Théâtre de campagne/Les Contre-tems

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Théâtre de campagneRuaulttome II (p. 43-92).

LES
CONTRE-TEMS,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

M. D’ARNY.
Mde D’ARNY, seconde Femme de Monsieur d’Arny.
Mlle D’ARNY, Fille de M. d’Arny.
M. DE SAINT-PRIX, Parent de Madame d’Arny.
M. BROUSSIN, Notaire.
LOQUET, Serrurier.
LAV ALLÉE, Valet-de-Chambre de Monsieur d’Arny.
M. DUCAISAC, Tailleur.
UN GARÇON Tailleur.

La Scene est dans le Cabinet de Monsieur d’Arny.


Scène première.

M. D’ARNY, M. BROUSSIN.
M. d’Arny, en Robe-de-Chambre.

Tenez, Monsieur Broussin, entrez ici, je vais vous faire voir ce que vous voulez.

M. Broussin.

Je vous demande bien pardon ; mais je n’ai pas le tems.

M. d’Arny.

Il faut bien que je prenne une note de ce qu’exige Monsieur de Villenbart.

M. Broussin.

Je vous l’ai déjà dit, il veut que la Femme de son Fils ait environ cent ans de noblesse.

M. d’Arny.

J’en aurai bien quatre-vingt-dix.

M. Broussin.

Cela est la même chose, il s’en contentera.

M. d’Arny.

Ce qui m’inquiète, c’est que je n’ai qu’une lettre du Ministre à mon Bisayeul ; encore je ne sais pas si je la retrouverai, elle est de mil six cent vingt.

M. Broussin.

Si vous ne la retrouvez pas, faites un Mémoire.

M. d’Arny.

C’est ce que je vais faire, croyez-vous que Monsieur de Villenbart se contente de cela ?

M. Broussin.

Nous verrons. Votre fille est un très-bon parti, il est intéressé, & peut-être qu’il passera sur bien des choses. Que votre Mémoire soit clair, soyez chez moi à midi ; si je peux l’engager à convenir de signer ce soir le contrat, je le dresserai tout de suite.

M. d’Arny.

Je vous en serai très-obligé.

M. Broussin.

Ne manquez pas d’être chez moi à midi.

M. d’Arny.

Non, non, je vais chercher mes papiers.


Scène II.

M. D’ARNY.

trouverai-je tout cela ? Dans mon serre-papiers. Il cherche sur sa table. Eh bien, je ne trouve point la clef à-présent. Il cherche & puis il appelle. Lavallée, Lavallée. Il ne viendra pas ! Lavallée, Lavallée. Il va ouvrir la porte. Lavallée, Lavallée.


Scène III.

M. D’ARNY, LAVALLÉE.
Lavallée.

Me voilà, Monsieur.

M. d’Arny.

Où étiez-vous donc ? Je ne puis jamais vous avoir.

Lavallée.

J’étois là-dedans, c’est qu’on n’entend pas.

M. d’Arny.

Ce Serrurier ne veut donc jamais venir poser cette sonnette ?

Lavallée.

J’y ai été plus de vingt fois, j’y vas tous les jours, & il me dit demain sans faute on ira.

M. d’Arny.

Ces gens-là sont impatientans ! il viendra quand je ne le voudrai pas. J’ai perdu une clef.

Lavallée.

Laquelle ?

M. d’Arny.

Celle de mon serre-papier.

Lavallée prenant une clef sur le Bureau.

Ne seroit-ce pas là elle ?

M. d’Arny.

Justement. Dites qu’on ne laisse entrer personne.

Lavallée.

Le Tailleur, pourtant ?

M. d’Arny.

Sans doute, il me faut absolument mon habit, j’ai affaire & je ne peux pas m’en passer. Je n’en ai point d’autre de Printems ?

Lavallée.

Non, Monsieur, ils sont tous affreux.

M. d’Arny.

Je le sais bien. Il faut envoyer chez lui, pour qu’il ne me manque pas ce matin.

Lavallée.

J’y ai été hier, il viendra sûrement.

M. d’Arny.

Je vais entrer là-dedans. Faites-le attendre, s’il vient. Il entre dans son Cabinet.

Lavallée.

Oui, oui, Monsieur.


Scène IV.

Mlle D’ARNY, LAVALLÉE.
Mlle d’Arny.

est donc mon Père, Lavallée ?

