Testament de Meslier/Texte entier

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Cramer (p. 1-64).


ABRÉGÉ
DE LA
VIE DE L’AUTEUR.



JEan Meslier Curé d’Etrépigny & de But en Champagne, natif du village de Mazerni dépendant du Duché de Mazarin, étoit le fils d’un ouvrier en serge ; élevé à la Campagne, il a néanmoins fait ses études & est parvenu à la Prêtrise.

Étant au Séminaire où il vécut avec beaucoup de régularité, il s’attacha au systême de Descartes. Ses mœurs ont paru irréprochables, faisant souvent l’aumône ; d’ailleurs très sobre, tant sur sa bouche que sur les femmes.

Mrs. Voiry & Delavaux, l’un Curé de Va & l’autre Curé de Boutzicourt, étoient ses confesseurs, & les seuls qu’il fréquentoit.

Il étoit seulement rigide partisan de la justice, & poussoit quelquefois ce zèle un peu trop loin. Le Seigneur de son village nommé le Sr. de Touilly, ayant maltraité quelques Paysans, il ne voulut pas le recommander nommément au Prône : Mr. de Mailly Archevêque de Reims, devant qui la contestation fut portée, l’y condamna. Mais le Dimanche qui suivit cette décision, ce Curé monta en Chaire & se plaignit de la sentence du Cardinal. « Voici, dit-il, le sort ordinaire des pauvres Curés de Campagne ; les Archevêques, qui sont de grands Seigneurs, les méprisent & ne les écoutent pas. Recommandons donc le Seigneur de ce lieu. Nous prierons Dieu pour Antoine De Touilly ; qu’il le convertisse, & lui fasse la grace de ne point maltraiter le pauvre, & dépouiller l’orphelin. »

Ce Seigneur présent à cette mortifiante recommandation, en porta de nouvelles plaintes au même Archevêque, qui fit venir le Sieur Meslier à Donchery, où il le maltraita de paroles.

Il n’a guère eu depuis d’autres événemens dans sa vie ni d’autre bénéfice que celui d’Etrépigny.

Les principaux de ses Livres étoient la Bible, un Moréri, un Montagne & quelques Pères ; & ce n’est que dans la lecture de la Bible & des Pères qu’il puisa ses sentimens. Il en fit trois copies de sa main, l’une desquelles fut portée au Garde des Sceaux de France, sur laquelle on a tiré l’Extrait suivant. Son MS. est adressé à Mr. Le Roux Procureur & Avocat en Parlement, à Mézières.

Il est écrit à l’autre côté d’un gros papier gris qui sert d’envelope, « J’ai vu & reconnu les erreurs, les abus, les vanités, les folies & les méchancetés des hommes ; je les ai haïs & détestés, je ne l’ai osé dire pendant ma vie, mais je le dirai au moins en mourant & après ma mort ; & c’est afin qu’on le sçache, que je fais, & écris le présent Mémoire, afin qu’il puisse servir de témoignage de vérité à tous ceux qui le verront & qui le liront si bon leur semble. »

On a aussi trouvé parmi les Livres de ce Curé, un imprimé des Traités de Mr. de Fénelon Archevêque de Cambray [Édit. de 1718] sur l’Existence de Dieu & sur ses attributs, & les Réflexions du P. Tournemine Jésuite sur l’Athéïsme, auxquels Traités il a mis ses notes en marge signées de sa main.

Il avoit écrit deux Lettres aux Curés de son voisinage, pour leur faire part de ses sentimens etc. Il leur dit qu’il a consigné au Greffe[1] de la Justice de sa Paroisse une Copie de son Écrit en 366 feuillets in-8o. mais qu’il craint qu’on ne la supprime, suivant le mauvais usage établi d’empêcher que les simples ne soient instruits, & ne connoissent la vérité[2].

Ce Curé a travaillé toute sa vie en secret pour attaquer toutes les opinions qu’il croyoit fausses.

Il mourut en 1733, âgé de 55 ans : on a cru que dégoûté de la vie il s’étoit exprès refusé les alimens nécessaires, parce qu’il ne voulut rien prendre, pas même un verre de vin.

Par son testament, il a donné tout ce qu’il possédoit, qui n’étoit pas considérable, à ses Paroissiens, & il a prié qu’on l’enterrât dans son Jardin.


AVANT-PROPOS



VOus connoissez, mes frères, mon désintéressement ; je ne sacrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si j’ai embrassé une profession si directement opposée à mes sentimens, ce n’est point par cupidité ; j’ai obéi à mes parens. Je vous aurois plutôt éclairés, si j’avois pû le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j’avance. Je n’ai point avili mon ministère en exigeant des rétributions qui y sont attachées.

J’atteste le Ciel, que j’ai aussi souverainement méprisé ceux qui se rioient de la simplicité des peuples aveuglés, lesquels fournissoient pieusement des sommes considérables pour acheter des prières. Combien n’est pas horrible cette monopole ! Je ne blâme pas le mépris que ceux qui s’engraissent de vos sueurs & de vos peines témoignent pour leurs mystères & leurs superstitions : mais je déteste leur insatiable cupidité & l’indigne plaisir que leurs pareils prennent à se railler de l’ignorance de ceux qu’ils ont soin d’entretenir dans cet état d’aveuglement.

Qu’ils se contentent de rire de leur propre aisance ; mais qu’ils ne multiplient pas du moins les erreurs en abusant de l’aveugle piété de ceux qui par leur simplicité leur procurent une vie si commode. Vous me rendez, sans doute, mes frères, la justice qui m’est duë. La sensibilité que j’ai témoignée pour vos peines me garantit du moindre de vos soupçons. Combien de fois ne me suis-je point acquitté gratuitement des fonctions de mon ministère ? Combien de fois aussi ma tendresse n’a-t-elle pas été affligée de ne pouvoir vous secourir aussi souvent & aussi abondamment que je l’aurois souhaité ? Ne vous ai-je pas toujours prouvé que je prenois plus de plaisir à donner qu’à recevoir ? J’ai évité avec soin de vous exhorter à la bigoterie ; & je ne vous ai parlé qu’aussi rarement qu’il m’a été possible de nos malheureux dogmes. Il faloit bien que je m’acquittasse, comme Curé, de mon ministère. Mais aussi combien n’ai-je pas souffert en moi-même lorsque j’ai été forcé de vous prêcher ces pieux mensonges que je détestois dans le cœur ? Quel mépris n’avois-je pas pour mon ministère, & particulièrement pour cette superstitieuse messe, & ces ridicules administrations de sacremens, surtout lorsqu’il falloit les faire avec cette solemnité qui attiroit votre piété & toute votre bonne foi ? Que de remors ne m’a point excité votre crédulité ? Mille fois sur le point d’éclater publiquement, j’allois dessiller vos yeux, mais une crainte supérieure à mes forces me contenoit soudain, & m’a forcé au silence jusqu’à ma mort.

EXTRAIT
DES SENTIMENS
DE JEAN MESLIER,
Adressés à ses Paroissiens, sur une partie des abus & des erreurs en général & en particulier.




CHAPITRE I.

Ire. Preuve, tirée des motifs qui ont porté les hommes à établir une Religion.



COmme il n’y a aucune secte particuliére de Religion, qui ne prétende être véritablement fondée sur l’autorité de Dieu & entiérement exempte de toutes les erreurs & impostures qui se trouvent dans les autres, c’est à ceux qui prétendent établir la vérité de leur secte à faire voir qu’elle est d’institution divine, par des preuves & des témoignages clairs & convaincans ; faute de quoi il faudra tenir pour certain qu’elle n’est que d’invention humaine, pleine d’erreurs & de tromperies ; car il n’est pas croyable qu’un Dieu tout-puissant, infiniment bon, auroit voulu donner des lois & des ordonnances aux hommes, & qu’il n’auroit pas voulu qu’elles portassent des marques plus sûres & plus authentiques de vérité, que celles des imposteurs qui sont en si grand nombre. Or il n’y a aucun de nos Christicoles, de quelque secte qu’il soit, qui puisse faire voir par des preuves claires, que sa Religion soit véritablement d’institution divine ; & pour preuve de cela c’est que depuis tant de siécles qu’ils sont en contestation sur ce sujet les uns contre les autres, même jusqu’à se persécuter à feu & à sang pour le maintien de leurs opinions, il n’y a eu cependant encore aucun parti d’entre eux, qui ait pu convaincre & persuader les autres par de tels témoignages de vérité ; ce qui ne seroit certainement point, s’il y avoit de part ou d’autre des raisons ou des preuves claires & sûres d’une institution divine ; car comme personne d’aucune secte, de Religion, éclairée, & de bonne foi, ne prétend tenir & favoriser l’erreur & le mensonge, & qu’au contraire chacun de son côté prétend soutenir la vérité, le véritable moyen de bannir toutes erreurs, & de réunir tous les hommes en paix dans les mêmes sentimens & dans une même forme de Religion, on devroit produire ces preuves & ces témoignages convaincans de la vérité, & faire voir par là que telle Religion est véritablement d’institution divine, & non pas aucune des autres. Alors chacun se rendroit à cette vérité, & personne n’oseroit entreprendre de combattre ces témoignages, ni soutenir le parti de l’erreur & de l’imposture, qu’il ne soit en même temps confondu par des preuves contraires : mais comme ces preuves ne se trouvent dans aucune Religion, cela donne lieu aux imposteurs d’inventer & de soutenir hardiment toutes sortes de mensonges.

Voici encore d’autres preuves qui ne feront pas moins clairement voir la fausseté des Religions humaines, & surtout la fausseté de la nôtre.




CHAPITRE II.

IIe. Preuve tirée des Erreurs de la Foi.



TOute Religion qui pose pour fondement de ses mystères, & qui prend pour règle de sa doctrine & de sa morale un principe d’erreurs, & qui est même une source funeste de troubles & de divisions éternelles parmi les hommes, ne peut être une véritable Religion, ni être d’institution divine. Or les Religions humaines, & principalement la Catholique, pose pour fondement de sa doctrine & de sa morale un principe d’erreurs. Donc, &c. Je ne vois pas qu’on puisse nier la premiére proposition de cet argument ; elle est trop claire & trop évidente pour pouvoir en douter. Je passe à la preuve de la seconde proposition, qui est que la Religion Chrétienne prend pour régle de sa doctrine & de sa morale ce qu’ils appellent foi ; c’est-à-dire, une créance aveugle, mais cependant ferme & assurée, de quelques Loix, ou de quelques révélations divines, & de quelque Divinité. Il faut nécessairement qu’elle le suppose ainsi ; car c’est cette créance de quelque Divinité & de quelques révélations divines qui donne tout le crédit & toute l’autorité qu’elle a dans le monde, sans quoi on ne feroit aucun état de ce qu’elle prescriroit. C’est pourquoi il n’y a point de Religion qui ne recommande expressément à ses sectateurs[3] d’être fermes dans leur foi. De-là vient que tous les Christicoles tiennent pour maximes, que la foi est le commencement & le fondement du salut, & qu’elle est la racine de toute justice,& de toute sanctification, comme il est marqué dans le Concile de Trente Sess. 6 chap. 8.

Or il est évident qu’une créance aveugle de tout ce qui se propose sous le nom & l’autorité de Dieu, est un principe d’erreurs & de mensonges. Pour preuve c’est que l’on voit qu’il n’y a aucun imposteur en matiére de Religion qui ne prétende se couvrir du nom de l’autorité de Dieu, & ne se dise particuliérement inspiré & envoyé de Dieu. Non seulement cette foi & cette créance aveugle qu’ils posent pour fondement de leur Doctrine, est un principe d’erreurs &c. mais elle est aussi une source funeste de troubles & de divisions parmi les hommes, pour le maintien de leurs Religions. Il n’y a point de méchancetés qu’ils n’exercent les uns contre les autres, sous ce spécieux prétexte.

Or il n’est pas croyable, qu’un Dieu tout-puissant, infiniment bon & sage, voulût se servir d’un tel moyen ni d’une voie si trompeuse, pour faire connoître ses volontés aux hommes ; car ce seroit manifestement vouloir les induire en erreur & leur tendre des piéges, pour leur faire embrasser le parti du mensonge. Il n’est pareillement pas croyable qu’un Dieu qui aimeroit l’union & la paix, le bien & le salut des hommes, eût jamais établi pour fondement de sa Religion, une source si fatale de troubles & de divisions éternelles parmi les hommes. Donc des Religions pareilles ne peuvent être véritables, ni avoir été instituées de Dieu.

Mais je vois bien que nos Christicoles ne manqueront pas de recourir à leurs prétendus motifs de crédibilité, & qu’ils diront que quoique leur foi & leur créance soit aveugle en un sens, elle ne laisse pas néanmoins d’être appuyée par de si clairs & de si convaincans témoignages de vérité, que ce seroit non seulement une imprudence, mais une témérité & une grande folie, de ne pas vouloir s’y rendre. Ils reduisent ordinairement tous ces prétendus motifs à trois ou quatre chefs.

Le premier ils le tiennent de la prétendue sainteté de leur Religion, qui condamne le vice & qui recommande la pratique de la vertu. Sa doctrine est si pure, si simple, à ce qu’ils disent, qu’il est visible qu’elle ne peut venir que de la pureté & de la sainteté d’un Dieu infiniment bon & sage.

