Tandis que la terre tourne/Le cerisier d’avril

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LE CERISIER D’AVRIL


Ouvre tes bras fleuris au printemps butineur,
Cerisier, blanc harem, longs couloirs de senteur
Où l’indolent soleil s’étire comme à l’aube
Devant le jeu goulu du frelon qui dérobe
Le miel encor laiteux dans les boutons éclos.
Des lucarnes d’azur où chantent les oiseaux
Percent de leur fraîcheur ce palais de pétales
Dont les fleurs en bouquets pressent leurs têtes pâles,
Frémissent de soleil, d’abeilles et d’amour
Et versent un pleur rose avec le petit jour.

À midi, c’est une rumeur sourde et sûrette,
L’antenne et le pistil se croisent et se guettent,
Les gorges de parfum ont un souffle attiédi ;
Les hannetons lourdauds au désir engourdi
Y laissent choir leur vol qui titube et qui grince,
La libellule joue avec la guêpe mince
Et les papillons mous dans leur désordre ailé
Frôlent négligemment le festin corollé,
À peine plus vivants que les fleurs dans la brise.
L’écorce a le luisant d’une brune cerise
Et monte serpentine entre les floraisons.
Un rameau s’inclinant, pâmé dans sa toison,
Touche l’herbe et surprend le secret de la terre ;
Les rayons au travers passent leur flamme claire
Comme ceux que l’on voit percer la nue au ciel.
Ô bouquet de candeur, léger gâteau de miel !
L’abeille court, s’affole aux houpettes sucrées,
Trousse le jupon court des danseuses poudrées,
Vibre et semble un battant au cœur d’un clocheton,
Muse comme un amant sur un petit téton,
Puis vole chantonnante à sa ruche de paille.
Toute l’ardeur du jour ici glane et travaille ;

C’est un monde enfantin avec un remuement
De pétales, d’oiseaux, d’insectes et de vent.
Le silence, le soir, s’avance à pas d’eunuque
Et fait tomber sans bruit quelque étoile caduque
Sur cet arbre nocturne où l’allégresse dort.
La lune amarre là son petit bateau d’or
Et son esprit errant en une vapeur blonde
Soupire sur les fleurs que sa lumière inonde.
La chouette miauleuse et qui n’a pas sommeil
Croit que le cerisier a rêvé du soleil
Quand la lune s’en va sereine et que les branches
Replongent dans la nuit leurs masses d’ombres blanches.