Lavallée.

Il est dans son petit cabinet.

Mlle d’Arny.

Puis-je y entrer ?

Lavallée.

Non, Mademoiselle, vous me feriez gronder.

Mlle d’Arny.

Y sera-t-il long-tems ?

Lavallée.

Je ne sais pas.

Mlle d’Arny.

Est-il de bonne humeur ?

Lavallée.

Pas trop.

Mlle d’Arny.

Je m’en vais toujours l’attendre, car je ne l’ai pas vu hier au soir. Avez vous un livre là ?

Lavallée.

Oui, Mademoiselle, voilà l’Almanach Royal.

Mlle d’Arny.

Vous voulez que je lise l’Almanach Royal ?

Lavallée.

Mademoiselle, ce sera comme vous voudrez.


Scène V.

Mlle D’ARNY, M. DE SAINT-PRIX.
Mlle d’Arny.

Que venez-vous donc faire ici, Monsieur ?

M. de Saint-Prix.

Ah ! Mademoiselle, vous ne savez pas le malheur qui est près de nous arriver.

Mlle d’Arny.

Comment donc ?

M. de Saint-Prix.

Je viens d’apprendre que Monsieur votre Père me manque de parole, on m’a dit qu’il vouloit vous donner à Monsieur de Villenbart.

Mlle d’Arny.

Cela n’est pas possible !

M. de Saint-Prix.

Je ne pouvois pas le croire, & je venois savoir ce que vous en sauriez, ainsi que Madame votre Belle-mère. J’ai rencontré Monsieur Broussin, qui sortoit d’ici, & qui m’a assuré qu’aujourd’hui, à midi, Monsieur votre Père & Monsieur de Villenbart le Père, avoient rendez-vous chez-lui, qu’on signeroit peut-être ce soir le contrat.

Mlle d’Arny.

Et comment l’empêcher ?

M. de Saint-Prix.

Je n’en sais rien.

Mlle d’Arny.

Ma Belle-mère sait combien nous nous aimons, elle est votre Parente, il faut qu’elle parle à mon Père pour vous.

M. de Saint-Prix.

Voilà ce que je voudrois bien qu’elle fît, je voudrois aussi qu’elle vît Madame de Villenbart qui est son amie.

Mlle d’Arny.

C’est qu’il y a bien peu de tems d’ici à midi.

M. de Saint-Prix.

Oui, & il faudroit empêcher ce rendez-vous.

Mlle d’Arny.

J’ai envie de me jetter aux pieds de mon Père, de lui dire…

M. de Saint-Prix.

Entêté, impatient, comme est Monsieur d’Arny, il ne vous écoutera pas.

Mlle d’Arny.

Je le crains comme vous.

M. de Saint-Prix.

On m’avoit dit qu’il étoit ici.

Mlle d’Arny.

Il est là-dedans.

M. de Saint-Prix.

Je m’en vais le sommer de sa parole ; cela lui fera peut-être faire des réflexions, & il faudra bien qu’il parle : ensuite j’irai trouver Madame d’Arny & peut-être qu’il se rendra à ses prières.

Mlle d’Arny.

Je n’ose m’en flatter. On ne sauroit être plus malheureux que nous le sommes !

M. de Saint-Prix.

Pour moi, il me sera impossible de jamais cesser de vous aimer. Pourriez-vous vous résoudre à m’abandonner, à consentir ?…


Scène VI.

M. D’ARNY, Mlle D’ARNY, M. DE SAINT-PRIX.
M. d’Arny.

Qu’est-ce que vous faites donc ici tous deux seuls ?

Mlle d’Arny.

Papa, je vous attendois.

M. d’Arny.

Allons, Mademoiselle, allez-vous-en chez vous.

Mlle d’Arny.

Mais, Papa, je ne vous ai pas vu hier au soir, & vous me renvoyez comme cela.

M. d’Arny.

Eh bien, bon jour. Il la baise au front. Allons laissez-moi, j’ai affaire.

Mlle d’Arny.

C’est que je voulois vous prier…

M. d’Arny.

Je vous dis que je n’ai pas le tems de vous entendre ; allons en voilà assez.


Scène VII.

M. D’ARNY, M. DE SAINT-PRIX.
M. de Saint-Prix.

Monsieur, je n’ai qu’un mot à vous dire.

M. d’Arny.

Vous voyez, Monsieur, que je suis en affaire.

