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Tableau de Paris/788

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(tome Xp. 104-108).

CHAPITRE DCCLXXXVIII.

Eaux de la Seine.


Quelqu’un disoit que la Providence avoit placé les belles rivières tout au milieu des grandes villes. Les premiers fondateurs de notre cité furent bien inspirés, en bâtissant de manière que la Seine coupe en deux Paris : & rien de plus précieux pour une grande ville, que son enceinte soit coupée par une rivière ; c’est un ventilateur perpétuel.

La salubrité constante de l’eau de la Seine est une chose démontrée, tant par les expériences chymiques, que par l’expérience heureuse de plusieurs siècles. L’eau de la Seine réunit toutes les qualités qu’on peut désirer : il faut seulement avoir l’attention de puiser l’eau à quelques distances des bords ; il suffit ensuite, pour qui boit l’eau de la Seine, de la laisser déposer dans un long vase de terre. Il aura de meilleure eau par ce moyen simple, que par tous les moyens vantés pour l’épurer & la clarifier.

C’est une erreur répandue dans les provinces, que celle qui attribue aux eaux de la Seine une insalubrité qui procure la diarrhée. La chymie, qui est faite pour réformer nos idées, nous dit que l’état de l’eau de la Seine, quoique trouble & désagréable à l’œil, est préférable à la transparence de certaines eaux, qui, pour la plupart, cachent sous cet extérieur des matières hétérogènes. Une transparence crystalline récrée la vue ; mais il faut savoir que plus les eaux sont filtrées & claires, plus elles sont dépouillées de cet air interposé qui constitue leur saveur & leur légéreté. Il ne faut que laisser reposer l’eau de la Seine pour la rendre salubre ; c’est la plus excellente des boissons. Elle est encore préférable, comme eau courante, à toutes les eaux limpides qui sortent des rochers helvétiques. L’eau bien claire n’est donc pas la plus salutaire, mais bien celle qui se trouve imprégnée d’une plus grande quantité d’air, qui fait sa qualité bienfaisante.

Les eaux de la Seine ont été calomniées ; mais pour guérir l’imagination qui, une fois blessée, rejette le raisonnement, il seroit à desirer qu’on obligeât les blanchisseuses d’établir leurs bateaux au-dessous de Paris. Il faudroit que les immondices ne se déchargeassent point au centre de la capitale, qu’on ne vît point un ruisseau large & noir comme le Styx, épais & limonneux, couler en face du collége Mazarin. La vue des égouts qui tombent dans la rivière, dispose à la critique ; & tout se monde ne sait pas que l’eau, l’air & le mouvement, régénèrent toutes choses, & que les eaux un peu troubles, je le répète, valent mieux que les eaux limpides.

Il ne faut jamais laisser reposer l’eau ni dans le plomb ni dans le cuivre ; ce qui occasionne des accidens que l’on attribue à l’eau de la Seine, vraiment bonne.

De gros tonneaux timbrés aux armes de la ville, armés de soupapes & de tuyaux de cuir, promènent cette eau dans les fauxbourgs & dans les villages circonvoisins. L’eau agitée par ce mouvement est plus salubre que celle qui passe par des canaux de bois ou de métal. On la puise avec la voiture, les chevaux & le muid au milieu du fleuve, précaution indispensable.

Malgré le fleuve large, quelques fontaines, deux pompes à feu, un grand nombre de porteurs d’eau, & de ces muids ambulans, on n’est pas encore venu à bout d’abreuver la capitale. L’ancien projet d’amener les eaux de l’Yvette va se réaliser, & il paroît préférable à ces pompes à feu, qui n’ont pas satisfait pleinement les Parisiens.