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Texte établi par Jean-Baptiste Le Mascrier, Pierre Gosse (Tome IIp. 276-348).


EXTRAIT

Des cinq Dialogues faits à l’imitation des Anciens, par Oratius-Tubero (Lamotte-le Vayer) Tome 1. Francf. 1716. p. 146. & suiv.



Les Portugais ont trouvé aux Indes Orientales leur Pescadomuger[1] si ressemblant à la femme, qu’ils lui en ont donné toutes les fonctions. C’est le même poisson avec lequel les Negres de Mozambique disent se rafraîchir grandement, en en abusant même étant mort. Ce qui me fait encore douter qu’il pourroit être aussi le même que Agatarchides appelle Œthiops[2], & lequel au commencement les Pêcheurs, dit-il, ne vouloient ni vendre ni manger, à cause de sa forme & ressemblance humaine. A quoi les Syrenes & Nereïdes des Anciens semblent pouvoir bien être rapportées[3] ; & peut-être ce que Nicolo Conti nous conte, qu’en la rivière qui passe à Cochin[4], il se trouve des poissons de forme si humaine, qu’étant pris, comme ils sont souvent, on y remarque jusqu’à la différence du sexe aux mâles & aux femelles toute pareille à la nôtre ; ajoûtant qu’ils ont bien l’industrie, sortant de l’eau la nuit, de tirer du feu des cailloux qu’ils trouvent, & en allumer du bois, à la lueur duquel ils prennent les autres poissons qui y accourent.

Les Uros d’Acosta qui habitent la grande Lagune Titicaca[5], se disoient n’être pas hommes, mais Uros seulement ; & à la verité il nous les décrit comme une différente espéce d’hommes aquatiques. Sur quoi je ne puis me retenir de vous répéter ici la pensée d’un des plus sublimes & métaphysiques esprits de ce tems, qui s’étoit persuadé que le genre humain étoit originaire de quelques Tritons ou femmes marines ; soit qu’il eût égard à l’opinion de Thalès, qui tenoit l’eau pour le seul élement de toutes choses :

Oceanum Divûm Genesim, Tethymque parentem.
Homer.

Soit qu’il regarde les Cataclismes ou déluges universels, après lesquels ne restant plus que les animaux Aquatiques, il crut que par succession de tems ils se faisoient amphibies, & puis après terrestres tout à fait ; son opinion se trouvant aussi fort authorisée de celle des Egyptiens dans Diodore Sicilien[6], qui tenoient l’homme, lacustre animal & paludibus cognatum… ex naturæ qualitate ac lævore conjectantes, & quòd humido magis quàm sicco nutrimento indigeat.


ENTRETIEN PREMIER.

Copie du Mémoire dont il est parlé tom. 1. p. 120. de M. de Ruttaut Gentilhomme Lorrain, résident à présent à S. Domingue, qui a été trois ou quatre années auprès de moi en Egypte, & dont on reconnoîtra l’esprit & l’éloquence par cette Lettre.



Il y a peu de personnes en Amérique qui ayent fait ouvrir autant de terres que moi, parce que j’ai fait travailler, tant en terre ferme aux fortifications qu’à la construction de 123 Moulins à eau à la Martinique, à la Grenade, à la Guadeloupe & à S. Domingo. J’ai été obligé de faire des escarpements de plus de cinquante pieds de profondeur & des excavations de plus de trente, comme aussi pour avoir percé deux petites montagnes, ayant laissé plus de cent pieds de terre ferme au-dessus pour faire la conduite des eaux.

J’ai trouvé dans presque tous les fouillements que j’ai faits, des traces de la mer, ou des renversements de terre épouvantables causés par des feux souterrains ou par un bouleversement universel. « J’ai ouvert des rochers, avec des mines, où j’ai trouvé des coquillages de toutes les espèces, du sable de mer & des bois tellement pétrifiés & unis les uns avec les autres, que les meilleurs ferrements à peine pouvoient y entrer. Ce n’est pas dans un lieu seulement où j’ai fait ces remarques. »

J’ai trouvé des Isles entieres composées de toute sorte de coquillages, de sable & d’autres choses que la mer produit ; & ce ne peut être que par des efforts que la terre aura faits, causés par des tremblements ou des feux souterrains, que ces Isles ont sorti de dessous ses eaux où elles étoient, ou par l’abaissement de ces eaux.

Je viens à présent d’un quartier de S. Domingue nommé Jaquemel, où j’ai fait un Canal de quatre milles & plus de pas, où j’ai été obligé de faire sauter pendant plus de quatre cents pas des rochers à 500 pieds ou environ au-dessus du niveau de la mer ; « j’ai trouvé dans tous les rochers des herbes produites par la mer, de toute sorte de coquillages, des bois & du sable. La même composition de tous les Rochers, comme je viens de le dire, ne se trouve pas dans un lieu seulement, mais partout. Car j’ai été exprès dans d’autres endroits. » Pour l’éxamen des pierres, j’ai trouvé que les unes & les autres étoient uniformes dans leur composition ; d’où j’ai conclu que la mer avoit précédemment couvert & long-tems la surface aujourd’hui aparente de notre Globe, continents comme Isles, & qu’ils sont sortis les uns & les autres de son sein, après y avoir été fabriqués d’elle-même par alluvion ou autrement : je ne voyois rien en général dans la composition des terreins, qui ne me prouvât un tems fort au-delà de celui que nous donnons à la naissance ou émergeance de notre Globe, de la surface de la mer principalement. Quand je réflechis aux diverses espèces d’hommes que j’ai connus dans mes voyages, les Blancs, les Noirs, les Barbus & sans barbe, & que je les compare les uns aux autres, les Indiens & les Sauvages de l’Amérique avec ceux de notre Europe & de l’Asie, & les Indiens qui sont tous aussi différents les uns des autres, & par leurs inclinations, & par la forme de leur visage, & par les mœurs, que les nôtres diffèrent de celles des Samoïedes, & que je ne trouve aucune tradition dans toutes ces diverses Nations, hors les Nations Chrétiennes & Juifves, d’un déluge universel si peu éloigné de nous, que je feuillete nos propres Historiens, dans lesquels je trouve aussi-bien que chez les Chinois des généalogies d’un tems très-supérieur à la naissance que nous donnons au monde ; c’est-à-dire, à notre globe & à son peuplement.


ENTRETIEN SECOND.

Extrait d’une dissertation du sieur Scilla Peintre de l’Académie appellée de la Fucina, & surnommé le sans couleur, laquelle a pour titre, la vaine spéculation guérie des préjugés. Naples 1690. dont il est parlé tom. 2 p. 23.



Cette dissertation traite des coquillages, Poissons marins, ou autres choses qui se trouvent pétrifiées en différens endroits de la terre ; elle est en forme de lettre, & pour répondre à une autre dissertation qui avoit été faite par un Auteur dont il cache le nom. Celui-ci avoit entrepris de prouver que tous les coquillages, dents de poisson & autres choses que la mer renferme dans son sein, & qui se trouvent pétrifiées en une quantité prodigieuse dans les pierres de l’Isle de Malte, sont des productions de la même pierre & des effets du hasard.

Après un grand compliment au premier Auteur, dans lequel il étale son insuffisance pour répondre dignement aux choses que contient sa lettre, & après avoir dit que cela n’appartient point à la profession de Peintre qu’il exerce ; il ajoûte qu’il n’est point instruit dans les sciences, & qu’il n’a que la bonne qualité de ne vouloir point dépendre de l’opinion des autres & de ne rien connoître que par lui-même, & qu’il s’est pour cela proposé de douter de toutes choses, comme le moyen le plus propre & même l’unique pour les mieux approfondir & avec plus de probabilité. Il ajoûte qu’il n’est point tellement amoureux de la philosophie spéculative, & des divers systêmes qui se sont établis dans le monde sur des raisonnemens spécieux, qu’il croit superflus d’examiner la réalité de chaque proposition ; que la seule opinion des Philosophes, les uns pour rendre la terre immobile, & les autres pour la faire tourner tous les jours sur elle-même, lui a suffi pour ne s’en rapporter à aucun d’eux, & à vouloir s’éclaircir par sa propre expérience & avec ses propres yeux de ce qui est avancé dans leurs livres, de ce qui passe même pour certain parmi les hommes, & qui n’est souvent que préjugés, & erreur autorisée par le vulgaire ; en sorte qu’ils ne se trouvent point seulement obligés à suivre l’erreur, mais même dans la passion de la deffendre : Inter cætera mortalitatis incommoda, & hoc est caligo mentium, nec tantùm nécessitas errandi, sed errorum amor.

Une preuve, dit-il, qu’il n’y a rien de certain dans les opinions des Philosophes, c’est qu’aucun disciple ne s’est tenu parfaitement attaché à celles de son Maître, & les a enseignées lui-même d’une manière toute différente de celui dont il les avoit reçues.

