Théâtre de campagne/Les Compères

La bibliothèque libre.
Théâtre de campagneRuaulttome II (p. 285-351).

LES
COMPERES,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

M. PÉCORIER, Marchand de Bois.
AGATHE, Fille de M. Pécorier.
Mde ADAM, Sage-Femme.
M. LE COCQ, Garçon riche.
M. HOUBLON, Brasseur.
DELRODE, Neveu de M. Houblon.
DAME FRANÇOISE, Servante de Monsieur Pécorier.
PIERRE LEPOT, Valet de Monsieur Houblon.
JEAN ALEGRAIN, Meûnier.

La Scène est à l’entrée du Fauxbourg Saint Antoine. À droite, est la Maison de Monsieur Pécorier, au-dessus de laquelle est écrit : Chantier de bon Bois à brûler. À gauche est la Maison de Monsieur Houblon, où est écrit : Ici se fait & vend la véritable Bière de Mons. À la porte, il y a une Table de pierre & deux bancs, sous un Acacia. Dans le fond on voit les bouts des deux ailes d’un Moulin-à-vent, qui tournent.


Scène première.

AGATHE, DAME FRANÇOISE.
Dame Françoise.

Eh bien, où allez-vous comme ça, Mademoiselle ? Monsieur Pécorier n’a qu’à revenir.

Agathe.

Mon Père ?

Dame Françoise.

Oui, il ne trouvera personne.

Agathe.

Je ne veux que prendre l’air à la porte.

Dame Françoise.

Eh bien, asseyez-vous ici, pendant ce tems là, je verrai à mon souper, je ne veux pas que mon bœuf-à-la-mode brûle.

Agathe, rêvant.

Il ne sortira pas.

Dame Françoise.

Qui donc ? Je vous dis qu’il est sorti.

Agathe.

Vous l’avez vû ?

Dame Françoise.

Comme je vous vois.

Agathe.

Ah, que vous êtes heureuse !

Dame Françoise.

Oui, c’est un bon homme.

Agathe.

Vous connoissez Monsieur Delrode ?

Dame Françoise.

Comment Monsieur Delrode ?

Agathe.

Eh, oui, le neveu de Monsieur Houblon, le Brasseur de Bière, qui demeure là vis-à vis.

Dame Françoise.

Bon ! je croyois que vous parliez de Monsieur Pécorier, qui est Marchand de bois, lui ; cela est bien différent.

Agathe.

Vous n’avez-donc pas vu Monsieur Delrode ?

Dame Françoise.

Non, vous savez bien que j’ai la vue basse, je ne vois que ceux à qui je parle. Est-ce que vous avez affaire à lui ? Si vous voulez de la Bière, vous n’avez qu’à dire, je ne serai pas fâchée d’en boire aussi.

Agathe.

Non, non. C’est qu’on m’a dit qu’il vouloit se faire Abbé.

Dame Françoise.

Abbé ? Qu’est-ce que vous voulez faire de cela ?

Agathe.

Je voudrois savoir s’il est vrai.

Dame Françoise.

Tenez, Mademoiselle, il ne faut pas se mêler des affaires de ses voisins.

Agathe.

C’est qu’il à l’air bien triste & bien farouche.

Dame Françoise.

Eh bien, tant pis pour lui.

Agathe.

J’en suis fâchée.

Dame Françoise.

Mais vous n’êtes pas trop gaie vous, depuis quelque tems ; voyez s’il vient vous demander pourquoi.

Agathe.

Ah, je crois qu’il ne s’en soucie guères.

Dame Françoise.

Eh bien, faites comme lui. À bon chat bon rat. Tenez, on a assez de ses affaires sans se mêler de celles des autres. Eh, pendant que je m’amuse là à causer, mon bœuf-à-au-mode brûle peut-être.

Agathe.

Allez-y voir, car voilà mon Parrain qui vient.

Dame Françoise.

Monsieur le Cocq ? Ah, c’est un bon vivant celui-là, par exemple. Si vous êtes triste avec lui, ce ne sera pas sa faute, car il aime bien à égayer les femmes. Allons, allons, je m’en vas.


Scène II.

AGATHE, M. LE COCQ.
M. Le Cocq.

Bonjour, ma Filleule.

Agathe.

Bonjour, mon Parrain.

M. Le Cocq.

Comment vous portez-vous aujourd’hui ?

Agathe.

Fort bien, mon Parrain.

M. Le Cocq.

Fort bien ? Vous avez quelque chose, que vous ne voulez pas me dire.

Agathe.

Moi ?

M. Le Cocq.

Oui, vous ; vous n’étiez pas comme cela autrefois.


Scène III.

AGATHE, M. LECOCQ, DELRODE, écoutant.
Agathe.

Moi ?

M. Le Cocq.

Oui, vous dis-je.

Agathe.

Mais…

Delrode, à part.

Toujours à causer ensemble, sûrement il l’aime.

M. Le Cocq.

Sans doute je vous aime. Qu’est-ce que vous dites tout bas ?

Agathe.

Rien du tout.

M. Le Cocq.

Ma chère enfant, vous n’avez pas de confiance en moi. Il lui prend la main.

Delrode, à part.

Il lui prend la main.

Agathe.

Eh bien vous l’avez ma main.

M. Le Cocq.

Oui, oui. Vous dites souvent que vous m’aimez.

Agathe.

Il est vrai.

Delrode, à part.

Elle en convient !

M. Le Cocq.

Et vous avez des secrets pour moi. Ah, ma chère enfant, parlez, parlez donc ? Il l’embrasse.

Delrode.

Je suis perdu. Il fuit.

Agathe, appercevant Delrode.

Ah le voilà ! quoi, il me fuit toujours !

M. Le Cocq.

Comment ! qui donc ?


Scène IV.

AGATHE, M. LECOCQ.
Agathe, troublée.

