Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Costumes des Caufirs

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COSTUMES DES CAUFIRS.

Tout l’habillement des gens du commun chez les Caufirs noirs (Liposche), consiste en quatre peaux de chèvre ; deux servent de veste, et deux autres forment une sorte de jupon. Ces peaux ont leurs longs poils en dehors. Les bras restent nus. Le tout est assujéti autour du corps à l’aide d’une ceinture de cuir.

Ils ont la tête nue, à moins qu’ils n’aient tué un mahométan. Dans ce dernier cas, ils sont coiffés d’un turban ou d’un bonnet, tels qu’ils seront décrits plus bas.

C’est une coutume générale de se raser les cheveux à l’exception d’une longue touffe par derrière, et quelquefois de deux boucles qui pendent sur les oreilles. Quoiqu’ils aient une barbe de quatre à cinq pouces de long, ils se rasent les joues et les moustaches.

Les Caufirs opulens, et ceux qui avoisinent les frontières de Caboul, portent une chemise par-dessous leur veste. Cette même chemise compose en été tout leur habillement. Les grands ne font point faire leurs vêtemens avec des peaux de chèvres, mais avec une étoffe noire de coton, ou de poils d’animaux.

Quelques-uns s’habillent avec une étoffe de laine blanche que l’on fabrique dans le Kaushkaur, pays voisin. Ce vêtement se porte comme la tunique des montagnards écossais ; il descend jusqu’aux genoux, et s’attache avec une ceinture.

Ils portent aussi des pantalons de coton qui sont, ainsi que les chemises, brodés en fleurs de laine rouge et noire. Enfin, leurs bas sont de laine filée, tricotée, ou bien ils ont des bandes de la même étoffe roulées autour des jambes. Les guerriers ont des demi-bottes de peau de chèvre blanche.

Le costume des femmes se distingue fort peu de celui des hommes ; elles ont les cheveux relevés et attachés au haut de la tête, et se coiffent d’un petit turban. Leurs ornemens sont d’argent, ou de ces coquillages appelés cauris. Les jeunes filles se coiffent d’une rescille, ou filet rouge.

L’un et l’autre sexe ont des boucles d’oreilles, des anneaux suspendus au cartilage du nez et des bracelets d’argent, plus souvent d’étain ou de cuivre. On ne les porte point quand on est en deuil.

C’est dans, l’âge de puberté seulement que les hommes prennent ces ornemens ; leur famille donne à cette occasion un grand repas, et l’on pratique certaines cérémonies.

Souvent les maisons des Caufirs sont de bois ; on y garde dans les caves le fromage, le beurre clarifié, le vin et le vinaigre. Dans chaque maison est toujours un banc de bois à dossier, fixé contre la muraille. Les chaises sont faites comme des tambours, mais plus étroites au milieu que par en haut et par en bas. Les tables sont faites de la même manière. En partie par habitude, en partie à cause de leur costume, les Caufirs ne sauroient s’accroupir comme les autres Asiatiques. Sont-ils forcés de s’asseoir à terre, ils étendent les jambes comme les Européens. Ils ont aussi des lits formés d’un châssis de bois, et de courroies qui servent de sangles ; enfin, outre les chaises dont je viens de parler, ils ont des tabourets dont le fond est d’osier.

Presque toute leur nourriture consiste en fromage, en beurre, en lait, en pain, et en un mets qui se prépare avec du suif, et ressemble au pudding des Anglais. Ils mangent aussi quelquefois de la viande, mais ne l’aiment qu’à moitié cuite. Leurs fruits sont les noix, le raisin, les pommes, les amendes, et une espèce d’abricot sauvage. Toujours ils se lavent les mains avant de manger, et récitent une prière d’actions de grâces. La passion pour le vin est extrême chez les deux sexes. Ils en ont quatre sortes : le rouge, le blanc et le pourpre foncé ; enfin une quatrième espèce, qui a la consistance d’une gelée, et qui enivre promptément.

Ils boivent leur vin, soit pur, soit trempé, dans de larges coupes d’argent, qui sont leurs meubles les plus précieux.

L’ivresse les rend gais, mais point querelleurs ; aussi exercent-ils l’hospitalité d’une manière fort intéréssante. Tous les habitans d’un village accourent au-devant d’un étranger, se chargent de ses bagages, et le conduisent avec politesse dans le lieu destiné à le recevoir. À peine installé dans cette maison il reçoit la visite de toutes les personnes considérables ; on l’invite partout à boire et à manger.

Un défaut commun parmi eux, c’est l’oisiveté ; ils vont un peu à la chasse, mais pas autant que les Afghans ; la danse est leur amusement favori.

Leurs danses sont rapides ; elles consistent en toutes sortes de gesticulations des bras, des épaules et de la tête ; les guerriers brandissent leurs haches d’armes d’un air menaçant. Les personnes de tout âge, de tout sexe, se livrent à ce plaisir. Quelquefois on forme un cercle d’hommes et de femmes entremêlés, qui s’arrêtent de temps en temps pour battre la mesure avec les mains ; ils se mettent ensuite à sauter et à continuer leur ronde.

Pendant toute la danse ils frappent violemment la terre du pied. Leurs seuls instrumens sont le tambourin et la flûte, mais souvent les danseurs y mêlent leurs voix. Cette musique est, en général, vive, mais variée et peu savante.

