Théâtre de campagne/L’Aubergiste
L’AUBERGISTE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
M. MARTIN, Aubergiste.
Mde MARTIN, Femme de Monsieur Martin.
GENEVIEVE, Fille de Monsieur Martin.
CLÉMENT, Épicier.
PIERRE SILVAIN, Marchand de Bois.
CLAUDE SILVAIN, Fils de Pierre Silvain.
HONORIN, Tabellion.
Scène première.
J’entends quelqu’un, je crois. Si c’étoit Clément !
Peut-on entrer ?
Qui est-ce ?
C’est moi, Mameselle Génevieve.
Est bien, allez-vous-en, car ma Belle-mère va venir.
Madame Martin ? Oh, je ne la craignons plus.
Comment vous ne la craignez plus ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Eh, pardi, vous savez bien. Est-ce que vous ne savez pas ?
Non vraiment ; allons, Claude Silvain, dites-donc ?
Eh bien devidons encore un écheveau de fil ensemble, comme l’autrefois.
Ah je le veux bien, si vous vouliez m’expliquer ce que vous disiez.
Ah ! dame, il faut que je voye le fil.
Le voilà, lui montrant. Asseyez-vous ici.
C’est bon, c’est bon. Il se frotte les mains.
Si vous allez encore me faire endéver.
Cela ne fait rien, pourvu que je vous fasse rire, n’est-ce pas ?
Dites donc ?
C’est qu’il ne faut pas que vous me regardiez.
Je n’en ai pas d’envie du tout.
Ah ! vous dites cela pour badiner, vous êtes bien maline, Mameselle Génevieve.
Moi ?
Oui, j’aime cela, parce que je m’y connois au moins.
Voila mon fil qui va se mêler.
Tant mieux, le plaisir durera plus longtems ; comment trouvez-vous ce que je vous dis-là ? c’est fin.
Si vous ne voulez pas parler autrement, je m’en vais laisser-là le fil.
Il ne faut pas vous fâcher, voyez-vous. Je ne vous le disois pas, parce que mon Père me l’a défendu, il m’a dit qu’il n’étoit pas encore tems ; voilà pourquoi je ne peux pas vous le dire.
Mais vous me le direz.
Si je désobéis à mon Père, songez que ce sera votre faute toujours & pas la mienne.
Oui, oui, parlez.
C’est que j’ai dit comme cela à mon Père que je vous aimois, & que je voudrois bien vous avoir pour Femme.
Il ne falloit pas lui parler de cela.
Eh vraiment si, pour qu’il le sût. Il m’a répondu ; mais, Claude Silvain, Mameselle Genevieve t’aime-t-elle ?
Il falloit dire que non.
Je n’en savois rien encore. Enfin voilà qui est bien. Il m’a dit, j’en parlerai à son Père, en attendant que tu lâches à quoi t’en tenir, & il en a parlé.
Et qu’est-ce que mon Père a dit ?
Oh, attendez, attendez ; je suis venu vous voir il y a trois jours, vous savez bien ?
Après, après.
Comme j’allois vous demander si vous m’aimiez, vous m’avez dit, Claude Silvain, aidez-moi à dévider un écheveau de fil. J’ai bien deviné ce que cela vouloit dire, j’ai été le dire à mon Père.
Comment ! quoi dire ?
Oh, vous le savez bien. Il a parlé à votre Père, & notre mariage va se faire tout de suite. Il ne faut pas le dire à personne, c’est un secret. Je ne sais pas mal mes affaires, comme vous voyez, moi.
Oui, oui, mais allez-vous-en, car j’entends du monde.
Ah ! c’est Clément. Ne lui dites rien.
Non, non.
Adieu, Mameselle Génevieve. Adieu, Clément ; adieu, Madame Martin ; adieu, Honorin.
Scène II.
Adieu, adieu. À qui en a donc ce nigaud-là avec sa joie ? Eh bien, voilà l’autre qui pleure à-présent.
Qu’avez-vous donc, ma chère Génevieve ?