Ah, mon Parrain !… Ce n’est rien.

M. Le Cocq.

Qu’avez-vous ?

Agathe.

C’est que je ne me porte pas bien.

M. Le Cocq.

Cela vous est venu tout d’un coup.

Agathe.

Oui, cela m’arrive assez souvent.

M. Le Cocq.

Il faut rentrer. Il veut la conduire.

Agathe.

Non, ne venez pas, Dame Françoise est là.

M. Le Cocq.

Mais pourrez-vous marcher ?

Agathe.

Oui, oui, mon Parrain, je vous suis bien obligée. Elle s’en va.

M. Le Cocq.

Je n’y comprends rien, & elle m’inquiète.


Scène V.

M. LECOCQ, LA COMMÈRE ADAM.
La Commère Adam.

Qu’est-ce que vous faites donc-là à rêver tout seul, Monsieur le Cocq ?

M. Le Cocq.

Ah, Commère Adam, je suis bien aise de vous voir.

La Commère Adam.

Et moi, aussi ; parce que je m’en vais vous dire. La Femme de Jean Alegrain le Meunier, va accoucher & je n’ai pas beaucoup de tems à perdre, voyez-vous.

M. Le Cocq.

Croyez-vous que ce soit pour aujourd’hui ?

La Commère Adam.

Eh, pardi, vous le savez aussi bien que moi, ne vous a-t-elle pas dit qu’elle m’avoit vûe ce matin ?

M. Le Cocq.

Oui.

La Commère Adam.

Eh bien, vous le savez donc. Vous en êtes peut-être inquiet ; mais vous avez tort, tout ira bien ; c’est une fort jolie Femme & vous avez raison de l’aimer.

M. Le Cocq.

Ce sont de bonnes gens que j’ai établis & que je suis bien aise qui prospèrent.

La Commère Adam.

Oh, avec vous, il ne peuvent pas manquer d’avoir des enfans.

M. Le Cocq.

Qu’est-ce que vous voulez dire ?

La Commère Adam.

Elle étoit grosse de trois mois, quand elle a épousé, il y en a dix-huit, Jean Alegrain, qu’elle n’avoit jamais vu, & c’est vous qui le lui avez fait connoître. Enfin tout cela est fort bien, quand on sait réparer à propos, il n’y a rien à dire.

M. Le Cocq.

Vous faites-là des contes…

La Commère Adam.

Non, je dis la vérité & je vous ai obligation de tout cela, moi, vous me faites vivre, vous faites plaisir aux femmes, vous êtes Garçon, vous jouissez du bien que votre Père vous a laisse, vous mariez les Filles, vous êtes le Compère de tout le monde, vous êtes un brave homme & nous devons bien vous aimer.

M. Le Cocq.

Vous croyez tout ce qu’on vous dit.

La Commère Adam.

Bon ! j’en vois encore bien plus & je n’en parle pas.

M. Le Cocq.

Vous faites fort bien.

La Commère Adam.

Cette petite Tapissière que vous avez envoyée accoucher chez moi, pendant que son Mari étoit à un inventaire à la campagne, est-ce que personne en a rien sçu ? Cela vous coûte de l’argent, mais qu’est-ce que cela vous fait ? Allez, allez, c’est très-bien fait.

M. Le Cocq.

Sans doute.

La Commère Adam.

On ne peut pas vous résister, je le sai par moi-même. Si vous ne deveniez pas ingrat encore !

M. Le Cocq.

Bon, allez-vous vous plaindre toujours de ce que…

La Commère Adam.

Non, non, je sais qu’il faut que chacun aie son tour avec vous. À propos ces deux petites ouvrières, il est tems d’y penser, si vous voulez qu’on ne s’apperçoive de rien dans le quartier.

M. Le Cocq.

J’ai fait croire à leurs Maris que je leur avois trouvé deux places de Femmes-de-Chambre, avec des Dames qui vont à la campagne pour six mois.

La Commère Adam.

Allons ; c’est bon, je vous entends.

M. Le Cocq.

Je n’oublie rien.

La Commère Adam.

Oh, je le sais.

M. Le Cocq.

Mais ce qui m’inquiète, c’est ma Filleule Agathe.

La Commère Adam.

Comment, est-ce qu’elle seroit grosse aussi ? Je suis à votre service, comme vous savez.

M. Le Cocq.

Fi donc !

La Commère Adam.

Dame, voyez-vous, bon chien chasse de race & sa Mère étoit bien jolie.

M. Le Cocq.

Oh, pour cela oui.

La Commère Adam.

Comme vous l’avez aimée !

M. Le Cocq.

Je la regrette tous les jours !

La Commère Adam.

Son Mari étoit bien le meilleur homme du monde !

M. Le Cocq.

Il l’est encore.

La Commère Adam.

Tout ce que vous lui faisiez accroire !

M. Le Cocq.

Il n’étoit pas difficile à tromper.

La Commère Adam.

Monsieur Pécorier ? Je le tromperois, moi, qui ne suis pas si fine que vous.

M. Le Cocq.

Vous trompiez bien Monsieur Adam.

La Commère Adam.

Ah, Dieu veuille avoir son ame, le pauvre homme ! c’étoit vous qui en étiez la cause, & combien cela a-t-il duré ?

M. Le Cocq.

Ne parlons pas de cela. Écoutez-moi.

La Commère Adam.

Eh bien, dites ?

M. Le Cocq.

Je trouve que cette pauvre Agathe, ne se porte pas bien.

La Commère Adam.

Elle a peut-être quelqu’amourette dans la tête, à son âge cela ne seroit pas étonnant.

M. Le Cocq.

Voilà ce je voudrois savoir.

La Commère Adam.

Et ce qu’elle ne vous dira peut-être pas ; mais pour la faire parler, tenez, il faut la marier.

M. Le Cocq.

Mais si nous ne savons pas qui elle aime ?

