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Testament de Shakespeare

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William Shakespeare
(traduction et notes par François-Victor Hugo)
Testament
Textes établis par François-Victor Hugo
Œuvres complètes de Shakespeare
Tome XV : Sonnets – Poëmes – Testament
Paris, Pagnerre, 1872
p. 329-334
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TESTAMENT.


Vicesimo quarto die Martii, Anno Regni Domini nostri Jacobi nunc Regis Angliœ, etc., decimo quarto, et Scotiœ quadragesimo nono. Anno Domini 1616.


« Au nom de Dieu, amen.

» Moi, William Shakespeare, de Stratford-sur-Avon, dans le comté de Warwick, gentleman, en parfaite santé et mémoire (Dieu soit loué !), je règle et arrête mes dernières volontés et mon testament de la manière et dans la forme suivante, à savoir :

» Premièrement, je remets mon âme dans les mains de Dieu, mon créateur, espérant et comptant fermement être admis à participer à la vie éternelle par les seuls mérites de Jésus-Christ, mon sauveur ; et je remets mon corps à la terre dont il est fait.

» Item, je donne et lègue à ma fille Judith[1] cent cinquante livres de monnaie anglaise légale, qui devront lui être payées de la manière et dans la forme suivante : à savoir, cent livres pour solde de sa dot, dans l’année qui suivra mon décès, sous la réserve d’une rente de deux shillings par livre, qui lui sera servie pendant tout le temps que ladite somme restera non payée après mon décès ; et les cinquante livres restant, des qu’elle aura cédé ou pris, à la satisfaction des exécuteurs de mon testament, l’engagement de livrer ou de céder à ma fille Susanne Hall et à ses hoirs tous les biens et propriétés qui doivent lui échoir après mon décès, ainsi que tous les droits qu’elle a maintenant sur un tènement et ses dépendances, situés dans le susdit bourg de Stratford-sur-Avon, dans ledit comté de Warwick, faisant partie ou relevant du manoir de Rowington.

» Item, je donne et lègue à madite fille Judith cent cinquante livres de plus, si elle, ou quelque enfant issu de son corps, survit à la fin des trois années qui suivront le jour de la date de ce testament, durant lequel temps mes exécuteurs testamentaires auront à lui payer la rente dudit capital suivant le taux susdit ; et si elle meurt dans ledit terme sans laisser d’enfant issu de son corps, alors, telle est ma volonté : je donne et lègue cent livres, prélevées sur ladite somme, à ma petite fille Élisabeth Hall[2] ; et j’entends que les cinquante livres restant soient placées par mes exécuteurs durant la vie de ma sœur Jeanne Hart, et que les intérêts et rente en soient payés à madite sœur Jeanne, et qu’après son décès, les cinquante livres susdites restent aux enfants de madite sœur, pour être également partagées entre eux. Mais, si madite fille Judith, ou quelque enfant issu de son corps, survit à la fin des trois années susdites, alors, telle est ma volonté : j’entends que les cent cinquante livres susdites soient placées par les exécuteurs de ce testament pour le plus grand bénéfice de madite fille et de ses enfants, et que le capital ne lui en soit pas payé, aussi longtemps qu’elle sera en puissance de mari ; mais ma volonté est qu’elle en perçoive annuellement les intérêts sa vie durant, et qu’après son décès, le susdit capital et les intérêts soient payés à ses enfants, si elle en a, et, si elle n’en a pas, aux exécuteurs de son testament ou à ses mandataires, dans le cas où elle survivrait audit terme après mon décès. Toutefois, si l’époux auquel elle sera mariée à la fin des trois années susdites, ou dans un temps ultérieur quelconque, assure à madite fille et à ses enfants un bien-fonds, en garantie de la portion que je lui lègue, — bien-fonds reconnu suffisant par mes exécuteurs testamentaires, — alors ma volonté est que ladite somme de cent cinquante livres soit payée, pour qu’il l’emploie à son propre usage, à l’époux qui aura donné cette garantie.

