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Tableau de Paris/683

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CHAPITRE DCLXXXIII.

Département de Paris.


Le département de Paris est un district qui réunit les choses les plus opposées. Il entre dans cette administration des détails variés, intéressans ; & il faut une grande souplesse d’esprit & d’imagination, pour embrasser, du premier coup-d’œil, les événemens singuliers qui naissent en foule. Rien donc n’étonne ou ne doit étonner celui qui est à la tête ; car les caractères des hommes se portent à tout, & le jeu des passions est vraiment incalculable. L’habitude de voir ces passions dans leur fougue ou dans leur perfidie, inspire donc une sagacité qui devient le résultat des crises journalières.

Le ministre chargé de ce département, n’a pas toujours le temps de délibérer ; il faut qu’il se décide sur le champ dans des matières quelquefois épineuses, & il faut cependant qu’il se préserve de la précipitation qui aveugle, & de la rigueur qui révolte.

Toutes les passions vindicatives & voilées assiégent ce ministre, parce que le redoutable pouvoir est entre ses mains ; & comme la vengeance s’étudie à se voiler du masque de la justice, & prend son temps pour assener plus sûrement ses coups, c’est avec promptitude qu’il doit reconnoître le véritable motif qui conduit les hommes vers lui : car, quel plus grand malheur que d’égarer l’autorité royale, & de lui prêter les couleurs de la tyrannie !

Ce ministre délivre les lettres de cachet, & il est chargé de l’opéra ; les châteaux terribles, les prisons d’état le regardent, ainsi que les pas de ballet. La maison du roi & le clergé entrent dans son administration ; il surveille un maître-d’hôtel fripon & un curé libertin. Le même jour, il mande une fille d’opéra, pour lui dire : pourquoi ne voulez-vous pas chanter ? S’il y avoit refus de sacremens, il diroit au prêtre : Pourquoi ne voulez-vous pas administrer le viatique ?

Ainsi les objets les plus disparates ressortissent à son tribunal ; le clergé, les chanteurs, les moines débauchés, & les danseurs, le régime des grandes & petites bastilles, & les tracasseries de l’opéra. Comment de pareils objets peuvent-ils être dirigés par la même tête ? Très-bien, parce que c’est par les oppositions, que l’on voit en grand, & que l’on apprend à juger des choses en politique, c’est-à-dire, relativement à l’ensemble.

Le département de Paris est une espèce de royaume, attendu que le gouvernement de la capitale a une très-grande influence, & qu’il s’étend au loin.

Aucun ministre n’est mieux placé pour supprimer un abus, pour faire pâlir un petit tyran, pour consoler un infortuné, pour remédier à un désastre. Eh ! n’est-ce point là un triomphe qui parle à la partie intime de notre être, & qui épanouit l’ame dans une rare volupté !

Sans ce ministre, la place de lieutenant de police pourroit devenir dangereuse aux citoyens. C’est lui qui, se conduisant par des vues plus amples & plus générales, modifie, selon les circonstances, la rigueur ou la foiblesse de cette branche d’administration.

De même que la foudre tantôt éclate dans les airs, & frappe à grand bruit, tantôt décompose en silence, ainsi la lettre de cachet, tantôt bruyante, retentit dans l’Europe, tantôt sourde, ouvre le secrétaire, ou plutôt le coffre d’un pauvre diable logé au quatrième étage ; quelquefois elle fait plus de peur que de mal, & quelquefois aussi l’homme qui en est atteint ne laisse plus de trace.

Qui le croiroit ? elle est serviable pour tel individu, elle devient une grace, elle l’enlève à la rigueur des loix, d’un tribunal qui, dans sa marche irréfragable, porteroit un jugement plus terrible que celui de la captivité.

Je reconnois donc dans une lettre de cachet tous les attributs violens & cachés de la foudre ; elle agit comme elle, elle imite son vol, & jusqu’à ses caprices ; ce foudre repose sur-tout entre les mains du ministre du département de Paris.

Ce qu’on a dit de plus ingénieux sur la bastille, c’est le conte suivant :

Deux prisonniers d’état admis à prendre l’air ensemble dans la cour, apperçurent un chien qui fesoit autour d’eux maints & maints sauts. Pourquoi ce pauvre animal est-il ici, dit l’un d’eux ? que fait-il dans ce château royal ? à sa place j’en sortirois bien. Oh ! dit l’autre, il est sans doute retenu de force. — Qu’auroit-il fait pour cela ? — Il aura mordu le chien du ministre ; — ou du sous-ministre, bien plus redoutable que le premier.

La ville capitale d’un grand royaume donne toujours le ton aux autres. C’est un petit état dans l’état même, & il est gouverné d’après l’esprit du gouvernement public.

Ainsi la ville de Paris est gouvernée d’une manière absolue. Le lieutenant de police y fait l’office de censeur public, & de commissaire-général des vivres. Son autorité ressemble, à bien des égards, à celle d’un général d’armée ; il punit, il emprisonne, il peut employer les voies les plus exactes & les plus rigoureuses pour prendre ses informations. Il tient cette grande ville sous une discipline journalière, & une espèce de corps d’armée est à ses ordres pour l’exécution de ses volontés, qui, en dépit de sa prudence, ne sont malheureusement pas toujours les siennes. Eh ! comment déméler le point exact de vérité dans un miroir à facettes ?

La forme du gouvernement décide donc la police qui règne dans une grande ville. La ville de Londres étant la capitale d’un pays libre, le maire y est le représentant du peuple, & le gardien de ses priviléges. Il est obligé de garantir à chaque citoyen ses immunités personnelles & civiles. À Amsterdam, toute l’application des bourguemestres & des échevins tend à encourager l’industrie, & à punir l’indolence. Ils ne doivent jamais abuser de la confiance de la bourgeoisie.

À Venise, centre d’un état aristocratique, l’esprit de la police aboutit à prévenir tous les mouvemens populaires ; & le conseil des dix met tout en œuvre de peur que la plus légère atteinte ne soit portée à la sûreté de l’état.

Le lieutenant de police de Paris use assez fréquemment de formes purement militaires. Que ne sont-elles toujours les meilleures, comme à coup sûr elles sont les plus promptes !