Tablettes d’un mobile/26

La bibliothèque libre.
◄  Un concert
La curée  ►


LE DÉFILÉ.

Versailles, mai 1871.



Je les ai vus passer, sombres, sales, hideux,
Tête nue, en lambeaux, enchaînés deux par deux,
Enfants de dix-sept ans et vieillards de soixante ;
Cette écume sans nom qui bouillonne et fermente
Dans l’immense creuset de la société,
Aux effluves du vice et de l’oisiveté,
Où marchent côte à côte, en s’unissant peut-être,

La débauche qui meurt et celle qui va naître.
Ils viennent lentement, honteux, baissant les yeux ;
Quelques-uns cependant, surtout parmi les vieux,
Tiennent haute la tête, et, pâles d’impudence,
Semblent contempler tout avec indifférence.
Quelques femmes enfin, aux regards hébétés,
Soutiennent des blessés, rudement cahotés
Dans un grand char-à-bancs, qu’une escorte protége.
Et chaque citoyen, voyant l’affreux cortége,
S’indigne, et tristement se répète à part lui :
« Les voilà cependant nos tyrans d’aujourd’hui ! »