Le second motif de crédibilité, ils le tirent de l’innocence & de la sainteté de la vie de ceux qui l’ont embrassée avec amour, & défendue jusqu’à souffrir la mort, & les plus cruels tourmens, plutôt que de l’abandonner : n’étant pas croyable, que de si grands personnages se soient laissés tromper dans leur créance, qu’ils ayent renoncé à tous les avantages de la vie, & se soient exposés à de si cruelles persécutions pour ne maintenir que des erreurs & des impostures.

Ils tirent leur troisiéme motif de crédibilité des oracles & des prophéties qui ont été depuis si long-temps rendues en leur faveur, & qu’ils prétendent accomplies d’une façon à n’en point douter.

Enfin leur quatriéme motif de crédibilité, qui est comme le principal de tous, se tire de la grandeur & de la multitude des miracles faits en tout tems & en tous lieux en faveur de leur Religion.

Mais il est facile de réfuter tous ces vains raisonnemens, & de faire connoître la fausseté de tous ces témoignages. Car 1o. les argumens que nos Christicoles tirent de leurs prétendus motifs de crédibilité, peuvent également servir à établir & confirmer le mensonge comme la vérité ; car l’on voit effectivement qu’il n’y a point de Religion, si fausse qu’elle puisse être, qui ne prétende s’appuyer sur de semblables motifs de crédibilité ; il n’y en a point qui ne prétende avoir une doctrine saine & véritable, & au moins en sa manière qui ne condamne tous les vices & ne recommande la pratique de toutes les vertus. Il n’y en a point qui n’ait eu de doctes & zélés défenseurs, qui ont souffert de rudes persécutions pour le maintien & la défense de leur Religion ; & enfin il n’y en a point qui ne prétende avoir des prodiges & des miracles qui ont été faits en sa faveur.

Les Mahométans, les Indiens, les Payens en alléguent en faveur de leurs Religions, aussi-bien que les Chrétiens. Si nos Christicoles font état de leurs miracles & de leurs prophéties, il ne s’en trouve pas moins dans les Religions Payennes que dans la leur. Ainsi l’avantage que l’on pourroit tirer de tous ces prétendus motifs de crédibilité, se trouve à peu près également dans toutes sortes de Religions.

Cela étant, comme toutes les histoires & la pratique de toutes les Religions le démontrent, il s’ensuit évidemment que tous ces prétendus motifs de crédibilité, dont nos Christicoles veulent tant se prévaloir, se trouvent également dans toutes les Religions, & par conséquent ne peuvent servir de preuves & de témoignages assurés de la vérité de leur Religion, non plus que de la vérité d’aucune ; la conséquence est claire.

2o. Pour donner une idée du rapport des miracles du Paganisme avec ceux du Christianisme, ne pourroit-on pas dire, par exemple, qu’il y auroit plus de raison de croire Philostrate, en ce qu’il récite dans le 8e. livre de la vie d’Apollonius, que de croire tous les Évangélistes ensemble, dans ce qu’ils disent des miracles de J. C. parce que l’on sçait au moins que Philostrate étoit un homme d’esprit, éloquent & disert, qu’il étoit Secretaire de l’Impératrice Julie, femme de l’Empereur Sévère, & que ç’a été à la sollicitation de cette Impératrice, qu’il écrivit la vie & les actions merveilleuses d’Apollonius ? marque certaine que cet Apollonius s’étoit rendu fameux par de grandes & extraordinaires actions, puisqu’une Impératrice étoit si curieuse d’avoir sa vie par écrit ; ce que l’on ne peut nullement dire de J. C. ni de ceux qui ont écrit sa vie ; car ils n’étoient que des ignorans, gens de la lie du peuple, des pauvres mercenaires, des pêcheurs qui n’avoient pas seulement l’esprit de raconter de suite & par ordre les faits dont ils parlent, & qui se contredisent même très-souvent & très-grossiérement.

À l’égard de celui dont ils décrivent la vie & les actions, s’il avoit véritablement fait les miracles qu’ils lui attribuent, il se seroit infailliblement rendu très-recommandable par ses belles actions ; chacun l’auroit admiré, & on lui auroit érigé des statues, comme on a fait en faveur des Dieux : mais au lieu de cela on l’a regardé comme un homme de néant, un fanatique, &c.

Joseph l’Historien, après avoir parlé des plus grands miracles rapportés en faveur de sa nation & de sa Religion, en diminue aussi-tôt la créance, & la rend suspecte, en disant qu’il laisse à chacun la liberté d’en croire ce qu’il voudra ; marque bien certaine qu’il n’y ajoutoit pas beaucoup de foi. C’est aussi ce qui donne lieu aux plus judicieux, de regarder les histoires qui parlent de ces sortes de choses comme des narrations fabuleuses. Voyez Montagne & l’auteur de l’Apologie des grands hommes. On peut aussi voir la rélation des Missionnaires de l’Isle de Santorini : il y a trois chapitres de suite sur cette belle matière.

Tout ce que l’on peut dire à ce sujet nous fait clairement voir que les prétendus miracles se peuvent également imaginer en faveur du vice & du mensonge comme en faveur de la justice & de la vérité.

Je le prouve par le témoignage de ce que nos Christicoles mêmes appellent la Parole de Dieu, & par le témoignage de celui qu’ils adorent ; car leurs livres qu’ils disent contenir la Parole de Dieu, & le Christ lui-même qu’ils adorent comme un Dieu fait homme, nous marquent expressément, qu’il y a non seulement de faux Prophêtes, c’est-à-dire des Imposteurs, qui se disent envoyés de Dieu & qui parlent en son nom, mais qui nous marquent expressément encore, qu’ils font & qu’ils feront de si grands & si prodigieux miracles, que peu s’en faudra que les justes n’en soient séduits. Voy. Math. 24. 5. 11. 27. & ailleurs.

De plus ces prétendus faiseurs de miracles veulent qu’on y ajoute foi, & non à ceux que font les autres d’un parti contraire au leur, se détruisant les uns les autres.

Un jour un de ces prétendus Prophêtes nommé Sédécias, se voyant contredit par un autre appellé Michée, celui-là donna un soufflet à celui-ci, & lui dit plaisamment, «[4] Par quelle voie l’esprit de Dieu a-t-il passé de moi pour aller à toi ? » Voyez encore 3. Reg. 18. 40. & autres.

Mais comment ces prétendus miracles seroient-ils des témoignages de vérité, puisqu’il est clair qu’ils n’ont pas été faits ? car il faudroit sçavoir 1o. si ceux que l’on dit être les premiers Auteurs de ces narrations le sont véritablement ; 2o. s’ils étoient gens de probité, dignes de foi, sages & éclairés, & s’ils n’étoient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent si avantageusement ; 3o. s’ils ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu’ils rapportent, s’ils les ont bien connues, & s’ils les rapportent bien fidélement ; 4o. si les livres ou les histoires anciennes qui rapportent tous ces grands miracles n’ont pas été falsifiés & corrompus, dans la suite du tems, comme quantité d’autres l’ont été.

Que l’on consulte Tacite & quantité d’autres célébres Historiens, au sujet de Moïse & de sa nation, on verra qu’ils sont regardés comme une troupe de voleurs & de bandits. La Magie & l’Astrologie étoient pour lors les seules sciences à la mode ; & comme Moïse étoit, dit-on, instruit dans la sagesse des Égyptiens, il ne lui fut pas difficile d’inspirer de la vénération & de l’attachement pour sa personne aux enfans de Jacob, rustiques & ignorans, & de leur faire embrasser dans la misére où ils étoient la discipline qu’il voulut leur donner. Voilà qui est bien différent de ce que les Juifs & nos Christicoles nous en veulent faire accroire. Par quelle règle certaine connoîtra-t-on qu’il faut ajouter foi à ceux-ci plutôt qu’aux autres ? Il n’y en a certainement aucune raison vraisemblable.

Il y a aussi peu de certitude, & même de vraisemblance, sur les miracles du Nouveau Testament que sur ceux de l’Ancien, pour pouvoir remplir les conditions précédentes.

Il ne serviroit de rien de dire que les histoires qui rapportent les faits contenus dans les Évangiles ont été regardées comme saintes & sacrées, qu’elles ont toujours été fidélement conservées sans aucune altération des vérités qu’elles renferment, puisque c’est peut-être par là-même qu’elles doivent être plus suspectes, & d’autant plus corrompües par ceux qui prétendent en tirer avantage ou qui craignent qu’elles ne leur soient pas assez favorables ; l’ordinaire des auteurs qui transcrivent ces sortes d’histoires étant d’y ajouter, d’y changer ou d’en retrancher tout ce que bon leur semble pour servir à leur dessein.

C’est ce que nos Christicoles mêmes ne sçauroient nier, puisque sans parler de plusieurs autres graves personnages qui ont reconnu les additions, les retranchemens & les falsifications qui ont été faites en différens temps, à ce qu’ils appellent leur Écriture sainte, leur St. Jérôme fameux Docteur parmi eux, dit formellement en plusieurs endroits de ses prologues, qu’elles ont été corrompües & falsifiées, étant déja de son temps entre les mains de toutes sortes de personnes, qui y ajoutoient & en retranchoient tout ce que bon leur sembloit, ensorte qu’il y avoit, dit-il, autant d’exemplaires différens, qu’il y avoit de différentes copies.

Voyez ses prologues à Paulin, sa préface sur Josué, son Épître à Galeate, sa préface sur Job, celle sur les Évangiles au pape Damase, celle sur les Psaumes à Paul & à Eustachium, &c.

Touchant les Livres de l’Ancien Testament en particulier, Esdras Prêtre de la Loi témoigne lui-même avoir corrigé & remis dans leur entier les prétendus Livres sacrés de sa Loi, qui avoient été en partie perdus & en partie corrompus. Il les distribua en XXII. Livres selon le nombre des Lettres Hébraïques, & composa plusieurs autres livres dont la doctrine ne devoit se communiquer qu’aux seuls sages. Si ces Livres ont été partie perdus, partie corrompus, comme le témoigne Esdras & le Docteur St. Jerôme, en tant d’endroits, il n’y a donc aucune certitude sur ce qu’ils contiennent ; & quant à ce qu’Esdras dit les avoir corrigés & remis en leur entier par l’inspiration de Dieu même, il n’y a aucune certitude de cela, & il n’y a point d’imposteur qui n’en puisse dire autant.

Tous les Livres de la Loi de Moïse & des Prophêtes qu’on put trouver, furent brûlés du temps d’Antiochus. Le Talmud regardé par les Juifs comme un Livre saint & sacré, & qui contient toutes les Loix divines, avec les sentences & dits notables des Rabins, leur exposition, tant sur les Loix divines qu’humaines, & une quantité prodigieuse d’autres secrets & mystères de la langue Hébraïque, est regardé par les Chrétiens comme un Livre farci de rêveries, de fables, d’impostures & d’impiétés. En l’année 1559. ils firent brûler à Rome, par le commandement des Inquisiteurs de la foi, douze cent de ces Talmuds trouvés dans une Bibliothèque de la Ville de Crémone.

Les Pharisiens qui faisoient parmi les Juifs une fameuse Secte, ne recevoient que les cinq Livres de Moïse, & rejettoient tous les Prophêtes. Parmi les Chrétiens, Marcion & ses sectateurs rejettoient les Livres de Moïse & les Prophêtes, & introduisoient d’autres Écritures à la mode, Carpocrate & ses sectateurs en faisoient de même, & rejettoient tout l’Ancien Testament, & maintenoient que Jesus-Christ n’étoit qu’un homme comme les autres. Les Marcionites & les Souverains réprouvoient aussi tout l’Ancien Testament comme mauvais, & rejettoient aussi la plus grande partie des quatre Évangiles & les Épîtres de St. Paul.

Les Ébionites n’admettoient que le seul Évangile de St. Matthieu, rejettant les trois autres, & les Épîtres de St. Paul. Les Marcionites publioient un Évangile sous le nom de St. Matthias, pour confirmer leur Doctrine. Les Apostoliques introduisoient d’autres Écritures, pour maintenir leurs erreurs, & pour cet effet se servoient de certains actes, qu’ils attribuoient à St. André & à St. Thomas.

Les Manichéens, Chron. page 287. écrivirent un Évangile à leur mode, & rejettoient les écrits des Prophêtes & des Apôtres. Les Etzsaites débitoient un certain Livre, qu’ils disoient être venu du Ciel ; ils tronçonnoient les autres Écritures à leur fantaisie. Origène même avec tout son grand esprit, ne laissoit pas que de corrompre les Écritures, & forgeoit à tous coups des allégories hors de propos, & se détournoit par ce moyen du sens des Prophêtes & des Apôtres ; & même avoit corrompu quelques-uns des principaux points de la doctrine. Ses Livres sont maintenant mutilés & falsifiés, ce ne sont plus que piéces cousues & ramassées par d’autres qui sont venus depuis, aussi y rencontre-t-on des erreurs & des fautes manifestes.