Bon, bon ! laissez-là, tantôt elle pleure, tantôt elle rit, on n’y comprend rien. Si elle étoit ma Fille elle ne seroit pas comme cela, voilà comme la défunte l’a élevée, ce n’est pas ma faute ; mais pendant que son Père n’y est pas, parlons un peu de ses affaires.
Où est-il donc allé votre Mari ?
Il est allé chercher des provisions à la Ville, pour une noce, à ce qu’il dit.
Pour une noce ?
Oui ; est-ce qu’il ne l’a pas dit ce matin ?
Ah ! c’est vrai ; c’est cela même ! Elle pleure.
Une noce ! Personne ne se marie dans le Village, & j’en devrois savoir quelque chose.
Eh bien, Monsieur le Tabellion ; c’est la mienne.
Comment la vôtre ?
Cela ne se peut pas.
Je vous dis que si, avec Claude Silvain. Il vient de me le dire tout-à-l’heure.
Vous voyez bien que ce je vous disois étoit vrai.
Ah ! Monsieur Honorin, nous sommes perdus !
Attendez, attendez. Le contrat ne se peut pas faire sans moi, primo & d’un.
Non, vraiment.
Madame Martin, il faudra que vous me secondiez.
Je ne demande pas mieux, vous savez bien que je suis pour Clément.
Je vous en serons bien obligés.
Et que je ne peux pas souffrir ces deux nigauds de Silvains le père & le fils ; car qui voit l’un, voit l’autre.
Oh, c’est tout de même.
Je parlerai au Compère Martin ; laissez-moi faire.
Quoi, tout de bon ?
Oui ; Clément m’a dit des choses qui me déterminent.
Et je vous tiendrai parole, Monsieur Honorin.
Et qu’est-ce que vous lui direz ?
Si je vous le disois, vous n’y consentiriez peut-être pas ; ainsi il est inutile.
Je consentirai à tout, pourvu que vous me défassiez de ces deux Silvains qui seroient toujours ici, à pot & à rôt, si Génevieve épousoit le fils ; car ils sont aussi avares que bêtes.
Mon idée est très-bonne. Le Compère Martin est un peu jaloux ?
Oh, pour cela oui : & vous savez bien le train qu’il me fit un jour à cause de ce Monsieur ?
Quoiqu’on ne fasse pas de mal, on ne veut pas avoir des espions, ni des gens qui en disent pour plaire à ceux dont c’est le défaut de le croire aisément.
Et ils sont bien capables de cela.
Je le sai.
Ah ! je crois voir où vous en voulez venir, mais je ne devine pas bien.
Vous ne le saurez pas, déjà.
Qu’est-ce cela fait ? pourvu que Monsieur Honorin réussisse.
C’est que je serois bien aise de savoir…
Laissons faire Monsieur Honorin.
Ah ! voilà mon Père qui vient avec les Silvains, je tremble.
Ne craignez rien. Toi Clément, commence par t’en aller chez moi, j’irai t’y trouver.
C’est bon. Il s’en va. Je m’en vais par la basse-cour, pour ne pas les rencontrer.
Vous deux, faites semblant d’ignorer les intentions du Compère Martin, n’ayez pas l’air de vouloir les savoir ; sur-tout point de tristesse.
Scène III.
Ah ! vous voilà ici, Monsieur Honorin ?
Oui, j’étois venu pour vous voir & j’étois-là à deviser avec la Commère.
Ne dites encore rien, Mameselle Geneviève.
Claude Silvain, veux-tu bien venir ici.
J’y viens, mon Père.
Ce petit coquin-là, d’abord qu’il voit une jeune Fille, il y court tout de suite, on ne peut pas le tenir.
Ah ! c’est de son âge. Femme donne-nous un peu une croûte de pain & une pinte de vin ; parce que nous avons à parler ici.
Genevieve, va chercher du vin, pendant que je rincerai les verres.
J’y vais.