M. de Saint-Prix.

C’est d’une affaire aussi que je veux vous parler, mais de la plus intéressante que je puisse avoir de ma vie.

M. d’Arny.

C’est de votre mariage, je parie.

M. de Saint-Prix.

Oui, Monsieur.

M. d’Arny.

Rien ne presse.

M. de Saint-Prix.

Rien ne presse ?

M. d’Arny.

Non, non, vous n’aurez pas été plutôt marié, qu’au-bout de quelques jours, vous n’y penserez plus.

M. de Saint-Prix.

Ah, Monsieur, vous ne me rendez pas justice.

M. d’Arny.

Eh bien, mettons un mois.

M. de Saint-Prix.

Vous pouvez croire que je n’aimerois Mademoiselle votre fille qu’un mois ?

M. d’Arny.

Supposons un an, deux ans, tant que vous le voudrez ; mais tout finit, & plus tard on se marie, plus l’amour dure ; ce que je vous dis là, c’est d’après l’expérience.

M. de Saint-Prix.

Mais du moins fixez le jour où…

M. d’Arny.

Nous verrons cela une autre fois.

M. de Saint-Prix.

Dites plutôt que vous ne voulez pas que nous le voyons jamais.

M. d’Arny.

Quelle idée !

M. de Saint-Prix.

Vous m’avez donné votre parole cependant.

M. d’Arny.

Je le sais bien ; mais dans ce moment-ci, je n’ai pas le tems de parler de tout cela.

M. de Saint-Prix.

Ah, Monsieur !…

M. d’Arny.

Je vous dis, un de ces jours nous verrons : j’ai à écrire, je vous prie, laissez-moi.

M. de Saint-Prix.

Je vous le répète, Monsieur, je compte sur votre parole. Il sort.


Scène VIII.

M. D’ARNY.

Oui, oui, comptes-y. Il croit que parce qu’il aime ma fille, que je ne la donnerai pas à un homme plus riche que lui. Ces amans là ne veulent pas le bonheur de ce qu’ils aiment, ils ne veulent que le leur à eux : cela me fait rire, moi, les passions ! Mais le tems se passe & je ne fais pas mon mémoire. Il se met à écrire. Je ne sai où j’ai mis cette diable de lettre & je ne me souviens pas seulement qui étoit Ministre en soixante-dix-huit. Mon Grand-père, mon Père, m’ont dit tout cela cent fois, mais quand on est bien jeune, on croit toujours qu’ils radottent. Ah, je me souviens… Oui, oui, écrivons toujours, je retrouverai bien le reste.


Scène IX.

M. D’ARNY, LAVALLÉE, LOQUET, portant une échelle.
Lavallée.

Monsieur, voilà Monsieur Loquet.

M. d’Arny.

Qu’est-ce que c’est que Monsieur Loquet ?

Lavallée.

C’est le Serrurier.

M. d’Arny.

C’est bien là le moment ! pourquoi ne venez-vous pas quand vous promettez ?

Loquet.

Mais, Monsieur, c’est que…

M. d’Arny.

C’est que… Je ne me servirai plus de vous.

Loquet.

Monsieur est bien le maître ; pourtant ce n’est pas ma faute, & Monsieur de Lavallée le sait bien ; je serois bien venu hier sans Madame la Comtesse de Lampilliere, qui m’a envoyé chercher comme j’allois venir ici.

M. d’Arny.

Qu’est-ce que tout cela me fait ?

Loquet.

C’est pour dire à Monsieur la raison…

M. d’Arny.

Serez-vous long-tems ?

Loquet.

Non, Monsieur, c’est l’affaire d’un moment

M. d’Arny.

Commencez toujours là-dedans.

Loquet.

Oui, Monsieur.

M. d’Arny.

Lavallée, montrez-lui où je vous ai dit.

Loquet.

Oh, Monsieur, je sais bien, ce n’est pas d’aujourd’hui, Dieu merci, que je pose des sonnettes.

M. d’Arny.

Allons, dépêchez-vous.

Loquet.

Sûrement ; mais il faut le tems à tout.

M. d’Arny.

Et prenez garde de me rien casser avec votre échelle.

Loquet.

Il n’y a que faire de me le recommander.

Lavallée.

Venez, venez.

Loquet.

Marchez toujours, je vous suis. Il entre dans le Cabinet à côté.