Les Allogiens attribuoient à l’hérétique Cerinthus, l’Évangile & l’Apocalypse de St. Jean, c’est pourquoi ils les rejettoient. Les hérétiques de nos derniers siècles rejettent comme Apocryphes plusieurs Livres que les Catholiques Romains regardent comme saints & sacrés, comme sont les Livres de Tobie, de Judith, d’Esther, de Baruc, le Cantique des trois enfans dans la fournaise, l’histoire de Suzanne, & celle de l’Idole de Bel, la Sapience de Salomon, l’Ecclésiastique, le premier & le second Livre des Machabées ; auxquels Livres incertains & douteux on pourroit encore en ajouter plusieurs que l’on attribuoit aux autres Apôtres, comme sont, par exemple, les actes de Saint Thomas, ses circuits, son Évangile & son Apocalypse ; l’Évangile de Saint Barthelemy, celui de St. Mathias, celui de Saint Jacques, celui de Saint Pierre, & celui des Apôtres ; comme aussi les gestes de Saint Pierre, son Livre de la Prédication & celui de son Apocalypse ; celui du Jugement, celui de l’Enfance du Sauveur, & plusieurs autres de semblable farine, qui sont tous rejettés comme Apocryphes par les Catholiques Romains, même par le Pape Gélase & par les SS. PP. de la Communion Romaine.

Ce qui confirme d’autant plus qu’il n’y a aucun fondement de certitude touchant l’autorité que l’on prétend donner à ces Livres, c’est que ceux qui en maintiennent la divinité sont obligés d’avouer qu’ils n’auroient aucune certitude pour les fixer, si leur foi, disent-ils, ne les en assuroit & ne les obligeoit absolument de le croire ainsi. Or, comme la foi n’est qu’un principe d’erreur & d’imposture, comment la foi, c’est-à-dire une créance aveugle, peut-elle rendre certains les Livres qui sont eux-mêmes le fondement de cette créance aveugle ? Quelle pitié & quelle démence !

Mais voyons si ces Livres portent en eux-mêmes quelque caractère particulier de vérité, comme par exemple, d’érudition, de sagesse, & de sainteté, ou de quelques autres perfections qui ne puissent convenir qu’à un Dieu, & si les miracles qui y sont cités s’accordent avec ce que l’on devroit penser de la grandeur, de la bonté, de la justice & de la sagesse infinie d’un Dieu tout-puissant.

Premiérement, on verra qu’il n’y a aucune érudition, aucune pensée sublime, ni aucune production qui passe les forces ordinaires de l’esprit humain. Au contraire on n’y verra d’un côté, que des narrations fabuleuses, comme sont celles de la formation de la femme tirée d’une côte de l’homme, du prétendu Paradis Terrestre, d’un serpent qui parloit, qui raisonnoit, & qui étoit même plus rusé que l’homme ; d’une anesse qui parloit & qui reprenoit son maître de ce qu’il la maltraitoit mal-à-propos ; d’un Déluge universel, & d’une Arche où des Animaux de toute espèce étoient renfermés ; de la confusion des langues & de la division des nations ; sans parler de quantité d’autres vains récits particuliers sur des sujets bas & frivoles, & que des Auteurs graves mépriseroient de rapporter. Toutes ces narrations n’ont pas moins l’air de fables que celles que l’on a inventées sur l’industrie de Prométhée, sur la boête de Pandore, ou sur la guerre des Géans contre les Dieux, & autres semblables que les Poëtes ont inventées pour amuser les hommes de leur temps.

D’un autre côté on n’y verra qu’un mêlange de quantité de loix & d’ordonnances ou de pratiques superstitieuses touchant les Sacrifices, les purifications de l’ancienne Loi, le vain discernement des animaux, dont elle suppose les uns purs & les autres impurs. Ces Loix ne sont pas plus respectables que celles des nations les plus idolâtres.

On n’y verra encore que de simples histoires, vraies ou fausses, de plusieurs Rois, de plusieurs Princes ou particuliers qui auront bien ou mal vécu, ou qui auront fait quelques belles ou mauvaises actions, parmi d’autres actions basses & frivoles qui y sont rapportées aussi.

Pour faire tout cela, il est visible qu’il ne falloit pas avoir un grand génie, ni avoir des révélations divines. Ce n’est pas faire honneur à un Dieu.

Enfin on ne voit dans ces Livres, que les discours, la conduite & les actions de ces renommés Prophêtes, qui se disoient être tout particuliérement inspirés de Dieu. On verra leur manière d’agir & de parler, leurs songes, leurs illusions, leurs rêveries ; & il sera facile de juger qu’ils ressembloient beaucoup plus à des visionnaires & à des fanatiques qu’à des personnes sages & éclairées.

Il y a cependant dans quelques-uns de ces livres plusieurs bons enseignemens, & de belles maximes de morale, comme dans les Proverbes attribués à Salomon, dans le Livre de la Sagesse & de l’Ecclésiastique ; mais ce même Salomon, le plus sage de leurs écrivains, est aussi le plus incrédule. Il doute même de l’immortalité de l’ame, & il conclut ses ouvrages par dire qu’il n’y a rien de bon que de jouïr en paix de son labeur, & de vivre avec ce que l’on aime.

D’ailleurs combien les Auteurs qu’on nomme profanes, Xénophon, Platon, Ciceron, l’Empereur Antonin, l’Empereur Julien, Virgile &c. sont-ils au-dessus de ces Livres, qu’on nous dit inspirés de Dieu. Je crois pouvoir dire que quand il n’y auroit, par exemple, que les fables d’Ésope, elles sont certainement beaucoup plus ingénieuses & plus instructives, que ne le sont toutes ces grossiéres & basses paraboles, qui sont rapportées dans les Évangiles.

Mais ce qui fait encore voir que ces sortes de Livres ne peuvent venir d’aucune inspiration divine, c’est qu’outre la bassesse & la grossiéreté du style, & le défaut d’ordre dans la narration des faits particuliers, qui y sont très-mal circonstanciés, on ne voit point que les Auteurs s’accordent, ils se contredisent en plusieurs choses ; ils n’avoient pas même assez de lumières ni de talens naturels pour bien rédiger une histoire.

Voici quelques exemples des contradictions qui se trouvent entr’eux. L’Évangeliste Matthieu fait descendre J. Ch. du Roi David par son fils Salomon, jusqu’à Joseph, père au moins putatif de J. Ch., & Luc le fait descendre du même David par son fils Nathan jusqu’à Joseph.

Matthieu dit, parlant de Jesus, que le bruit s’étant répandu dans Jérusalem qu’il étoit né un nouveau Roi des Juifs, & que les Mages étant venus le chercher pour l’adorer, le Roi Hérode, craignant que ce prétendu Roi nouveau ne lui ôtât quelque jour la couronne, fit égorger tous les enfans nouvellement nés depuis deux ans, dans tous les environs de Bethléem, où on lui avoit dit que ce nouveau Roi devoit naître, & que Joseph & la mére de Jesus ayant été avertis en songe par un Ange, de ce mauvais dessein, ils s’enfuirent incontinent en Égypte, où ils demeurèrent jusqu’à la mort d’Hérode, qui n’arriva que plusieurs années après.

Au contraire Luc marque que Joseph & la mère de Jesus demeurèrent paisiblement durant six semaines dans l’endroit où leur enfant Jesus fut né, qu’il y fut circoncis suivant la Loi des Juifs, huit jours après sa naissance, & que lors que le tems prescrit par cette Loi pour la purification de sa mère fut arrivé, elle & Joseph son mari le portèrent à Jérusalem pour le présenter à Dieu dans son temple, & pour offrir en même tems un sacrifice, ce qui étoit ordonné par la Loi de Dieu ; après quoi ils s’en retournèrent en Galilée dans leur Ville de Nazareth, où leur enfant Jesus croissoit tous les jours en grace & en sagesse, & que son père & sa mère alloient tous les ans à Jérusalem, aux jours solemnels de leur fête de Pâques. Si bien que Luc ne fait aucune mention de leur fuite en Égypte, ni de la cruauté d’Hérode envers les enfans de la province de Bethléem.

À l’égard de la cruauté d’Hérode, comme les Historiens de ce tems-là n’en parlent point, non plus que Joseph l’Historien qui écrit la vie de cet Hérode, & que les autres Évangelistes n’en font aucune mention, il est évident que le voyage de ces Mages conduits par une étoile, ce massacre des petits enfans, & cette fuite en Égypte, ne sont qu’un mensonge absurde. Car il n’est pas croyable que Josephe, qui a blâmé les vices de ce Roi, eût passé sous silence une action si noire & si détestable, si ce que cet Évangeliste dit eût été vrai.

Sur la durée du temps de la vie publique de J. C., suivant ce que disent les trois premiers Évangelistes, il ne pouvoit y avoir eu guères plus de trois mois depuis son baptême jusqu’à sa mort, en supposant qu’il avoit trente ans lorsqu’il fut baptisé par Jean, comme dit Luc, & qu’il ait été né le 25 Decembre. Car depuis ce baptême qui fut l’an 15 de Tibère Cesar, & l’année qu’Anne & Caïphe étoient grands prêtres, jusqu’au premier Pâques suivant, qui étoit dans le mois de Mars, il n’y avoit qu’environ trois mois ; suivant ce que disent les trois premiers Évangelistes, il fut crucifié la veille du premier Pâques suivant, après son baptême, & la premiére fois qu’il vint à Jérusalem avec ses Disciples ; car tout ce qu’ils disent de son baptême, de ses voyages, de ses miracles, de ses prédications, & de sa mort & passion, se doit rapporter nécessairement à la même année de son baptême, puisque ces Évangelistes ne parlent d’aucune autre année suivante, & qu’il paroît même, par la narration qu’ils font de ses actions, qu’il les a toutes faites immédiatement après son baptême, consécutivement les unes après les autres, & en fort peu de tems, pendant lequel on ne voit qu’un seul intervalle de six jours avant sa transfiguration, pendant lesquels six jours on ne voit pas qu’il ait fait aucune chose.

On voit par là qu’il n’auroit vécu après son baptême qu’environ trois mois ; desquels si l’on vient à ôter six semaines de 40 jours & 40 nuits qu’il passa dans le désert immédiatement après son baptême, il s’ensuivra que le tems de sa vie publique, depuis ses premières prédications jusqu’à sa mort, n’aura duré qu’environ six semaines ; & suivant ce que Jean dit, il auroit au moins duré trois ans & trois mois, parce qu’il paroît par l’Évangile de cet Apôtre, qu’il auroit été pendant le cours de sa vie publique, trois ou quatre fois à Jérusalem à la fête de Pâques, qui n’arrivoit qu’une fois l’an.

Or s’il est vrai qu’il y ait été trois ou quatre fois depuis son baptême, comme Jean le témoigne, il est faux qu’il n’ait vécu que trois mois après son baptême, & qu’il ait été crucifié la première fois qu’il alla à Jérusalem.

Si l’on dit que ces trois premiers Évangelistes ne parlent effectivement que d’une seule année, mais qu’ils ne marquent pas distinctement les autres qui se sont écoulées depuis son baptême, ou que Jean n’entend parler que d’une seule Pâques, quoiqu’il semble qu’il parle de plusieurs, & que ce n’est que par anticipation qu’il répète plusieurs fois que la fête de Pâques des Juifs étoit proche, & que Jesus alla à Jérusalem, & par conséquent qu’il n’y a qu’une contrariété apparente sur ce sujet entre ces Évangélistes, je le veux bien ; mais il est constant que cette contrariété apparente ne viendroit que de ce qu’ils ne s’expliquent pas avec toutes les circonstances qui auroient été à remarquer dans le récit qu’ils font. Quoi qu’il en soit, il y a toujours lieu de tirer cette conséquence, qu’ils n’étoient donc pas inspirés de Dieu lorsqu’ils ont écrit leurs histoires.

Autre contradiction au sujet de la premiére chose que Jesus-Christ fit incontinent après son baptême ; car les trois premiers Évangelistes disent qu’il fut aussi-tôt transporté par l’Esprit dans un désert, où il jeûna quarante jours & quarante nuits, & où il fut plusieurs fois tenté par le Diable : et suivant ce que dit Jean, il partit deux jours après son baptême pour aller en Galilée, où il fit son premier miracle, en y changeant l’eau en vin aux nôces de Cana, où il se trouva, trois jours après son arrivée en Galilée, à plus de trente lieues de l’endroit où il étoit.

À l’égard du lieu de sa première retraite après sa sortie du désert, Matthieu dit ch. 4. ℣. 13. qu’il s’en vint en Galilée, & que laissant la ville de Nazareth, il vint demeurer à Capharnaum ville maritime. Et Luc ch. 4. ℣. 16. & 41. dit qu’il vint d’abord à Nazareth, & qu’ensuite il vint à Capharnaum.

Ils se contredisent sur le tems & la manière dont les Apôtres se mirent à sa suite ; car les trois premiers disent que Jesus passant sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon & André son frère, & qu’un peu plus loin il vit Jacques & Jean son frère avec leur père Zébédée. Jean au contraire dit, que ce fut André, frère de Simon Pierre, qui se joignit premiérement à Jesus, avec un autre Disciple de Jean Baptiste, l’ayant vû passer devant eux, lorsqu’ils étoient avec leur Maître sur les bords du Jourdain.