C’est que les Femmes, vous savez… Elle n’est pas-là ?
Si fait, je la vois.
Il y avoit bien du monde au marché aujourd’hui. Bas. Il ne faut parler de rien encore.
Voilà donc pourquoi vous êtes revenu si tard ?
Si tard, si tard ! Il faut bien avoir le tems de faire ses affaires.
Moi, j’étois sur le pas de la porte à regarder toujours quand vous reviendriez, parce que je commençois à m’impatienter.
Veu bien te taire.
Oh, mais ce que je dis c’est pour parler, afin qu’on ne nous entende pas.
Il est malin au moins, Monsieur Martin, mon fils.
Bon chien chasse de race.
Tenez ; voilà toujours des verres & du pain.
Donne-nous aussi un peu de fromage.
Du Brie ?
Oui, oui. Eh bien, ce vin ? Elle est bien long-tems.
Voulez-vous que j’aille à la cave chercher Mameselle Genevieve ?
Eh non, non, ne bougez, la voilà. Tiens, apporte ici, Fille.
Voilà du fromage ; vous en mangerez si vous voulez.
Allons, c’est bon. Allez-vous-en à présent. Faites chauffer le four, nous y mettrons ces deux pâtés que j’ai fait hier au soir.
Allons, viens Genevieve.
Scène IV.
Deux pâtés ! quand je ne me marierois que pour cela, j’en serois toujours bien-aise, parce que j’aime bien le pâté, moi.
Vous aimez le pâté ?
Oh ! comme tout.
Bon ! laissez-le dire ; c’est un drôle de corps qui ne finiroit jamais si on l’écoutoit. Dites-moi un peu, Monsieur Martin, avez-vous trouvé tout ce qu’il vous falloit pour notre noce ?
Ah ! ne vous embarrassez pas, vous aurez de quoi manger. Allons buvons donc. Il leur verse à boire, & ils boivent.
Qu’est-ce que c’est donc que cette noce ?
Quoi ? Monsieur Honorin, vous ne savez pas ? Ah ! il est bon-là ; c’est lui qui fera notre contrat & il n’en sait encore rien. Il rit. Ah, ah, ah.
Veux-tu bien ne pas tant rire ? Voilà comme il est, il rit de tout, & quand il a une fois commencé… Enfin, je ne puis jamais le mener nulle part, quand j’ai à parler d’affaires.
Comment, vous ne savez pas que je me marie avec Mameselle Genevieve ?
Point du tout.
Que nous faisons ce soir le contrat ?
Je n’en sai rien.
C’est pourtant bien vrai. Il rit. Ah, ah, ah, il n’en sait rien.
Oui, rien n’est plus certain, & nous ferons la noce de Lundi en huit. Nous allions aller tout-à-l’heure chez vous pour vous prier à souper pour ce soir.
Nous serons bien du monde, n’est-ce pas, Monsieur Martin ?
Mais de mon côté…
Oh de votre côté, c’est votre affaire. Pour moi, il faut que j’aille prier ma Tante, mon Oncle, mes Cousins, mes Cousines…
Tu n’as pas de tems à perdre.
Oh, pour cela non ; car il faut que je me fasse friser.
Et moi donc, qui n’ai pas ma barbe faite, je voulois me faire raser hier ; mais le Barbier étoit allé au Château pour le chien de Madame qui étoit malade. Je m’en vais aussi m’en aller.
Et nos affaires donc, avec Monsieur Honorin, quand est-ce que nous en parlerons ?
Ce soir, ce soir.
Ah, si vous le prenez comme cela, moi, je m’en vais travailler au souper, car je n’ai pas trop de tems non plus.
Vous avez raison beau-Père. Attendez que je boive encore un coup auparavant de m’en aller.
Et moi donc ?
Tenez. À vous, Monsieur Honorin, à toi, Pierre Silvain ; allons, à votre santé tous ensemble. Ils boivent.
Est-ce là le vin que nous boirons ce soir ?
Oui, je n’en ai pas d’autre.