Il parcourt ensuite succinctement les sentimens opposés de divers Philosophes ; & il conclut par dire, qu’au moins il ne tombera pas dans la vanité de ceux qui disent toujours en parlant de leur opinion. Cela est ainsi ; mais qu’il se servira seulement de ces termes plus modestes : cela me paroît de cette manière.

Il entre ensuite dans le sujet de sa réponse ; & dit que sans avoir été préoccupé de l’opinion d’aucun Philosophe, ni entraîné par l’autorité d’aucun Auteur, il avoit examiné plusieurs pierres de l’Isle de Malte ; qu’il trouvoit des pièces de divers animaux Marins, ou des coquillages qu’ils habitent, pétrifiés dans ces pierres ; & que d’abord il s’étoit imaginé que c’étoient de véritables restes de poissons Marins ou de leurs habitations, lesquels jettés dans de la vase ou dans du sable, s’y étoient pétrifiés avec eux.

Enfin, dit-il, adressant la parole à l’Auteur auquel il répond, afin que vous ne pensiez point que mon opinion n’ait point été accompagnée de toutes les diligences que j’ai pû faire sur cette matière, je vais vous en rendre compte ; & si je suis dans l’erreur, vous aurez l’indulgence de me la pardonner : vous connoîtrez qu’elle ne provient que de mon peu d’intelligence.

« Etant un jour en voyage dans la basse Calabre à quelques milles de la ville de Reggio, dans une route qui conduit à une terre qui porte le nom de Musorrina, une montagne considérable de coquillages, huîtres & autres choses de ce genre non encore pétrifiés, se présenta à mes yeux ; un spectacle aussi extraordinaire me donna lieu d’examiner si dans le voisinage il y en avoit encore de pareilles. Mais je ne trouvai rien de semblable. Je ne pouvois cesser de considerer cet amas immense de coquillages, d’en tirer quelques-uns, & de les considérer avec soin : il me paroissoit assez merveilleux que tout cela eût pu se conserver pendant un si longtems, surtout dans des lieux si élevés au dessus de la superficie de la mer, & où il falloit monter pendant l’espace de deux heures par des montagnes fort droites.

» Curieux de sçavoir d’où cet amas provenoit, je demandai aux gens du pays leur sentiment : là-dessus ils me répondirent avec assurance, que cet amas s’étoit formé de diverses coquilles de mer dans le tems du déluge. Je souris d’abord de la simplicité de ces pauvres gens ; mais après y avoir pensé plus attentivement, je vis que cette réponse étoit fort juste, & que le proverbe est véritable, qui dit que le vulgaire en sçait plus que les Sçavans, parce qu’il ne sçait que ce qu’il est à propos de sçavoir. Cependant ayant toujours cette montagne dans mon imagination, avec l’envie de m’instruire de la manière dont elle s’étoit formée, je m’en retournai à Messine ; & m’étant proposé de chercher dans les Anciens ce qu’ils avoient dit sur de pareilles rencontres, je trouvai dans Strabon livre premier, qu’à l’entour du temple d’Ammon en Egypte on trouvoit en divers lieux des coquillages de mer de plusieurs sortes, des lacs même d’eau sallée, & qu’auprès de la ville de ce nom on montroit encore des débris de vaisseaux enfouis dans la terre. Sur quoi il loue l’opinion de Straton le Physicien, & de Xanthus l’Indien, lesquels rapportoient qu’ils avoient vû en des lieux beaucoup plus éloignés de la mer des coquillages de poissons attachés aux rochers, & qu’ils avoient trouvé dans l’Arménie, la Phrygie & autres endroits, des lacs d’eau sallée ; d’où Strabon conclut qu’il est persuadé que les endroits où tout cela se rencontre, ont été autrefois le lit de la mer. L’histoire de ces faits me fit plaisir ; mais je ne m’abandonnai point à la conséquence qu’il en tire pleine de beaucoup de difficultés. Ce qui se rencontre dans ces lieux peut être des coquillages d’eau douce, & même d’eau sallée, qui y auroient été portés & laissés par quelques inondations de la mer ; & même que l’on peut rencontrer loin d’elle enfouis dans la terre les débris d’un bâtiment que l’on y aura transporté en triomphe, ou qu’on y aura construit exprès, pour donner au peuple des représentations d’un combat naval, comme il se pratiquoit dans la ville de Rome, sans que ces endroits ayent jamais été le fond de la mer.

» Pour revenir à l’opinion de Strabon, elle me fit souvenir que dans notre Sicile en un très-grand nombre d’endroits, & particulièrement aux endroits dont la ville de Messine est environnée, il se tire de leurs cariéres des pierres qui ne sont autre chose qu’un amas de coquillages de divers corps étrangers propres à la mer, & de sable, unis ensemble & pétrifiés. L’aspect de ces coquillages pétrifiés, & leurs justes configurations avec ceux que la mer nourrit dans son sein, me persuada d’autant plus facilement que ces coquillages pétrifiés dans ces pierres étoient de véritables coquillages de poissons marins, que Cardan homme de beaucoup d’érudition & de jugement après avoir rapporté un passage de Pausanias, assure que les coquillages de mer lorsqu’ils sont longtems dans les sables de sous terre, se pétrifient en gardant leurs figures, & changeant seulement de substance. L’Auteur fait ensuite une petite dissertation sur les métaux, & sur la maniére dont la nature de certains terreins change en d’autre ; & nonobstant l’opinion de Gassendi qu’il rapporte, lequel assure que les montagnes ont en elles un suc propre pour former au milieu des continens de justes représentations de coquillages de mer & de poissons, le témoignage de ses yeux, & ce que ses sens lui rapportoient, ne lui permit point de douter que toutes les représentations de poissons de mer & de coquillages de toutes les espéces qu’elle contient, lesquels se trouvent insérés ou attachés aux pierres des montagnes très-distantes d’elle, ne soient de véritables poissons & des coquillages de mer sortis de son sein & pétrifiés. L’Auteur dit que pour s’en éclaircir d’autant mieux, il continua de lire les Auteurs qui ont parlé sur cette matiére, & il rapporte que François Calcéolario, après Fracastor, assure que les coquillages dont il est question ont été de véritables poissons de la mer, nés dans elle, & portés par elle dans les endroits où ils se trouvent ; que le docte Simon Maiolo dit qu’il n’est point étonnant de trouver dans les pierres & dans le centre des Montagnes des arrêtes de poissons de Mer & de ces coquillages, puisque ces sortes de choses enfouies dans le tems du déluge général ou par quelques autres événemens dans les entrailles de ces montagnes, s’y sont unis & pétrifiés avec elles. Il rapporte aussi le témoignage de Louis Moscardo, lequel après avoir rapporté le dessein de plusieurs sortes de poissons trouvés pétrifiés dans des pierres écailleuses, dit que ce sont de véritables poissons, dont la moitié quand on sépare ces écailles, reste attachée à une des feuilles & l’autre moitié à l’autre : il ne finiroit, dit-il, jamais, s’il vouloit rapporter en détail les sentimens de tous les Auteurs qui ont écrit là-dessus, & qui sont de son opinion, comme Pierre Masseo, Paul Orosio, Cesalpino, Kircher, Poterio, Fabio Colona, Imperato, Alexandro ab Alexandro ; mais il ajoûte qu’il ne peut se dispenser de rapporter ce que dit Melchior Guilandino, que Plutarque & Olympiodore ont écrit que toute l’Egypte avoit été mer, puisqu’en fouillant la terre on en trouvoit une infinité de témoignages, & que toutes les montagnes étoient parsemées & remplies de ces coquillages.

» II dit ensuite que la question n’est point tant de sçavoir si ce sont de veritables coquillages de mer, puisqu’il est impossible d’en douter, que de déterminer par quelle voie ou quel événement ils se trouvent insérés & attachés à nos pierres, les uns étant d’opinion que cela s’est fait par la mer même, les autres que ces coquilles & ces poissons étant nés en quelques fleuves ou lacs d’eaux sallées, ils ont été par quelques inondations particulières, ou même par quelque canal souterrain qui auroit conduit les eaux de la mer dans des endroits très-éloignés d’elle, portés au lieu où ils se trouvent ; mais il ajoûte que l’une & l’autre de ces opinions lui sont égales.

» Il retourne ensuite à la pétrification de ces coquillages, & combat l’opinion contraire de Guilandino dans sa cent dix-septiéme Lettre, lequel s’efforce de prouver que dans les entrailles de la terre & où aucun air ne peut entrer, il s’engendre des animaux, & que les coquillages & arrêtes de poissons Marins qu’on y trouve, sont les effets de cette production, & s’appuie des paroles de Plutarque & d’Alexandro, qu’il dit être très-éloignés de cette opinion. Il rapporte lui-même ce passage d’Alexandro : Je me souviens d’avoir vû dans les montagnes de Calabre une pierre de marbre fort dure, & de diverses couleurs, fort éloignée de la mer, dans laquelle pierre il y avoit diverses coquilles de mer, lesquelles visiblement s’étoient endurcies ensemble & congelées, & n’avoient fait qu’un seul corps, lesquelles coquilles n’étoient point cependant pierre mais étoient restées d’os, & étoient telles que nous les trouvons sur les bords de la mer. L’Auteur répete de plus les propres paroles de Plutarque, sçavoir que l’Egypte avoit été autrefois mer. Sentiment bien opposé à celui que Guilandino lui attribue.