La Commère Adam.

Elle vous le dira pour lors, si elle ne vous le dit pas, vous la marierez toujours.

M. Le Cocq.

Oui, elle sera malheureuse toute sa vie.

La Commère Adam.

Malheureuse ? oh, que non. On croit qu’en n’épousant pas son Amant, on ne pourra plus vivre, mais dès le lendemain du mariage on sent qu’on aime mieux son mari, qu’on n’a jamais aimé son Amant. J’ai passé par-là, ainsi je fais ce qu’en vaut l’aune.

M. Le Cocq.

Tant mieux, parce que je m’en vais proposer au Compère Pécorier de la marier.

La Commère Adam.

Et vous ferez bien, vous me ferez donner sa pratique ?

M. Le Cocq.

Sûrement.

La Commère Adam.

Allons, je vais voir votre amie la Meunière. Vous y viendrez ?

M. Le Cocq.

Oui, oui.

La Commère Adam.

Je vous souhaite le bon jour, en attendant.


Scène VI.

M. PÉCORIER, M. LE COCQ.
M. Pécorier.

Quoi vous êtes ici, Compère le Cocq ?

M. Le Cocq.

Je vous attendois, Compère Pécorier.

M. Pécorier.

Moi, je viens de chez vous ; parce que je m’en vais vous dire, pça, pça, pça, pça, enfin voilà qu’est bien, j’ai à vous parler.

M. Le Cocq.

Eh bien dites. Vous savez bien que je suis votre ami, mon Compère ?

M. Pécorier.

Oh, pardi mon ami, pça, pça, pça, pça, pça, enfin, personne… Je dis voilà qu’est bien, je n’en saurois douter.

M. Le Cocq.

J’en suis bien aise, mon Compère.

M. Pécorier.

Moi, je sais qu’on dit toujours des hommes, pça, pça, pça, pça : mais avec vous… Enfin je sais que pça, pça, pça, vous aimez à obliger, je dis à tout le monde pça, pça, pça, pça, enfin… Que vous êtes d’un très-bon conseil.

M. Le Cocq.

Oh, je voudrois que vous fussiez content de moi, parce que…

M. Pécorier.

Content ? Et pardi, n’est-ce pas vous qui m’avez dit pça, pça, pça, pça, pour me faire acheter ma maison. Enfin, pça, pça, pça, pça, j’ai fait un bon marché.

M. Le Cocq.

Oui, vous ne l’avez pas achetée cher.

M. Pécorier.

Non vraiment. Et puis vous souvenez-vous que dans le commencement de mon mariage, je vous dis pça, pça, pça, pça, mon Compère, je ne peux pas avoir des enfans.

M. Le Cocq.

Je m’en souviens.

M. Pécorier.

Et qu’à cette occasion là vous me dites pça, pça, pça, pça, mon ami, allez vous-en voir pendant quelque tems votre Oncle à Damartin.

M. Le Cocq.

Vous vous en êtes bien trouvé ?

M. Pécorier.

Eh pardi oui, puisque pça, pça, pça, pça, enfin j’ai eu cette petite Agathe que vous aimez tant : aussi je dis toujours pça, pça, pça, pça, pça, enfin, voilà qu’est bien, tenez, sans le Compère le Cocq, elle ne seroit peut-être pas au monde.

M. Le Cocq.

Il faut la conserver.

M. Pécorier.

Voilà ce que je pense, car quand je vois comme elle est, je lui dis, pça, pça, pça, pça, dis-moi donc ce que tu as ? Elle me répond tout de sortes de choses, pça, pça, pça, pça, enfin qu’elle n’a rien.

M. Le Cocq.

Tenez, Compère, il faut la marier, il n’y a pas à aller par quatre chemins, parce que…

M. Pécorier.

La marier, la marier ; moi je vous dis, pça, pça, pça, pça, enfin, à qui ?

M. Le Cocq.

Attendez, eh mais. Le Neveu de Monsieur Houblon, le Brasseur votre voisin.

M. Pécorier.

Le petit Delrode ? Je m’en vais vous dire, pça, pça, pça, pça, enfin, il me conviendroit bien.

M. Le Cocq.

Il faut y penser.

M. Pécorier.

Oui, mais c’est que Monsieur Houblon m’a dit un jour pça, pça, pça, pça, pourquoi ne venez-vous pas boire de la bière avec moi ? Enfin voilà qu’est bien, je lui répondis pça, pça, pça, pça, je n’aime pas la bière, & il est, je crois, fâché contre moi.

M. Le Cocq.

Bon ! c’est le meilleur homme du monde, un bon Flamand.

M. Pécorier.

Cela est vrai, mais c’est que les meilleurs gens du monde sont, vous entendez bien pça, pça, pça, pça, il ne voudra peut-être pas de ma Fille pour son Neveu.

M. Le Cocq.

Oui, mais j’imagine un moyen.

M. Pécorier.

Oh, vous imaginez toujours bien, vous, parce que pça, pça, pça, pça, en un mot avec vous, tout se trouve fait.

M. Le Cocq.

Il faut faire tenir à nos jeunes gens, un enfant ensemble.

M. Pécorier.

Cela est bien dit.

M. Le Cocq.

La Meuniere Alegrain accouche dans ce moment, je vais trouver la Commère Adam & lui dire de faire en sorte que Jean Alegrain, vienne prier ma Filleule & le Neveu de Monsieur Houblon.

M. Pécorier.

Et comme cela ils seront Compère & Commère & puis je vois déjà, pça, pça, pça, pça, qu’ils pourront s’épouser.

M. Le Cocq.

Je vais chercher la Commère Adam. Adieu mon Compère. Il s’en va.

M. Pécorier.

Je vous verrai, parce que je veux vous dire, pça, pça, pça, enfin vous faire mes remercimens.


Scène VII.

