Tandis que la terre tourne/L’été danse au jardin

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L’ÉTÉ DANSE AU JARDIN


La nuit ouvre son vaste et morne papillon
Cloué d’épingles d’or sur le mur du silence ;
Dans le calme on n’entend que la pulsation
De la terre qui roule et nous prend dans sa danse ;
Mais l’aube de rosée, un oiseau sur son cœur,
Va revenir demain, choquant ses castagnettes,
La lune effacera sa courbe de lueur :
Glissons d’un pas léger sur les herbes secrètes.

La vieillesse est si loin, tant de coquelicots
Ont encore à fleurir en défripant leurs langes.
Il faut que les vergers crottent les abricots,
Que la tonte du blé précède les vendanges ;
Puis, l’hiver passera courbé sous un fagot,
La bûche flambera comme un soleil en chambre ;
On n’aura pas le temps d’accrocher ses sabots
Que Mars blond et mouillé groupera sa fleur d’ambre.

Tournons dans le rondeau gracieux des saisons
Tandis que nos moutons paissent le foin qui pousse ;
Peut-être que les loups préfèrent le gazon
Aux agneaux et le manger tendre de la mousse.
Ignorons la rafale et ses vols de corbeaux,
La vigne qui paraît au mur crucifiée,
La rose larmoyante au-dessus des tombeaux,
La clé du cimetière avec sa voix rouillée.
Pourquoi nourrir un cœur creusé par les frelons ?
Heureux ceux dont la tête est vide de pensées,
Heureux le roi biblique entre ses étalons
Caparaçonnés d’or et de franges pressées ;

Heureux ses lourds colliers dans leur morte clarté,
Heureux qui met sa chair au soleil et l’y gonfle
D’un puéril orgueil et d’un sucre d’été
Comme l’insecte noir qui butine et qui ronfle.

Ah ! tandis que s’en vont les vagues de la mer
Vers un horizon bleu qui sans cesse recule,
Restée à m’attendrir sous les rayons amers,
Je tombe dans la nuit de tout animalcule.
Avec le bruit feuillu d’un arbre balancé,
L’été danse en ployant son ombrelle de lierre
Et je piétine au creux du trèfle rebroussé
Dans la cloche d’azur qui prend toute la terre.