Tant mieux ; car il est bon.
Allons, allons, marche.
Beau-Père, dites-donc notre mariage à Monsieur Honorin, puisqu’il ne le sait pas. Ah, ah, ah. Il rit.
Allons, allons, marche, grand fou. À ce soir, Messieurs.
Scène V.
Quoi ! vous allez donner votre Fille à ce benêt-là ?
Oh, benêt ! il sera riche ; son Père l’associe dans son commerce des Bois, & la richesse va avant tout dans le ménage.
Je le sai bien, mais qu’est-ce qu’il vous en reviendra à vous ?
Ce qu’il m’en reviendra ? D’avoir bien marié ma Fille ?
Oui ; mais on dira la même chose toujours.
Je ne sai pas ce que vous voulez dire.
Tenez, Compère, à votre place, je n’aurois pas donné ma Fille à Claude Silvain.
Est-ce parce que ce n’est pas l’avis de ma Femme ?
Vous vous y connoissez. Il rit.
Mais sûrement ; je sai bien qu’elle auroit voulu que je l’eusse donné à Clément.
Et vous le croyez ?
Sans doute.
Vous êtes un homme bien aisé à tromper.
Mais, puisqu’elle me l’a dit elle-même.
Et pardi, j’y étois ce jour-là.
Et oui vraiment, à propos.
Eh bien, vous avez donné là-dedans ?
Pourquoi pas ?
Mais, vous n’avez donc pas vû ?
Quoi ?
Quand nous sommes arrivés ?
Je ne m’en souviens pas.
Attendez que je voie si elle n’est pas-là. Il va voir. Asseyez-vous ici. Ils s’asseyent. Tenez, Compère, rappellez-vous.
Vous me faites sécher d’impatience.
Vous ne vous souvenez pas que le jour qu’elle vous parla pour Clément, nous l’avions trouvé avec elle ?
Ah, oui.
Et que dans le moment que nous sommes arrivés il l’embrassoit.
C’est vrai, je m’en souviens… Est-ce que… Expliquez-moi donc ?
Elle étoit fort rouge.
Fort rouge ? Cela pourroit bien être.
Elle vous dit tout de suite, mon ami, Clément me prioit de vous parler pour lui. Il voudroit bien épouser Genevieve.
Oui, elle m’a dit cela, & c’est pourquoi j’ai crû qu’elle le vouloit, est-ce que vous croyez le contraire ?
Pardi, j’en suis bien sûr. Elle sait que vous n’êtes jamais de son avis, & elle ne risquoit rien.
Elle ne risquoit rien ?
Sans doute, car si vous l’eussiez prise au mot, elle en auroit été bien fâchée.
Vous m’embarrassez l’esprit.
Rien n’est pourtant plus clair, à ce que tout le monde dit.
Mais, quoi encore ?
Que votre Femme est amoureuse de Clément.
Seroit-il bien possible ?
Vous voyez bien qu’en faisant épouser votre Fille à Clément, vous feriez taire les mauvaises langues, & que l’on croiroit qu’il ne venoit chez vous que pour votre Fille.
Et vous croyez qu’il y venoit pour ma Femme ?
Dame. Écoutez-donc, on ne peut répondre de rien dans la vie.
Non, sur-tout avec les Femmes.
Ne lui dites pas que je vous ai parlé de cela.
Effectivement, je me rappelle à présent tout plein de choses. Je l’ai trouvé souvent à causer avec elle.
Tous les jours.
Elle ne m’a parlé qu’une fois de lui donner ma Fille, rien que le jour en question.
Je le crois bien.
Mais croyez-vous que Clément consentiroit à l’épouser ?
Je ne sais pas, mais si vous vouliez je lui en parlerois.
Dites-lui que sur ce que ma Femme m’a dit, j’ai fait mes réflexions, & que je ne demande pas mieux.
Je le veux bien ; je lui dirai de plus que vous avez tout découvert, qu’il n’y a que ce moyen-là de tout réparer.