M. PÉCORIER, AGATHE, DAME FRANÇOISE.
M. Pécorier.

Dame Françoise, Dame Françoise.

Dame Françoise.

Eh bien, me voilà, me voilà.

Agathe, avant de paroître.

N’est-ce pas mon cher Père, Dame Francoise ?

Dame Françoise.

Oui, oui.

Agathe.

Ah, d’où venez-vous, mon cher Père ? Il y a bien long-tems que vous êtes sorti.

M. Pécorier.

Je viens du chantier, mais il y a long-tems que je suis revenu, parce que j’ai trouvé ici le Compère le Cocq & nous avons dit ensemble pça, pça, pça, pça, enfin cela ira bien.

Agathe.

Je ne vous comprends point.

M. Pécorier.

Il faut que je parle à Dame Françoise, après je te dirai pça, pça, pça, mais Dame Françoise, allez vous en tout-à-l’heure chez le Rôtisseur.

Dame Françoise.

Pourquoi faire ? Vous avez plus de viande qu’il ne vous en faut d’ici à deux jours.

M. Pécorier.

Écoutez-moi. Vous lui direz de vous donner pça, pça, pça, pça, un dindon & une oye, ou plutôt qu’il les envoye à pça, pça, pça, enfin, à Jean Alegrain, tout-à-l’heure.

Dame Françoise.

Le Meunier ?

M. Pécorier.

Oui.

Dame Françoise.

Mais c’est que… sa femme va accoucher.

M. Pécorier.

C’est pour cela.

Dame Françoise.

Un dindon une oye, pour une femme en couche !

M. Pécorier.

Allez donc.

Dame Françoise.

Oh, je saurai ce que cela veut dire. Elle sort.


Scène VIII.

M. PÉCORIER, AGATHE.
Agathe.

Mon cher Père, je vous atendois avec impatience pour vous dire…

M. Pécorier.

C’est moi qui veux te parler.

Agathe.

C’est que j’ai envie d’être Religieuse.

M. Pécorier.

Ah oui, c’est que tu ne sais pas que pça, pça, pça, enfin c’est ton Parrain qui étoit aussi inquiet de toi que moi & qui a eu cette idée là.

Agathe.

Mon parti est pris.

M. Pécorier.

Il faut m’écouter avant de parler, tu verras par ce moyen que pça, pça, pça, enfin tu te porteras à merveilles, & voilà ce que je veux d’abord.

Agathe.

Mais je me porte fort bien.

M. Pécorier.

Oh que non, & le Compère le Cocq, s’en est bien apperçu aussi, & à force de dire ensemble pça, pça, pça, pça, voilà qu’est bien nous sommes convenus de tout enfin.

Agathe.

Et de quoi donc ?

M. Pécorier.

C’est que la femme de Jean Alegrain va accoucher, je crois que je suis brouillé avec Monsieur Houblon, le Compère le Cocq n’en savoit rien & pour cela pça, pça, pça, pça, cela sera arrangé tout de suite, mais il ne faut pas en parler.

Agathe.

Et de quoi donc ?

M. Pécorier.

De ce que je viens de te dire ; parce que pça, pça, pça, le Compère le Cocq ne voudroit peut-être pas qu’on le sçût encore.

Agathe.

Vous ne m’avez rien dit.

M. Pécorier.

Oh que si, tu m’entends bien ; parce que pça, pça, pça, c’est clair, il faut que cela réussisse. Oh, il a bien de l’esprit.

Agathe.

Qui ?

M. Pécorier.

Ton Parrain le Cocq ; mais voilà Dame Françoise, entrons chez nous, je ne veux pas pça, pça, pça, qu’elle nous entende.

Agathe.

Ah, je ne me soucie pas d’en entendre davantage.

M. Pécorier.

Tu es bien maligne. Allons, passe devant.


Scène IX.

DAME FRANÇOISE, P. LEPOT sortant de chez Monsieur Houblon. Il pose une cannette de bière sur la table.
Dame Françoise.

Un dindon & une oye ! mais pourquoi faire ?

P. Lepot, cherchant.

Eh bien, où est-il allé ?

Dame Françoise.

Chez Jean Alegrain.

P. Lepot.

Chez ?

Dame Françoise.

Jean Alegrain.

P. Lepot.

Qui ?

Dame Françoise.

Le Rôtisseur.

P. Lepot.

Ma sœur ?

Dame Françoise.

Qu’est-ce que vous dites donc, Monsieur ? Ah c’est vous, Pierre Lepot.

P. Lepot.

Qu’est-ce que vous disiez de ma sœur ?

Dame Françoise.

Je vous prenois pour Monsieur Pécorier.

P. Lepot.

Vous disiez que vous vous en alliez. Dites-moi un peu avant si vous n’avez pas vû Monsieur Delrode ?

Dame Françoise.

Oui, mais il y a long-tems.

P. Lepot.

Il m’attend.

Dame Françoise.

Il y a long-tems.

P. Lepot.

Il ne faut pas tant crier, tout le monde croit que je suis sourd.

Dame Françoise.

L’on a tort. Allons, je veux savoir pourquoi cet oye & ce dindon. Elle entre chez M. Pécorier.


Scène X.

P. LEPOT, M. HOUBLON en robe de chambre avec un bonnet & fumant sa pipe.
M. Houblon.

Pierre Lepot ?

P. Lepot.

On y va.

M. Houblon.

Pourquoi cries-tu si fort ?

P. Lepot.

Je vous croyois bien loin.

M. Houblon.

Eh bien mon Neveu.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Mon Neveu ?

P. Lepot.

Il m’attend.

M. Houblon.

Où ?

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Où ?

P. Lepot.

Je ne sais pas, c’est Dame Françoise qui m’a dit cela.

M. Houblon.

Je suis très-inquiet de lui.

P. Lepot.

Vous ne l’avez pas vû d’aujourd’hui ? & vous avez dîné avec lui.