» Item, je donne et lègue à madite sœur Jeanne[3] vingt livres et toute ma garde-robe, qui devront lui être livrées dans l’année après mon décès ; et je lui affecte et lui attribue, sa vie durant, la maison de Stratford, où elle demeure, ainsi que ses dépendances, sous réserve de la rente annuelle de douze pence.

» Item, je donne et lègue à chacun de ses trois fils, William Hart, — Hart[4] et Michel Hart, une somme de cinq livres, qui devra leur être payée dans l’année après mon décès.

» Item, je donne et lègue à ladite Élisabeth Hall toute la vaisselle plate (à l’exception de ma grande coupe en argent doré), que je possède à la date de ce testament.

» Item, je donne et lègue aux pauvres dudit bourg de Stratford dix livres ; à M. Thomas Combe[5], mon épée ; à Thomas Russel, esq., cinq livres, et à Francis Collins, du bourg de Warwick, dans le comté de Warwick, gentleman, treize livres six shillings et huit pence, lesquelles sommes devront être payées dans l’année après mon décès.

» Item, je donne et lègue à Hamlet Sadler[6] vingt-six shillings huit pence, pour qu’il s’achète une bague ; à William Reynolds, gentleman, vingt-six shillings huit pence, pour qu’il s’achète une bague ; à mon filleul William Walker[7] vingt shillings en or ; à Anthony Nash, gentleman, vingt-six shillings huit pence ; et à M. John Nash, vingt-six shillings huit pence ; et à chacun de mes camarades, John Heminge, Richard Burbage et Henry Cundell[8], vingt-six shillings huit pence, pour qu’ils s’achètent des bagues.

» Item, je donne, cède, lègue et attribue à ma fille Susanne Hall[9], pour la mettre à même d’exécuter mon testament et pour assurer cette exécution, tout l’immeuble principal ou tènement (avec ses dépendances), situé dans ledit bourg de Stratford, et appelé New-Place, où je demeure maintenant, et les deux immeubles ou tènements (avec leurs dépendances), situés, étendus et existant dans Henley-Street, en ledit bourg de Stratford, ainsi que tous mes vergers, jardins, granges, étables, biens-fonds, tènements et héritages quelconques, situés, étendus et existant, ou devant être acquis, exploités et recueillis, dans les villes, hameaux, villages, prairies et terrains de Stratford-sur-Avon, du vieux Stratford, de Bishopton et de Welcombe, en ledit comté de Warwick ; et aussi tout cet immeuble ou tènement (avec ses dépendances), qu’habite un John Robinson, et qui est situé dans Blackfriars, à Londres, près la Garde-Robe[10] ; — entendant que la propriété pleine et entière desdits biens-fonds, ainsi que de leurs dépendances, soit dévolue à ladite Susanne Hall, pour et durant le terme de sa vie naturelle ; et, après son décès, au premier fils légitimement issu de son corps, et aux héritiers mâles légitimement issus du corps dudit premier fils ; et, à défaut d’une telle lignée, au second fils légitime de ladite Susanne, et aux héritiers mâles légitimement issus du corps dudit second fils ; et, au défaut de ces héritiers, au troisième fils légitime de ladite Susanne, et aux héritiers mâles légitimement issus du corps dudit troisième fils ; et, à défaut d’une telle lignée, successivement au quatrième, au cinquième, au sixième et au septième fils légitime de ladite Susanne, et aux héritiers mâles légalement issus des corps desdits quatrième, cinquième, sixième et septième fils, dans le même ordre qui a été spécifié ci-dessus à l’égard du premier, du second et du troisième fils légitime de ladite Suzanne et de leurs enfants mâles ; et, à défaut d’une telle lignée, j’entends que la propriété desdits biens-fonds soit et reste dévolue à madite petite-fille Élisabeth Hall et aux héritiers mâles légalement issus de son corps ; et, à défaut d’une telle lignée, à ma fille Judith et aux héritiers mâles légalement issus de son corps ; et, à défaut d’une telle lignée, aux héritiers légitimes, quels qu’ils soient, de moi, William Shakespeare.

