’un luxe odieux, & engendrant cette foule d’êtres corrompus, qui se prostituent pour des pierreries.

Le diamant est à mes yeux l’enseigne de l’insensibilité morale ; le diamant semble endurcir tous les êtres qui se pavanent de sa pompe frivole. Quand je vois une femme porter à son bras la valeur de quatre riches métairies, son bras ne m’inspire plus l’envie de le baiser. Mais un homme orné de diamans, usurpant cette parure des femmes, me fait frémir, & je m’éloigne de lui avec une répugnance invincible. Tous ces petits cailloux brillans dont il est vain, sont l’emblême de son ame froide & dure, & plus il est élevé en grandeur, plus il me paroît petit & livré à un égoïsme ridicule.

On a vu, dit-on, Rodolphe, empereur & roi de Bohême, écorcher ses sujets pour amasser une quantité prodigieuse de pierreries. Il en avoit composé une table si artistement garnie, qu’elle représentoit un paysage au naturel. Il perdit ses bijoux avec son royaume, & mourut de chagrin.

Ô que j’aime la seconde femme de Phocion ! Une de ses amies lui montrant des colliers & des brasselets magnifiques, elle lui dit : pour moi je n’ai point d’autre ornement que Phocion, qui depuis vingt années est toujours élu général des Athéniens.

Puissent tous les sots & durs amateurs de ces misérables superfluités, qui aspirent la substance du pauvre, partir pour le pays de Golconde, dans les états du grand-Mogol, à cent milles de Mazulipatan !

Il n’y a de bon & de curieux dans le diamant, que l’expérience nouvelle sur sa volatilisation. Quant à l’éclat, des verroteries font le même effet.

La poudre de diamant est-elle un poison sans remede, ainsi que plusieurs le prétendent ? Le diamant en lui-même est un si grand poison au moral, qu’il peut l’être au physique, & cette dangereuse qualité, je la lui souhaite, afin que tout homme l’ait en horreur & ne voie qu’avec mépris l’homme qui arbore ce luxe puéril & barbare.

Le Mont-de-piété regorge de pierreries, & leur valeur est tellement diminuée, que les diamans n’ont plus qu’un prix médiocre : les plus prisés autrefois sont réduits au quart de leur ancienne valeur. Mais quel philosophe ne voudroit voir tous les joailliers obligés de renoncer à ce commerce futile & dévorant ? Il faut espérer qu’il tombera tout-à-fait, & que le moraliste n’aura plus à reprocher aux hommes des goûts aussi extravagans, qui révelent tout-à-la-fois l’insensibilité & la nullité de l’ame.