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Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Culte des Caufirs

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CULTE DES CAUFIRS.

Leur religion ne ressemble à aucune autre. Ils croient en un seul dieu, qu’ils appellent Imra, ou Tsokoui-Daguri ; mais ils adorent une foule d’idoles qu’ils disent représenter des héros des temps anciens ; ils espèrent toucher la divinité par leur intercession.

Ces idoles sont de pierre ou de bois ; elles représentent des divinités mâles ou femelles, soit à pied, soit à cheval.

Moullah-Nujibe a vu dans la salle publique au village de Caumdaisch, une colonne de bois sur laquelle étoit la figure d’un homme assis tenant une lance d’une main, et un bâton de commandement de l’autre. L’idole représentoit le père d’un des anciens chefs du village, lequel s’éloit érigé à lui-même cette statue de son vivant, et en avoit acheté le privilége en donnant de grandes fêtes au village entier. Ce n’est point le seul exemple, que l’on cite parmi les Caufirs, d’apothéoses de ce genre : il paroît facile, en pratiquant l’hospitalité, celle des vertus à laquelle ils attachent le plus de prix, d’entrer dans leur paradis, qu’ils appellent Burry-li-Boula. Les hommes vicieux vont dans l’enfer qu’ils nomment Burry-Duggur-Boula.

Chaque tribu a ses divinités inférieures particulières.

Les principales idoles des Caumdaisch sont : Bugesh, le dieu des eaux ; Mauni, qui a chassé du monde Yoush, ou le malin esprit ; sept frères, nommés Paradik, qui sont sortis d’un arbre d’or, et qui avoient le corps tout entier de ce précieux métal ; et sept autres frères, nommés Purrou, également d’or. Ils révèrent aussi, sous le nom de Koumye, une femme dont l’histoire offre beaucoup de rapports avec celle d’Adam et d’Ève.

Quant aux divinités des Tsoukoui, l’Indou, dont j’ai parlé plus haut, leur a trouvé une ressemblance exacte avec celles de son pays ; il prétend que les Caufirs invoquent, quand ils se rencontrent, le nom de Schi-Mahadio, comme les Indous ; mais cela ne peut se concilier avec d’autres circonstances. En effet, les Caufirs mangent du bœuf, et cela seul établiroit entr’eux et les Indous une ligne de démarcation ; ils arrosent leurs idoles avec du sang, même avec du sang de vache ; enfin, le feu joue un grand rôle dans tous leurs rites.

Mollah-Nujib fut témoin d’un sacrifice au dieu Imra. On le célébra à quelque distance du village, dans un endroit où se trouvoit une pierre informe qui, suivant le mollah, offre quelque ressemblance avec Mahadio, divinité indienne.

En voici les détails[1] :

Il existe, sous le nom de Irmtam, ou pierre sainte, un bloc de quatre pieds de hauteur, et de la grosseur d’un homme ; derrière et au nord s’élève une muraille ; il n’y a pas d’autre temple. La pierre représente la divinité, dont les Caufirs disent connoître l’existence, mais non pas la figure.

Du côté méridional on allume un feu de branches de pin ; on les brûle vertes exprès, afin qu’elles donnent une épaisse fumée[2]. Un prêtre ou

ota se tient debout devant le feu ; les adorateurs sont rangés derrière lui. On apporte d’abord au célébrant de l’eau pour laver ses mains : il en prend un peu dans sa main droite, et la jette par trois fois sur l’irmtan, de manière à ce qu’elle traverse la flamme. Il répète à chaque fois le mot souch, qui signifie pur. Il répète ce même mot en aspergeant la victime, qui est d’ordinaire une chèvre ou une vache, et il dit, en s’adressant à la divinité : Accepte-tu le sacrifice ? À ces mots il verse de l’eau dans l’oreille gauche de la victime. Si l’animal, en secouant sa tête, la dirige vers le ciel, on reconnoît que le sacrifice est agréable à Dieu, et les assistans en témoignent une vive alégresse. On fait ensuite la même cérémonie pour l’oreille droite, puis on asperge la victime sur le front et sur le dos, en répétant toujours le mot souch.

Le prêtre se tournant alors vers le feu, où il place de nouvelles branches, jette à travers une poignée de farine de froment qui tombe sur la pierre. Cette farine est considérée comme devenant une partie de la divinité. On offre de la même manière du beurre qui devient aussi une portion de Dieu. Le prêtre dit à haute voix, et les assistans répètent : hé-oumouch, c’est-à-dire : c’est accepté.

Cela fait, le prêtre égorge la victime, reçoit le sang dans ses deux mains, en verse un peu sur le foyer, et répand le reste sur la pierre à travers la flamme. On tord le cou de l’animal, et on le jette dans le feu ; une coupe pleine de vin est apportée ; on en fait une libation dans la flamme, et le reste sert à arroser l’imrtan.

Au sacrifice succèdent des prières et des invocations dont voici le sens : « Dieu nous garde de la fièvre ! Mort aux musulmans ! Puissions-nous après la mort être admis dans le saint paradis ! » Et l’on répète par trois fois : hé-oumouch !

Le prêtre fait venir devant lui un pouscha c’est-à-dire un homme soi-disant inspiré ; il lui fait enfoncer la tête dans la fumée et lever les yeux vers le ciel, en répétant avec les assistans, par trois fois : Hé-oumouch.