» L’Auteur attaque ensuite l’opinion de Crolius, qui attribue toutes ces pétrifications de coquillages & de poissons de mer à la bizarrerie & au hazard de la nature, & prétend trouver dans les pierres la représentation de tout ce qui est dans le reste de la nature, plantes, arbres, animaux maritimes ou terrestres ; & il confond cette opinion en disant que ce sont de pures imaginations ; que jamais il ne s’est trouvé dans nos pierres ou montagnes aucune figure parfaite d’aucune chose ; & que ceux qui osent soutenir ces sentimens, pourroient encore avancer que la montagne composée de pots de terre rompus qui est attenant Rome, est faite d’une production bizarre de la nature, & que ces pièces ne sont point des restes de pots cassés, mais une de ces productions bizarres qui a fait toutes ces pièces ressemblantes à des pots cassés ; qu’un pareil Auteur peut aussi adopter la fable d’un Mulet parfait & vivant qui sortit des entrailles d’une montagne à la faveur d’un tremblement de terre ; & qu’enfin suivant l’opinion de Justinien, la vérité prévaudra toujours à l’opinion ; qu’il y a une grande différence entre ce que les hommes pensent, & ce qu’il y a de vrai dans la nature ; qu’il n’y a de véritable sagesse en l’homme, que lorsqu’il se défie de ses propres opinions, & qu’il apprend à douter, & que de s’imaginer une espèce d’infaillibilité dans ses opinions, c’est la plus grande de toutes les ignorances, & une voie qui nous égare toujours de la verité.

» L’Auteur entre ensuite dans l’examen total de l’Isle de Malthe, d’où il prétend tirer les principales preuves de son opinion, & il commence par dire qu’il ne la croit pas aussi ancienne que le monde ; mais que selon le Père Kircher & beaucoup d’autres, il la croit composée & sortie de la mer long-tems après, ainsi que plusieurs autres Isles, que Dieu fit le monde à la manière d’un Peintre, lequel ébauche un tableau, & le finit ensuite par les derniers traits de son pinceau qui donne le mérite à son ouvrage ; qu’ainsi la formation de cette Isle postérieurement à celle du globe a embelli les ouvrages de Dieu, bien loin d’être une diminution à sa puissance ; qu’elle n’est en général qu’un composé de dents de poissons, de leurs arrêtes & de leurs écailles, qui se sont pétrifiées avec la vase ou le sable auxquels ils sont mêlés ; qu’il se trouve dans les Historiens sacrés & parmi ceux des Gentils plusieurs cas d’inondations particulières & considérables, outre la générale rapportée dans les premiers sur l’origine & la cause de laquelle nos propres Auteurs ne sont point d’accord ; & que sur tous ces faits il est naturel de penser, qu’au milieu de ces inondations il s’est fait une infinité de mélanges de choses éloignées les unes des autres, & très-différentes de nature.

» Il soutient que de toutes les preuves d’une chose, la plus sûre & la plus indubitable est celle qui se tire de ses propres yeux ; & qu’il y a une très-grande différence entre s’imaginer que la figure de la demi-lune que l’on trouve sur l’épaule droite de la Pantere, est l’effet de la Lune qui s’y est peinte & que les rayes qui se trouvent sur la coquille, appellée Musicale, sont de véritables nottes de Musique, & juger que des coquillages enfermés dans une masse de pierre que je trouve en la rompant être totalement semblable, ligne pour ligne, partie par partie, couleur, & forme à celles qui sont habitées dans la mer par des poissons vivans, ont été autrefois des habitations de poissons.

» Qu’il a vû dans les galleries des Princes, & ailleurs, dans diverses pierres, diverses bizarreries dans lesquelles on prétendoit lui faire reconnoître des formes de visages humains, d’animaux, de paysages ; mais qu’il avoue n’en avoir jamais vu une seule d’une détermination parfaite, à moins que l’art n’y eût aidé : n’en déplaise, dit-il, à Cardan qui prétendoit faire voir dans une Agathe le portrait de l’Empereur Galba. Qu’il peut se trouver dans une pierre quelques taches plus ressemblantes à la figure d’un homme qu’à celle d’un arbre : au sujet de quoi il rapporte un passage de Cicéron, lequel dit que Carneade s’étoit persuadé que la tête de Panisque s’étoit trouvée peinte sur une pierre qu’on avoit tirée d’une carrière ; qu’il peut bien croire que cette figure pouvoit en approcher ; mais que jamais le hazard ne peut imiter parfaitement la vérité. L’Auteur ajoûte les paroles de Maiolo, qu’il se trouve dans les Agathes des représentations approchantes de diverses choses ; mais que la représentation du Mont-Parnasse dans la pierre de l’anneau que portoit au doigt le Roi Pirrhus, avoit été aidée de l’art, en diminuant certains endroits & en conservant les autres. Qu’au reste il y a beaucoup d’apparence que cette pierre étoit un ouvrage de l’art ; on l’attribua depuis à la nature.

» Les voies de la pétrification sont, dit-il, diverses dans la nature : un certain sel volatil, une eau sallée, une humidité seule longtems conservée dans la matière d’une certaine qualité, sert à la pétrifier, sans avoir recours à ces eaux pétrifiantes dont on voit journellement les effets.

» Comme on avoit objecté à l’Auteur le nombre prodigieux de pierres appellées langues, ou yeux de serpent, qui se trouvent dans la pierre de l’Isle de Malthe, comme une impossibilité à ce que cela fût des dents de poissons pétrifiées, tant à cause de la diversité qui se trouve dans leur grandeur & leur figure, que parce qu’il n’y a point de poissons dans les mers de Malthe avec de pareilles dents. » L’Auteur avant d’entrer dans l’examen particulier de ces choses, y fait une réponse générale, & dit que sur les plages de Catane, toutes les fois qu’il y a une tempête de vent de Siroc, ou de Levant, ou de celui que nous appellons Grec, il est poussé par la mer une si grande quantité de Coquillages, de formes, couleurs & rayes bizarres, qu’on en pourroit charger des barques entières, avec cette particularité, qu’il n’y a aucune sorte de ces Coquillages dans la mer voisine, & qu’à peine entre tant de Coquillages il s’en trouve un seul, où l’animal soit encore, preuve & de la quantité qui peut s’en amasser dans un lieu en très-peu de tems, & des endroits éloignés dont ils sont apportés ; ce qui peut avoir eu lieu à Malthe pour les dents de poissons inconnus en ces Mers qu’on rencontre dans la pierre de l’Isle de Malthe.

Que quant à l’inégalité & à la diversité des dents de serpent, l’Auteur ne prétend pas que ce soient des dents d’un seul poisson, mais de plusieurs d’une denture copieuse ; que la diversité de grosseur n’est point une raison contre son opinion, puisque les dents de la gueule d’un poisson ne sont pas moins différentes entre elles que le sont celles de la bouche d’un homme ; qu’il y a des poissons de plusieurs âges, & de gros & de petits suivant les tems, dont les dents doivent aussi être diverses en grandeur.

Comme on lui avoit objecté qu’il ne se trouvoit point dans cette pierre de dents attachées aux machoires, il en rapporte des figures singulières dont il a les morceaux en main : il fait voir la vérité de cette pétrification par la différente substance d’une même dent, le dedans étant différent en dureté & en couleur de l’émail ; de la dent, ce qui ne seroit point, si cette pétrification étoit formée de la pierre même, puisque la substance en seroit égale. Il fait voir que les unes de ces dents étoient de la mâchoire droite du poisson, & les autres de la gauche, & cela par leur configuration ; ce qui ne seroit point ainsi, si elles étoient produites de la pierre même, puisqu’il seroit même ridicule de penser que la nature eût pû faire cette distinction, & que ces dents ne fussent pas de la même figure. Il fait voir de ces dents avec une racine & sans racine ; ce qui ne seroit point encore, si elles étoient produites dans la pierre, & par la pierre. Il fait voir que cette production seroit impossible, puisque ces choses ne pourroient pas croître renfermées dans la pierre, & qu’il faudroit qu’elles se formassent d’abord de toute leur grandeur & grosseur : la diversité de leur grandeur lui sert encore à faire voir qu’elles étoient faites pour croître, & qu’elles ont crû, & par conséquent hors de la pierre. Il ajoûte que si elles n’avoient pas crû réellement, il n’y en auroit pas de grosses & de petites ; il n’y en auroit que d’une espèce, au lieu qu’il y en a de mille si parfaitement semblables aux vivantes que la mer offre à nos yeux, qu’il n’y a aucune sorte de différence. Qu’en admettant la génération de ces coquillages dans les pierres, il faudroit admettre la génération des parties des unes & des autres de ces coquillages qu’on y rencontre, comme d’une moitié, d’un quart, ou d’une portion d’une coquille écrasée, fendue, d’une coquille séparée en plusieurs parties voisines les unes des autres, ou éloignées ; qu’il est même ridicule d’imaginer une pareille chose, qui seroit comme si l’on soutenoit qu’il pût se former une jambe, un bras d’un homme, une tête ou un cœur d’un animal indépendamment & séparément des autres parties correspondantes au tout, ou bien un homme ou un animal en plusieurs parties séparées.

