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Tableau de Paris/629

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CHAPITRE DCXXIX.

Feuilles périodiques.


Les journaux sont les trompettes de la renommée, les plus menteuses & les plus impudentes. Tel périodiste annonce un auteur comme un aigle ; l’autre le traite d’oison : le panégyrique & la satyre de l’écrivain paroissent le même jour. À qui s’en rapporter ? À soi-même ; lire l’ouvrage, & ne point demander bêtement à autrui ce qu’il en pense.

Le critique impartial & sans préjugés littéraires n’a point encore existé. Mais l’homme en état de produire ne se rabaisse point à analyser des ouvrages ; il en enfante.

Se fait journaliste qui veut, & l’écrivain le plus honni peut le lendemain honnir tous ses confreres.

Le ministere protege les petites feuilles satyriques, où les auteurs sont déchirés à belles dents, afin d’entretenir la rivalité, la haine & la jalousie entre les membres de la république littéraire. Il s’oppose par ce moyen à la paix & à l’union de la littérature.

Le public oisif retient les injures & les épigrammes, & oublie les talens & les vertus de l’auteur. Le ministere sent bien quelle prépondérance auroit la république littéraire sur les esprits, si l’estime universelle répondoit à ses travaux. Il tâche de lui ravir cette estime précieuse, & une foule d’aboyeurs, doués d’un esprit médiocre & d’une rage incurable, servent le ministere au-delà de ses espérances.

On ne doit jamais répondre aux journalistes, parce que l’ouvrage se défend de lui-même. Il ne faut qu’un peu de tems pour faire tomber les critiques les plus envenimées. Le silence du mépris est l’arme la plus sûre envers des rivaux dignes ou indignes. Rien de plus divertissant pour l’amour-propre des sots, que la guerre continuellement allumée parmi les auteurs. Tous ces esprits bornés, tous ces ignorans voient avec joie des hommes célebres se donner en spectacle.

En fait de goût d’ailleurs, quand on n’est pas d’accord sur-le-champ, plus on dispute & moins on se rapproche.

Mais le journalise veut-il louer ? il ne connoît plus que l’emphase. Un acteur vient-il à mourir ? le ridicule écrivain s’avance dans le Mercure de France, & dit : Ce n’est qu’un individu qui manque, & c’est une nation entiere à consoler ! Qui diroit-on qu’il regrette ? Un prince bienfaisant, un législateur, un héros protecteur de la patrie, un naturaliste du premier ordre ? Non, il s’agit de Lekain.