Scène X.

M. D’ARNY, continuant d’écrire.

Guillaume d’Arny, Fils de Pierre d’Arny… Ce n’est pas Pierre, c’étoit… On cogne à côté. Paix donc. C’étoit… Le bruit continue. Le Diable emporte le Serrurier ! C’étoit Guillaume, je crois ; non pas… Même bruit. Finissez donc. Ah, c’étoit Léonard-Guillaume d’Arny. On frappe encore. Lavallée.


Scène XI.

M. D’ARNY, LAVALLÉE.
M. d’Arny.

Dites-donc au Serrurier de finir.

Lavallée.

C’est qu’il pose un mouvement.

M. d’Arny.

Je ne peux pas écrire.

Lavallée.

Je m’en vais lui dire de ne pas faire de bruit. Ah, voilà le Tailleur.

M. d’Arny.

Faites-le entrer.

Lavallée.

Monsieur de Caisac, entrez.


Scène XII.

M. D’ARNY, M. CAISAC, LAVALLÉE, LE GARÇON.
M. Caisac.

Si Monsieur est en affaire, je reviendrai.

M. d’Arny.

Eh, point du tout, j’attends mon habit pour sortir.

M. Caisac.

Ah ! Monsieur, je ne savois pas.

M. d’Arny.

Eh bien, me gênera-t-il sous les bras, celui-ci ?

M. Caisac.

Oh, que non, Monsieur, j’y ai bien pris garde.

M. d’Arny.

Donnez donc. Il essaye son habit.

M. Caisac.

Il ne doit pas vous blesser.

M. d’Arny.

Non, mais il est aussi trop large.

Lavallée.

Et trop long.

M. Caisac.

Cela est vrai. Je ne comprends pas cela.

M. d’Arny.

Mais ce n’est pas là mon étoffe.

M. Caisac.

Monsieur a raison, c’est le Garçon qui s’est trompé.

Le Garçon.

Je vous ai bien dit, Monsieur, que ce n’étoit pas l’habit de Monsieur d’Arny.

M. Caisac.

Il faut aller chercher l’autre.

M. d’Arny.

Et cela ne finira pas.

M. Caisac.

Il fera revenu sur-le-champ.

M. d’Arny.

Allez donc.

M. Caisac.

Je vais l’attendre là-dedans. Il sort.

M. d’Arny.

Le sot homme. Il n’en fait jamais d’autres.

Lavallée.

Le garçon sera bientôt revenu.

M. d’Arny.

Le Serrurier n’a pas fait de bruit, je parie qu’il va recommencer.

Lavallée.

Je vais lui parler.


Scène XIII.

M. D’ARNY, écrivant.

Léonard-Guillaume d’Arny, Maître des Comptes, né en… en… en mil six cent. On cogne. Le Diable emporte le chien de Serrurier ! Né en six cent. On cogne. Paix donc. Né en six cent… On cogne. Voilà un coquin bien insupportable ! en six cent… Quoi je ne pourrai pas trouver l’année. On cogne, il se lève. Veux-tu bien finir : il m’a fait oublier. Lavallée, faites-moi venir ici ce Serrurier.


Scène XIV.

M. D’ARNY, LAVALLÉE, LOQUET.
Lavallée.

Le voilà, Monsieur.

M. d’Arny.

Eh bien, cela ne finira donc pas ?

Loquet.

Pardonnez-moi, Monsieur, tout-à-l’heure.

M. d’Arny.

Et vous ne pouvez pas travailler sans faire de bruit ?

Loquet.

Mais, Monsieur, c’est le Marteau.

M. d’Arny.

Vous pourriez ne pas vous en servir.

Loquet.

Oui, quand je perce les trous, mais pour enfoncer…

M. d’Arny.

Oui, enfoncer, enfoncer, je veux voir cela.

Loquet.

Monsieur n’a qu’à venir, il verra qu’on ne peut pas faire autrement, quand on pose des sonnettes.

M. d’Arny.

Je n’en crois rien, voyons.

Loquet.

Dame, Monsieur, je sais mon métier.

M. d’Arny.

Oui, celui de me faire enrager. Je veux voir. Il entre dans le Cabinet avec le Serrurier, & on l’entend gronder.


Scène XV.

Mde D’ARNY, LAVALLÉE.
Mde d’Arny.

Lavallée.

Lavallée.