Je vous en aurai la plus grande obligation. Je vais parler à ma Femme, elle ne croira pas que je pense à ce mariage, elle en sera bien étonnée. Laissez, laissez-moi faire.
Sur-tout motus, que c’est moi qui vous ai dit tout cela.
Ne craignez rien.
Adieu, Compère, je m’en vais tâcher de déterminer Clément & de vous ramener.
Il a du bien ?
Oui, sûrement, & puis son commerce d’Épicerie.
Allons, c’est bon, ne perdez pas de tems.
À tantôt. Il s’en va.
La Carogne ! la Défunte ne m’auroit pas fait un tour comme cela… Il faut que je me contraigne. Genevieve, Genevieve.
Scène VI.
Qu’est-ce que vous voulez, mon Père ?
Où est ta Belle-Mère ?
Elle est assise auprès du puits à laver la salade.
Dis-lui de venir ici.
Oui, mon Père. À propos le four est chaud.
Eh bien, mets-y les deux pâtés & un gigot dans une terrine avec de la chicorée, & épluche des champignons.
Oui, oui.
Il faut, pour cacher ma colère, que je me mette à travailler.
Scène VII.
Me voilà, mon Homme ; qu’est-ce que tu veux ?
Allons, aide-moi à ôter mon habit. Il ôte son chapeau.
Et ton chapeau ?
Oui ; donne-moi mon bonnet.
De coton ?
Oui, je garderai ma perruque. Mon tablier ?
Le voilà.
Y a-t-il du persil, de la ciboule, de l’échalote là-dessus ?
Oui, oui ; la poivrière y est aussi.
C’est bon.
Qu’est-ce que tu as donc ? tu parois fâché.
Fâché, fâché ! Je suis comme je suis. Quand on a de l’amour dans la tête on est plus content, n’est-ce pas ?
Comment de l’amour ?
Eh, tu sais bien ce que je veux dire.
Dame, si on vous a dit que votre Fille aime Clément, ce n’est pas ma faute.
Quoi ! ma Fille aime Clément ?
Oui, n’est-ce pas cela que vous dites ?
Je voudrois bien que ce fût elle.
Et qui croyez-vous donc que c’est ? Est-ce qu’il y en a une autre qui veut l’avoir ?
Ah ! voilà la jalousie qui te prend.
Comment, la jalousie ?
Oui, tu ne peux pas la cacher.
Celui-là est bon ! Quoi, je serois jalouse ! & à propos de quoi ?
À propos de Clément, tiens, ne m’en fais pas dire davantage.
Mais je crois que vous êtes fou.
Non, non, je ne suis pas fou ; mais j’ai bien peur d’être autre chose. Qu’est-ce que tu as à dire à cela ?
J’ai à dire que je voudrois bien savoir qui vous a donné cette idée-là ?
Qui ?
Oui.
Eh bien, tout le village s’en apperçoit depuis long-tems.
Tout le village ?
Oui ; demande plutôt à Monsieur Honorin.
Quoi ! Monsieur Honorin a pu vous dire que j’aimois Clément ?
Je ne dis pas que c’est lui ; mais il le sait comme tout le monde.
Monsieur Honorin auroit été capable…
Te voilà confondue.
Voilà pourquoi il n’a pas voulu me dire…
Qu’est-ce que tu as à répondre à cela ?
Que rien n’est plus faux.
Ah, oui ; tu crois que je te croirai.
Si c’étoit pour faire réussir Clément… cela seroit bien vilain à lui.
Qu’est-ce que tu dis-là toute seule ?
Je dis que c’est affreux à vous, de croire de pareilles choses.
Oui, oui, affreux. Pourquoi m’as-tu proposé Clément, pour ma Fille ? Je le sai bien.
Comment, vous le savez ?
Oui, tu ne m’en as pas parlé depuis.
Vous ne le vouliez pas.
Si tu en avois eu bonne envie, tu m’aurois tourmenté pour cela.
Eh bien faites-lui épouser, elle en sera charmée & moi aussi.