Au sujet de la Cène, les trois premiers Évangelistes marquent que Jesus-Christ fit l’institution du Sacrement de son corps & de son sang, sous les espèces & apparences du pain & du vin, comme parlent nos Christicoles Romains : & Jean ne fait aucune mention de ce mystérieux Sacrement. Jean dit, ch. 13. ℣. 5. qu’après cette Cène Jesus lava les pieds à ses Apôtres, qu’il leur commanda expressément de se faire les uns aux autres la même chose, & rapporte un long discours qu’il leur fit dans ce même tems. Mais les autres Évangelistes ne parlent aucunement de ce lavement de pieds, ni d’un long discours qu’il leur fit pour lors. Au contraire ils témoignent qu’incontinent après cette Cène, il s’en alla avec ses Apôtres, sur la montagne des Oliviers, où il abandonna son ame à la tristesse ; & qu’enfin il tomba en agonie, pendant que ses Apôtres dormirent un peu plus loin.

Ils se contredisent eux-mêmes sur le jour qu’ils disent qu’il fit cette Cène ; car d’un côté ils marquent qu’il la fit le soir de la veille de Pâques, c’est-à-dire le soir du premier jour des Azimes, ou de l’usage des pains sans levain, comme il est marqué dans l’Exode 12. 18. Lévit. 25. 5. dans les Nomb. 28. 16. & d’un autre côté ils disent qu’il fut crucifié le lendemain du jour qu’il fit cette Cène, vers l’heure de midi, après que les Juifs lui eurent fait son procès pendant toute la nuit & le matin. Or suivant leur dire, le lendemain qu’il fit cette Cène, n’auroit pas dû être la veille de Pâques. Donc, s’il est mort la veille de Pâques vers le midi, ce n’étoit point le soir de la veille de cette fête, qu’il fit cette Cène. Donc il y a erreur manifeste.

Ils se contredisent aussi sur ce qu’ils rapportent des femmes qui avoient suivi Jesus depuis la Galilée ; car les trois premiers Évangelistes disent que ces femmes & tous ceux de sa connoissance, entre lesquelles étoient Marie Madeleine, & Marie mère de Jacques & de Joses, & la mère des enfans de Zébédée, regardoient de loin ce qui se passoit, lorsqu’il étoit pendu & attaché à la Croix. Jean dit au contraire 19. 25. que la mère de Jesus & la sœur de sa mère, & Marie Madeleine, étoient debout auprès de la croix, avec Jean son Apôtre. La contrariété est manifeste ; car si ces femmes & ce Disciple étoient près de lui, elles n’étoient donc pas éloignées, comme disent les autres.

Ils se contredisent sur les prétendües apparitions qu’ils rapportent que Jesus-Christ fit après sa prétendüe résurrection ; car Matthieu ch. 28. ℣. 16. ne parle que de deux apparitions ; l’une, lorsqu’il s’apparut à Marie Madeleine, & à une autre femme nommée aussi Marie, & lorsqu’il s’apparut à ses onze disciples, qui s’étoient rendus en Galilée sur la montagne qu’il leur avoit marquée pour le voir. Marc parle de trois apparitions, la premiére lorsqu’il apparut à Marie Madeleine, la seconde lorsqu’il apparut à ses deux Disciples qui alloient à Emaüs, & la troisiéme lorsqu’il apparut à ses onze Disciples, à qui il fit reproche de leur incrédulité. Luc ne parle que des deux premiéres apparitions comme Matthieu, & Jean l’Évangeliste parle de quatre apparitions, & ajoute aux trois de Marc, celle qu’il fit à sept ou huit de ses Disciples, qui pêchoient sur la mer de Tybériade.

Ils se contredisent encore sur le lieu de ces apparitions ; car Matthieu dit que ce fut en Galilée sur une montagne ; Marc dit que ce fut lorsqu’ils étoient à table ; Luc dit qu’il les mena hors de Jérusalem, & qu’il les mena jusqu’en Béthanie, où il les quitta en s’élevant au Ciel : & Jean dit que ce fut dans la ville de Jérusalem, dans une maison dont ils avoient fermé les portes ; & une autre fois sur la mer de Tybériade.

Voilà bien de la contrariété dans le récit de ces prétendües apparitions. Ils se contredisent au sujet de sa prétendüe Ascension au Ciel ; car Luc & Marc disent positivement qu’il monta au Ciel en présence de ses onze Apôtres ; mais ni Matthieu ni Jean ne font aucune mention de cette prétendüe ascension. Bien plus, Matthieu témoigne assez clairement, qu’il n’est point monté au Ciel, puisqu’il dit positivement que Jesus-Christ assura ses Apôtres qu’il seroit & qu’il demeureroit toujours avec eux jusqu’à la fin des siècles : « Allez donc, leur dit-il dans cette prétendüe apparition, enseignez toutes les Nations, & soyez assurés que je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles ».

Luc se contredit lui-même sur ce sujet : car dans son Évangile ch. 24 ℣. 50. il dit que ce fut en Béthanie qu’il monta au Ciel en présence de ses Apôtres ; & dans ses Actes des Apôtres, supposé qu’il en soit l’Auteur, il dit que ce fut sur la montagne des Oliviers. Il se contredit encore lui-même dans une autre circonstance de cette Ascension ; car il marque dans son Évangile que ce fut le jour même de sa résurrection, ou la premiére nuit suivante, qu’il monta au Ciel ; & dans ses Actes des Apôtres, il dit que ce fut 40. jours après sa résurrection. Ce qui ne s’accorde certainement pas.

Si tous les Apôtres avoient véritablement vu leur Maître monter glorieusement au Ciel, comment Matthieu & Jean qui l’auroient vu comme les autres, auroient-ils passé sous silence un si glorieux mystère, & si avantageux à leur Maître, vu qu’ils rapportent quantité d’autres circonstances de sa vie & de ses actions, qui sont beaucoup moins considérables que celle-ci ? Comment Matthieu ne fait-il pas mention expresse de cette Ascension, & n’explique-t-il pas clairement de quelle manière il demeureroit toujours avec eux, quoiqu’il les quittât visiblement pour monter au Ciel ? Il n’est pas facile de comprendre, par quel secret il pouvoit demeurer avec ceux qu’il quittoit.

Je passe sous silence quantité d’autres contradictions ; ce que je viens de dire suffit pour faire voir que ces Livres ne viennent d’aucune inspiration divine, ni même d’aucune sagesse humaine, & par conséquent qu’ils ne méritent pas qu’on y ajoute aucune foi.




CHAPITRE III.



MAis par quel privilège ces quatre Évangiles & quelques autres semblables Livres passent-ils pour Saints & Divins, plutôt que plusieurs autres qui ne portent pas moins le titre d’Évangile, & qui ont autrefois été comme les premiers publiés sous le nom de quelques autres Apôtres ? Si l’on dit que les Évangiles réfutés sont supposés & faussement attribués aux Apôtres, on en peut dire autant des premiers ; si l’on suppose les uns falsifiés & corrompus, on en peut supposer autant pour les autres. Ainsi il n’y a point de preuve assurée pour discerner les uns d’avec les autres, en dépit de l’Église qui veut en décider, elle n’est pas plus croyable.

Pour ce qui est des prétendus miracles rapportés dans le vieux Testament, ils n’auroient été faits que pour marquer de la part de Dieu une injuste & odieuse acception de peuples & de personnes, & pour accabler de maux, de propos délibéré, les uns, pour favoriser tout particuliérement les autres. La vocation & le choix que Dieu fit des Patriarches Abraham, Isaac, & Jacob, pour de leur postérité se faire un peuple qu’il sanctifieroit & béniroit par dessus tous les autres peuples de la Terre, en est une preuve.

Mais, dira-t-on, Dieu est le maître absolu de ses graces & de ses bienfaits, il peut les accorder à qui bon lui semble, sans qu’on ait droit de s’en plaindre ni de l’accuser d’injustice. Cette raison est vaine ; car Dieu, l’auteur de la nature, le père de tous les hommes, doit également les aimer tous, comme ses propres ouvrages ; & par conséquent, il doit également être leur protecteur, & leur bienfaiteur ; car celui qui donne l’être, doit donner les suites & les conséquences nécessaires pour le bien-être ; si ce n’est que nos Christicoles veuillent dire, que leur Dieu voudroit faire exprès des créatures pour les rendre misérables, ce qu’il seroit certainement indigne de penser d’un Être infiniment bon.

De plus, si tous les prétendus miracles, tant du vieux que du nouveau Testament, étoient véritables, on pourroit dire que Dieu auroit eu plus de soin de pourvoir au moindre bien des hommes qu’à leur plus grand & principal bien ; qu’il auroit voulu plus sévérement punir dans de certaines personnes, des fautes légères, qu’il n’auroit puni dans d’autres de très-grands crimes ; & enfin qu’il n’auroit pas voulu se montrer si bienfaisant dans les plus pressans besoins que dans les moindres. C’est ce qu’il est facile de faire voir, tant par les miracles qu’on prétend qu’il a faits, que par ceux qu’il n’a pas faits, & qu’il auroit néanmoins plutôt faits qu’aucun autre, s’il étoit vrai qu’il en eût fait. Par exemple, dire que Dieu auroit eu la complaisance d’envoyer un Ange pour consoler & secourir une simple servante, pendant qu’il auroit laissé & qu’il laisse encore tous les jours languir & mourir de misère une infinité d’innocens : qu’il auroit conservé miraculeusement pendant quarante ans les habillemens & les chaussures d’un misérable peuple, pendant qu’il ne veut pas veiller à la conservation naturelle de tant de biens si utiles & nécessaires pour la subsistance des peuples, & qui se sont néanmoins perdus & se perdent encore tous les jours par différens accidens. Quoi ! Il auroit envoyé aux premiers Chefs du Genre humain, Adam & Ève, un Démon, un Diable, ou un simple serpent, pour les séduire, & pour perdre par ce moyen tous les hommes ? cela n’est pas croyable. Quoi ! il auroit voulu, par une grace spéciale de sa providence, empêcher que le roi de Géraris Payen ne tombât dans une faute légère avec une femme étrangère, faute cependant qui n’auroit eu aucune mauvaise suite ; & il n’auroit pas voulu empêcher qu’Adam & Ève ne l’offensassent, & ne tombassent dans le péché de désobéïssance, péché qui, selon nos Christicoles, devoit être fatal, & causer la perte de tout le genre humain ? Cela n’est pas croyable.

Venons aux prétendus miracles du nouveau Testament. Ils consistent, comme on le prétend, en ce que Jesus-Christ & ses Apôtres guérissoient divinement toutes sortes de maladies & d’infirmités, en ce qu’ils rendoient, quand ils vouloient, la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la parole aux muets, qu’ils faisoient marcher droit les boiteux, qu’ils guérissoient les paralitiques, qu’ils chassoient les démons des corps des possédés, & qu’ils ressuscitoient les morts.

On voit plusieurs de ces miracles dans les Évangiles, mais on en voit beaucoup plus dans les Livres que nos Christicoles ont faits des vies admirables de leurs Saints ; car on y lit, presque partout, que ces prétendus bienheureux guérissoient les maladies & les infirmités, chassoient les démons presque en toute rencontre, & ce au seul nom de Jesus, ou par le seul signe de la Croix : qu’ils commandoient, pour ainsi dire, aux Élémens : que Dieu les favorisoit si fort, qu’il leur conservoit même après leur mort son divin pouvoir, & que ce divin pouvoir se seroit communiqué jusqu’au moindre de leurs habillemens, & même jusqu’à l’ombre de leurs corps & jusqu’aux instrumens honteux de leur mort. Il est dit que la chaussette de Saint Honoré ressuscita un mort au six de Janvier ; que les bâtons de Saint Pierre, de Saint Jacques & de Saint Bernard opéroient des miracles. On dit de même de la corde de Saint François, du bâton de Saint Jean de Dieu & de la ceinture de Sainte Mélanie. Il est dit de Saint Gracilien qu’il fut divinement instruit de ce qu’il devoit croire & enseigner, & qu’il fit par le mérite de son oraison, reculer une montagne, qui l’empêchoit de bâtir une Église. Que du sépulcre de Saint André il en couloit sans cesse une liqueur qui guérissoit toutes sortes de maladies. Que l’ame de Saint Benoît fut vüe monter au Ciel : revêtüe d’un précieux manteau, & environnée de lampes ardentes. St. Dominique disoit que Dieu ne l’avoit jamais éconduit de choses qu’il lui eût demandées. Que St. François commandoit aux hirondelles, aux cygnes & autres oiseaux, qu’ils lui obéïssoient ; & que souvent les poissons, les lapins & les liévres venoient se mettre entre ses mains & dans son giron. Que St. Paul & St. Pantaleon ayant eu la tête tranchée, il en sortit du lait au lieu de sang. Que le bienheureux Pierre de Luxembourg dans les deux premiéres années d’après sa mort, 1388 & 1389 fit 2 400 miracles, entre lesquels il y eut 42 morts ressuscités, non compris plus de trois mille autres miracles qu’il a faits depuis ; sans ceux qu’il fait encore tous les jours. Que les cinquante Philosophes que Ste. Catherine convertit, ayant tous été jettés dans un grand feu, leurs corps furent après trouvés entiers, & pas un seul de leurs cheveux brûlés ; que le corps de Ste. Catherine fut enlevé par les Anges après sa mort, & enterré par eux sur le mont Sinaï. Que le jour de la Canonisation de St. Antoine de Padoüe toutes les cloches de la Ville de Lisbonne sonnèrent d’elles-mêmes sans que l’on sçût d’où cela venoit ; que ce Saint étant un jour sur le bord de la mer, & ayant appellé les poissons pour les prêcher, ils vinrent devant lui en foule, & mettant la tête hors de l’eau ils l’écoutoient attentivement. On ne finiroit point s’il falloit rapporter toutes ces balivernes : il n’y a sujet si vain & si frivole, & même si ridicule, où les auteurs de ces vies de Saints, ne prennent plaisir d’entasser miracles sur miracles, tant ils sont habiles à forger de beaux mensonges. Voyez aussi le sentiment de Naudé sur cette matière dans son Apologie des Grands-hommes, Tom. 2. p. 13.