Madame.

Mde d’Arny.

Qu’est-ce que c’est donc que tout ce bruit-là ?

Lavallée.

C’est Monsieur, qui gronde un Serrurier.

Mde d’Arny.

N’a-t-il pas affaire ce matin ?

Lavallée.

Oui, Madame, il étoit-là à écrire.

Mde d’Arny.

Oui, mais je dis, ne sort-il pas ?

Lavallée.

Il a demandé ses chevaux pour midi.

Mde d’Arny.

Pour aller chez Monsieur Broussin ?

Lavallée.

Oui, Madame.

Mde d’Arny, à part.

Je lui ferai manquer son rendez-vous.

Lavallée.

Madame disoit ?…

Mde d’Arny.

Rien, rien.


Scène XVI.

M. D’ARNY, Mde D’ARNY, LAVALLÉE.
M. d’Arny.

Si on les écoute, ils ont toujours raison. Lavallée, ne le quittez pas.

Lavallée.

Non, Monsieur. Il rentre dans le Cabinet.


Scène XVII.

M. D’ARNY, Mde D’ARNY.
Mde d’Arny.

Eh, Monsieur, pourquoi donc êtes-vous en colère ?

M. d’Arny.

C’est un coquin de Serrurier qui est là-dedans à me poser une sonnette, qui me fait un bruit horrible ; je ne peux rien faire.

Mde d’Arny.

Il n’y a qu’à le renvoyer, au lieu de vous emporter comme cela.

M. d’Arny.

Et il ne reviendra pas ; il y a un mois que je l’envoie chercher, & que je jure après lui.

Mde d’Arny.

Eh bien, il faut avoir plus de patience.

M. d’Arny.

Cela est fort aisé à dire ; vous ne voyez pas que je suis continuellement contrarié sur tout.

Mde d’Arny.

Vous le croyez.

M. d’Arny.

Ah, je le crois. J’ai un Mémoire à faire & avec ce bruit-là il m’est impossible d’y travailler. Je me fais faire un habit, je l’attends pour sortir, le Tailleur m’en apporte un autre que le mien.

Mde d’Arny.

Il faut le renvoyer chercher le vôtre.

M. d’Arny.

Mais le tems se passe. Mes gens hier m’ont fait manquer une affaire de conséquence, comme cela, par étourderie.

Mde d’Arny.

Vos gens ?

M. d’Arny.

Oui, parce qu’ils n’écoutent pas ce que je leur dis.

Mde d’Arny.

Cela n’est pas possible.

M. d’Arny.

Eh, parbleu si. J’ai affaire à dix heures du matin chez Monsieur l’Enfant, qui demeure au fond du Marais, je n’y avois jamais été, je dis, en montant en carosse, chez Monsieur l’Enfant ; j’arrive, on me demande un écu pour entrer, je n’y comprends rien, où croyez-vous qu’on m’avoit mené ?

Mde d’Arny.

Mais je ne devine pas ?

M. d’Arny.

Chez l’Éléphant.

Mde d’Arny.

Ah, je trouve celui-là délicieux !

M. d’Arny.

Ils m’ont soutenu que j’avois dit chez l’Éléphant. Oui, riez, riez, c’est fort plaisant !

Mde d’Arny.

Au vrai, c’est plaisant.

M. d’Arny.

Oui, de manquer une affaire de conséquence ?

Mde d’Arny.

Ce ne sera pas de même aujourd’hui.

M. d’Arny.

Parbleu si, si le bruit continue ou que vous ne vous en alliez pas.

Mde d’Arny.

Je n’ai qu’un mot à vous dire.

M. d’Arny.

Oh, oui, un mot ! les femmes ne finissent jamais.

Mde d’Arny.

Ah, ça, Monsieur, écoutez-moi, je vous en prie.

M. d’Arny.

Voyons, qu’est-ce qu’il y a ?

Mde d’Arny.

Vous savez la Maison que nous voulions avoir ?

M. d’Arny.

Sur le Rempart ?

Mde d’Arny.

Oui. Vous ne terminez rien, nous sommes sur le point de la manquer ; Monsieur de Coursiere a dit hier au soir, dans une Maison, qu’il alloit l’avoir ; vous n’avez pas rendu de réponse, & il est homme à finir tout de suite.

M. d’Arny.

Eh bien, j’irai voir celui à qui elle appartient.