Que d’ailleurs lorsque la nature produit quelque chose d’imparfait, comme un animal sans bras ou sans pieds, l’extrémité où ce pied, où ce bras manque, ne ressemble point aux mêmes parties en l’état qu’elles seroient si le fer les avoit séparées du corps, ou qu’elles en eussent été arrachées par quelques autres accidents ; mais que la partie manquant du membre est revêtue de peau & unie comme le reste du corps ; qu’il devroit en être ainsi des morceaux de coquillages ou d’arrêtes de poissons qui se trouvent pétrifiés dans les pierres, qui devroient être arondies par les bords comme le reste du coquillage, ou de l’os du poisson ; qu’au contraire ces extrémités portent les marques de la rupture & du brisement fait des autres parties du coquillage, ou de l’os, preuve sans réplique qu’elles ont été véritablement brisées par violence, & dans une situation & un état différent de ceux où on les trouve ; ce qui s’explique mieux par la vue que le discours ne peut le faire connoître & sentir.

Qu’il se trouve, par exemple, en certaines pierres dont il rapporte la figure, des coquillages hérissés de pointes dans la mer, auprès desquels ces pointes ou partie d’elles séparées du petit mammeron par lequel elles étoient emboîtées & unies à la coquille, se trouvent pareillement pétrifiées dans les mêmes pierres à peu de distance de la coquille ; & séparant ces pointes de ces pierres, & les appliquent au mammeron de la coquille, on connoît positivement par sa justesse quel étoit celui auquel elle étoit appliquée du vivant de l’animal ; que cette seule représentation fait connoître que ce coquillage a été jetté dans la vase ou le sable où il se trouve pétrifié, & que ces pointes détachées de lui, mêlées aussi confusêment à cette vase, y ont été pétrifiées comme la coquille, en gardant la juste proportion qu’il y avoit de la partie séparée au tout, ce que le hazard n’a jamais pû imiter.

Pour prouver d’autant mieux que ces pétrifications se sont faites de cette sorte, & que ces coquillages ou ces arrêtes de poissons sont des restes de poissons vivants dans la mer, il rapporte des groupes de ces congellations, parmi lesquels on voit encore dans certaine coquille le poisson rétréci & pétrifié, tandis qu’il manque presque en tous les autres, parce que le coquillage s’étant entr’ouvert, la vase ou le sable s’y sont insérés, & ont converti en eux l’animal, ou qu’il a manqué par la pourriture, ou qu’il est devenu la proie de quelque autre.

Un groupe singulier dont il rapporte la figure, & dont il a la pétrification en main qui confirme cette vérité, si elle avoit besoin de l’être, est celui où l’on voit les tenailles ou pinces d’une grosse écrevisse de mer, brisant sans doute en mourant un coquillage qu’elle pinçoit avec cette patte pétrifiée avec elle dans ce groupe : quelqu’un, quoique dépourvû d’expériences & de lumières pourra-t’il jamais penser que cette patte avec cette coquille soit un effet de la bizarrerie de la nature, & qu’elle ait imité cet acte de deux animaux différents, & cette juste représentation de l’un écrasant l’autre, sans que ces animaux ayent jamais été ?

Il ajoûte que les pierres appellées langues ou yeux de serpent qui se trouvent si abondamment dans la composition de celles de Malthe, sont si réellement les unes & les autres des dents de poissons, ou plus rondes, ou plus pointues, ou plus grosses, ou plus petites, ou plus longues, ou plus courtes, qu’il est facile à leur figure de dire non-seulement de quel genre de poisson sont ces diverses dents, mais encore de juger, surtout des longues & des pointues par leurs figures & tournures, si elles étoient de la mâchoire droite ou de la gauche, & de l’inférieure ou de la supérieure ; & que d’admettre qu’il s’en puisse produire dans les pierres au hazard avec ces distinctions & tournures particulières, c’est une autre opinion aussi insoutenable que d’avancer leur génération dans cette pierre, laquelle cependant est une conséquence naturelle de la première.

Il pousse son raisonnement plus loin. Si ces dents de poissons, dit-il, se formoient dans la pierre, elles devroient naturellement y croître ; ce qu’il est absurde de penser, puisque leur extension seroit impossible. Il n’est pas moins contre le bon sens, & l’expérience de croire qu’elles s’y forment dabord dans leur juste grandeur, cette formation étant contre les regles de la nature, qui commence par le petit & finit par le grand. La substance au reste en seroit égale, & la couleur en tout pareille ; au lieu que l’écaille ou l’écorce est d’une couleur & substance différente, & le dedans, d’une autre matière ; que la substance de l’arrête de ce poisson, de cette tête, de cette nageoire sont aussi différentes de la substance des pierres où elles sont ensevelies, que toutes ces substances sont différentes en elles-mêmes ; & qu’elles sont aussi diverses en figure que cette peau de serpent est différente de la matière dont elle est remplie ou environnée, ou cette branche de corail, ou ces plantes, ou ces feuilles, ou ce bois qu’elle renferme malgré la pétrification du tout.

Pour prouver d’autant plus que ce sont de vraies dents de poissons, jadis vivants, que ces pierres appellées langues de serpent qu’on trouve dans le terrein de l’Isle de Malthe, l’Auteur rapporte un groupe de cette pierre tiré de cette Isle, où il s’en voit trois pétrifiées avec la mâchoire même du poisson ; ce qui ne peut laisser de doute de cette vérité aux personnes mêmes les plus prévenues contre la vérité de leur origine.

L’Auteur rapporte ensuite la figure de divers morceaux de pierres qui sont en ses mains, dans lesquels il se trouve des pétrifications de plusieurs coquillages entiers ou brisés, de côraux, de peau de serpens, de poissons, d’arrêtes & de divers autres corps marins pétrifiés ensemble ou séparement. Dans ces morceaux sur lesquels il fait de justes observations, qui prouvent d’autant plus que ce sont des représentations réelles, d’animaux autrefois vivants dans la mer, ou de choses qui en ont été tirées & comme il s’en trouve dans tous les pays, même les plus distans de ses bords ; il avoue qu’il ne sçait point en quelle manière cela est arrivé, & qu’elle a pû s’étendre si au loin ; si c’est dans le déluge universel, dans des particuliers, ou autrement. Il ajoûte que ce qu’il sçait, est qu’elle a sûrement voyagé sur les plus hautes de ces montagnes, & que les collines dont la ville de Messine est environnée, sont composées des dépôts que ses eaux y ont faits ; il ne sçait, dit-il, en quel tems, mais à différentes reprises. Il fait à cette occasion leur anatomie, & remarque qu’elles sont faites de leurs pieds à leurs sommets de différents lits presque horisontaux au Globe, à la réserve qu’ils sont un peu penchants du côté de la Ville, & composés en cette sorte d’un lit de gros gravier & puis d’un autre moyen en grosseur, puis d’un troisième d’un sable fin. Quand ces lits recommencent de la même façon, & que cela est répété jusques au sommet de la montagne, il regarde ces répétitions comme les effets d’autant d’inondations différentes ; & comme ce gravier & ce sable ne sont point pétrifiés, les coquillages que ces collines renferment, ou les arrêtes de poissons ne le sont pas pareillement ; & il observe que ces mêmes choses le sont plus ou moins, suivant le plus ou le moins de dureté des matières où elles sont enfermées : d’où il conclut encore, que ce sont de véritables coquilles & restes de poissons de mer, lesquels ont contrarié la nature des terreins où elles ont été enfermées, en conservant la leur, quand ils ont rencontré des terreins sans disposition à la pétrification.

L’Auteur finit par dire, que jusques à l’examen de ces collines, & une plus grande attention sur les choses de mer qui se trouvent en tant d’endroits & sur les plus hautes montagnes, il avoit crû que cela pouvoit provenir du cours que certaines rivières pouvoient avoir anciennement sur les terreins où elles se trouvent, ou des lacs d’eau sallée dont ils pouvoient être couverts, dans lesquelles rivières & lacs il pouvoit y avoir des poissons & animaux marins des espèces insérées dans ces terreins, mais que sur diverses méditations il avoit reconnu que cela ne pouvoit être ; qu’en certains endroits la situation des lieux parle contre cette opinion, & en d’autres, les choses qu’on rencontroit dans la substance des pierres, les lacs & les rivieres ne nourrissant point une infinité de coquillages & de poissons qu’on y rencontre, surtout de ces grandeurs extraordinaires, comme sont les baleines & autres poissons d’une grandeur énorme qui se trouvent quelquefois dans ces pétrifications ; & qu’enfin les lacs & les rivieres ne sont pas capables de répandre ces quantités de matières, & de ces étendues immenses qui s’observent en plusieurs endroits de la terre.