M. Houblon.

Il s’afflige, il soupire, il ne dit plus rien.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Je dis qu’il ne dit plus rien.

P. Lepot.

Oui, il ne se porte pas bien. Vous avez raison, il est malade.

M. Houblon.

Bon malade ! mais plus j’y pense… eh mais, oui, sûrement, il est amoureux.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Je dis qu’il est peut-être amoureux.

P. Lepot.

Il est bien malheureux ? Vous avez raison, on l’est toujours quand on est malade.

M. Houblon.

Je crois lui avoir entendu dire plusieurs fois, en soupirant, l’ingrate !

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Je dis qu’il repète souvent le mot d’ingrate.

P. Lepot.

Oui, oui, toute la nuit, il dit grate, grate.

M. Houblon.

Toute la nuit ?

P. Lepot.

Oui, il faut que sa maladie soit la galle.

M. Houblon.

Bon, bon !

P. Lepot.

Et il veut la cacher à tout le monde.

M. Houblon.

Tu ne sais ce que tu dis.

P. Lepot.

S’il vouloit je le guérirois ; car je l’ai eue trois fois pendant que j’étois en Allemagne. Tenez, le voilà, faites-lui avouer que c’est sa maladie.

M. Houblon.

Allons va-t-en & apporte-moi ma cannette de bière.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Ma cannette de bière.

P. Lepot.

Elle est là sur la table.

M. Houblon, s’asseyant.

Va-t-en.

P. Lepot.

Oui, j’attends.


Scène XI.

M. HOUBLON, DELRODE, P. LEPOT.
P. Lepot, à Delrode qui arrive en rêvant.

Monsieur Delrode.

Delrode.

Qu’est-ce que tu veux ?

P. Lepot.

Venez dire à Monsieur Houblon si j’ai deviné votre maladie.

Delrode.

Qu’est-ce qu’il veut dire ?

M. Houblon, à P. Lepot.

Allons, va-t-en.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Va-t-en.

P. Lepot.

Eh bien, j’attends, vous me l’avez déjà dit.

Delrode, criant.

Mon Oncle te dit de t’en aller.

P. Lepot.

Ah bien, il ne faut rien pour cela, je m’en vas, je m’en vas. Tant pis pour vous ; car je vous aurois guéri.


Scène XII.

M. HOUBLON, DELRODE.
M. Houblon.

Il prétend que tu es malade. Eh bien, as-tu été chez le Tailleur pour la soutanne ?

Delrode.

Non, mon Oncle.

M. Houblon.

Est-ce que tu as changé de dessein ? Je le voudrois bien, je te l’ai déjà dit, je n’ai point d’enfans, de tous mes Neveux, je ne me soucie que de toi, je te laisserai ma Brasserie, & tout ce que j’ai, que Diable, marie-toi.

Delrode.

Mon Oncle…

M. Houblon.

Allons, marie-toi à la fantaisie, si tu veux, cela m’est égal.

Delrode.

Il ne m’est pas possible.

M. Houblon.

Écoute-donc, je ne crois pas cela. C’est que tu n’oses pas me dire… Mais je sais tout.

Delrode.

Tout ?

M. Houblon.

Oui, tu es amoureux. Eh bien, dis-moi de qui, cela sera bientôt fini : je me suis marié comme cela, à Lille, avec la défunte Tante.

Delrode.

Ah ! mon Oncle, vous parlez de Lille !

M. Houblon.

Oui, c’est notre pays, il y a ma foi dix-huit ans que je l’ai quitté. Toi, il n’y a que deux ans, n’est-ce pas ?

Delrode.

Oui, mon Oncle.

M. Houblon.

Je croyois que je ne m’accoutumerois jamais à Paris, j’y suis pourtant resté. Avec la tartine & la bière, on est bien par-tout, n’est-il pas vrai ?

Delrode.

Oui ; mais si vous vouliez, je retournerois à Lille.

M. Houblon.

Au lieu de te faire Abbé ?

Delrode.

Oui, mon Oncle.

M. Houblon.

Eh bien, j’aime mieux cela, pourvu que tu reviennes.

Delrode.

Ah !

M. Houblon.

Tu reviendras ?

Delrode.

Je ne sais pas.

M. Houblon.

Bon ! c’est la maladie du pays, j’ai été comme cela en Hollande, je suis revenu à Lille, d’où je croyois que je ne sortirois pas, me voilà pourtant ici pour toujours. Ah voilà Jean Alegrain.


Scène XIII.

M. HOUBLON, DELRODE, JEAN ALEGRAIN.
Jean Alegrain, son Chapeau à la main & le tournant.

Oui, Monsieur Houblon, c’est moi ; parce que je viens…

M. Houblon.

Voulez-vous boire un coup de bière ?

Jean Alegrain.

Oh, non, Monsieur, je n’ai pas soif, je vous suis bien obligé, j’ai bien autre chose.

M. Houblon.

Eh bien, voyons. À Delrode. Où vas-tu donc ? Allons, reste-là. Il s’assied tristement.

Jean Alegrain.

Ah ! oui ; car c’est pour vous que je viens, Monsieur Delrode.

Delrode.

Pour moi ?

Jean Alegrain.

Oui, vraiment, & c’est-là ce qui m’embarrasse, voyez-vous.

M. Houblon.

Allons, parlez ?

Jean Alegrain.

C’est que je voudrois bien vous dire une chose ; premièrement.

M. Houblon.

Eh bien, quoi ?

Jean Alegrain.

C’est que notre femme est accouchée.

M. Houblon.

Ah, ah ! je ne savois pas qu’elle fût grosse.

Jean Alegrain.

Bon, ni moi non plus, cela est venu tout d’un coup, & elle ne m’en disoit rien.

M. Houblon.

Et de quoi est-elle accouchée ?

Jean Alegrain.

C’est, sur votre respect… d’une fille.

