Testament de Meslier/Chapitre 5

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Cramer (p. 40-45).


CHAPITRE V

IIIe Preuve de la fausseté de la Religion, tirée des prétendües Visions & Révélations Divines.



VEnons aux prétendües Visions & Révélations Divines, sur lesquelles nos Christicoles fondent & établissent la vérité & la certitude de leur Religion.

Pour en donner une juste idée je ne crois pas qu’on puisse mieux faire que de dire en general, qu’elles sont telles, que si quelqu’un osoit maintenant se vanter d’en avoir de semblables, & qu’il voulût s’en prévaloir, on le regarderoit infailiblement comme un fol, un fanatique.

Voici quelles furent ces prétendües visions & révélations divines.

Dieu, disent les prétendus saints Livres, s’étant pour la premiére fois apparu à Abraham, lui dit : « Sortez de votre pays (il étoit alors en Caldée), quittez la maison de votre père, & allez-vous-en au pays que je vous montrerai. » Cet Abraham y étant allé, Dieu, dit l’histoire, Gen. 12. 1. s’apparut une seconde fois à lui, & lui dit : « Je donnerai tout ce pays-ci où vous êtes, à votre postérité. » En reconnoissance de cette gracieuse promesse Abraham lui dressa un Autel.

Après la mort d’Isaac, son fils Jacob allant un jour en Mésopotamie, pour chercher une femme qui lui fût convenable, ayant marché tout le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir ; couché par terre, sa tête appuyée sur quelques pierres pour s’y reposer, il s’endormit ; & pendant son sommeil il vit en songe une échelle dressée de la terre à l’extrémité du Ciel, & il lui sembloit voir les Anges monter & descendre par cette échelle, & qu’il voyoit Dieu lui-même s’appuyer sur le plus haut bout, lui disant : « Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham & le Dieu d’Isaac votre père ; je vous donnerai à vous & à votre postérité, tout le pays où vous dormez ; elle sera aussi nombreuse que la poussiére de la terre ; elle s’étendra depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, & depuis le Midi jusqu’au Septentrion ; je serai votre protecteur partout où vous irez ; je vous raménerai sain & sauf de cette terre, & je ne vous abandonnerai point, que je n’aye accompli tout ce que je vous ai promis. » Jacob s’étant éveillé dans ce songe, fut saisi de crainte, & dit : « Quoi ! Dieu est vraiment ici, & je n’en sçavois rien ! Ah, que ce lieu-ci est terrible, puisque ce n’est autre chose que la Maison de Dieu & la porte du Ciel ! » Puis s’étant levé, il dressa une pierre, sur laquelle il répandit de l’huile en mémoire de ce qui venoit de lui arriver, & fit en même tems vœu à Dieu que s’il revenoit sain & sauf, il lui offriroit la dixme de tout ce qu’il auroit.

Voici encore une autre vision. Gardant les troupeaux de son beau-père Laban, qui lui avoit promis que tous les agneaux de diverses couleurs que les brebis produiroient, seroient sa récompense, il songea une nuit, qu’il voyoit les mâles sauter sur les femelles, & qu’elles lui produisoient toutes des agneaux de diverses couleurs. Dans ce beau songe Dieu lui apparut, & lui dit[1] : « Regardez & voyez comme les mâles montent sur les femelles, & comme ils sont de diverses couleurs ; car j’ai vu la tromperie et l’injustice que vous fait Laban vôtre beau-père ; levez-vous donc maintenant ; sortez de ce pays-ci, & retournez dans le vôtre. » Comme il s’en retournoit avec toute sa famille, & avec ce qu’il avoit gagné chez son beau-père, il eut, dit l’histoire, en rencontre pendant la nuit un homme inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu’au point du jour ; & cet homme ne l’ayant pu vaincre, il lui demanda qui il étoit. Jacob lui dit son nom : « Vous ne serez plus appelé Jacob, mais Israël, car puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison serez-vous fort en combattant contre les hommes. » Gen. 32. 25. 28.

Voilà quelles furent en partie les premiéres de ces prétendues visions & révélations divines. Il ne faut pas juger autrement des autres que de celles-ci. Or quelle apparence de divinité y a-t-il dans des songes si grossiers & dans des illusions si vaines ? Si quelques personnes venoient maintenant nous conter de pareilles sornettes, & les crussent pour de véritables révélations divines ; comme, par exemple, si quelques étrangers, quelques Allemands venus dans notre France, & qui auroient vu toutes les plus belles Provinces du Royaume, venoient à dire que Dieu leur seroit apparu dans leur pays, qu’il leur auroit dit de venir en France, & qu’il leur donneroit à eux & à tous leurs descendans, toutes les belles Terres, Seigneuries, & Provinces de ce Royaume, qui sont depuis les fleuves du Rhin & du Rhône, jusqu’à la mer Océane ; qu’il feroit une éternelle alliance avec eux, qu’il multiplieroit leur race, qu’il rendroit leur postérité aussi nombreuse que les étoiles du Ciel & que les grains de sable de la mer &c. qui ne riroit de telles sottises, & qui ne regarderoit ces étrangers comme des fous ? Il n’y a certainement personne qui ne les regardât comme tels, & qui ne se moquât de toutes ces belles visions & révélations divines.