COPIE

D’un Verbal fait à la Martinique, de l’apparition d’un homme marin sur les bords de l’Isle du Diamant.


Ce jourd’hui 31. jour de Mai 1671. Nous Pierre Luce Sieur De Lapaire, Capitaine commandant les quartiers du Diamant ; sur l’avis qui nous a été donné par le Sieur le Gras, Enseigne de notre Compagnie, que les gens que nous avions envoyés à l’Isle du Diamant auroient vû apparoître & distingué véritablement un monstre marin en figure d’homme, lequel se seroit arrêté plusieurs fois auprès d’eux, & regardé fixement, ce qui les auroit obligés, n’ayant aucune arme, de se rembarquer dans leur Canot qui les avoit portés aux Isles du Diamant, pour revenir à la grande ance d’où ils étoient partis ; ce qui nous auroit obligé de partir du quartier de la Riviere-Pilote pour nous rendre au quartier de la grande ance du Diamant, auquel lieu étant arrivé, nous aurions rencontré le R. Père Julien-Simon, très-digne Religieux de la Compagnie de Jésus, pour faire la Mission ordinaire de tems en tems, lequel nous auroit aussi dit qu’il en avoit été pareillement avent, & qu’il seroit à propos d’en faire une exacte enquisition pour en sçavoir la pure & sincére vérité.

Pour à quoi vacquer, nous aurions appellé auprès de nous Me. Pierre de Beuille Notaire des quartiers de notre Compagnie, & ledit Sieur le Gras, & en présence du R. P. Julien-Simon, après avoir fait venir Cyprien Poyer habitant audit quartier, Julien Vattemar aussi habitant, & Pierre Negre dudit Sieur le Gras, André Negre du Sieur Des forges aussi habitant du quartier, Abraham Negre du nommé Alexandre Deschamps, & Pierre Negre d’un nommé Noël le Mousse dit la Roziére, tous ensemble étant ceux qui avoient vu ladite apparition, & les ayant séparement & à part ouis, d’eux pris serment de dire vérité, ont dit,

PREMIÉREMENT

Cyprien Poyer natif de Rozé en Caux, a dit & déposé ce qui suit : qu’étant arrivé le matin aux Isles du Diamant sur les sept à huit heures du matin le Samedi vingt-troisiéme du présent mois, & voulant s’en retourner sur le soit, environ une heure avant soleil couché, le tems étant clair & serein, il auroit vu distinctement un Monstre marin ayant la figure d’homme depuis la tête jusques à la ceinture, & depuis la ceinture jusques en bas la figure d’un poisson, terminé par une queuë fourchuë semblable à celle d’une Carangue. Et ayant été interrogé des particularités, il a déposé ce qui suit : la tête étoit semblable à celle d’un homme, les yeux, la bouche de même, le nez camus, le visage large & plein, la barbe grise, mêlée de blanc & de noir, pendante d’environ sept à huit pouces & fort large, les cheveux gris pendans sur l’extrémité des épaules & fort plats, unis comme s’ils avoient été peignés, la gorge & le reste du corps médiocrement blanc, où il n’a remarqué aucunes particularités, la poitrine poiluë à la façon des vieillards, la taille petite & comme d’un jeune homme de seize à dix-sept ans : il s’est montré trois fois ; la premiére, environ à huit pas du Rocher ; la seconde, environ à quatre pas, & la troisiéme à trois pieds près d’eux, se tournant pour le regarder, qui étoit tout sur le bord dudit Islet, sortant moitié du corps hors de la mer, ayant la mine fiere, portant la main plusieurs fois sur le nez & sur le visage comme pour s’essuyer ; ce qui épouvanta ledit déposant & ses Compagnons, lequel n’ayant point d’armes, se rembarqua après avoir vû ledit Monstre s’écarter vers la Savane dudit Islet, & les regarder distinctement les uns après les autres ; après quoi il se plongea en mer sans qu’ils l’ayent revu. C’est tout ce que ledit Déposant a dit sçavoir, & a posé sa marque, déclarant ne sçavoir écrire ni signer ; de ce enquis suivant l’Ordonnance, après lecture à lui faite, a persisté : & sur la minute est apposée une croix, marque ordinaire dudit Cyprien Poyer.

SECONDEMENT.

Julien Vattemart âgé de dix-sept ans, a déposé en présence de son père ce qui s’ensuit : qu’étant sur ledit Islet avec le susdit Déposant, il a vu un Monstre marin ayant la figure d’homme jusques à moitié corps, le reste en façon de poisson. Il n’a pas distingué la queuë ; la tête, le visage, les joues, les mains, la poitrine n’ont rien de différent de la figure humaine ; le nez étoit gros, la barbe grisâtre, longue par tout également, se tenant non fort loin de la terre : ses oreilles étoient fort larges. Ledit Déposant appella le Monstre en sifflant, & disant tais, tais, comme à un barbet, & s’étant approché par trois fois, se retira tournant souvent la tête pour les regarder ; & quand il lui entroit de l’eau dans le nez, il la souffloit comme un chien qui reniffle. Ce sont tous les propos tenus & dont ledit Déposant s’est servi ; & tout vis-à-vis la Savane alla au fond sans qu’il l’ait revû : c’est tout ce que le Déposant a dit sçavoir, & a mis sa marque en présence de son pere, à qui il a souvent fait la même déclaration ; & sous la déposition, à la minute est apposé un J. & un V. marque ordinaire dudit Julien Vallemart, & signé Vallemart.

TROISIÉMEMENT

Abraham, Negre dudit Alexandre Deschamps, d’environ dix-neuf ans, a déposé ce qui suit ; qu’il a vû un homme bâti comme un homme, la tête grosse comme une personne, les cheveux gris & la barbe grise, large, & le nez gros, la poitrine poillue de poil gris, la queuë large & fendue comme une Carangue. Il les regardoit entre deux yeux ; le Déposant voulut le prendre avec une ligne, ayant pourtant bien peur, se tenant sur les roches pour le regarder. Il a renifflé comme une personne ; il a fait trois plongeons, & ils ne l’ont plus vû, la mer étant devenue trouble, ils ne l’ont point vû depuis : c’est la manière dont il a fait sa déposition ; à quoi il n’a rien voulu changer.

QUATRIÉMEMENT

André, Negre du Sieur Desforges, a déposé ce qui suit. J’ai vû bête faite comme homme dans la mer ; cheveux longs, épaules, un poil gris ; barbe ly gris, large comme main ; par-devant le corps tout de même comme homme, le cou blanc, poil gris sur le sein, la queuë tout de même comme Carangue : ly veny trois fois sur l’eau, & gardé nous toujours avec ses gris yeux ; my teny mouche per ly faire, autre Negre coury après ly pour prendre comme ligne, luy cacher dans la mer, & puis pu voir lui.

CINQUIÉMEMENT

Pierre, Negre dudit Noël le Mousse de la Roziére, a déposé ce qui s’ensuit : & dit, moi miré un homme en mer du Diamant, moi miré lui trois fois, lui teny tête ; bon visage de ly comme monde, ly teny grand barbe gris, ly sorty hors de l’eau, regardé nous. Je vous moy prendre luy dans ains pour prendre luy, moy teny petit peur, non pas grand, non ; & puis luy, & puis luy caché : luy souvent gardé nous, & pourtant luy teny queuë comme poisson. Ce sont les termes dudit Déposant.

Et Pierre, Negre dudit Sr le Gras, âgé d’environ 22 ou 23 ans, a déposé & dit : Moy miré bête, lui teny yeux, teny barbe, teny mains, teny épaules tout comme homme, teny cheveux & barbe grise ; non pas blanc : moy non pas miré bien luy, parce que lui étoit dans l’yau, lui sembloit pourtant poisson, moy teny peur, autre dire c’est un ange monde ; lui regardé plusieurs fois ; lui allé contre Savanne, & puis luy caché dans l’yau, & moi non miré lui d’avantage : & c’est la maniére de parler dudit Déposant.

Ce sont les dépositions de tous ceux qui étoient dans ledit Canot, qui ont persisté plusieurs jours dans leurs dépositions ; sçavoir depuis le vingt-trois dudit présent mois jusques à ce jour. Fait à la grande ance du Diamant le jour & an que dessus, en présence des témoins ci-dessus signés. Ainsi signé sur la minutte, Julien-Simon, de la Compagnie de Jesus, la Paire, le Gras, J. Gasteau, Alex Barbier, Claude Barbe, Martin de Frain, J. N. Dupuy, & de Beuille, avec paraphe, Greffier.

Collationné sur la minute par le Notaire Royal en cette Isle de la Martinique soussigné, ayant celle des précédens Notaires du quartier du Diamant & autres quartiers circonvoisins. Délivré ces présentes à M. de Hauterive, au Diamant de ladite Isle, Etude dudit Notaire soussigné, le 6 Juin 1722. Signé Goguet.


