Tant mieux pour elle/Chapitre 1

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Romans et contes, première partie (p. 177-180).


CHAPITRE PREMIER

Qui promet plus qu’il ne tient.


Le Prince Potiron étoit plus vilain que son nom ; le Prince Discret étoit charmant ; la Princesse Tricolore étoit plus fraîche, plus brillante qu’un beau jour de printemps : elle détestoit Potiron, elle adoroit Discret, et fut forcée d’épouser Potiron. Tant mieux pour elle.

Il n’y a point d’art dans cette façon de conter. On sait le dénouement en même temps que l’exposition ; mais on n’est pas dans le secret du Tant mieux, et c’est ce que je vais développer avec toute la pompe convenable à la gravité du sujet.

Potiron, quoique laid, sot et mal fait, n’étoit pas légitime : sa mere étoit si exécrable, qu’aucun homme n’avoit eu le courage de l’épouser ; mais sa richesse lui tenoit lieu de charmes : elle achetoit ses Amans, et n’avoit d’autre arithmétique que le calcul de son plaisir ; elle le payoit selon le temps qu’elle se goûtoit ; elle ne donnoit jamais que des à-compte, et Potiron avoit été fait à l’heure.

Il avoit la tête monstrueuse, et jamais rien dedans ; ses jambes étoient aussi courtes que ses idées ; de façon que, soit en marchant, soit en pensant, il demeuroit toujours en chemin ; mais comme il avoit ouï dire que les gens d’esprit font des sottises et n’en disent guere, il voulut trancher de l’homme d’esprit ; il résolut de se marier.

Madame sa mere, la Fée Rancune, rêva longtemps pour savoir à quelle famille elle donneroit la préférence de ce fléau, et son choix s’arrêta sur la Princesse Tricolore, fille de la Reine des Patagons. Cette Reine méprisoit son mari et ne se soucioit pas de ses enfans, faisoit grand cas de l’amour et peu de ses Amans : elle avoit plus de sensations que de sentimens ; elle étoit heureusement née. Un an après son mariage,elle mit au jour un Prince qui promettoit beaucoup. Il s’éleva dans le Conseil une grande discussion au sujet de son éducation. Le Roi prétendoit qu’à titre d’étranger, il avoit le droit de mettre son fils au College des Quatre-Nations. La Reine s’ y opposa ; le Roi insista ; la Reine répliqua ; l’aigreur se mit de la partie ; et le petit Prince, qui vraisemblablement avoit un bon caractere, mourut pour les mettre d’accord.

La Reine, qui vouloit renouveler la dispute, se détermina à avoir un autre garçon : elle en parla à ses amis ; elle devint grosse, elle en fut enchantée ; elle n’accoucha que d’une fille, elle en fut désespérée. On délibéra long-temps pour savoir comment on nommeroit cette petite Princesse. La Reine alors n’avoit que trois Amans, dont l’un étoit brun, l’autre blond, le troisieme châtain. Elle donna à sa fille le nom de Tricolore ; ce qui prouve que cette Majesté avoit une grande idée de la justice distributive. Le Roi, qui n’étoit pas un bon Roi, parce qu’il n’étoit qu’un bon homme, crut ouvrir un avis merveilleux, en proposant de conduire sa fille dans une maison de Vierges. La Reine le contraria, et dit qu’elle ne le vouloit pas, de peur que sa fille ne connût les ressources avant de connoître le plaisir. Le Monarque ne répondit rien, faute de comprendre. J’imagine qu’il ne fut pas le seul ; mais on vit sourire cinq ou six Courtisans, ce qui fit croire qu’ils y entendoient finesse. Il y a des sots qui sont heureux au rire ; le hasard les sert souvent comme des gens d’esprit.

Tricolore fut élevée à la Cour ; elle eut le bonheur de plaire, parce que personne ne lui en enseigna les moyens : on négligea son éducation ; on ne se donna pas la peine de gâter son naturel : elle étoit simple, naïve, ne se croyoit pas aimable, et cependant désiroit qu’on l’aimât beaucoup. Les femmes la trouvoient bornée ; les hommes lui jugeoient des dispositions ; et la Reine, qui commençoit à en être jalouse, crut qu’il étoit temps de la marier, et de l’envoyer dans les pays étrangers. On la fit mettre dans les petites Affiches : on va voir ce qui en arriva.