Théâtre de campagne/Épître aux Sociétés de Province

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ÉPÎTRE
AUX SOCIÉTÉS
DE PROVINCE.

C’est à vous, aimables Sociétés, que je dédie ce Théâtre, vous qu’on affecte de dédaigner, & que, sans le savoir, on prend souvent pour modèle. Le charme de la Société, à la Campagne, n’est-il pas en effet le même que celui des Sociétés de Province ? Il consiste à vivre habituellement ensemble. Quand on se convient, le plaisir de se retrouver à chaque instant n’est-il pas le plus doux de la vie ? Tout ce qui amuse, lie encore davantage. C’est d’après cela, sans doute, qu’on a repris si vivement le goût de vivre à la Campagne ; en trois jours on s’y voit plus de tems que dans une année à Paris. Et vous, vous jouissez sans cesse de cet avantage. Ah ! profitez-en toujours ! c’est le goût seul des amusemens qui perpétuera ce bonheur. Doucement occupées de vos plaisirs, votre vie sera variée & vous ne connoîtrez jamais l’ennui. Le goût bannira ces mauvaises plaisanteries, souvent répétées, qui fatiguent plus qu’elles ne divertissent ; les plaisants & les objets de plaisanteries disparoîtront bientôt, & le jeu ne sera plus aussi nécessaire. Ce jeu, même modique, étoit devenu une habitude, on croyoit n’avoir existé que par la quantité d’heures que l’on avoit joué ; il n’y avoit plus de conversation, plus de gaieté, plus de plaisir. Après avoir parlé de sa santé, gémi sur le tems ou exhalté sa beauté, sans avoir le projet d’en profiter, on jouoit, on se querelloit, on se trouvoit insupportables, & l’on se haïssoit.

Le goût des Spectacles ne laisse qu’aux Vieillards ces tristes habitudes. L’étude des rôles, les répétitions prennent du tems ; vous lisez au moins des Comédies & c’est où l’on apprend à connoître les hommes, à rire des ridicules & à les éviter, à mépriser les vices & à les redouter, à admirer les vertus & à s’efforcer de les pratiquer.

L’amour des talens ne laisse point de vuide dans l’ame, & le desir d’en acquérir fait rechercher ceux qui les possèdent : on sent ce qu’il faut de travaux & de soins même pour avoir un talent médiocre. Ainsi les petits Théâtres de Société qu’on élève en Province, y répandent un nouveau jour qui rend les objets plus brillans, & porte dans l’ame cette innocente gaieté qu’on ne trouve que dans les Sociétés formées hors de la Capitale. La jalousie, l’envie, les préséances qui sont toujours les fruits de l’oisiveté & de l’ennui disparoîtront pour jamais. Les Vieillards n’auront plus de stupides admirateurs de leurs raisonnemens douloureux après la lecture des Galettes ; ils s’affligeront seuls ou ils ne s’affligeront pas. Le goût du jeu se reproduira moins. Les oisifs ne plaisanteront pas ceux qui savent s’occuper, & ne les détourneront plus, & les Académies seront moins peuplées de dormeurs, comme il y en a dans plusieurs Villes.

On voit déjà les Comédiens de Province, excités à jouer des Pièces que ceux de Paris ne jouent jamais ; ils consentent à varier leur répertoire, sans craindre de se fatiguer en apprenant de nouveaux rôles.

Toutes ces considérations, aimables Sociétés, m’ont fait croire que vous recevriez avec plaisir ce Recueil de Comédies ; il a été formé pour une Société de Province très-aimable, qui les a toutes jouées. S’il y en a qui puissent vous plaire, mon projet, de seconder vos amusemens, sera rempli, & c’est tout ce que peut desirer un Éditeur qui voudroit pouvoir les partager. Je suis, &c.

La Lettre suivante apprendra ce qui a engagé à recueillir les Pièces qui composent le Théâtre de Campagne.