EXTRAIT

Du Journal d’Angleterre, contenant la description que M. Glouer a envoyée de la Virginie où il a demeuré plusieurs années ; tiré du Journal des Sçavans, 1676 p. 351. ou plutôt 251.



L’Air de la Virginie est assez temperé ; la terre en est fort sablonneuse, surtout du côté de la mer. Il y a peu de pays au monde où il y ait un si grand nombre de fleuves. On voit souvent dans ces fleuves des monstres marins : M. Glouer dit en avoir vû un, qui parut comme il descendoit sur un de ces fleuves, sous une figure humaine, avec la tête, les bras, l’air & le visage d’un Indien, qui le regardant du milieu des eaux avec des yeux terribles, jetta la terreur dans l’ame de tous ceux qui étoient dans le batteau, jusqu’à ce que se plongeant dans l’eau, il fit voir sa queuë de poisson, qui étoit cachée tandis qu’il se tenoit de bout[7].


EXTRAIT

D’une Lettre écrite des Indes le 10 de Janvier 1700. tiré des Mémoires de Trévoux, Janvier 1707.



Ce que j’ai lû dans des Mémoires de la Chine, sur l’homme sauvage de l’isle de Borneo[8], est très-véritable.

Le 19 Mai 1699. étant à la rade de Batavie[9], je vis moi-même sur le London, frégate Angloise qui revenoit de Borneo, un de ces hommes sauvages qui n’avoit encore que trois mois, ainsi que me l’assura M. Jean Flours, Marchand & Capitaine auquel appartenoit ce vaisseau. Ce jeune Monstre me parut haut d’environ deux pieds : il étoit couvert de poil, mais fort court encore ; il avoit la tête ronde & très-semblable à celle de l’homme, des yeux, une bouche, un menton un peu différens des nôtres pour la figure ; mais il étoit si prodigieusement camus, que je n’ose lui donner de nez : vous auriez crû voir quant à ce point, un de ces malheureux qui le perdoient autrefois pour avoir quitté le service. Cet animal avoit de la force déjà beaucoup plus que les enfans n’en ont d’ordinaire à six ou sept ans : ce que je connus en le tirant par la main, car je sentis une résistance extraordinaire. Il avoit beaucoup de peine à se montrer ; & quand on l’obligeoit à sortir d’une espèce de loge qu’on lui avoit faite, il témoignoit du chagrin : il a des actions très-humaines. Quand il se couche, c’est sur le côté, appuié sur une des mains. Je lui trouvai le pouls au bras tel que nous l’avons. La taille de ces animaux, quand ils ont toute leur grandeur, égale celle des plus grands hommes.

Mr. Jean Flours nous dit qu’il en avoit tué un de trois balles. Ils courent plus vite que les Cerfs ; ils rompent dans les bois des branches d’arbres, dont ils se servent pour assommer les passans. Quand ils peuvent en tuer quelqu’un, ils lui succent le sang, qu’il goûtent comme un breuvage délicieux. On dit que ces animaux sont fort lascifs : celui que nous vîmes paroissoit femelle ; il avoit le regard farouche, le maintien paresseux, & un air mélancolique. Quand je passai à Malaque[10], il y avoit trois de ces hommes sauvages de Borneo ; mais je ne les vis pas[11].


EXTRAIT

De l’Histoire naturelle de Pline, de la traduction de Dupinet[12].



Livre 9. Chapitre 2. L’eau produit beaucoup plus d’animaux & de plus grands que ne fait la terre. La raison en est manifeste : car l’abondance d’humeur en est cause. La mer est de si grande étendue, & est si propre à donner une nourriture & un accroissement tant doux & aimable, que ce n’est de merveille si on y trouve des choses incroyables & monstrueuses : car les germes & semences de toutes choses s’y entrelassent & mêlent tellement, tant par les vents que par l’agitation des vagues, qu’avec grande raison on peut dire, (comme aussi on le dit communément,) qu’il n’y a chose sur terre, dont il n’y ait en la mer, & que même il y a plusieurs choses en la mer qu’on ne sçauroit trouver ni en l’air ni sur la terre : car non-seulement on y trouve des poissons faits en forme de bêtes terrestres ; mais aussi on y trouve les formes & figures de plusieurs choses inanimées, comme des raisins, & même des concombres terrestres. Pourquoi il ne faut pas s’étonner de voir de petits poissons à écailles, ayant le mufle fait à mode de têtes de chevaux.

Livre 4. Chapitre 13. Philemon dit que ceux de Dannemarc appellent Morimazara, c’est-à-dire mer morte, toute cette mer de Poméranie & de Prusse, depuis Dannemarck jusques au cap Dagherot, ou Rivalia qui est ès côtes de Lislant. Erophon Circision dit qu’il y a une grande Isle sur cette mer qu’il appelle Bathia. Il y a aussi les isles Ioniennes, où les Insulaires se nourrissent seulement d’œufs, d’oiseaux & d’avoine. Il y en d’autres où les hommes y naissent ayant les pieds faits comme un cheval, à cause de quoi ils sont appellés Hippopodes. Plus on trouve les isles Fancsiennes, les hommes & femmes vont tous nuds pour la plûpart ; mais ils ont les oreilles si grandes, qu’elles leur couvrent tout le corps.

L. 7. c. 2. En la Scythie Septentrionale (c’est la grande Tartarie,) les Arimaspes que nous avons dit avoir un œil au front… font la guerre aux Grisons, (qui sont bêtes volans fort furieuses,) lesquelles gardent les mines d’or avec aussi grande cupidité que les Arimaspes les recherchent.

Par de-là les Scithes qui vivent de chair humaine, il y a une contrée dite Abarimon, en une certaine grande vallée du Mont-Imaüs, où on trouve des hommes sauvages, qui vivent ordinairement parmi les bêtes brutes, & qui ont le pied tourné s’en devant derriere ; & néantmoins ils sont fort légers à courir.

Au pays de Ziuria (l’Albanie) il y a une sorte de gens, ayant les yeux verts, qui sont chenus, forts, dès leur enfance, lesquels voient mieux de nuit que de jour.

Au de-là des Nasamoniens on trouve les Hermaphrodites, qui ont deux natures : aussi s’entrecognoissent-ils charnellement les uns les autres, chacun leur tour : Aristote ajoutant à son dire, que ces gens ont le tetin droit comme un homme, & le gauche comme la femme. Phylarcus dit que la race des Thybiens se remarquoit seulement à ce qu’ils avoient deux prunelles en un œil, & la figure d’un cheval en l’autre. Il dit davantage, que ces gens ne vont jamais à fonds de l’eau, pour chargés d’habillemens qu’ils soient.

Il y a des gens qui ont des membres miraculeux, & portant médecine à certains cas ; comme étoit le pouce du pied droit du Roi Pyrrhus, duquel il guérissoit du mal de la ratte, à toucher seulement ceux qui en étoient malades. Aussi tient-on que jamais ce pouce ne put être brûlé avec le reste de son corps, & que pour raison de ce il fut enchassé & mis au Temple pour relique.

Megasthenes dit que ceux qui habitent le Mont-Milo ont le pied tourné s’en dessus dessous, & qu’ils ont huit doigts en chaque pied. On trouve aussi en plusieurs montagnes des gens qui ont des têtes de chien ; lesquels aussi au lieu de parler jappent, & ont les ongles pointues, tranchantes, aiguës, & ne vivent que de leur chasse. Ctesias affirme avoir découvert plus de six cens vingt mille hommes de cette sorte… dit outre qu’il y en a qui n’ont qu’une jambe, & néanmoins ils sont fort légers à sauter. Ces gens sont aussi appellés Sciopodes[13] parce qu’au cœur de l’été & à la chaleur du soleil, ils se couchent à l’envers, & se couvrent de leurs pieds, qui leur servent d’ombre. Après ceux-là, tirant vers le Ponent, on en trouve qui n’ont point de col, & qui ont les yeux ès épaules.

En la région des Cartadules, qui est ès montagnes des Indes orientales, sujettes au levant Equinoctial, on trouve des Satyres[14], qui est un animal fort léger & vîte du pied, lesquels vont quelquefois à quatre pieds, & quelquefois courent à deux comme feroit un homme : ils sont si légers qu’à peine les peut-on prendre s’ils ne sont vieux ou malades.

Tauron dit qu’entre les Choromandes[15] il y a certains hommes sauvages, qui ne parlent point, ains barbottent & criquettent des dents fort hideusement au lieu de parler, & ont le corps velu, les yeux verds & les dents comme les chiens.

Eudoxius dit aussi, qu’aux Indes méridionales les hommes ont les pieds longs d’une coudée, & au contraire les femmes les ont petits comme passereaux, dont aussi sont appellées Struttopodes.

Megaftenes dit qu’en un certain quartier des Nomades[16] Indiens, il y a certaines gens dits Syrictes, qui n’ont que deux trous au lieu du nez, & qui ont les jambes recourbées comme la queuë d’un serpent.

