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Théâtre de campagne/Les Auteurs tragiques

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Théâtre de campagneRuaulttome IV (p. 379-397).

LES
AUTEURS
TRAGIQUES,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

M. DE LA RIVIERE, Auteurs.
M. DUCHEMIN,
Mde DE LA TASSE, Limonadiere.
M. L’ÉCOUTANT, Espions.
M. SUIVANT,
M. GRIFFART, Exempt.
La Scène est dans le Café de Madame de la Tasse.


Scène première.

M. GRIFFART, M. L’ÉCOUTANT, M. SUIVANT.
M. Griffart.

Vous dites que ces deux hommes-là viennent tous les jours ici ?

M. l’Écoutant.

Oui, Monsieur Griffart.

M. Griffart.

Et les propos qu’ils tiennent…

M. Suivant.

Sont affreux.

M. Griffart.

Examinez-les bien encore aujourd’hui, il ne faut pas se tromper ; & selon ce qu’ils diront, vous viendrez me trouver chez Monsieur le Commissaire, où je vous attendrai.

M. l’Écoutant.

Cela est bon, Monsieur.

M. Griffart.

Vous ne savez pas quelle espèce de gens ce sont ?

M. Suivant.

Non ; tout ce que je sai, c’est que je crois qu’ils ne sont pas riches.

M. Griffart.

À quoi jugez-vous cela ?

M. Suivant.

C’est qu’ils vont toujours à pied.

M. Griffart.

Cela est juste. Ah ça, je vais vous attendre où je vous ai dit.

M. l’Écoutant.

Cela suffit.


Scène II.

M. L’ÉCOUTANT, M. SUIVANT.
M. l’Écoutant.

Il y a long-tems que nous n’avons fait faire de bonnes captures, & celle-ci nous feroit du bien.

M. Suivant.

Il ne faut pas la manquer.

M. l’Écoutant.

Quelle heure est-il à la pendule ?

M. Suivant.

Six heures.

M. l’Écoutant.

Six heures ? Ils ne tarderont pas à venir. Asséyons-nous-là.

M. Suivant.

Oui, & faisons semblant de jouer aux dames.

M. l’Écoutant.

Je le veux bien. Prends le damier qui est là-bas.

M. Suivant.

J’y vais. Il va chercher le damier & l’apporte, & ils se mettent tous les deux à jouer aux dames.

M. l’Écoutant.

Tiens, les voilà.

M. Suivant.

Tout de bon ?

M. l’Écoutant.

Oui.

M. Suivant.

Je t’avois bien dit que nous n’attendrions pas long-tems.


Scène III.

M. DE LA RIVIERE, M. DUCHEMIN, M. SUIVANT, M. L’ÉCOUTANT.
M. de la Riviere.

Si nous allions faire un tour a la Comédie Francoise ?

M. Duchemin, secouant son chapeau qui est rabattu & mouillé.

Ah ! par ma foi non, je suis trop fatigué. Parlons plutôt de notre affaire.

M. de la Riviere.

Je le veux bien.

M. l’Écoutant, à M. Suivant.

Écoutons.

M. Suivant.

Paix donc.

M. Duchemin.

J’ai fait bien des réflexions sur ce que nous disions hier.

M. de la Riviere.

Voyons.

M. Duchemin.

La Duchesse est une ambitieuse ?

M. de la Riviere.

Sans doute, cela ne peut pas être autrement.

M. Duchemin.

Mais pourquoi ?

M. de la Riviere.

Que feroit-elle de son intimité avec le Comte, sans ce puissant motif, puisqu’elle ne l’aime pas ?

M. Duchemin.

Il est vrai.

M. de la Riviere.

Et elle ne se sert du Comte, que pour le perdre après.

M. Duchemin.

Cela fait un caractère odieux.

M. de la Riviere.

Oui.

M. Duchemin.

Il faudra donc qu’elle périsse dans cette intrigue-là ?

M. de la Riviere.

Non, je ne le veux pas, il faut que ce soit le Comte.

M. Duchemin.

Mais c’est un honnête homme ?

M. de la Riviere.

C’est par cette raison ; il découvriroit tout, & il faut qu’il meure.

M. Duchemin.

Il faut donc que le Prince meure aussi !

M. de la Riviere.

Sûrement.

M. Duchemin.

Moi, je voudrois que ce fût la Duchesse.

M. de la Riviere.

Pourquoi ?

M. Duchemin.

Pourquoi ?… Ses liaisons avec le Portugal…

M. de la Riviere.

Ses liaisons sont-elles bien connues ?

M. Duchemin.

Mais, assez.

M. de la Riviere.

Il faut qu’on les ignore, que son Amant occupant la première place…

M. Duchemin.

La fasse mourir ou renfermer ?

M. de la Riviere.

Renfermer, n’est rien. Et puis par cette conduite il indigneroit tout le monde.

M. Duchemin.

Il ne consentira donc pas à la mort du Prince & du Comte ?

M. de la Riviere.

Il ignorera ce projet.

M. Duchemin.

À la bonne-heure.

M. de la Riviere.

Ce dernier acte sera vigoureux !

M. Duchemin.

Je t’en réponds.

M. de la Riviere.

Il s’agit de déterminer la manière dont nous les ferons mourir.

M. L’Écoutant à M. Suivant.

Cela va bien.

M. Duchemin.

C’est à quoi j’ai rêvé.