Ce n’est pas sans raison, en effet, que l’on regarde ces choses comme de vains mensonges ; car il est facile de voir que tous ces prétendus miracles n’ont été inventés qu’à l’imitation des fables des Poëtes Payens ; c’est ce qui paroît assez visiblement par la conformité qu’il y a des uns aux autres.




CHAPITRE IV.

Conformité des anciens & nouveaux Miracles.



SI nos Christicoles disent que Dieu donnoit véritablement pouvoir à ses Saints de faire tous les miracles rapportés dans leurs vies, de même aussi les Payens disent que les filles d’Anius Grand-Prêtre d’Apollon avoient véritablement reçu du Dieu Bacchus la faveur & le pouvoir de changer tout ce qu’elles voudroient en bled, en vin, en huile, &c.

Que Jupiter donna aux nymphes qui eurent soin de son éducation une corne de la chèvre qui l’avoit allaité dans son enfance, avec cette propriété qu’elle leur fournissoit abondamment tout ce qui leur viendroit à souhait.

Si nos Christicoles disent que leurs Saints avoient le pouvoir de ressusciter les morts, & qu’ils avoient des révélations divines, les Payens avoient dit avant eux, qu’Athalide fils de Mercure avoit obtenu de son Père le don de pouvoir vivre, mourir & ressusciter quand il voudroit, & qu’il avoit aussi la connoissance de tout ce qui se faisoit au monde, & en l’autre vie ; & qu’Esculape, fils d’Apollon, avoit ressuscité des morts, & entre autres qu’il ressuscita Hipolyte fils de Thésée à la prière de Diane, & qu’Hercule ressuscita aussi Alceste femme d’Admet Roi de Thessalie pour la rendre à son mari.

Si nos Christicoles disent que leur Christ est né miraculeusement d’une Vierge, sans connoissance d’homme, les Payens avoient déjà dit avant eux, que Rémus & Romulus fondateurs de Rome, étoient miraculeusement nés d’une Vierge Vestale nommée Ilia, ou Silvia, ou Rea Silvia ; ils avoient déjà dit que Mars, Arge, Vulcain & autres, avoient été engendrés de la Déesse Junon, sans connoissance d’homme, & avoient déjà dit aussi, que Minerve Déesse des Sciences avoit été engendrée dans le cerveau de Jupiter, & qu’elle en sortit toute armée, par la force d’un coup de poing, dont ce Dieu se frappa la tête.

Si nos Christicoles disent que leurs Saints faisoient sortir des fontaines d’eau des rochers, les Payens disent de même, que Minerve fit jaillir une fontaine d’huile, en récompense d’un Temple qu’on lui avoit dédié.

Si nos Christicoles se vantent d’avoir reçu miraculeusement des images du Ciel, comme par exemple celle de Nôtre Dame de Lorette & de Liesse, & plusieurs autres présens du Ciel, comme la prétendüe Ste. Ampoule de Rheims, comme la Chasuble blanche que St. Ildefonse reçut de la Vierge Marie, & autres choses semblables ; les Payens se vantoient avant eux, d’avoir reçu un bouclier sacré, pour marque de la conservation de leur ville de Rome ; & les Troyens se vantoient avant eux d’avoir reçu miraculeusement du ciel leur Palladium, ou leur simulacre de Pallas, qui vint, disoient-ils, prendre sa place dans le Temple qu’on avoit édifié à l’honneur de cette Déesse.

Si nos Christicoles disent que leur Jesus-Christ fut vû par ses Apôtres monter glorieusement au Ciel, & que plusieurs ames de leurs prétendus Saints furent vües transférées glorieusement au Ciel par les Anges ; les Payens Romains avoient déjà dit avant eux, que Romulus leur fondateur fut vu tout glorieux après sa mort ; que Ganimède fils de Tros Roi de Troye, fut par Jupiter transporté au Ciel, pour lui servir d’Échanson ; que la chevelure de Bérénice ayant été consacrée au Temple de Vénus, fut après transportée au Ciel : ils disent la même chose de Cassiopée & d’Andromède, & même de l’âne de Silêne.

Si nos Christicoles disent que plusieurs corps de leurs Saints ont été miraculeusement préservés de corruption après leur mort, & qu’ils ont été retrouvés par des révélations divines, après avoir été un fort long-temps perdus sans sçavoir où ils pouvoient être ; les Payens en disent de même du corps d’Oreste, qu’ils prétendent avoir été trouvé par l’avertissement de l’Oracle &c.

Si nos Christicoles disent que les sept frères dormans dormirent miraculeusement pendant 177 ans, qu’ils furent enfermés dans une caverne ; les Payens disent qu’Épiménides le Philosophe dormit pendant 57 ans dans une caverne où il s’étoit endormi.

Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints parloient encore miraculeusement après avoir eu la tête ou la langue coupées ; les Payens disent que la tête de Gabienus chanta un long poëme, après avoir été séparée de son corps.

Si nos Christicoles se glorifient de ce que leurs Temples & Églises sont ornés de plusieurs tableaux & riches présens, qui montrent les guérisons miraculeuses qui ont été faites par l’intercession de leurs Saints ; on voit aussi, ou du moins on voyoit autrefois, dans le Temple d’Esculape, en Épidaure, quantité de tableaux des cures & guérisons miraculeuses qu’il avoit faites.

Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints ont été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun dommage dans leurs corps, ni dans leurs habits ; les Payens disoient que les Religieuses du Temple de Diane marchoient sur les charbons ardens pieds nuds, sans se bruler & sans se blesser les pieds, & que les Prêtres de la Déesse Féronie & de Hyrpicus, marchoient de même sur des charbons ardens, dans les feux de joie que l’on faisoit à l’honneur d’Apollon.

Si les Anges bâtirent une chapelle à Saint Clément au fond de la Mer, la petite maison de Baucis & de Philemon fut miraculeusement changée en un superbe Temple, en récompense de leur piété.

Si plusieurs de leurs Saints, comme Saint Jacques, Saint Maurice &c. ont plusieurs fois paru dans leurs armées, montés & équipés à l’avantage, combattre en leur faveur ; Castor & Pollux ont paru plusieurs fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis.

Si un belier se trouva miraculeusement pour être offert en sacrifice à la place d’Isaac, lorsque son Père Abraham le vouloit sacrifier ; la Déesse Vesta envoya aussi une genisse pour lui être sacrifiée à la place de Metella fille de Metellus : la Déesse Diane envoya de même une biche à la place d’Iphigénie, lorsqu’elle étoit sur le bucher pour lui être immolée, & par ce moyen Iphigénie fut délivrée.

Si Saint Joseph fuit en Égypte, sur l’avertissement de l’Ange ; Simonides le Poëte évita plusieurs dangers mortels, sur un avertissement miraculeux qui lui en fut fait.

Si Moïse fit sortir une source d’eau vive d’un rocher en le frappant de son bâton ; le Cheval Pégase en fit autant, en frappant de son pied un rocher, il en sortit une fontaine.

Si Saint Vincent Ferrier ressuscita un mort haché en pièces, & dont le corps étoit déjà moitié cuit & moitié roti, Pelops fils de Tantale Roi de Phrygie, ayant été mis en pièces par son père, pour le faire manger aux Dieux, ils en ramassèrent tous les membres, les réunirent & lui rendirent la vie.

Si plusieurs Crucifix & autres images ont miraculeusement parlé & rendu des réponses, les Payens disent que leurs oracles ont divinement parlé, & rendu des réponses à ceux qui les consultoient, & que la tête d’Orphée & celle de Policrates rendoient des oracles après leur mort.

Si Dieu fit connoître par une voix du Ciel, que Jesus-Christ étoit son fils comme le citent les Évangelistes, Vulcain fit voir par l’apparition d’une flamme miraculeuse que Cœculus étoit véritablement son fils.

Si Dieu a miraculeusement nourri quelques-uns de ses Saints ; les Poëtes Payens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d’un lait divin par Cérès, qui lui donna aussi un char attelé de deux dragons, & que Phénée fils de Mars, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut néanmoins miraculeusement nourri de son lait.

Si plusieurs Saints ont miraculeusement adouci la cruauté & la férocité des bêtes les plus cruelles ; il est dit qu’Orphée attiroit à lui par la douceur de son chant & l’harmonie de ses instrumens, les lions, les ours & les tigres, & adoucissoit la férocité de leur nature ; qu’il attiroit à lui les rochers, les arbres, & même les riviéres arrêtoient leur cours pour l’entendre chanter.

Enfin, pour abréger, car on en pourroit rapporter bien d’autres, si nos Christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho tombèrent par le son des trompettes ; les Payens disent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le son des instrumens de musique d’Amphion, les pierres, disent les Poëtes, s’étant agencées d’elles-mêmes par la douceur de son harmonie ; ce qui seroit encore bien plus miraculeux & plus admirable, que de voir tomber des murailles par terre.

Voilà certainement une grande conformité de miracles de part & d’autre. Comme ce seroit une grande sotise d’ajouter foi à ces prétendus miracles du Paganisme, ce n’en est pas moins une d’en ajouter à ceux du Christianisme, puisqu’ils ne viennent tous que d’un même principe d’erreur. C’étoit pour cela aussi que les Manichéens & les Ariens, qui étoient vers le commencement du Christianisme, se moquoient de ces prétendus miracles, faits par l’invocation des Saints, & blâmoient ceux qui les invoquoient après leur mort, & qui honoroient leurs reliques.

Revenons à présent à la principale fin que Dieu se seroit proposée en envoyant son fils au monde, qui se seroit fait homme ; ç’auroit été, comme il est dit, d’ôter les péchés du monde & de détruire entiérement les œuvres du prétendu Démon &c. c’est ce que nos Christicoles soutiennent, comme aussi que Jesus-Christ auroit bien voulu mourir pour l’amour d’eux, suivant l’intention de Dieu son Père, ce qui est clairement marqué dans tous les prétendus saints Livres.

Quoi ! un Dieu tout-puissant & qui auroit voulu se faire homme mortel pour l’amour d’eux, & répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang pour les sauver tous, auroit voulu borner sa puissance à guérir seulement quelques maladies & quelques infirmités du corps, dans quelques infirmes qu’on lui auroit présentés, & il n’auroit pas voulu employer sa bonté divine à guérir toutes les infirmités de nos ames, c’est-à-dire à guérir tous les hommes de leurs vices & de leurs déréglemens, qui sont pires que les maladies du corps ? Cela n’est pas croyable. Quoi ! un Dieu si bon auroit voulu miraculeusement préserver des corps morts de pourriture & de corruption, & il n’auroit pas voulu de même préserver de la contagion & de la corruption du vice & du péché, les ames d’une infinité de personnes qu’il seroit venu racheter au prix de son sang, & qu’il devoit sanctifier par sa grace ? Quelle pitoyable contradiction !



CHAPITRE V

IIIe Preuve de la fausseté de la Religion, tirée des prétendües Visions & Révélations Divines.



VEnons aux prétendües Visions & Révélations Divines, sur lesquelles nos Christicoles fondent & établissent la vérité & la certitude de leur Religion.

Pour en donner une juste idée je ne crois pas qu’on puisse mieux faire que de dire en general, qu’elles sont telles, que si quelqu’un osoit maintenant se vanter d’en avoir de semblables, & qu’il voulût s’en prévaloir, on le regarderoit infailiblement comme un fol, un fanatique.

Voici quelles furent ces prétendües visions & révélations divines.

Dieu, disent les prétendus saints Livres, s’étant pour la premiére fois apparu à Abraham, lui dit : « Sortez de votre pays (il étoit alors en Caldée), quittez la maison de votre père, & allez-vous-en au pays que je vous montrerai. » Cet Abraham y étant allé, Dieu, dit l’histoire, Gen. 12. 1. s’apparut une seconde fois à lui, & lui dit : « Je donnerai tout ce pays-ci où vous êtes, à votre postérité. » En reconnoissance de cette gracieuse promesse Abraham lui dressa un Autel.