Aux basses Indes orientales, environ la source du fleuve Ganges[17], on trouve des gens qui n’ont point de bouche, & qui sont tous velus par le corps, lesquels se vêtent du cotton que jettent les feuilles des arbres, & ne vivent que des odeurs & parfums qu’ils tirent par le nez. Ils ne mangent & ne boivent : ains s’entretiennent de l’odeur & racine des fleurs, & des fruits sauvages qu’ils portent avec eux, quand ils ont à faire long voyage, afin que l’odeur ne leur faille : car s’ils sentoient quelque mauvaise odeur, ils mourroient aisément.

Après ceux-là, au cul des montagnes qui sont droitement opposées à la bise, on trouve les Nains dits Pigmées ou Spithemiens, pour ce qu’ils ne passent trois palmes de hauteur ; & est leur contrée toujours verdoyante comme au printems. Homère dit, que les Grues leur font ordinairement la guerre ; on dit aussi qu’au printems tout ce petit peuple monte sur chevres & beliers, & armés d’arcs & de flèches, va faire la guerre aux Grues, écrasant leurs œufs & tuant leurs petits, & que cette guerre dure bien trois mois : car sans cela ils ne pourroient resister aux petits Gruons qui viendroient. Quant à leurs maisons, elles sont bâties de terre grasse, de plumes d’oiseaux & de coquilles d’œufs. Aristote dit qu’ils se tiennent en cavernes & tanieres, se conformant (lui Aristote) au reste au dire des autres.

Bien est vrai que ceux qui habitent en la côte de Mont Santo (le Mont-Athos) se nourrissent de chair de viperes ; & de-là vient qu’ils n’ont aucune vermine, ni en la tête ni en leurs habillemens.

Onesicritus dit, qu’ès Indes où il n’y a point d’ombre, les hommes sont hauts de cinq coudées & deux palmes, & vivent ordinairement cent trente ans, sans se sentir pesans : ains se trouvent brusques & verts comme à mi-âge à la fin de leurs jours.

Ctesias affirme que la race des Pandoriens qui habitent en certains vallons des Indes, vivent deux cens ans, & qu’en leur jeunesse ils ont les cheveux blancs, qui par après noircissent en vieillesse.

Duris aussi affirme qu’en certains endroits des Indes, les hommes vont aux bêtes, lesquelles par après sont des monstres, demi-bêtes & demi-hommes.

Ez Indes les femmes Calingiennes chargent[18] leurs enfans à cinq ans : aussi n’en vivent-elles que huit au plus. En d’autres endroits y a d’hommes qui ont une queuë velue, lesquels sont fort légers du pied : d’autres ont les oreilles si grandes, qu’ils s’en peuvent couvrir tout le corps[19].

Pergamenus Crates dit qu’il y a des Ethyopiens, qui passent huit coudées de haut, & que c’est une race des Nomades Ethyopiens qu’on nomme Goths, lesquels se tiennent le long du fleuve Astapus[20], du côté de bise ou de septentrion.

Liv. 9. c. 3. Les Capitaines de l’armée de mer d’Alexandre le Grand disoient outre avoir vû sortir de la mer certains animaux comme moutons, qui venoient paître en terre & mangeoient les racines des herbes, & puis retournoient en la mer ; & qu’il y en avoit d’autres qui se paissoient parmi les bleds, qui avoient les têtes, les uns comme chevaux, les autres comme ânes, & les autres comme toreaux[21].

Liv. 9. c. 5. Du regne de l’Empereur Tiberius, ceux de Lisbonne lui envoyerent des Ambassadeurs exprès, pour l’avertir qu’en leur côte de mer on avoit découvert un Triton jouant du cornet en une caverne, & qu’il étoit tel qu’on les dépeint ordinairement. Quant aux Nereides ou Sireines, elles ont véritablement le corps tel qu’on les dépeint : hormis qu’elles sont âpres & écaillées, ès parties esquelles elles retirent à la figure humaine ; car on en a vû en la même côte & plage ; & même les gens du pays en ont oui plaindre une de loin, lorsqu’elle mourut.

D’ailleurs le Gouverneur des Gaules a certifié à l’Empereur Auguste par lettres expresses, qu’on avoit trouvé sur la plage plusieurs Nereides mortes. Item, j’ai pour témoins plusieurs hommes d’armes Romains, gens d’honneur & de crédit, qui m’ont affirmé avoir vû en la côte d’Espagne un homme marin, ayant entièrement forme d’homme, & disoient qu’il se jettoit de nuit dans les fustes & brigantins, & qu’il étoit si pésant & si actif qu’il les faisoit enfoncer la part où il étoit.

Du tems de l’Empereur Tiberius, ès côtes de bretagne, la mer se retirant laissa sur la grève, en une certaine Isle plus de 300 bêtes marines, de grandeur & variété admirables, & on en trouva quasi autant ès côtes de Sainctonge sur la Rochelle : entr’autres bêtes, on y trouva des Elephans & des Beliers qui avoient les cornes comme les terrestres, hormis qu’elles étoient blanches, & même y avoit plusieurs Nereïdes.


EXTRAITS

De différens Voyageurs qui confirment ce qu’avancent Pline, & Telliamed.


Les Calmuques, selon Tavernier, qui habitent dans le voisinage de la mer Caspienne, entre les Moscovites & les grands Tartares, sont des hommes robustes, mais les plus laids & les plus difformes qui soient sous le Ciel ; ils ont le visage si plat & si large que d’un œil à l’autre, il y a l’espace de 5 ou 6. doigts ; leurs yeux sont extraordinairement petits, & le peu qu’ils ont de nez est si plat qu’on n’y voit que deux trous au lieu de narines ; ils ont les genoux tournés en dehors & les pieds en dedans : les petits Tartares ou Tartares noguais, qui habitent près de la Mer Noire, ont la forme du corps semblable à celle des Camulques. Les Tartares Vagolistes en Siberie ont la même ressemblance.

Les Tartares Brastki, selon le P. Avril, sont de la même figure que les Calmuques : à mesure qu’on avance vers l’Orient dans la Tartarie indépendante, les traits des Tartares se radoucissent un peu, mais les caractères essentiels à leur race restent toujours. Les Tartares mongoux, qui ont conquis la Chine, les plus policés de tous ces Peuples, les moins laids & les moins mal faits, ont cependant comme tous les autres, les yeux petits, le visage large & plat, le nez écrasé & très-court, &c.

Selon le Gentil, quand les jeunes filles Chinoises ont les yeux petits & longs, le nez écrasé & les oreilles longues, larges, ouvertes & pendantes, elles se regardent comme des beautés parfaites.

Selon le P. Parennin dans sa lettre dattée de Pékin, le 28 Sept. 1735. Recueil in-4o. des Lettres édifiantes, il y a des Chinois qui ont la tête enfoncée dans les épaules, les jambes cagneuses, &c.

Les Habitans du pays d’Yeço, qui est au Nord du Japon, sont, dit Mr. de Buffon dans son Hist. natur. in-4o. tom. 3. p. 391. sont grossiers, brutaux, sans mœurs, sans arts ; ils ont le corps court & gros, ils sont fort velus sur le corps & même sur le visage.

Selon le même, les Habitans du pays de Laos percent leurs oreilles, & en agrandissent le trou si prodigieusement, qu’on pourroit presque y passer le poing ; en sorte que leurs oreilles descendent jusques sur leurs épaules, ibid. p. 391.

Ceux d’Aracan, ibid. 393. ont les narines larges & ouvertes, & les oreilles si alongées, qu’elles leur pendent jusques sur les épaules ; ils mangent des souris, des rats, des serpens, &c.

Dans les Lettres édifiantes, recueil 16. p. 13. les Habitans de Java sont d’un rouge pourpre.

Selon François Legat, amst. 1708. tom. 2. p. 137. il y a dans l’Isle de Java une nation qu’on appelle Chacrelas ; ces Chacrelas ont les yeux si foibles qu’ils ne peuvent absolument supporter le grand jour ; le jour ils marchent les yeux presque fermés, & ils voient bien la nuit.

Selon Mandeslo, tom. 2. p. 378. les hommes des moluques vivent longtems, & cependant leurs cheveux deviennent blancs de bonne heure.

Selon Dampier, tom. 5. 1715. p. 631. les Habitans de la Baie de Caphao sont de couleur de cuivre jaune.

Selon Gemelli Carreri, tom. 5. p. 68. paris. 1719. aux Isles Philippines il y a des Noirs qui vivent dans les rochers & dans les bois, parmi lesquels on en a vu qui avoient des queues longues de 4. ou 5. pouces. Ce Voiageur ajoûte que dans l’Isle de Mindoro, une des Philippines, il y a une race d’hommes appelles Manghiens, qui tous ont des queues de 4. à 5. pouces de longueur, 16. p. 92.