Et toi aussi ? Je t’attrapperois bien.
Mais… À part. Je ne sai ce que je dois faire.
Tu barguignes, je vois bien que tout ce que je t’ai dit est vrai.
Si vous m’aimiez, vous ne me parleriez pas comme cela.
Et c’est parce que je t’aime. Vraiment si je ne t’aimois pas, qu’est’ce que cela me feroit ? il y a tant de gens comme moi. Mais bon gré, malgré, j’ai décidé…
Quoi ?
Tu auras beau pleurer, cela sera ; oui, je l’ai mis dans ma tête, ma Fille épousera Clément.
Quoi ! tout de bon ?
Oui, oui , fais semblant de rire, tu n’en as pas d’envie.
Mais il faut savoir si votre Fille y consentira.
Oh, ne crois pas l’empêcher, tu ne la préviendras pas ; car je vais lui parler devant toi. Tiens-toi-là. Genevieve.
Scène VIII.
Mon Père.
Viens donc ici.
Me voilà, mon Père. J’apportois les champignons.
Mets-les sur la table, & passe-là. Elle passe à droite, & Monsieur Martin est entr’elle & Madame Martin qui fait des signes à Genevieve.
Pourquoi donc faire ?
Ah ça, Fille, je sais que tu aimes Claude Silvain.
Je vous assure, mon Père, que cela n’est pas vrai.
Il me l’a dit, ainsi je n’en doute pas.
Mais il a eu tort.
Il ne faut pas le nier, tu seras bien fâchée tout-à-l’heure ; mais tu auras beau pleurer, je ne changerai pas d’avis.
En vérité, mon Père, je ne peux être que malheureuse avec lui.
Allons, allons, je sais à quoi m’en tenir ; il a prié son Père de me parler pour vous marier ensemble, j’y ai consenti ; mais ce n’est plus cela.
Comment ?
Ah ! je savois bien que tu serois fâchée de ce que je te vas dire. Je ne veux plus de ce mariage-là. Et je veux que tu consentes dès ce soir, à épouser Clément.
Clément ?
Oui. Elle te fait des signes, voilà pourquoi tu fais semblant d’en être bien-aise, mais à cela il n’y a pas à reculer, il faut que tu oublies Claude Silvain.
Mon Père, je ferai tout ce que vous voudrez.
Oui, voilà ce qu’elles disent quand on ne veut pas ce qu’elles veulent. Quand ma Femme m’a proposé ce mariage-là, elle avoit ses raisons, & moi j’avois les miennes pour le refuser ; mais aujourd’hui ce n’est plus de même.
Mon Père…
Je n’entendrai rien. Monsieur Honorin va amener Clément, il m’a promis de l’y faire consentir, & s’il ne le veut pas, je sais bien à qui je m’en prendrai. Il regarde Madame Martin. Je crois que les voici. Restez-là toutes deux. Oui, ce sont eux-mêmes.
Scène IX.
Allons, entrez, entrez.
Mais pourquoi faire ?
Ah ça, Clément, écoutez moi.
Mais, Monsieur Martin, Monsieur Honorin m’a déjà dit ce que vous vouliez de moi.
Eh bien ?
Je lui ai répondu que je ne voulois pas me marier.
Il ne veut pas se marier ! non, mon Père, il ne faut pas le forcer, apparemment qu’il en aime une autre.
Eh vraiment oui, je le sais bien.
Monsieur Honorin, qu’est-ce que vous avez fait ?
Laissez donc, vous verrez.
Qu’est ce qu’elle vous dit-là ?
Elle me prie d’empêcher ce mariage.
Je le crois bien.
Ce n’est pas-là mon métier, au contraire.
Ma Fille a du bien de sa Mère, il est à peu près égal au vôtre, & si vous ne consentez pas, vous me ferez croire que c’est celle qui vous aime, qui vous en empêche.
Allons, Clément, un bon établissement vaux mieux que tout.