» Item, je donne à ma femme le second de mes meilleurs lits avec la garniture[11] (my second best bed with the furniture).

» Item, je donne et lègue à madite fille Judith ma grande coupe d’argent doré. Tout le reste de mes biens, — meubles, baux, argenterie, bijoux, objets de ménage, — je le donne et lègue, mes dettes et mes legs une fois payés, les dépenses de mes funérailles une fois soldées, à mon gendre John Hall, gentleman, et à ma fille Susanne, sa femme, que je nomme et institue les exécuteurs de mes dernières volontés et de mon testament. Et je choisis et désigne comme surveillants adjoints lesdits Thomas Russel, esq., et Francis Collins, gentleman. Et je révoque tout legs antérieur, et je déclare que ceci est ma dernière volonté et mon testament. En foi de quoi j’ai apposé ici ma signature, le jour et l’année ci-dessus indiqués.

Par moi :
WILLIAM SHAKESPEARE.
Témoins de la présente déclaration :
Fra. Collyns,
Julius Shaw,
Jonn Robinson,
Hamlet Sadler,
Robert Wattcoat.

Probatum ſuit testamentum suprascriptum apud London, coram magistro William Bryde, Legum Doctore, etc., vicesimo secundo die mensis Junii, Anno Domini 1616 ; juramento Johannis Hall unius ex. cui, etc., de bene, etc., jurat. reservata potestate, etc. Susannæ Hall, alt. ex. etc., eam cum venerit, etc., petitur, etc.


  1. Judith, seconde fille du poëte, était la sœur jumelle d’Hamlet, mort à l’âge de douze ans. Baptisée le 2 février 1584, elle épousa en 1616 Thomas Quincy, eut de lui trois fils auxquels elle survécut, et mourut en 1661.
  2. Fille de John Hall et de Suzanne Shakespeare ; baptisée le 21 février 1608, elle épousa en 1626 Thomas Nash, puis, en 1649, John Barnard, qui fut fait chevalier par Charles II, et mourut sans postérité en février 1670.
  3. Baptisée le 15 avril 1569, enterrée le 30 novembre 1646. Elle épousa, vers 1599, William Hart, chapelier de Stratford, dont elle eut trois fils et une fille.
  4. « Il est singulier, remarque Malone, que Shakespeare, ni aucun membre de sa famille, ne se soit rappelé le nom de baptême de son neveu, qui était né à Stratford onze ans seulement avant que le poëte fit son testament. Ce neveu, baptisé le 24 juillet 1605, avait nom Thomas. »
  5. Bourgeois de Stratford, voisin et ami de Shakespeare. Né en 1589, mort en 1657.
  6. Parrain du fils unique de Shakespeare. Né vers 1550, mort en 1624.
  7. Le filleul de Shakespeare fut baptisé le 16 octobre 1608. Malone infère de cette circonstance que Shakespeare était dans sa ville natale pendant l’automne de cette année-là.
  8. Heminge et Cundell, acteurs du théâtre du Globe, éditeurs du grand in-folio de 1623 ; — Burbage, le fameux tragédien qui créa Richard III.
  9. Susanne, fille aînée de Shakespeare, née en 1583, épousa en 1607 John Hall, médecin alors célèbre, eut de lui une fille, Élisabeth, perdit son mari en 1635, et mourut en 1649.
  10. La Garde-Robe (the Wardrobe) était un hôtel royal, situé près de Puddle-Vharf, qu’Édouard III avait acheté de sir John Beauchamp, qui l’avait construit.
  11. « On voit dans le testament original de Shakespeare, aujourd’hui déposé dans les archives du Prérogative-Office, Doctor’s Commons, qu’il avait d’abord omis sa femme, le legs fait à mistress Shakespeare étant indiqué par une interpolation, ainsi que les legs faits à Heminge, à Burbage et à Condell. » — Malone.
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