M. Houblon.

Eh bien ; c’est bon.

Jean Alegrain.

Oui, c’est bon ; mais cela n’est peut-être pas bon.

M. Houblon.

Pourquoi ?

Jean Alegrain.

Ah ! voilà le hic ; c’est que je voudrois bien que Monsieur Delrode en fût le Parrain.

Delrode.

Je ne le peux pas, Jean Alegrain, & j’en suis très-fâché.

Jean Alegrain.

Voilà ce que j’avois deviné, & je l’avois dit à la Commère Adam.

M. Houblon.

Comment, qu’aviez-vous dit ?

Jean Alegrain.

Que Monsieur Delrode ne voudroit pas tenir une Fille.

Delrode.

Non, ce n’est pas cela.

M. Houblon.

Quelle raison as-tu donc ?

Delrode.

Vous le savez bien, mon Oncle, je veux partir demain de grand matin pour Lille.

Jean Alegrain.

Mais, Monsieur, c’est pour ce soir.

M. Houblon.

Eh bien, c’est bon. Quelle sera sa Commère ?

Jean Alegrain.

C’est la Fille de Monsieur Pécorier, Mademoiselle Agathe.

M. Houblon.

Elle est fort jolie. Allons, mon Neveu, eh bien, qu’est-ce que tu dis à cela ?

Delrode.

Que je ne le peux pas.

Jean Alegrain.

Je vous le disois bien, Monsieur Houblon, c’est parce que c’est une Fille. Mademoiselle Agathe n’a qu’à dire de d’même, je serai bien avancé. Allons, je vais toujours aller chez elle, après j’irai trouver Madame Adam, afin qu’elle me donne un Parrain. Adieu, Monsieur Houblon. Adieu, Monsieur Delrode.


Scène XIV.

M. HOUBLON, DELRODE.
M. Houblon.

Il va dire à Monsieur Pécorier que tu as refusé de tenir un enfant avec sa Fille ; mais quelle raison as-tu ?

Delrode.

Ah ! mon Oncle.

M. Houblon.

Tu soupires ? tiens, si tu veux que je te le dise, tu es amoureux. Eh bien, parle donc ! Cela est de ton âge, il n’y a pas de mal à cela.

Delrode.

Le malheur sera pourtant pour moi ; car je crois que j’en mourrai.

M. Houblon.

Je te conseillerai, moi. Allons, dis, dis, ce qui t’afflige.

Delrode.

Eh bien, c’est Agathe que j’aime.

M. Houblon.

Et tu refuses d’être son Compère ?

Delrode.

Oui ; parce qu’elle en aime un autre.

M. Houblon.

Et lui avois-tu dit que tu l’aimois ?

Delrode.

Non, à cause de cela.

M. Houblon.

Et qui aime-t-elle ?

Delrode.

Oh ! un homme à qui je voudrois bien ressembler ; car il est bien-venu auprès de toutes les Femmes.

M. Houblon.

Qui donc ? Comment se nomme-t-il ?

Delrode.

Monsieur le Cocq.

M. Houblon.

Et, en es-tu bien sûr ?

Delrode.

Ah, que trop ! & il l’aime aussi.

M. Houblon.

Diantre !

Delrode.

Oui vraiment. D’abord qu’elle le voit, elle va au-devant de lui ; enfin il lui prend la main, il l’embrasse.

M. Houblon.

Cela est différent. Je te plains ; mais il ne faut pas t’en aller à Lille, & pardi aimes-en une autre.

Delrode.

Ah ! je n’aimerai jamais qu’elle, je le sens bien.

M. Houblon.

Ne t’afflige donc pas comme cela.

Delrode.

Il faut absolument que je parte.


Scène XV.

LA COMMÈRE ADAM, M. HOUBLON, DELRODE.
M. Houblon.

Ah ! voilà la Commère Adam.

La Commère Adam.

Messieurs, je suis bien votre servante. Eh bien n’ai-je pas eu une bonne idée ?

M. Houblon.

Comment ?

La Commère Adam.

Eh pardi, c’est moi qui ai conseillé à Jean Alegrain, de venir prier Monsieur Delrode de tenir son enfant avec Mademoiselle Agathe.

M. Houblon.

Bon ! il ne le veut pas.

La Commère Adam.

Et pourquoi donc ? Je ne crois pas qu’on puisse avoir une plus jolie Commère, & si il m’en a bien passé par les mains, comme vous savez.

M. Houblon.

Il ne la trouve que trop jolie, ce n’est pas-là l’embarras.

La Commère Adam.

Ah ! dame, s’il se plaint que la Mariée est trop belle, ce n’est pas ma faute. On lui en fera faire exprès.

M. Houblon.

Eh, non ! c’est que vous ne savez pas.

Delrode.

Ah ! mon Oncle, ne dites rien.

M. Houblon.

Bon, bon elle nous éclaircira tout cela, la Commère.

La Commère Adam.

Voyons, voyons. Elle s’assied.

Delrode.

Mais, mon Oncle…

M. Houblon.

C’est que, justement, il est amoureux de Mademoiselle Agathe.

La Commère Adam.

Tout de bon ?

M. Houblon.

Oui vraiment.

La Commère Adam.

Eh bien, il est trop heureux, cela vient comme de cire.

M. Houblon.

Eh, non.

La Commère Adam.

Qu’il dise donc, qu’est-ce qu’il y a ? C’est une très-honnête fille, sage, douce, un petit mouton, en un mot.

M. Houblon.

Oui, mais, Monsieur le Cocq…

La Commère Adam.

Est-ce que vous savez ?

M. Houblon.

Et sûrement, il le sait.

La Commère Adam.

Mais cela ne doit rien faire.

M. Houblon.

Il dit qu’elle aime beaucoup Monsieur le Cocq.

La Commère Adam.

La petite ? Cela est bien vrai, & il en est très-occupé, lui.