Mde d’Arny.

Mais quand ?

M. d’Arny.

Demain ou après-demain.

Mde d’Arny.

Et moi, j’ai envie d’y aller tout-à-l’heure ; je connois sa sœur, & je finirai cela tout de suite.

M. d’Arny.

Et vous donnerez les deux mille francs de plus qu’ils veulent par an, au-dessus de ce que j’ai offert ?

Mde d’Arny.

Sans doute.

M. d’Arny.

Cela ne vous coûte rien à vous.

Mde d’Arny.

Et à vous ?

M. d’Arny.

À moi, à moi…

Mde d’Arny.

Ne parlons pas de cela. Il faut que vous me fassiez encore un plaisir.

M. d’Arny.

Qu’est-ce que c’est ?

Mde d’Arny.

De me prêter votre voiture & vos chevaux ; parce que mon Cocher est allé faire ferrer les miens.

M. d’Arny.

Voilà ce que je ne ferai pas.

Mde d’Arny.

On les met.

M. d’Arny.

Oui, parce que je dois sortir à midi & que je ne veux pas attendre.

Mde d’Arny.

Je serai revenue.

M. d’Arny.

Je ne me fie pas à cela, je ne veux pas faire comme hier.

Mde d’Arny.

Je ne ferai qu’aller & venir.

M. d’Arny.

Oui, chez tous les Marchands qui vous viendront dans la tête, & puis vous me direz que vous avez trouvé des embarras qui vous auront arrêtés, & mon affaire sera encore manquée.

Mde d’Arny.

Je vous dis que non.

M. d’Arny.

Cela ne se peut pas.

Mde d’Arny.

Mais vous n’avez pas encore votre habit.

M. d’Arny.

Je l’aurai dans l’instant, & je ne veux pas attendre.

Mde d’Arny.

Il faut avouer que vous n’avez guères de complaisance, sur-tout pour les choses qui peuvent me faire plaisir.

M. d’Arny.

Et vous voulez que je manque une affaire essentielle ?

Mde d’Arny.

Non, je ne veux rien. J’aurai toujours tort de compter sur vous, même, pour la plus petite chose. J’irois plutôt à pied.

M. d’Arny.

Vous savez bien que cela ne se peut pas.

Mde d’Arny, voulant s’en aller.

C’est la mode, je vais me déshabiller.

M. d’Arny, l’arrêtant.

Quelles raisons ! où allez-vous donc ?

Mde d’Arny.

Non, Monsieur, ne me parlez pas.

M. d’Arny.

Allons, finissez cette enfance-là, & prenez ma voiture.

Mde d’Arny.

Je n’en veux point.

M. d’Arny.

Et moi, je vous en prie.

Mde d’Arny.

Ce sera pour la dernière fois de ma vie que je vous prierai de quelque chose, vous en devez être sûr.

M. d’Arny.

Allons, ne perdez pas de tems, & ne me faites pas attendre.

Mde d’Arny.

Votre Cocher ne voudra peut-être pas me mener, voilà pourquoi vous m’en priez à présent.

M. d’Arny.

Vous voulez être injuste jusqu’au bout.

Mde d’Arny.

C’est bien de quoi vous vous embarrassez. Elle sort.


Scène XVIII.

M. D’ARNY.

Les femmes sont bien insupportables ! voyez si ce chien de Tailleur reviendra ! tout me contrarie aujourd’hui ! Il se remet à écrire. Je ne sais plus où j’en étois. Ah, à l’année… On cogne. Le voilà qui recommence. On cogne. A-t-on jamais rien vu d’aussi impatientant ! On cogne, & l’on entend glisser l’échelle, une glace se casser & le Serrurier tomber. Eh bien, est bien, qu’est-ce que c’est donc que cela ? Loquet passe en courant & se sauve.


Scène XIX.

M. D’ARNY, LAVALLÉE
Lavallée.

Monsieur, c’est l’échelle qui a glissé, & qui a cassé la glace d’en bas de la cheminée.

M. d’Arny.

C’est justement la plus grande ! tout est fait pour me faire damner aujourd’hui ! si vous aviez tenu le pied de l’échelle.

Lavallée.

Je le tenois aussi, Monsieur, il m’avoit dit qu’il avoit fini, qu’il descendoit, & il a voulu donner encore un coup.

M. d’Arny.

Qu’il ne remette jamais le pied ici.

