Tableau de Paris/669
CHAPITRE DCLXIX.
Animaux renfermés.
Plus les gens sont pauvres à Paris, plus ils ont de chiens, de chats, d’oiseaux, &c. pêle-mêle dans une petite chambre. On les sent avant que d’entrer. La plupart, malgré les défenses de police, élevent dans leurs taudis quantité de lapins qu’ils nourrissent avec des feuilles de choux ramassées dans les rues. Ils mangent ensuite ces lapins, & cette nourriture les rend pâles & jaunes. Ils vivent avec les races puantes qu’ils font pulluler tout exprès pour le service de leurs tables ; leur garenne est à côté de leur lit. De la boîte où ces lapins sont enfermés à la broche qui les fera rôtir, il n’y a pas une distance de quatre pieds. Les enfans respirent dans cette infection, & c’est la misere qui a fait imaginer à l’indigent cette fétide ressource. Quand le commis de la capitation arrive se bouchant le nez, on lui offre un lapin en paiement. Qui diroit que les lapins à Paris viennent sous les tuiles, le lapin animal terrier ?
Les tailleurs, les cordonniers, les cizeleurs, les brodeurs, les couturieres, tous les métiers sédentaires tiennent toujours quelqu’animal enfermé dans une cage, comme pour lui faire partager l’ennui de leur propre esclavage. C’est une pie resserrée dans une petite cage ; & la pauvre bête passe toute sa vie du matin au soir à sauter, à se remuer pour chercher sa délivrance. Le tailleur regarde la pie captive, & veut qu’elle lui tienne éternellement compagnie.
Toutes les femmes du peuple, sur-tout les vieilles demoiselles, ont des chiens qui font les ordures sur les escaliers, & l’on se passe mutuellement cette dégoûtante malpropreté, parce qu’on aime mieux à Paris avoir des chiens que d’avoir des escaliers propres.
Et ne voyez-vous pas de petites maîtresses fardées & bien mises, porter leurs petits chiens à la promenade & laisser leurs enfans à la servante ?
Quand le pauvre n’amene pas son chien de peur de le perdre, ou parce qu’il va trop loin, alors il l’enferme ; l’animal hurle douloureusement jusqu’à ce que son maître soit revenu : le repos des maisons voisines est troublé ; & le chien d’un gueux, si son maître est ignoré, se fera connoître, sur tous les tons, de tout un quartier.
Un autre tient à sa fenêtre un perroquet ; il faut que le voisin qui étudie l’histoire, la médecine ou la musique, ait dans l’oreille le bavardage ennuyeux & répété de cet animal.
Tous ces animaux, en trop grand nombre, ne contribuent ni à la salubrité ni au repos de la ville. La plupart des chambres en sont infectées ; mais ce qu’il y a de déplorable, c’est qu’ils partagent le pain destiné aux enfans du pauvre, qui semble les avoir adoptés à mesure que sa charge est plus grande.