Delrode.

Eh bien, mon Oncle, me croirez-vous, après cela ?

M. Houblon.

Il le faut bien. Je croyois que tout ce qu’il m’avoit dit pouvoit n’être pas bien certain ; mais puisque vous en convenez…

La Commère Adam.

Écoutez donc, bien des gens s’en sont toujours doutés, & vous savez que Monsieur Pécorier n’y regardoit pas de si près ; Monsieur le Cocq a toujours été son ami, & ces sortes de choses-là arrivent tous les jours. Ce n’est pas la faute de la petite, elle n’y pouvoit rien.

Delrode, soupirant.

Comme les Femmes se laissent séduire aisément !

La Commère Adam.

Il est vrai qu’elle étoit un peu coquette.

Delrode.

Elle l’est bien encore.

La Commère Adam.

Comment ? Il y a dix ans qu’elle est morte.

M. Houblon.

De qui parlez-vous donc ?

La Commère Adam.

De Madame Pécorier.

M. Houblon.

Eh bien ?

La Commère Adam.

Monsieur le Cocq en étoit bien amoureux.

M. Houblon.

Mais nous vous parlions de Mademoiselle Agathe, qu’il aime beaucoup, Monsieur le Cocq.

La Commère Adam.

Sans doute, vous en concevez bien la raison.

M. Houblon.

Attendez, est-ce qu’elle seroit…

La Commère Adam.

Assurément.

M. Houblon.

Il n’en est donc pas amoureux ?

La Commère Adam.

Eh pardi cela ne se peut pas.

Delrode, avec joie.

Ah, mon Oncle ! Ah, Madame Adam !

La Commère Adam.

Quoi, vous le croyiez ?…

M. Houblon.

Oui, il s’y étoit trompé, & voilà pourquoi il avoit refusé de tenir avec elle l’enfant de Jean Alegrain.

La Commère Adam, riant.

Ah, celui-là est bon !

Delrode.

Eh, point du tout ! je suis désespéré !

La Commère Adam.

Et de quoi ?

Delrode.

De ce que Mademoiselle Agathe, au lieu de penser que je peux l’aimer, va me haïr à-présent d’avoir refusé !…

La Commère Adam.

Laissez, laissez-moi faire, je vais raccommoder tout cela.

Delrode.

Vous, Madame Adam ?

La Commère Adam.

Pardi, cela sera bien difficile.

Delrode.

Ah ! que je vous aurai d’obligation !

La Commère Adam.

Ils ne peuvent pas encore avoir de Parrain.

M. Houblon.

Sera-ce pour ce soir ?

La Commère Adam.

Oui.

M. Houblon.

En ce cas-là, je m’en vais m’habiller, je serai bien-tôt prêt.

La Commère Adam.

Allez, assez. À Delrode. Je vais entrer chez Monsieur Pécorier.

Delrode.

Faites, je vous prie, en sorte que Mademoiselle Agathe…

La Commère Adam.

Ne vous embarrassez pas. Ah ! voilà Dame Françoise.


Scène XVI.

DAME FRANÇOISE, LA COMMÈRE ADAM, DELRODE.
Dame Françoise.

Madame Adam, savez-vous pourquoi Monsieur Pécorier a envoyé un dindon & une oye à Jean Alegrain ?

La Commère Adam.

Non, mais je le devine.

Dame Françoise.

Ah ! dites-le moi.

La Commère Adam.

Je n’ai pas le tems de cela. Est-il chez vous, Jean Alegrain ?

Dame Françoise.

Il y est venu, mais il est sorti par la porte de la cour, avec Monsieur Pécorier.

Delrode.

Ah ! voilà Mademoiselle Agathe.

La Commère Adam, à Delrode.

Eh bien, cachez-vous, vous entendrez ce que nous dirons.

Dame Françoise.

Vous ne voulez donc pas me dire pourquoi ce dindon & cette oye ?

La Commère Adam.

Nous avons bien d’autres choses à faire.

Dame Françoise.

Oh ! je le saurai.


Scène XVII.

AGATHE, LA COMMÈRE ADAM, DELRODE, caché, écoutant.
Agathe.

Ah ! Madame Adam, savez-vous où est mon Parrain ? Je voudrois lui parler pour faire entendre à mon Père…

La Commère Adam.

J’ai bien des choses à vous dire. Vous ne savez pas pourquoi Monsieur Delrode ne vouloit pas être votre Compère.

Agathe.

Ah ! Madame, ne me parlez jamais de lui !

La Commère Adam.

Pourquoi donc ?

Agathe.

Non-seulement il a refusé Jean Alegrain, mais il part pour ne me plus voir apparemment !

La Commère Adam.

Non, non, il ne partira point.

Agathe.

Il l’a dit à Jean Alegrain, il me fuit depuis long-tems, il me hait, & cependant je ne lui ai rien fait ; non, Madame Adam, je lui défie d’avoir à se plaindre.

La Commère Adam.

Aussi, au lieu de s’en plaindre, il vous aime beaucoup.

Agathe, vivement.

Il m’aime beaucoup ?

La Commère Adam.

Oui vraiment ; & cela est si vrai, que s’il vous fuyoit, c’étoit par jalousie.

Agathe.

Lui, jaloux ! Ah, Madame Adam ! mais ne me trompez-vous point ? De qui pouvoit-il être jaloux ?

La Commère Adam.

De votre Parrain.

Agathe.

Il ne le connoissoit donc pas, il ne savoit donc pas qu’il étoit mon Parrain ? Mais, ma chère Madame Adam, s’il va partir, que deviendrai-je.

La Commère Adam.

Vous l’aimez donc beaucoup ?

Agathe

Je n’ose pas vous le dire.

Delrode, aux genoux d’Agathe.

Ah ! chère Agathe, je vous demande pardon, punissez-moi, vous le devez.