Non, non, Monsieur Honorin, puisqu’il ne s’en soucie pas, il ne faut pas le presser davantage.
Ah ! je sais bien ce qui te fait dire cela à toi.
Eh bien, Monsieur, j’y consens, mais vous en serez peut-être fâché ?
Fâché ? je vous réponds que non.
Si vous allez vous dédire ?
Je vous donne deux mille francs, si je me dédis.
Oh ! c’est bon pour le propos.
Vous verrez ; tenez, voilà les deux Silvains, je vais les renvoyer.
Mais si vous êtes engagé avec eux ?
Ne t’inquiète pas plus que moi. Je sais bien ce que je fais apparemment.
Scène X.
Ah, ah ! nous sommes les premiers.
Oui, mais je n’ai pas besoin qu’il en vienne davantage.
Pourquoi donc ? Est-ce que le souper n’est pas prêt ? J’ai pourtant faim, moi ; avez-vous faim aussi, Mameselle Genevieve ? Il veut la prendre par le bras.
Allons, laissez-moi.
Oh ! vous ne me direz pas toujours cela.
Veux-tu bien te tenir en repos.
Tous nos parens vont venir. Voyez comme je suis frisé ?
Je crois que vous perdrez votre étalage.
Qu’est-ce qu’il dit donc Clément ? Il me fait toujours rire, lui.
Il n’a pas tout-à-fait tort. J’ai changé d’avis & je lui donne ma Fille.
Allons donc, vous badinez.
Mais, Monsieur Martin, vous m’avez donné votre parole.
Eh bien, je la retire.
Mais…
Bon ! mon Père, ne croyez pas Monsieur Martin, il se moque de vous ; car j’ai été voir au four, & il y a deux pâtés & un gigot.
Oui, dont vous ne mangerez pas.
C’est tout de bon.
Je ne comprends pas cela ! mon Oncle, ma Tante, mes Cousins, mes Cousines qui vont venir.
Allez au-devant d’eux pour les en empêcher.
Monsieur Honorin, expliquez-moi donc pourquoi ce changement, je n’y comprends rien.
Tant que le contrat n’est pas fait, il n’y a rien à dire.
Il a raison, Monsieur Honorin ; mon Père, il falloit commencer par le contrat, mais, Mameselle, vous ne m’aurez donc pas ?
Il faudra s’en consoler.
Et ce fil que nous avons dévidé ensemble.
Allons, Claude Silvain, puisqu’on se moque de nous, sortons d’ici.
Oui, on se moque de nous, je le vois bien, mon Père, je vois aussi que c’est Clément qui mangera les deux pâtés ; mais quand nous en ferons faire pour nous, il n’en aura pas, je le promets bien. Fi le vilain gourmand.
Passe donc. Nous trouverons toujours bien une Femme pour toi. Adieu, adieu.
Scène DERNIÈRE.
À présent que nous en voilà débarrasses, allons chez vous, Monsieur Honorin, faire notre contrat.
Oui, mais avant il faut que je vous apprenne la tromperie que je vous ai faite, & vous n’en serez pas fâché.
Qu’est-ce que c’est ?
Vous ne m’en voudrez pas, Madame Martin ?
Pourquoi ?
C’est que connoissant le caractère jaloux du Compère, j’en ai profité, en lui faisant croire que vous étiez amoureuse de Clément.
Ah ! Monsieur Honorin, c’est bien mal à vous.
Comment ! cela n’est pas vrai ?
Non, vraiment.
Quoi, c’est ma Belle-mère qu’on disoit que tu aimois, Clément ?
Elle-même.
Tu es bien-heureux, mon ami, que je ne sois pas Femme à me venger de ta crédulité.
Allons, ne parlons plus de cela, je te promets d’être corrigé de la jalousie pour toute ma vie.
En ce cas, je n’en suis plus fâchée, puisque par ce moyen nous faisons aussi le bonheur de Genevieve & de Clément.
Venez-vous-en chez moi, nous reviendrons souper ici après.