Enfin, chacun des assistans porte ses doigts à sa bouche, les baise et les porte ensuite à ses yeux et au sommet de la tête, après quoi on s’assied à la ronde. On met alors sur le feu le sang de la victime avec un peu d’eau, et on le verse sur la victime elle-même, que l’on retire bientôt à moitié crue pour la manger. Si c’est une vache qu’on a immolée, les morceaux en sont partagés entre tous les assistans, qui les emportent chacun chez soi. Dans tous les cas, le prêtre en a une double part. Durant ! e repas on boit, à petits coups, du vin mêle d’eau, fourni par la personne qui a offert la victime.

La cérémonie se termine en brûlant les os de l’animal qui a été sacrifié.

Quand c’est une vache qu’on immole, on la frappe d’un seul coup de hache sur le front, et elle meurt aussitôt.

Les cérémonies sont les mêmes lorsque l’on sacrifie à une idole représentant quelqu’une des intelligences secondaires.

Tantôt on fait les sacrifices en plein air, tantôt dans des maisons appelées Imr-Umma.

Quoique le feu, allumé avec les branches d’un arbre particulier, soit une partie nécessaire de tous les rites religieux, il ne paroît cependant pas qu’ils rendent un culte spécial à cet élément, ni qu’ils entretiennent un feu éternel. On place indistinctement les idoles à l’un des quatre points cardinaux. Mollah-Nujib n’a pas pu nous dire si, dans tous les Imr Tans et dans les Imr-Ummas les adorateurs se tournent constamment vers le nord[3].

Leurs prêtres sont héréditaires, mais ne jouissent pas d’une grande influence.

Ils ont aussi des personnes qui prétendent recevoir l’inspiration de la divinité, en exposant quelques instans leur tête à la fumée d’un sacrifice ; mais elles ne sont l’objet d’aucune vénération.

Les Caufirs détestent la chair de poisson, mais aucun autre animal ne leur paroît immonde ; ils mangent volontiers du mouton, du bœuf, de la chair d’ours, et tous les alimens qu’ils peuvent se procurer[4].

  1. Je suis étonné qu’un homme aussi instruit que M. Elphinstone ait laissé un peu de vague sur ce chapitre, et n’ait pas recherché si les Caufirs ne seroient point ces Parsis ou ces Guèbres, adorateurs du feu, dont parlent Chardin, Tavernier, Franklin, et d’autres voyageurs. Ces Guèbres ont des colonies dans l’Inde et dans d’autres lieux hors de la Perse ; ils pourroient bien en avoir une dans le Caufiristan.

    Chardin nous dit que Guèbres ou Guebran vient du mot arabe gaur, qui signifie infidèles ; on a vu plus haut que telle est aussi la signification de Caufir, et c’est de ce même terme qu’est venu le nom de Cafres, donné à certains peuples de l’Afrique.

    Si les Caufirs sont en effet du nombre de ces ignicoles, dont la religion s'est perpétuée depuis Zoroastre, il faudroit en conclure qu’ils descendent, non des soldats d’Alexandre mais au contraire des sujets de Darius.

    Ce n’est pas que plusieurs points du récit de Mollah-Nujib ne contrarient ce que l’on sait des Guèbres. Tel est, par exemple, le culte du feu ; notre auteur dit expressément que les Caufirs ne paroissent pas adorer cet élément ; mais Chardin lui-même n’est pas moins embarrassé d’expliquer la doctrine des Guèbres à cet égard ; il dit en propres termes :

    « Tout le monde généralement croit qu’ils adorent le feu ; cependant il est fort difficile de faire qu’ils s’expliquent bien là-dessus, et de savoir si ce culte qu’ils lui rendent est relatif ou direct… Il n’y a pas moyen de voir ni leur autel, ni leur service ; ce qui me fait croire que tout ce qu’ils disent de cet ancien feu, qui brûle toujours, est une pure illusion ; car je n’ai jamais vu d’homme qui ait osé m’assurer qu’il l’eût vu.

     » Enfin, tout ce qu’on en peut apprendre est si mal fondé, qu’il est aisé de juger qu’il n’y a rien de certain dans tout ce qu’on en dit. »
    (Note du Traducteur.)
  2. J’avoue que sur ce point Chardin dit tout le contraire. Après avoir annoncé que les Guèbres adorent un prétendu feu éternel, dont ils n’indiquent pas le lieu avec exactitude, il ajoute :

    « Quant au feu commun, le culte que les Guèbres lui rendent consiste disent-ils, à l’entretenir d’une matière qui ne fasse point de fumée ni de puanteur, etc. »

    Mais Chardin, comme on voit, ne parle que par ouï-dire et il seroit possible d’ailleurs que, dans le Caufiristan, la nécessité eût fait adopter une méthode différente.
    (Note du Trad.)
  3. Au risque de fournir des armes contre mon système, je dois convenir que chez les Guèbres dont parle Chardin, ce seroit précisément le côté du nord qu’on éviteroit.

    « Ils se tournent vers le soleil quand ils prient, dit ce voyageur, et prétendent que toute oraison qui n’est pas faite les yeux tournés au soleil est une idolâtrie et un faux service. »
    (Note du Trad.)
  4. « À l’exception du bœuf et de la vache, dit Chardin, ils mangent de toutes sortes de chairs, de quelques mains qu’elles soient apprêtées. »

    « Les Guèbres, dit-il ailleurs, ont une opinion fort contraire à celle des Indous ; car ils croient que non-seulement il est permis de tuer les insectes et tous les autres