Tandis que la terre tourne/Chaque jour je viendrai

La bibliothèque libre.


CHAQUE JOUR, JE VIENDRAI…


Chaque jour je viendrai d’un cœur qui se recueille
T’apporter mon amour en branche d’aubépin
Et, dévote d’avril au rosaire de feuilles,
Je te ferai, veux-tu, l’offrande de ma main
Où l’ongle a le poli d’un mauve scarabée,
De mes bras effilés comme des roseaux grecs,
De ma robe secrète en calice étalée,
De mes dents d’animal et de mon petit bec.
Tu souriras m’ouvrant comme un bouddha fétiche
Trente bras amoureux pour toute m’y blottir

Et tu me choisiras des miels dans la potiche
Chinoise où les gazons sont divins de bleuir.
J’aurai l’air de jeter des roses sur tes livres
Et d’avoir habité le bouquet des pommiers
Depuis mon premier jour en m’amusant de vivre.
Pourtant, mes yeux auront les regards inquiets
Des lézards argentés rencontrés dans les plaines
Et somnolents encor de rayons imbibés.
Les brins du peuplier qui découlent de laine
Et les raisins oblongs de poussière nimbés
Prendront entre mes doigts des grâces si troublantes
Que pensant caresser la moiteur de ma main
Ta lèvre pressera la grappe encor brûlante
Et ces duvets fleuris pour l’oiseau du chemin.
Je serai pour ta joie avec mon pas qui glisse,
Mes chants légers, mon goût des sucres englués,
L’avette de Ronsard friande de mélisse
Qui voltige en semant des ronrons aigrelets.
Puis, de mes longs cheveux la moisson répandue,
Je pleurerai l’instant vécu loin de tes yeux,
La minute d’oubli pour ton âme perdue,
L’inconstance d’avoir humé le vent joyeux,

D’avoir en regardant une abeille quêteuse
Ri sans me souvenir que tu n’étais pas là,
D’avoir été d’aurore et de fleurs presque heureuse
Tandis que le pollen mariait les lilas ;
Je me reprocherai l’écart d’une pensée,
Un regard trop hardi jeté sur un passant ;
Car pour toi je me veux aussi pure et fermée
Qu’une étoile de lait qui sur la nuit descend.