Lavallée.

Ce n’est pas sa faute.

M. d’Arny.

Allons, excusez-le encore. Ils prennent toujours le parti des ouvriers.

Lavallée.

Non, Monsieur, je disois seulement.

M. d’Arny.

Taisez-vous.

Lavallée.

Voilà le Tailleur.

M. d’Arny.

Une glace superbe !


Scène XX.

M. D’ARNY, M. CAISAC, LAVALLÉE, LE GARÇON.
M. d’Arny.

Eh bien, vous êtes-vous encore trompé ?

M. Caisac.

Non, Monsieur, vous allez voir. Il lui passe son Habit qui est trop étroit.

M. d’Arny.

Je ne pourrai jamais le mettre.

M. Caisac.

Quand Monsieur l’aura porté un jour, il y sera très à son aise.

M. d’Arny.

J’ai toutes les peines du monde à passer les bras.

M. Caisac.

Je ne conçois pas cela. Tenez le voilà bien à présent. Il l’arrange.

M. d’Arny.

Point du tout. Il sera impossible de jamais le boutonner.

M. Caisac.

C’est vrai. Il est pourtant fait sur votre mesure.

M. d’Arny.

Vous êtes un grand ignorant !

M. Caisac.

Mais si Monsieur vouloit un peu me laisser faire.

M. d’Arny.

Le Diable vous emporte. Il ôte l’Habit. Il me fait perdre toute ma matinée, & à la fin je n’ai pas d’habit.

M. Caisac.

Je le raccommoderai.

M. d’Arny.

Pour ce matin, tout-à-l’heure ?

M. Caisac.

Non, Monsieur, il faut du tems.

M. d’Arny.

C’est un habit gâté. Vous n’avez qu’à m’en faire un autre, je ne prendrai pas celui-là.

M. Caisac.

Monsieur verra.

M. d’Arny.

Allons, allons, donnez-m’en un de mes vieux, le plus propre. Entendez-vous, Lavallée ?

Lavallée.

Oui, Monsieur, le voilà. Il lui donne un autre habit.

M. Caisac.

Quand Monsieur veut-il que je revienne ?

M. d’Arny.

Allez vous promener, & laissez-moi en repos.

M. Caisac.

Monsieur, cela sera fait demain.


Scène XXI.

M. D’ARNY, LAVALLÉE.
M. d’Arny.

C’est votre faute aussi à vous ?

Lavallée.

À moi, Monsieur ?

M. d’Arny.

Oui, il y a plus de trois ans que je voulois le quitter.

Lavallée.

Monsieur en étoit bien le maître.

M. d’Arny.

Je le crois bien. Lavallée range dans la Chambre. Et mon Mémoire. Voyons. Il lit bas. Il élève la voix. Léonard-Guillaume d’Arny, né en six cent quatre-vingt-dix-neuf, & puis moi en sept cent vingt-sept, &c. C’est bon. Voilà tout. Quelle heure est-il ? Il plie son papier.

Lavallée.

Je ne sais pas, Monsieur. Je vais voir. Il tire sa montre. Il est midi un quart.

M. d’Arny.

Vous ne savez ce que vous dites. Il regarde à sa montre. Comment il y a vingt minutes même.

Lavallée.

Non, Monsieur, car j’avance.

M. d’Arny.

Voyez donc si Madame d’Arny est revenue.

Lavallée.

Non, Monsieur, le carrosse n’est pas là.

M. d’Arny.

Le Diable emporte les femmes ! elles ne finissent jamais rien !

Lavallée.

Madame va sûrement rentrer.

M. d’Arny.

Je manquerai Monsieur de Villenbart ; c’est un homme extraordinaire.

Lavallée.

Un moment de plus ou de moins…

M. d’Arny.

Parbleu ; c’est bien ma faute, je devois m’y attendre, elle n’en fait jamais d’autres. Voyez si son cocher est revenu ?

Lavallée.

Oh, Monsieur, un jour de forge, ils ne peuvent plus rien faire.

M. d’Arny.

Elle ne reviendra pas. Ayez-moi un carrosse de remise.

Lavallée.

Avant qu’il soit ici il faudra plus d’une heure.

M. d’Arny.

Non, je crois que tout, aujourd’hui, est déchaîné contre moi ; c’est ce chien de Tailleur, ce diable de Serrurier… Ayez-moi un fiacre.