A l’Isle formose, près de la Chine, les femmes ont de la barbe comme les hommes, & les oreilles fort longues ; elles ont le teint jaune-noir, ou tout-à-fait jaune. C’est là que Struys dit avoir vu un homme qui avoit une queue longue de plus d’un pied, toute couverte d’un poil roux, & fort semblable à celle d’un bœuf. Cet homme à queue assuroit que tous ceux de la partie Méridionale de cette Isle avoient des queues comme lui. Rouen. 1719. tom. 1. p. 100.

Marc-Paul, dans sa Description Géographique, Paris, 1556. rapporte que dans le royaume de Lambry, il y a des hommes qui ont des queues de la longueur de la main, & qui vivent dans les montagnes.

Selon Jacques Le Maire, recueil des Voyages qui ont servi à l’établissement de la Compagnie des Indes de Hollande, tom. 4. p. 648. les Papous qui sont au midi des Isles Marianes & à l’Orient des Isles Moluques sont fort noirs, leurs femmes sont affreuses, elles ont de longues mammelles qui leur tombent sur le nombril, le ventre extrêmement gros, les jambes & les bras très-menus, des physionomies de singes, &c.

Selon Dampier, tom. 2. p. 171. les Habitans de la côte de la nouvelle Hollande, sont peut-être les hommes du monde les plus malheureux, & qui approchent les plus des Brutes ; ils sont grands, droits & menus ; ils ont les membres longs de déliés, & avec cela la tête grosse & le front rond : les paupieres sont toujours à demi fermées, & ils ne sauroient voir de loin, à moins qu’ils ne levent la tête, comme s’ils vouloient regarder au dessus d’eux ; ils n’ont ni habits ni maisons, ils n’ont pour lit que la terre : hommes femmes, enfans tout cela ensemble.

Il y a parmi les Naires ou Nobles de Calicut, certains hommes & certaines femmes qui ont les jambes aussi grosses que leur corps, & cela de naissance ; il y en a qui n’ont qu’une jambe. La peau de ces jambes est dure & rude comme une verrue ; on en trouve aussi à Ceylan selon le recueil des Voyages pour l’établissement de la Compagnie des Indes de Hollande, tom. 4. 362.

Les Habitans de Ceylan selon Pigasetta (India Orientalis, pars 1a. p. 39. 159) comme ceux de la côte de Malabar, ont les oreilles larges, basses & pendantes. Les Habitans de Cambay ont le teint gris ou couleur de cendre, voyez Pigasetta, ibid. p. 34.

Ceux de Guzarati sont jaunâtres, selon Laboullaye, Legoux, p. 225.

Les Canarins, qui sont les Indiens de Goa & des Isles voisines sont olivâtres. Legoux, ibid.

Selon Pyrard, 2e. partie de son voyage, tom. 2. p. 64. c’est une chose remarquable entre tous ces Peuples Indiens, que leur sueur ne pue point, au lieu que les Negres d’Afrique, tant en deçà que delà le Cap de Bonne-Espérance, sentent de telle sorte, quand ils sont échauffés, qu’il est impossible d’approcher d’eux, tant ils puent, & sentent mauvais comme des poireaux verds.

Les Negresses du Sénégal sont fort fécondes, & accouchent avec beaucoup de facilité & sans aucun secours ; les suites de leurs couches ne sont point fâcheuses, & il ne leur faut qu’un jour ou deux de repos pour se rétablir. Voyez Voyage de le Maire, 1695. p. 144 & suiv.

Le P. du Tertre, hist. des Antilles 1667. p. 593. dit que les Negres d’Angola sentent si mauvais, lorsqu’ils sont échauffés, que l’air des endroits par où ils ont passé, en est infesté pendant plus d’un quart d’heure.

L’articulation de la voix des Hottentots ressemble à des soupirs, voyez Histoire Générale des Voyages par Monsieur l’Abbé Prévôt, tom. 1. p. 22. Leur langage est étrange, ils gloussent comme des coqs d’inde ; voyez le Recueil des Voyages de la Compagnie de Hollande, sur les Hottentots. Leurs femmes qui sont beaucoup plus petites que les hommes ont une espèce de croissance ou de peau dure & large, qui leur croît au dessus de l’os pubis, & qui descend jusqu’au milieu des cuisses en forme de tablier ; voyez Kolbe, Description du Cap de bonne-Espérance, tom. 1 p. 91. & le Voyage de Courlai, p. 291.

Thevenot dit la même chose des Egyptiennes, mais il ajoûte qu’elles ne laissent pas croître cette peau, & qu’elles la brûlent avec des fers chauds.

Kolbe prétend qu’encore aujourd’hui les Hottentotes découvrent cette monstrueuse difformité à ceux qui ont assez de curiosité ou d’intrepidité, pour demander à la voir ou à la toucher.

Les Sauvages de la Baye de Hudson & du Nord de la terre de Labrador ont le visage presque entiérement couvert de poil, comme les Sauvages du pays d’Hyeço au Nord du Japon, V. Voyage de Robert Lade (Traduction par M. l’Abbé Prévost) Paris 1744. tom. 2. p. 309. & suiv.

Il y a une nation d’indiens qui ont le col si court & les épaules si élevées, que leurs yeux paroissent être sur leurs épaules, & leur bouche dans leur poitrine, voyez Coreal, Voyages, tom. 2. p. 58.

C’est à l’extrémité du Chili, vers les terres Magellaniques, que se trouve une race de Géants ; M. Frezier, Voyages, dit avoir appris de plusieurs Espagnols, qui avoient vû quelques-uns de ces hommes, qu’ils avoient 9 ou 10 pieds de hauteur ; ces Géants sont appellés Patagons ; les anciennes rélations en ont parlé.

Selon le même, en 1709. les gens du vaisseau le Jacques, de St. Malo, virent sept de ces Géants dans la Baye Grégoire, & ceux du Vaisseau de St. Pierre, de Marseille, en virent six ; ils s’en approcherent pour leur offrir du pain, du vin & de l’eau-de-vie que ces Geans refuserent, quoiqu’ils eussent donné à ces Matelots quelques fléches, & qu’ils les eussent aidés à échouer le Canot du Navire. Frezier, Voyage 1732. p. 75.


FIN.



  1. Poisson.
  2. Apud Photium.
  3. Pline, L. 9. c. 5.
  4. Ramasio.
  5. L. 3. c. 18.
  6. L. I.
  7. J’ai vû cette année 1755. à la foire Saint-Germain à Paris deux poissons desséchés, dont les têtes, le haut du corps & les pattes de devant ressembloient beaucoup à ces mêmes parties dans l’homme & dans la femme. Celui qui les montroit juroit qu’ils n’étoient pas factices, & ils sentoient la marée : il les appelloit Triton & Sirene.
  8. Isle fort grande dans la mer des Indes, & la principale des Isles de la Sonde. Le Roi est Mahométan, avec les peuples qui sont sur les côtes ; ceux qui demeurent bien avant dans le Pays sont Payens. Ce Prince n’est guères que le premier sujet de sa femme, à qui l’on défere toute l’autorité. Leur raison est que pour avoir un légitime héritier de trône, il est toujours plus à propos de le laisser gouverner par une femme, qui est toujours certaine que ses enfans sont à elle ; ce qu’un mari ne peut assurer.
  9. Autrement Batavia, Ville d’Asie appartenant aux Hollandois, la Capitale de leur Empire dans les Indes, très-belle, & bien fortifiée, extrêmement peuplée de toutes sortes de Nations.
  10. Autrement Malaca, langue de terre en forme de peninsule, dans la presqu’isle de l’Inde, au-delà du Golphe de Bengale, vers le Royaume de Siam. Les Anciens l’appelloient la Chersonese d’or. Elle a une Ville de même nom. Elle appartient aux Hollandois.
  11. Il faut lire la Relation ou l’Histoire d’une jeune Fille sauvage, trouvée dans les bois, attribuée à M. de la Condamine. Paris, 1755. in-12. Chez Duchesne, Libraire. Il seroit même bon de la faire relier à la fin de ce Volume.
  12. Aristote, Théophraste & Pline sont encore aujourd’hui les plus grands Naturalistes. Hist. Natur. de M. de Buffon, 1. disc. P. 43, 44.

    On trouve Pline plus habile & plus exact de jour en jour. M. Deslandes, Recueil de Physique, troisième édition augment. 1750. 2 Vol. Préf.

  13. S. Augustin en fait mention au seiziéme Livre de la Cité de Dieu.
  14. S. Jerôme les prend pour Gobelins ou Luytons.
  15. Ctesias les met en Perse.
  16. Ce sont ceux qui habitent les champs sous tentes & pavillons.
  17. Le Gange.
  18. Portent.
  19. Marc-Antoine Pigaserta raconte que dans l’Isle de Aruchetto il y a des Nains d’une coudée de haut, qui ont des oreilles si larges, qu’ils peuvent se coucher & s’étendre sur l’une, & se couvrir de l’autre.
  20. C’est le Nil, ainsi appellé en Ethiopie.
  21. Taureaux.