M. de la Riviere.

Il n’y a que le poison, ou le poignard.

M. Suivant à M. l’Écoutant.

Je vais chercher Monsieur Griffart.


Scène IV.

M. DUCHEMIN, M. DE LA RIVIERE, M. L’ÉCOUTANT.
M. Duchemin.

Le poison rend cela toujours languissant.

M. de la Riviere.

Il est vrai qu’un empoisonné a le tems de parler, & qu’il faut même qu’il parle.

M. Duchemin.

C’est ce que je disois.

M. de la Riviere.

D’un autre côté, le poignard est bien brusque.

M. Duchemin.

Et puis, tuer deux personnes.

M. de la Riviere.

Et que ce soit un mal-adroit qui en soit chargé.

M. Duchemin.

Tout cela est vrai, cependant ce sont les deux seuls moyens qu’on puisse employer.

M. de la Riviere.

Il n’y a sûrement pas à hésiter.

M. Duchemin.

Que sert le choix.

M. de la Riviere.

Sans difficulté.


Scène V.

M. DE LA RIVIERE, M. DUCHEMIN, M. GRIFFART, M. SUIVANT, M. L’ÉCOUTANT.
M. Suivant à M. Griffart.

Monsieur, les voilà.

M. Griffart.

Cela est bon. À MM. Duchemïn & de la Riviere. Messieurs, voulez-vous bien me suivre de la part du Roi.

M. Duchemin.

Nous, Monsieur, & pourquoi ?

M. Griffart.

J’ai ordre de vous arrêter.

M. de la Riviere.

Monsieur, je ne crois pas qu’on puisse rien nous reprocher.

M. Griffart.

Ce n’est pas à moi que vous devez rendre compte, Messieurs ; ainsi je vous prie de ne pas différer.

M. Duchemin.

Cela peut être ; mais si vous vous trompiez, il seroit pour nous très-désagréable de faire cette démarche.

M. Griffart.

Messieurs, vous n’ignorez pas de quoi il est question, sûrement.

M. de la Riviere.

Il est très-sûr, Monsieur, que nous n’avons jamais rien fait, ni contre l’État, ni contre personne.

M. Griffart.

Mais, Messieurs, les propos que vous tenez depuis plusieurs jours, sur-tout ici…

M. Duchemin.

Quels propos, Monsieur ?

M. Griffart.

Vous devez savoir ce que je veux dire.

M. de la Riviere.

Monsieur, nous cultivons les lettres, nous parlons quelquefois avec chaleur de nos projets.

M. Griffart.

Oui, Messieurs, des projets où il y a du poison, du poignard.

M. Duchemin.

Mais, Monsieur, on ne fait point de tragédies sans cela.

M. Griffart.

Quoi ! vous faites des tragédies ?

M. de la Riviere.

Oui, Monsieur, si c’est cela qui vous a abusé, vous voyez bien que nous avons eu raison de vouloir avoir une explication.

M. Griffart.

Mais, Messieurs, qui me répondra de ce que vous avancez ?

M. Duchemin.

Tout le monde, Monsieur, nous sommes très-connus.

M. Griffart.

Ah ! voilà Madame de la Tasse, elle me dira si elle vous connoît.

M. de la Riviere.

Il me paroît que vous pourriez nous en croire sur notre parole.


Scène VI.

M. GRIFFART, M. DE LA RIVIERE, M. DUCHEMIN, Mde DE LA TASSE, M. L’ÉCOUTANT, M. SUIVANT.
M. Griffart.

Permettez, Messieurs. Madame de la Tasse, connoissez-vous ces Messieurs ?

Mde de la Tasse.

Oui, Monsieur : c’est Monsieur Duchemin & Monsieur de la Riviere.

M. Griffart.

Et ces Messieurs sont des Auteurs ?

Mde de la Tasse.

Oui, Monsieur.

M. Griffart.

Et connus pour cela ?

Mde de la Tasse.

Sûrement, & tenez, Monsieur, les deux dernières tragédies qui sont tombées, étoient de ces Messieurs.

M. Duchemin.

Vous pouviez vous passer de dire cela.

M. Griffart.

Dans ce cas-là…

Mde de la Tasse.

Mais, pardonnez-moi ; c’est pour mieux prouver que j’ai l’honneur de vous connoître.

M. Suivant, à M. l’Écoutant.

Allons, allons, viens-t-en ; cette capture-là ne nous enrichira pas.

M. Griffart.

Messieurs, je vous prie d’excuser ma méprise, vous voyez que je me suis rendu à l’envie que vous aviez de vous justifier.

M. de la Riviere.

Monsieur, il n’y a pas de mal. M. Griffart sort.


Scène DERNIÈRE.

M. DUCHEMIN, M. DE LA RIVIERE, Mde DE LA TASSE.
Mde de la Tasse.

Messieurs, j’espère que vous n’êtes pas fâchés contre moi de ce que j’ai dit.

M. Duchemin.

Non, non.

Mde de la Tasse.

J’ai cru bien faire, moi.

M. de la Riviere.

Ne parlons plus de cela.

M. Duchemin.

Parbleu, voilà une plaisante aventure !

M. de la Riviere.

J’ai envie que nous allions la conter au foyer, veux-tu venir ?

M. Duchemin.

Je ne demande pas mieux, cela les fera rire.

M. de la Riviere.

Allons, allons. Ils s’en vont.

FIN.