Après la mort d’Isaac, son fils Jacob allant un jour en Mésopotamie, pour chercher une femme qui lui fût convenable, ayant marché tout le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir ; couché par terre, sa tête appuyée sur quelques pierres pour s’y reposer, il s’endormit ; & pendant son sommeil il vit en songe une échelle dressée de la terre à l’extrémité du Ciel, & il lui sembloit voir les Anges monter & descendre par cette échelle, & qu’il voyoit Dieu lui-même s’appuyer sur le plus haut bout, lui disant : « Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham & le Dieu d’Isaac votre père ; je vous donnerai à vous & à votre postérité, tout le pays où vous dormez ; elle sera aussi nombreuse que la poussiére de la terre ; elle s’étendra depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, & depuis le Midi jusqu’au Septentrion ; je serai votre protecteur partout où vous irez ; je vous raménerai sain & sauf de cette terre, & je ne vous abandonnerai point, que je n’aye accompli tout ce que je vous ai promis. » Jacob s’étant éveillé dans ce songe, fut saisi de crainte, & dit : « Quoi ! Dieu est vraiment ici, & je n’en sçavois rien ! Ah, que ce lieu-ci est terrible, puisque ce n’est autre chose que la Maison de Dieu & la porte du Ciel ! » Puis s’étant levé, il dressa une pierre, sur laquelle il répandit de l’huile en mémoire de ce qui venoit de lui arriver, & fit en même tems vœu à Dieu que s’il revenoit sain & sauf, il lui offriroit la dixme de tout ce qu’il auroit.

Voici encore une autre vision. Gardant les troupeaux de son beau-père Laban, qui lui avoit promis que tous les agneaux de diverses couleurs que les brebis produiroient, seroient sa récompense, il songea une nuit, qu’il voyoit les mâles sauter sur les femelles, & qu’elles lui produisoient toutes des agneaux de diverses couleurs. Dans ce beau songe Dieu lui apparut, & lui dit[5] : « Regardez & voyez comme les mâles montent sur les femelles, & comme ils sont de diverses couleurs ; car j’ai vu la tromperie et l’injustice que vous fait Laban vôtre beau-père ; levez-vous donc maintenant ; sortez de ce pays-ci, & retournez dans le vôtre. » Comme il s’en retournoit avec toute sa famille, & avec ce qu’il avoit gagné chez son beau-père, il eut, dit l’histoire, en rencontre pendant la nuit un homme inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu’au point du jour ; & cet homme ne l’ayant pu vaincre, il lui demanda qui il étoit. Jacob lui dit son nom : « Vous ne serez plus appelé Jacob, mais Israël, car puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison serez-vous fort en combattant contre les hommes. » Gen. 32. 25. 28.

Voilà quelles furent en partie les premiéres de ces prétendues visions & révélations divines. Il ne faut pas juger autrement des autres que de celles-ci. Or quelle apparence de divinité y a-t-il dans des songes si grossiers & dans des illusions si vaines ? Si quelques personnes venoient maintenant nous conter de pareilles sornettes, & les crussent pour de véritables révélations divines ; comme, par exemple, si quelques étrangers, quelques Allemands venus dans notre France, & qui auroient vu toutes les plus belles Provinces du Royaume, venoient à dire que Dieu leur seroit apparu dans leur pays, qu’il leur auroit dit de venir en France, & qu’il leur donneroit à eux & à tous leurs descendans, toutes les belles Terres, Seigneuries, & Provinces de ce Royaume, qui sont depuis les fleuves du Rhin & du Rhône, jusqu’à la mer Océane ; qu’il feroit une éternelle alliance avec eux, qu’il multiplieroit leur race, qu’il rendroit leur postérité aussi nombreuse que les étoiles du Ciel & que les grains de sable de la mer &c. qui ne riroit de telles sottises, & qui ne regarderoit ces étrangers comme des fous ? Il n’y a certainement personne qui ne les regardât comme tels, & qui ne se moquât de toutes ces belles visions & révélations divines.

Or il n’y a aucune raison de juger ni de penser autrement de tout ce qu’on fait dire à ces grands prétendus Sts. Patriarches Abraham, Isaac & Jacob sur les prétendües révélations divines qu’ils disoient avoir eues.

À l’égard de l’institution des sacrifices sanglans, les Livres sacrés l’attribuent manifestement à Dieu. Comme il seroit trop ennuyant de faire les détails dégoutans de ces sortes de sacrifices, je renvoye le Lecteur à l’Exode ch. 25. 1. : 27. 1. & 21. : 28. 3 : 29. 1 : ibid. ℣. 2. ℣. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Mais les hommes n’étoient-ils pas bien fous & bien aveuglés de croire faire honneur à Dieu, de déchirer, tuer & brûler ses propres créatures sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? Et maintenant encore comment est-ce que nos Christicoles sont si extravagans que de croire faire un plaisir extrême à leur Dieu le Père de lui offrir éternellement en sacrifice son Divin Fils en mémoire de ce qu’il auroit été honteusement & miserablement pendu à une croix où il seroit expiré ? Certainement cela ne peut venir que d’un opiniâtre aveuglement d’esprit.

À l’égard du détail des sacrifices d’animaux, il ne consiste qu’en des vêtemens de couleurs, en sang, fressures, foyes, jabots, rognons, ongles, peaux, fiente, fumée, gâteaux, certaines mesures d’huile & de vin ; le tout offert, & infecté de cérémonies sales & aussi pitoyables que des opérations de magie les plus extravagantes.

Ce qu’il y a de plus horrible, c’est que la Loi de ce détestable peuple Juif ordonnoit aussi que l’on sacrifiât des hommes. Les Barbares (tels qu’ils soient) qui avoient rédigé cette loi affreuse, ordonnoient Levit. chap. 27. que l’on fît mourir sans miséricorde tout homme qui avoit été voué au Dieu des Juifs, qu’ils nommoient Adonaï, & c’est selon ce précepte exécrable que Jephté immola sa fille, que Saül voulut immoler son fils.

Mais voici encore une preuve de la fausseté de ces révélations, dont nous avons parlé. C’est le défaut d’accomplissement des grandes & magnifiques promesses qui les accompagnoient ; car il est constant que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

La preuve de cela consiste en trois choses principales : 1o. À rendre leur postérité plus nombreuse que tous les autres peuples de la terre &c. 2o. À rendre le peuple qui viendroit de leur race, le plus heureux, le plus saint & le plus triomphant de tous les peuples de la terre &c. 3o. Et aussi à rendre son alliance éternelle, & qu’ils posséderoient à jamais le pays qu’il leur donneroit. Or il est constant que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

Premiérement. Il est certain que le peuple Juif, ou le peuple d’Israël, qui est le seul qu’on puisse regarder comme descendans des Patriarches Abraham, Isaac & Jacob, & le seul dans lequel ces promesses auroient dû s’accomplir, n’a jamais été si nombreux pour qu’il puisse être comparable en nombre aux autres peuples de la terre, beaucoup moins par conséquent aux grains de sable &c. ; car l’on voit que dans le tems même qu’il a été le plus nombreux & le plus florissant, il n’a jamais occupé que les petites Provinces stériles de la Palestine & des environs, qui ne sont presque rien en comparaison de la vaste étendüe d’une multitude de Royaumes florissans qui sont de tous côtés sur la terre.

Secondement. Elles n’ont jamais été accomplies touchant les grandes bénédictions dont ils auroient dû être favorisés ; car quoiqu’ils ayent remporté quelques petites victoires sur de pauvres peuples qu’ils ont pillés, cela n’a pas empêché qu’ils n’ayent été le plus souvent vaincus & reduits en servitude ; leur Royaume détruit aussi-bien que leur nation par l’armée des Romains : & maintenant encore nous voyons que le reste de cette malheureuse nation n’est regardé que comme le peuple le plus vil & le plus méprisable de toute la terre, n’ayant en aucun endroit ni domination ni supériorité.

Troisiémement. Enfin ces promesses n’ont point été non plus accomplies à l’égard de cette alliance éternelle que Dieu auroit dû faire avec eux ; puisque l’on ne voit maintenant & que l’on n’a même jamais vu aucune marque de cette alliance ; & qu’au contraire ils sont, depuis plusieurs siècles, exclus de la possession du petit pays qu’ils prétendent leur avoir été promis de la part de Dieu pour en jouïr à tout jamais. Ainsi toutes ces prétendües promesses n’ayant point eu leur effet, c’est une marque assurée de leur fausseté. Ce qui prouve manifestement encore, que ces prétendus saints & sacrés Livres qui les contiennent, n’ont pas été faits par l’inspiration de Dieu. Donc c’est en vain que nos Christicoles prétendent s’en servir comme d’un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur Religion.



CHAPITRE VI.


PREMIÉRE SECTION.

De l’Ancien Testament.



NOs Christicoles mettent encore au rang des motifs de crédibilité & des preuves certaines de la vérité de leur Religion, les Prophéties, qui sont, prétendent-ils, des témoignages assurés de la vérité des révélations ou inspirations de Dieu, n’y ayant que Dieu seul qui puisse certainement prédire les choses futures si longtems avant qu’elles soient arrivées, comme sont celles qui ont été prédites par les Prophêtes.

Voyons donc ce que c’est que ces prétendus Prophêtes, & si l’on en doit faire tant d’état que nos Christicoles le prétendent.

Ces hommes n’étoient que des visionnaires & des fanatiques, qui agissoient & parloient suivant les impulsions ou les transports de leurs passions dominantes, & qui s’imaginoient cependant, que c’étoit par l’esprit de Dieu qu’ils agissoient & qu’ils parloient ; ou bien c’étoit des imposteurs qui contrefaisoient les Prophêtes, & qui, pour tromper plus facilement les ignorans & les simples, se vantoient d’agir & de parler par l’esprit de Dieu.

Je voudrais bien sçavoir comment seroit reçu un Ézéchiel qui dit chap. 3. & 4. que Dieu lui a fait manger à son déjeuner un livre de parchemin, lui a ordonné de se faire lier comme un fou, lui a prescrit de se coucher 390 jours sur le côté droit & 40 sur le gauche ; lui a commandé de manger de la merde sur son pain, & ensuite par accommodement de la fiente de bœuf ? Je demande comment un pareil extravagant seroit reçu chez les plus imbécilles même de tous nos Provinciaux ?

Quelle plus grande preuve encore de la fausseté de ces prétendües prédictions, que les reproches violens que ces Prophêtes se faisoient les uns aux autres, de ce qu’ils parloient faussement au nom de Dieu ; reproches mêmes qu’ils se faisoient, disoient-ils, de la part de Dieu. Voyez Ézech. 13. 1. Sophon. 3. 4. & Erem. 2. 4.

Ils disent tous, gardez-vous des faux Prophêtes, comme les vendeurs de Mithridate disent, gardez-vous des Pilules contrefaites.

Ces malheureux font parler Dieu d’une manière dont un crocheteur n’oseroit parler. Dieu dit au 23 chap. d’Ézechiel, que la jeune Oolla n’aime que ceux qui ont membre d’ane & sperme de cheval. Comment ces fourbes insensés auroient-ils connu l’avenir ? Nulle prédiction en faveur de leur nation Juive n’a été accomplie.

Le nombre des Prophéties qui prédisent la félicité & la grandeur de Jérusalem, est presque innombrable ; aussi dira-t-on, il est très naturel qu’un peuple vaincu & captif se console dans ses maux réels par des espérances imaginaires, comme il ne s’est pas passé une année depuis la destitution du Roi Jacques, que les Irlandois de son parti n’ayent forgé plusieurs prophéties en sa faveur.

Mais si ces promesses faites aux Juifs se fussent effectivement trouvées véritables, il y auroit déjà longtems que la Nation Juive auroit été & seroit encore le peuple le plus nombreux, le plus puissant, le plus heureux & le plus triomphant.


DEUXIÉME SECTION.

Du Nouveau Testament.



IL faut maintenant examiner les prétendües Prophéties contenues dans les Évangiles.

Premiérement. Un Ange s’étant apparu en songe à un nommé Joseph, père au moins putatif de Jesus fils de Marie, lui dit : « Joseph fils de David, ne craignez point de prendre chez vous Marie votre épouse ; car ce qui est dans elle est l’ouvrage du St. Esprit[6]. Elle vous enfantera un fils que vous appellerez Jesus, parce que ce sera lui qui délivrera son peuple de ses péchés. »

Cet Ange dit aussi à Marie : « Ne craignez point, parce que vous avez trouvé grace devant Dieu. Je vous déclare que vous concevrez dans votre sein, & que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jesus. Il sera grand, sera appelé le fils du Très-haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le Thrône de David son Père ; il régnera à jamais dans la maison de Jacob, & son régne n’aura point de fin. » Matth. 1. 20. & Luc. 1. 3. »

Jesus commença à prêcher & à dire, « Faites pénitence, car le Royaume du Ciel approche. Matth. 4. 17. Ne vous mettez pas en peine, & ne dites pas, que mangerons-nous ? ou que boirons-nous ? ou de quoi serons-nous vétus ? car votre Père céleste sçait que toutes ces choses vous sont nécessaires. Cherchez donc premiérement le Royaume de Dieu & sa justice, & toutes ces choses vous seront données pour surcroit. » Matth. 6. 30. 31. 32.

Or maintenant que tout homme qui n’a pas perdu le sens commun, examine un peu, si ce Jesus a été jamais Roi, si ses disciples ont eu toutes choses en abondance.

Ce Jesus promet souvent qu’il délivrera le monde du péché. Y a-t-il une prophétie plus fausse ? & notre siècle n’en est-il pas une preuve parlante ?