Or il n’y a aucune raison de juger ni de penser autrement de tout ce qu’on fait dire à ces grands prétendus Sts. Patriarches Abraham, Isaac & Jacob sur les prétendües révélations divines qu’ils disoient avoir eues.

À l’égard de l’institution des sacrifices sanglans, les Livres sacrés l’attribuent manifestement à Dieu. Comme il seroit trop ennuyant de faire les détails dégoutans de ces sortes de sacrifices, je renvoye le Lecteur à l’Exode ch. 25. 1. : 27. 1. & 21. : 28. 3 : 29. 1 : ibid. ℣. 2. ℣. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Mais les hommes n’étoient-ils pas bien fous & bien aveuglés de croire faire honneur à Dieu, de déchirer, tuer & brûler ses propres créatures sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? Et maintenant encore comment est-ce que nos Christicoles sont si extravagans que de croire faire un plaisir extrême à leur Dieu le Père de lui offrir éternellement en sacrifice son Divin Fils en mémoire de ce qu’il auroit été honteusement & miserablement pendu à une croix où il seroit expiré ? Certainement cela ne peut venir que d’un opiniâtre aveuglement d’esprit.

À l’égard du détail des sacrifices d’animaux, il ne consiste qu’en des vêtemens de couleurs, en sang, fressures, foyes, jabots, rognons, ongles, peaux, fiente, fumée, gâteaux, certaines mesures d’huile & de vin ; le tout offert, & infecté de cérémonies sales & aussi pitoyables que des opérations de magie les plus extravagantes.

Ce qu’il y a de plus horrible, c’est que la Loi de ce détestable peuple Juif ordonnoit aussi que l’on sacrifiât des hommes. Les Barbares (tels qu’ils soient) qui avoient rédigé cette loi affreuse, ordonnoient Levit. chap. 27. que l’on fît mourir sans miséricorde tout homme qui avoit été voué au Dieu des Juifs, qu’ils nommoient Adonaï, & c’est selon ce précepte exécrable que Jephté immola sa fille, que Saül voulut immoler son fils.

Mais voici encore une preuve de la fausseté de ces révélations, dont nous avons parlé. C’est le défaut d’accomplissement des grandes & magnifiques promesses qui les accompagnoient ; car il est constant que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

La preuve de cela consiste en trois choses principales : 1o. À rendre leur postérité plus nombreuse que tous les autres peuples de la terre &c. 2o. À rendre le peuple qui viendroit de leur race, le plus heureux, le plus saint & le plus triomphant de tous les peuples de la terre &c. 3o. Et aussi à rendre son alliance éternelle, & qu’ils posséderoient à jamais le pays qu’il leur donneroit. Or il est constant que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

Premiérement. Il est certain que le peuple Juif, ou le peuple d’Israël, qui est le seul qu’on puisse regarder comme descendans des Patriarches Abraham, Isaac & Jacob, & le seul dans lequel ces promesses auroient dû s’accomplir, n’a jamais été si nombreux pour qu’il puisse être comparable en nombre aux autres peuples de la terre, beaucoup moins par conséquent aux grains de sable &c. ; car l’on voit que dans le tems même qu’il a été le plus nombreux & le plus florissant, il n’a jamais occupé que les petites Provinces stériles de la Palestine & des environs, qui ne sont presque rien en comparaison de la vaste étendüe d’une multitude de Royaumes florissans qui sont de tous côtés sur la terre.

Secondement. Elles n’ont jamais été accomplies touchant les grandes bénédictions dont ils auroient dû être favorisés ; car quoiqu’ils ayent remporté quelques petites victoires sur de pauvres peuples qu’ils ont pillés, cela n’a pas empêché qu’ils n’ayent été le plus souvent vaincus & reduits en servitude ; leur Royaume détruit aussi-bien que leur nation par l’armée des Romains : & maintenant encore nous voyons que le reste de cette malheureuse nation n’est regardé que comme le peuple le plus vil & le plus méprisable de toute la terre, n’ayant en aucun endroit ni domination ni supériorité.

Troisiémement. Enfin ces promesses n’ont point été non plus accomplies à l’égard de cette alliance éternelle que Dieu auroit dû faire avec eux ; puisque l’on ne voit maintenant & que l’on n’a même jamais vu aucune marque de cette alliance ; & qu’au contraire ils sont, depuis plusieurs siècles, exclus de la possession du petit pays qu’ils prétendent leur avoir été promis de la part de Dieu pour en jouïr à tout jamais. Ainsi toutes ces prétendües promesses n’ayant point eu leur effet, c’est une marque assurée de leur fausseté. Ce qui prouve manifestement encore, que ces prétendus saints & sacrés Livres qui les contiennent, n’ont pas été faits par l’inspiration de Dieu. Donc c’est en vain que nos Christicoles prétendent s’en servir comme d’un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur Religion.



  1. Gen. 31. 12.