Agathe.

Eh, le puis-je ?

La Commère Adam.

Allez, vous vous aimez bien tous les deux, & vous êtes deux enfans de ne vous l’être pas dit plutôt.

Delrode.

Madame Adam, comment reconnoître le service que vous m’avez rendu ?

La Commère Adam.

Cela se retrouvera.


Scène XVIII.

M. PÉCORIER, M. LE COCQ, AGATHE, LA COMMÈRE ADAM, DELRODE.
M. Lecocq, dans le fond.

Eh, mais les voilà ensemble.

M. Pécorier.

Il est peut-être là pour, pça, pça, pça, lui faire ses adieux.

La Commère Adam.

Mes Compères, tout est raccommodé.

M. Lecocq.

Comment ?

La Commère Adam.

Oui, ces enfans-là s’aiment à la folie.

M. Pécorier.

Eh bien, tant mieux, parce que, pça, pça, pça, pça, voilà ce que nous voulions.

La Commère Adam.

Ils sont tout prêts, il faudroit avertir Jean Alegrain.

Delrode.

Ah, Monsieur Pécorier ! Monsieur le Cocq !

Agathe.

Mon cher Père ! mon Parrain !


Scène XIX.

Les Acteurs précédens. M. HOUBLON, habillé.
M. Le Cocq.

Ah ! voilà Monsieur Houblon.

M. Houblon.

Eh bien, tout est-il d’accord, Commère Adam ?

La Commère Adam.

Oui, oui.

M. Houblon.

Allons, tant mieux.

M. Pécorier.

Monsieur Houblon, je suis bien aise que tout cela s’arrange, parce que je craignois que vous ne, pça, pça, pça, pça, enfin c’est le Compère le Cocq qui a eu cette idée-là.

M. Houblon.

Vous nous faites bien de l’honneur.

M. Pécorier.

Il faut commencer par quelque chose ; parce que après, pça, pça, pça, vous entendez bien ?

M. Houblon.

Non, mais moi qui suis Flamand, je vais vous parler tout rondement. Si vous voulez donner Mademoiselle Agathe en mariage à mon Neveu, cela sera fait tout de suite ; il l’aime comme un fou, moi je serai charmé d’avoir une Niéce que je regarderai comme ma Fille, & nous serons tous parens & amis.

M. Le Cocq.

Voilà ce que le Compère Pécorier vouloit vous proposer.

M. Houblon.

Si j’avois sçu plutôt les intentions de mon Neveu, cela seroit déjà fait.

M. Pécorier.

Moi, je craignois que, pça, pça, pça, la bière, vous savez bien, enfin je suis charmé que tout cela se fasse.

M. Houblon.

Il faut faire les affaires l’une après l’autre ; finissons celle-ci, demain nous ferons le contrat, & la noce ira tout de suite après.

M. Le Cocq.

Vous avez raison.

Delrode.

Ah ! mon Oncle, combien vous me rendez heureux !

M. Houblon.

Tu ne veux donc plus te faire Abbé ?

Delrode.

Oh ! pour cela, non.

M. Houblon.

Ni t’en aller à Lille ?

M. Le Cocq.

Il vouloit s’en aller ?

M. Houblon.

Oui, il disoit qu’il partiroit demain.

M. Pécorier.

Et celle-ci, ne m’avoit-elle pas dit aussi que, pça, pça, pça, qu’elle vouloit être Religieuse.

Agathe.

Ah ! mon cher Père, ne parlez plus de cela.

M. Houblon.

Allons, voilà Jean Alegrain.

Delrode.

Il à l’air bien triste.


Scène XX.

Les Acteurs précédens, JEAN ALEGRAIN.
La Commère Adam.

Eh bien, Jean Alegrain, qu’avez-vous donc ?

M. Le Cocq.

Comment se porte la Commère ?

Jean Alegrain.

Fort bien ; mais…

M. Le Cocq.

Quoi ?

Jean Alegrain.

Je ne peux pas trouver de Parrain.

La Commère Adam.

Bon ! tout est arrangé.

Jean Alegrain.

Tout de bon ?

M. Le Cocq.

Oui, c’est Monsieur Delrode.

Jean Alegrain.

Il disoit qu’il ne pouvoit pas.

La Commère Adam.

Il a consenti.

Jean Alegrain.

Ah ! j’en suis bien aise !


Scène XXI.

Les Acteurs précédens, P. LEPOT, avec un fagot.
P. Lepot, à M. Houblon.

Monsieur, voilà le fagot que vous avez demandé pour ce soir.

M. Houblon.

Un fagot !

P. Lepot.

Oui.

M. Houblon.

Pourquoi faire ?

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

Pourquoi faire ?

P. Lepot.

Ne m’avez-vous pas dit d’apporter un fagot.

M. Houblon.

Eh non, c’est un fallot.

P. Lepot.

Hen ?

M. Houblon.

C’est un fallot, pour nous éclairer.

P. Lepot.

Bon, il fait clair de lune, je vais laisser le fagot ici.


Scène dernière.

Les Acteurs précédens, DAME FRANÇOISE.
Dame Françoise.

Messieurs, j’ai deviné pourtant.

M. Le Cocq.

Quoi ?

Dame Françoise.

Personne ne m’a rien dit.

M. Le Cocq.

Et qu’avez-vous deviné, Dame Françoise ?

Dame Françoise.

Pourquoi Monsieur Pécorier a envoyé un dindon & une oye à Jean Alegrain.

La Commère Adam.

Vous l’avez deviné ?

Dame Françoise.

C’est pour le souper de ce soir.

M. Pécorier.

Cela est vrai.

Jean Alegrain.

Bon, Monsieur le Cocq a bien envoyé autre chose, avec bien du vin.

M. Houblon.

Tant mieux, nous boirons à la santé de l’Accouchée, & du Parrain & de la Maraine.

FIN.