Il est dit que Jesus est venu sauver son peuple. Quelle façon de le sauver ! C’est la plus grande partie qui donne la dénomination à une chose : une douzaine ou deux, par exemple, d’Espagnols, ou de François, ne sont pas le peuple François ou le peuple Espagnol ; & si une armée de cent vingt mille hommes étoit faite prisonnière de guerre par une plus forte armée d’ennemis, & si le chef de cette armée rachetoit seulement quelques hommes, comme dix à douze soldats ou officiers en payant leur rançon, on ne diroit pas pour cela qu’il auroit délivré ou racheté son armée. Qu’est-ce donc qu’un Dieu qui vient se faire crucifier & mourir pour sauver tout le monde, & qui laisse tant de nations damnées ? Quelle pitié & quelle horreur !

Jesus-Christ dit qu’il n’y a qu’à demander & qu’on recevra, qu’à chercher & qu’on trouvera. Il assure que tout ce qu’on demandera à Dieu en son nom, on l’obtiendra, & que si l’on avoit seulement la grosseur d’un grain de moutarde de foi, l’on feroit par une seule parole transporter des montagnes d’un endroit à un autre. Si cette promesse eût été véritable, rien ne paroîtroit impossible à nos Christicoles qui ont la foi à leur Christ. Cependant tout le contraire arrive.

Si Mahomet eût fait de semblables promesses à ses sectateurs que le Christ en a fait aux siens sans aucun succès, que ne diroit-on pas ? on crieroit, ha, le fourbe ! ha l’imposteur ! ha les fous de croire un tel imposteur ! Les voilà ces Christicoles eux-mêmes dans le cas ; il y a longtemps qu’ils y sont sans revenir de leur aveuglement. Au contraire ils sont si ingénieux à se tromper, qu’ils prétendent que ces promesses ont eu leur accomplissement dès le commencement du Christianisme ; étant pour lors, disent-ils, nécessaire qu’il y eût des miracles, afin de convaincre les incrédules de la vérité de la Religion ; mais que cette Religion étant suffisamment établie, les miracles n’ont plus été nécessaires : où est donc la certitude de cette proposition ?

D’ailleurs celui qui a fait ces promesses ne les a pas restreintes seulement pour un certain temps ni pour certains lieux, ni pour certaines personnes en particulier ; mais il les a faites généralement à tout le monde. « La foi de ceux qui croiront, dit-il, sera suivie de ces miracles-ci : ils chasseront les Démons en mon nom ; ils parleront diverses langues, ils toucheront les serpens &c. »

À l’égard du transport des montagnes, il dit positivement que quiconque dira à une montagne, ôte-toi de là, & te jette dans la mer, pourvu qu’il n’hésite pas en son cœur, mais qu’il croye ; tout ce qu’il commandera, sera fait. Ne sont-ce pas des promesses qui sont tout-à-fait générales, sans restriction de temps, de lieux ni de personnes ?

Il est dit que toutes les sectes d’erreurs & d’impostures prendront honteusement fin. Mais si Jesus-Christ entend seulement dire qu’il a fondé & établi une société de sectateurs, qui ne tomberoient point dans le vice, ni dans l’erreur ; ces paroles sont absolument fausses, puisqu’il n’y a dans le Christianisme aucune secte, ni société & Église, qui ne soit pleine d’erreurs & de vices, principalement la secte ou société de l’Église Romaine, quoiqu’elle se dise la plus pure & la plus sainte de toutes. Il y a longtemps qu’elle est tombée dans l’erreur ; elle y est née ; pour mieux dire, elle y a été engendrée & formée ; & maintenant elle est même dans des erreurs qui sont contre l’intention, les sentimens & la doctrine de son fondateur, puisqu’elle a contre son dessein aboli les loix des Juifs qu’il approuvoit, & qu’il étoit venu lui-même, disoit-il, pour les accomplir & non pour les détruire, & qu’elle est tombée dans les erreurs & l’idolatrie du Paganisme, comme il se voit par le culte idolatrique qu’elle rend à son Dieu de pâte, à ses Saints, à leurs images & à leurs reliques.

Je sçai bien que nos Christicoles regardent comme une grossiéreté d’esprit, de vouloir prendre au pied de la lettre les promesses & prophéties comme elles sont exprimées ; ils abandonnent le sens littéral & naturel des paroles, pour leur donner un sens qu’ils appellent mystique & spirituel, & qu’ils nomment allégorique & tropologique ; disant, par exemple, que par le peuple d’Israël & de Juda, à qui ces promesses ont été faites, il faut entendre, non les Israëlites selon la chair, mais les Israëlites selon l’esprit, c’est-à-dire les Chrêtiens, qui sont l’Israël de Dieu, le vrai peuple choisi.

Que par la promesse faite à ce peuple esclave de le délivrer de la captivité, il faut entendre, non une délivrance corporelle d’un seul peuple captif, mais la délivrance spirituelle de tous les hommes, de la servitude du Démon, qui se devoit faire par leur divin Sauveur.

Que par l’abondance des richesses, & toutes les félicités temporelles promises à ce peuple, il faut entendre l’abondance des graces spirituelles ; & qu’enfin par la ville de Jérusalem il faut entendre, non la Jérusalem terrestre, mais la Jérusalem spirituelle, qui est l’Église Chrétienne.

Mais il est facile de voir que ces sens spirituels & allégoriques n’étant qu’un sens étranger, imaginaire, un subterfuge des interprétes ; il ne peut nullement servir à faire voir la vérité ni la fausseté d’une proposition ni d’une promesse quelconque. Il est ridicule de forger ainsi des sens allégoriques, puisque ce n’est que par rapport au sens naturel & véritable que l’on peut juger de la vérité ou de la fausseté. Une proposition, par exemple, une promesse qui se trouve véritable dans le sens propre & naturel des termes dans lesquels elle est conçüe, ne deviendra pas fausse en elle-même, sous prétexte qu’on voudroit lui donner un sens étranger qu’elle n’auroit pas : de même que celles qui se trouvent manifestement fausses dans leur sens propre & naturel, ne deviendront pas véritables en elles-mêmes, sous prétexte qu’on voudroit leur donner un sens étranger qu’elles n’auroient pas.

On peut dire que les prophéties de l’Ancien Testament ajoutées au nouveau, sont des choses bien absurdes & bien puériles. Par exemple, Abraham avoit deux femmes, dont l’une qui n’étoit que servante figuroit la synagogue, & l’autre qui étoit épouse figuroit l’Église Chrétienne. Et sous prétexte encore que cet Abraham avoit eu deux fils, dont l’un qui étoit de la servante figuroit le vieux Testament, & l’autre qui étoit de son épouse figuroit le Nouveau Testament. Qui ne riroit d’une si ridicule doctrine ?[7]

N’est-il pas encore plaisant qu’un morceau de drap rouge exposé par une putain, pour servir de signal à des espions, dans l’ancien Testament, soit la figure du sang de Jesus-Christ répandu dans le nouveau ?

Si suivant cette manière d’interpréter allégoriquement tout ce qui s’est dit, fait & pratiqué dans cette ancienne Loi des Juifs, on vouloit interpréter de même allégoriquement tous les discours, toutes les actions & toutes les avantures du fameux Don Quichote de la Manche ; on y trouveroit certainement autant de mystères & de figures.

C’est néanmoins sur ce ridicule fondement que toute la Religion Chrétienne subsiste. C’est pourquoi il n’est presque rien dans cette ancienne Loi, que les Docteurs Christicoles ne tâchent d’expliquer mystiquement.

La prophétie la plus fausse & la plus ridicule qu’on ait jamais faite est celle de Jesus, dans Luc ch. 22. Il est prédit qu’il y aura des signes dans le soleil, & dans la lune, & que le fils de l’homme viendra dans une nuée juger les hommes ; & il prédit cela pour la génération présente. Cela est-il arrivé ? le fils de l’homme est-il venu dans une nuée ?



CHAPITRE VII.

Ve Preuve tirée des erreurs de la doctrine & de la morale.



LA Religion Chrétienne, Apostolique & Romaine, enseigne & oblige de croire, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, & en même tems qu’il y a trois personnes divines, chacune desquelles est véritablement Dieu. Ce qui est manifestement absurde ; car s’il y en a trois qui soient véritablement Dieu, ce sont véritablement trois Dieux. Il est faux de dire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu ; ou s’il est vrai de le dire, il est faux de dire qu’il y en ait véritablement trois qui sont Dieu, puisqu’un & trois ne se peut véritablement dire d’une seule & même chose.

Il est aussi dit que la premiére de ces prétendues personnes divines, qu’on appelle le Père, a engendré la seconde personne qu’on appelle le Fils, & que ces deux premiéres personnes ensemble ont produit la troisiéme que l’on appelle le Saint Esprit, & néanmoins que ces trois prétenduës divines personnes ne dépendent point l’une de l’autre, & ne sont pas même plus anciennes l’une que l’autre. Cela est encore manifestement absurde, puisqu’une chose ne peut recevoir son être d’une autre, sans quelque dépendance de cette autre, & qu’il faut nécessairement qu’une chose soit pour qu’elle puisse donner l’être à une autre. Si donc la seconde & la troisiéme personne divines ont reçu leur être de la premiére, il faut nécessairement qu’elles dépendent dans leur être, de cette premiére personne, qui leur auroit donné l’être, ou qui les auroit engendrées ; & il faut nécessairement aussi que cette premiére qui auroit donné l’être aux deux autres, ait été avant, puisque ce qui n’est point, ne peut donner l’être à rien. D’ailleurs il répugne & est absurde de dire, qu’une chose qui auroit été engendrée ou produite n’auroit point eu de commencement. Or selon nos Christicoles, la seconde & la troisiéme personne ont été engendrées ou produites ; donc elles ont eu un commencement ; & si elles ont eu un commencement, & que la premiére personne n’en ait point eu, comme n’ayant point été engendrée, ni produite d’aucune autre, il s’ensuit de nécessité que l’une ait été avant l’autre.

Nos Christicoles qui sentent ces absurdités, & qui ne peuvent s’en parer par aucune bonne raison, n’ont point d’autre ressource que de dire qu’il faut pieusement fermer les yeux de la raison humaine, & humblement adorer de si hauts mystères sans vouloir les comprendre. Mais comme ce qu’ils appellent foi est ci-devant solidement réfuté, lorsqu’ils nous disent qu’il faut se soumettre, c’est comme s’ils disoient, qu’il faut aveuglément croire ce qu’on ne croit pas.

Nos Déichristicoles condamnent ouvertement l’aveuglement des anciens Payens qui adoroient plusieurs Dieux. Ils se raillent de la généalogie de leurs Dieux, de leurs naissances, de leurs mariages & de la génération de leurs enfans ; & ils ne prennent pas garde, qu’ils disent des choses beaucoup plus ridicules & plus absurdes.

Si les Payens ont crû qu’il y avoit des Déesses aussi-bien que des Dieux, que ces Dieux & ces Déesses se marioient, & qu’ils engendroient des enfans ; ils ne pensoient en cela rien que de naturel : car ils ne s’imaginoient pas encore que les Dieux fussent sans corps ni sentimens ; ils croyoient qu’ils en avoient aussi-bien que les hommes. Pourquoi n’y en auroit-il point eu de mâle & de femelle ? On ne voit point qu’il y ait plus de raison de nier ou de reconnoître plutôt l’un que l’autre ; & en supposant des Dieux & des Déesses, pourquoi n’engendreroient-ils pas en la manière ordinaire ? Il n’y auroit certainement rien de ridicule ni d’absurde dans cette doctrine, s’il étoit vrai que leurs Dieux existassent.

Mais dans la doctrine de nos Christicoles, il y a quelque chose de bien plus ridicule & de plus absurde ; car outre ce qu’ils disent d’un Dieu qui en fait trois, & de trois qui n’en font qu’un, ils disent que ce dieu triple & unique, n’a ni corps, ni forme, ni figure ; que la premiére personne de ce dieu triple & unique, qu’ils appellent le Père, a engendré toute seule une seconde personne qu’ils appellent le Fils, & qui est tout semblable à son Père, étant comme lui sans corps, sans forme & sans figure. Si cela est, qu’est-ce qui fait que la premiére s’appelle le Père plutôt que la mère ? & que la seconde se nomme plutôt le fils que la fille ? car si la premiére est véritablement plutôt père que mère, & si la seconde est plutôt fils que fille, il faut nécessairement qu’il y ait quelque chose dans l’une & dans l’autre de ces deux personnes, qui fasse que l’un soit père plutôt que mère, & l’autre plutôt fils que fille. Or qui pourroit faire cela, si ce n’est qu’ils seroient tous deux mâles & non femelles ? Mais comment seront-elles plutôt mâles que femelles, puisqu’elles n’ont ni corps, ni forme, ni figure ? Cela n’est pas imaginable& se détruit de soi-même. N’importe, ils disent toujours que ces deux personnes sans corps, forme ni figure, & par conséquent sans différence de sexe, sont néanmoins père & fils, & qu’ils ont produit par leur mutuel amour une troisiéme personne qu’ils appellent le St. Esprit ; laquelle personne n’a, non plus que les deux autres ni corps, ni forme, ni figure. Quel abominable galimatias !