Un de leurs traits caractéristiques, c’est leur haine pour les Musulmans avec qui ils sont perpétuellement en guerre. Il est vrai que fréquemment de foibles partis mahométans font des incursions sur leur territoire pour enlever des esclaves ; et quelquefois ils ont entrepris des expéditions plus importantes.

Il y a trente ans, il se fit contre les Caufirs une croisade générale. (Si l’on peut se permettre cette expression.)

Le khan de Budukhshaun, le padischah de Couner, le bauz de Bajour, et plusieurs chefs des Eusofzyes se liguèrent en cette occasion, et pénétrèrent au cœur du Caufiristan. Malgré ce succès, ils ne purent s’y maintenir, et furent obligés d’évacuer ce pays avec une perte considérable.

Les armes des Caufirs sont un arc de quatre pieds et demi de long, avec une corde de cuir, et de légères flèches de roseau à pointes barbelées, qu’ils empoisonnent quelquefois.

Ils ont du côté droit un poignard d’une forme singulière, et à gauche un couteau bien tranchant. Presque toujours ils se munissent d’un briquet et d’une certaine écorce, qui fait de l’amadou excellent. Ils commencent à emprunter des Afghans, leurs voisins, l’usage des sabres et des armes à feu.

Quelquefois ils attaquent ouvertement leurs ennemis, mais le plus souvent ils cherchent à les surprendre, ou à leur dresser des embuscades. Au surplus ils s’exposent aux mêmes désastres en négligeant de poser des sentinelles pendant la nuit.

Souvent ils entreprennent des expéditions lointaines et difficiles, et ils ont tout ce qu’il faut pour y réussir, car ils sont naturellement lestes et pleins d’activité. Quand on les poursuit de près ils détendent leur arc, et s’en servent comme d’un bâton pour faire des sauts étonnans d’un rocher à un autre.

Mollah-Nujib a vu les guerriers de Caumdaisch partir pour une expédition contre une autre tribu. Les riches avoient leurs plus beaux habits, et quelques-uns des bonnets de fil noir, avec autant de cauris qu’ils avoient tué de musulmans à la guerre. Ils entonnèrent en marchant une chanson de guerre, où l’on remarquoit fréquemment les mots chéra-hi, chéro-hi, mahrach. Lorsqu’ils ont surpris un ennemi sans défense, un coup de sifflet sert de signal, et l’on chante un air guerrier, dont le refrain, répété en chœur, est : ushro-ou-ushro. Dans ce cas, ils ne font de quartier à personne.

Tuer des musulmans, voilà en quoi ils font principalement consister la gloire. Un jeune Caufir est privé de certains privilèges jusqu’à ce qu’il ait fait un pareil exploit ; et on l’excite par l’appât des plus flatteuses distinctions à le répéter le plus souvent qu’il lui est possible.

Dans les danses solennelles de la fête du Numminaut, chaque homme porte une sorte de turban dans lequel sont implantées autant de plumes que de musulmans ont été mis à mort par lui. Le nombre des grelots qu’il porte à son habit est déterminé de la même manière ; et il n’est point permis à un Caufir qui n’a pas tué son homme, de brandir, en dansant, sa hache autour de sa tête.

Ceux qui ont tué des sectateurs de Mahomet sont visités et félicités par leurs amis : ils ont en outre le droit de porter sùr la tête un petit bonnet de laine qui ressemble à une cocarde.

Lorsqu’ils en ont tué plusieurs, il leur est permis de planter devant leur porte une longue perche à laquelle on attache un clou pour chaque homme mis à mort, et un anneau pour chaque homme blessé.

On juge aisément qu’avec de tels encouragemens pour massacrer les ennemis de cette religion, les Caufirs ne font pas souvent de prisonniers. Lorsque par hasard un infortune musulman se laisse surprendre, on l’amène en triomphe dans le village ; on fait un grand repas, et l’on met le prisonnier à mort avec beaucoup de cérémonies. Il est probable qu’on le sacrifie aux idoles.

Néanmoins les Caufirs concluent par fois des traités de paix ou de trèves avec les musulmans. Leur manière de faire la paix n’est pas moins bizarre que celle de faire la guerre. On tue une chèvre dont on fait cuire le cœur. Le Caufir en mange la moitié, et donne le reste au musulman. Les deux contractans se mordent ensuite doucement l’un l’autre à la région du cœur, et le traité est conclu.

Bien que les persécutions des musulmans les aient exaltés jusqu’à la fureur, les Caufirs n’en sont pas moins un peuple doux, affectueux et bienveillant. S’ils sont prompts à s’irriter, ils s’apaisent aussi facilement. Ils sont gais, badins, et mènent une vie sociable et joyeuse. Les mahométans eux-mêmes éprouvent leur bonté lorsqu’ils les ont reconnus pour leurs hôtes. Mollah-Nujib eut un jour besoin de la protection de plusieurs Caufirs contre un de leurs compatriotes, qui étoit ivre ; jamais il ne fut insulté ni menacé, pour cause de sa religion, par aucun homme qui fût dans son bon sens.

Telle est la substance des informations que je me suis procurées sur une peuplade si peu connue ; je n’ai pas cru ces détails déplacés après la description du royaume de Caboul.

FIN.