Puisque nos Christicoles bornent la puissance de Dieu le Père à n’engendrer qu’un fils, pourquoi ne veulent-ils pas que cette seconde personne, aussi-bien que la troisiéme, ayent comme la premiére la puissance d’engendrer un fils qui soit semblable à elle ? si cette puissance d’engendrer un fils est une perfection dans la premiére personne, c’est donc une perfection & une puissance qui n’est point dans la seconde ni dans la troisiéme personne. Ainsi ces deux personnes manquant d’une perfection & d’une puissance qui se trouvent dans la premiére, elles ne seroient certainement pas égales entr’elles : si au contraire ils disent que cette puissance d’engendrer un fils n’est pas une perfection, ils ne devroient donc pas l’attribuer à la premiére personne non plus qu’aux deux autres, parce qu’il ne faut attribuer que des perfections à un Être qui seroit souverainement parfait.

D’ailleurs ils n’oseroient dire que la puissance d’engendrer une divine personne, ne soit pas une perfection ; & s’ils disent que cette premiére personne auroit bien pu engendrer plusieurs fils & plusieurs filles, mais qu’elle n’auroit voulu engendrer que ce seul Fils, & que les deux autres personnes pareillement n’en auroient point voulu engendrer d’autres, on pourroit 1o. leur demander, d’où ils sçavent que cela est ainsi ; car on ne voit point dans leurs prétendües Écritures saintes, qu’aucune de ces divines personnes se soit positivement déclarée là-dessus. Comment donc nos Christicoles peuvent-ils sçavoir ce qui en est ? Ils n’en parlent donc que suivant leurs idées & leurs imaginations creuses.

2o. On pourroit dire que si ces prétenduës divines personnes avoient la puissance d’engendrer plusieurs enfans & qu’elles n’en voulussent cependant rien faire, il s’ensuivroit que cette divine puissance demeureroit en elles sans effet. Elle seroit tout-à-fait sans effet dans la troisiéme personne, qui n’en engendreroit & n’en produiroit aucune, & elle seroit presque sans effet dans les deux autres, puisqu’elles voudroient la borner à si peu. Ainsi cette puissance qu’elles auroient d’engendrer & de produire quantité d’enfans, demeureroit en elles comme oisive & inutile, ce qu’il ne seroit nullement convenable de dire de divines personnes.

Nos Christicoles blâment & condamnent les Payens de ce qu’ils attribuoient la divinité à des hommes mortels, & de ce qu’ils les adoroient comme des Dieux après leur mort ; ils ont raison en cela, mais ces Payens ne faisoient que ce que font encore maintenant nos Christicoles, qui attribuent la divinité à leur Christ, ensorte qu’ils devroient eux-mêmes se condamner aussi, puisqu’ils sont dans la même erreur que ces Payens, & qu’ils adorent un homme qui étoit mortel, & si bien mortel, qu’il mourut honteusement sur une croix.

Il ne serviroit de rien à nos Christicoles de dire qu’il y auroit une grande différence entre leur Jesus-Christ & les Dieux des Payens, sous prétexte que leur Christ seroit, comme ils disent, vrai Dieu & vrai homme tout ensemble, attendu que la Divinité se seroit véritablement incarnée en lui ; au moyen de quoi la nature divine se trouvant jointe & unie hypostatiquement, comme ils disent, avec la nature humaine, ces deux natures auroient fait dans Jesus-Christ un vrai Dieu & un vrai homme. Ce qui ne s’étoit jamais fait, à ce qu’ils prétendent, dans les Dieux des Payens.

Mais il est facile de faire voir la foiblesse de cette réponse ; car d’un côté n’auroit-il pas été aussi facile aux Payens qu’aux Chrétiens de dire que la Divinité se seroit incarnée dans les hommes qu’ils adoroient comme Dieux ? D’un autre côté si la Divinité avoit voulu s’incarner & s’unir hypostatiquement à la nature humaine dans leur Jesus-Christ, que sçavent-ils si cette même Divinité n’auroit pas bien voulu aussi s’incarner & s’unir hypostatiquement à la nature humaine dans ces grands hommes, & dans ces admirables femmes, qui par leur vertu, par leurs belles qualités, ou par leurs belles actions, ont excellé sur le commun des hommes, & se sont fait ainsi adorer comme Dieux & Déesses ? Et si nos Christicoles ne veulent pas croire que la Divinité se soit jamais incarnée dans ces Grands Personnages, pourquoi veulent-ils nous persuader qu’elle se soit incarnée dans leur Jesus ? Où en est la preuve ? Leur foi & leur créance, qui étoient dans les Payens comme dans eux. Ce qui fait voir qu’ils sont également dans l’erreur les uns comme les autres.

Mais ce qu’il y a en cela de plus ridicule dans le Christianisme que dans le Paganisme, c’est que les Payens n’ont ordinairement attribué la divinité qu’à de grands hommes, auteurs des Arts & des Sciences, & qui avoient excellé dans des vertus utiles à leur patrie ; mais nos Déichristicoles à qui attribuent-ils la divinité ? À un homme de néant, vil & méprisable, qui n’avoit ni talent, ni science, ni adresse, né de pauvres parens, & qui depuis qu’il a voulu paroître dans le monde & faire parler de lui, n’a passé que pour un insensé & pour un séducteur ; qui a été méprisé, moqué, persécuté, fouetté, & enfin qui a été pendu comme la plupart de ceux qui ont voulu jouer le même rolle, quand ils ont été sans courage & sans habileté.

De son tems il y eut encore plusieurs autres semblables Imposteurs qui se disoient être le vrai Messie promis par la Loi, entr’autres un certain Juda Galiléen, un Théodor, un Barcon & autres, qui sous un vain prétexte abusoient les peuples & tâchoient de les faire soulever pour les attirer à eux ; mais qui sont tous péris.

Passons à ses discours & à quelques-unes de ses actions qui sont des plus remarquables & des plus singuliéres dans leurs espèces. « Faites pénitence, disoit-il aux peuples, car le Royaume du Ciel est proche ; croyez cette bonne nouvelle » : & il alloit courir toute la Galilée, prêchant ainsi la prétenduë venue prochaine du Royaume du Ciel. Comme personne n’a encore vu aucune apparence de la venue de ce Royaume, c’est une preuve parlante qu’il n’étoit qu’imaginaire.

Mais voyons dans ses autres prédications l’éloge & la description de ce beau Royaume.

Voici comme il parloit aux peuples : « Le Royaume des Cieux est semblable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ, mais pendant que les hommes dormoient, son ennemi est venu qui a semé la zizanie parmi le bon grain. Il est semblable à un trésor caché dans un champ : un homme ayant trouvé le thrésor, le cache de nouveau, & il a eu tant de joie de l’avoir trouvé, qu’il a vendu tout son bien, & il a acheté ce champ. Il est semblable à un marchand qui cherche de belles perles, & qui en ayant trouvé une d’un grand prix, va vendre tout ce qu’il a, & achette cette perle. Il est semblable à un filet qui a été jetté dans la mer, & qui renferme toutes sortes de poissons : étant plein, les pêcheurs l’ont retiré, & ont mis les bons poissons ensemble dans des vaisseaux, & jetté dehors les mauvais. Il est semblable à un grain de moutarde qu’un homme a semé dans son champ : il n’y a point de grain si petit que celui-là, néanmoins quand il est cru, il est plus grand que tous les légumes, &c. » Ne voilà-t-il pas des discours dignes d’un Dieu ?

On fera encore le même jugement de lui, si l’on examine de près ses actions. Car 1o. courir toute une Province, prêchant la venue prochaine d’un prétendu Royaume ; 2o. avoir été transporté par le Diable sur une haute montagne, d’où il auroit cru voir tous les Royaumes du monde ; cela ne peut convenir qu’à un visionnaire ; car il est certain qu’il n’y a point de montagne sur la terre d’où l’on puisse voir seulement un Royaume entier, si ce n’est le petit Royaume d’Yvetot, qui est en France. Ce ne fut donc que par imagination qu’il vit tous ces Royaumes, & qu’il fut transporté sur cette montagne, aussi-bien que sur le pinacle du Temple. 3o. Lorsqu’il guérit le sourd & le muet, dont il est parlé dans Saint Marc, il est dit qu’il le tira en particulier, qu’il lui mit ses doigts dans les oreilles, & qu’ayant craché, il lui tira la langue ; puis jettant les yeux au Ciel, il poussa un grand soupir, & lui dit eppheta. Enfin qu’on lise tout ce qu’on rapporte de lui, & qu’on juge s’il y a rien au monde de si ridicule.

Ayant mis sous les yeux une partie des pauvretés attribuées à Dieu par les Christicoles, continuons à dire quelques mots de leurs mystères. Ils adorent un Dieu en trois personnes, ou trois personnes en un seul Dieu ; & ils s’attribuent la puissance de faire des Dieux de pâte & de farine, & même d’en faire tant qu’ils veulent. Car suivant leurs principes, ils n’ont qu’à dire seulement quatre paroles sur telle quantité de verres de vin, ou de ces petites images de pâte, ils en feront autant de Dieux, y en eût-il des millions. Quelle folie ! Avec toute la prétendüe puissance de leur Christ, ils ne sçauroient faire la moindre mouche, & ils croyent pouvoir faire des Dieux à milliers. Il faut être frappé d’un étrange aveuglement pour soutenir des choses si pitoyables, & cela sur un si vain fondement que celui des paroles équivoques d’un fanatique.

Ne voyent-ils pas, ces Docteurs aveuglés, que c’est ouvrir une porte spacieuse à toutes sortes d’Idolatries, que de vouloir faire adorer ainsi des images de pâte, sous prétexte que des Prêtres auroient le pouvoir de les consacrer & de les faire changer en Dieux ? Tous les Prêtres des Idoles n’auroient-ils pu & ne pourroient-ils pas maintenant se vanter d’avoir un pareil caractère ?

Ne voyent-ils pas aussi que les mêmes raisons qui démontrent la vanité des Dieux ou des Idoles de bois, de pierre &c. que les Payens adoroient, démontrent pareillement la vanité des Dieux & des Idoles de pâte & de farine que nos Déichristicoles adorent ? Par quel endroit se moquent-ils de la fausseté des Dieux des Payens ? n’est-ce que ce ne sont que des ouvrages de la main des hommes, des Images muettes & insensibles ? Et que sont donc nos Dieux que nous tenons enfermés dans des boëtes, de peur des souris ?

Quelles seront donc les vaines ressources des Christicoles ? leur morale ? elle est la même au fond que dans toutes les Religions ; mais des dogmes cruels en sont nés & ont enseigné la persécution & le trouble. Leurs miracles ? mais quel peuple n’a pas les siens, & quels sages ne méprisent pas ces fables ? Leurs prophéties ? n’en a-t-on pas démontré la fausseté ? Leurs mœurs ? ne sont-elles pas souvent infâmes ? L’établissement de leur Religion ? mais le fanatisme n’a-t-il pas commencé, l’intrigue n’a-t-elle pas élevé, la force n’a-t-elle pas soutenu visiblement cet édifice ? La Doctrine ? mais n’est-elle pas le comble de l’absurdité ?

Je crois, mes chers amis, vous avoir donné un préservatif suffisant contre tant de folies. Votre raison fera plus encore que mes discours, & plût à Dieu que nous n’eussions à nous plaindre que d’être trompés ! mais le sang humain coule depuis le temps de Constantin, pour l’établissement de ces horribles impostures. L’Église Romaine, la Grecque, la Protestante, tant de disputes vaines, & tant d’ambitieux hypocrites, ont ravagé l’Europe, l’Afrique & l’Asie. Joignez, mes amis, aux hommes que ces querelles ont fait égorger, ces multitudes de Moines & de Nones, devenus stériles par leur état. Voyez combien de créatures sont perduës, & vous verrez que la Religion Chrétienne a fait perir la moitié du genre humain.

Je finirai par supplier Dieu, si outragé par cette secte, de daigner nous rappeler à la Religion Naturelle, dont le Christianisme est l’ennemi déclaré ; à cette Religion simple que Dieu a mis dans le cœur de tous les hommes, qui nous apprend à ne rien faire à autrui, que ce que nous voudrions être fait à nous-mêmes. Alors l’Univers seroit composé de bons citoyens, de pères justes, d’enfans soumis, d’amis tendres. Dieu nous a donné cette Religion en nous donnant la raison. Puisse le fanatisme ne la plus pervertir ! Je vais mourir plus rempli de ces désirs que d’espérances.



Voilà le précis exact du Testament in-folio de Jean Meslier. Qu’on juge de quel poids est le témoignage d’un Prêtre mourant qui demande pardon à Dieu.


Ce 15e. Mars 1742.


  1. Sainte Menoult.
  2. On dit que le Grand Vicaire de Reims s’est emparé de la troisiéme copie.
  3. Estote ortes in fide.
  4. II. Paral. 18. 23.
  5. Gen. 31. 12.
  6. Combien, dit Montagne, y a-t-il d’histoires de semblables cocuages procurés par les Dieux, contre les pauvres humains &c. Ess. p. 500.
  7. Spectatum admissi risum teneatis amici.

    De Arte Poëtica Horat. 5. vers.