Lavallée.

Si Monsieur avoit un moment de patience seulement.

M. d’Arny.

Il est midi & demi, c’est une affaire manquée.

Lavallée.

Monsieur, voilà Madame, avec Mademoiselle & Monsieur de Saint-Prix.

M. d’Arny.

Que diable cela me fait-il ! mon chapeau, mon épée.


Scène XXII.

Mde D’ARNY, M. D’ARNY, Mlle D’ARNY, M. DE SAINT-PRIX.
Mde d’Arny.

Vous voyez, Monsieur, que je ne vous fais pas attendre.

M. d’Arny.

Non. Il n’est que midi & demi.

Mde d’Arny.

Il n’est pas encore midi.

M. d’Arny.

Oui, à votre montre qui va comme votre tête.

Mde d’Arny.

Écoutez-moi donc.

M. d’Arny.

J’ai bien le tems de cela.

Mde d’Arny.

Nous aurons la maison.

M. d’Arny.

Je ne m’en soucie guères.


Scène dernière.

Mde D’ARNY, M. D’ARNY, Mlle D’ARNY,
M. DE SAINT-PRIX, M. BROUSSIN, LAVALLÉE.
Lavallée.

Monsieur Broussin.

M. d’Arny.

Allons je m’en vais.

M. Broussin.

Non, Monsieur, il est trop tard.

M. d’Arny.

Voyez un peu, Madame, ce que vous avez fait.

M. Broussin.

D’ailleurs cela seroit inutile.

M. d’Arny.

Comment ! il n’est pas venu ?

M. Broussin.

Pardonnez-moi, il est venu, & il vous a attendu, pour vous dire qu’il ne vouloit point avoir affaire à un homme qui manquoit de parole.

M. d’Arny.

Voilà, Madame, de quoi vous êtes cause ! il ne pouvoit pas attendre un instant.

M. Broussin.

Il vous a attendu aussi, & voyant que vous ne veniez pas…

M. d’Arny.

Il s’est impatienté.

M. Broussin.

Non, mais il m’a chargé de vous dire ce qu’il vouloit vous dire lui-même.

M. d’Arny.

Dites donc ?

M. Broussin.

Qu’on ne doit pas changer aussi facilement que vous faites.

M. d’Arny.

Ce n’étoit pas mon intention, tout m’a contrarié, & je n’ai pas pu sortir.

M. Broussin.

Ce n’est pas sur ce que vous n’êtes pas venu chez moi.

M. d’Arny.

Sur quoi donc ?

M. Broussin.

Sur ce qu’il a appris que vous aviez promis Mademoiselle votre fille à Monsieur de Saint-Prix.

M. d’Arny.

Mais je suis bien le maître…

M. Broussin.

Non, il prétend que vous auriez pu agir de même avec lui, & il ne veut point d’alliance avec un homme qui ne sait pas tenir ses engagemens ; que c’est une chose qui ne convient pas entre gens d’honneur, & que son fils n’épousera qu’une fille de qualité.

M. d’Arny.

À la bonne heure, je ne me soucie guères de sa Noblesse.

Mde d’Arny.

Voyez à quoi vous avez exposé Mademoiselle votre fille.

M. d’Arny.

À quoi donc ?

Mde d’Arny.

À essuyer un refus. Cela fait toujours tort à une personne à marier.

M. d’Arny.

Bon, bon !

M. Broussin.

Quand j’ai vu que tout étoit rompu, j’ai cru que je ne ferois pas mal d’apporter le contrat que vous m’aviez dit de faire pour Monsieur de Saint-Prix & Mademoiselle d’Arny.

Mde d’Arny.

À quoi vous déterminez-vous, Monsieur ?

M. d’Arny.

À signer tout de suite, pour ne plus entendre parler de ce mariage-là.

M. de Saint-Prix.

Ah, Monsieur ! que d’obligations…

M. d’Arny.

Signons, signons ; vous serez heureux après, si vous pouvez, tous les deux.

M. de Saint-Prix.

Allons, Mademoiselle. Ils signent.

M. d’Arny.

Vous voulez avoir une femme, vous ne savez pas ce que vous desirez.

Mde d’Arny.

Laissez, laissez-le dire. Quand on s’est remarié une seconde fois, on a prouvé que le mariage n’est pas si effrayant qu’on veut le persuader.

FIN.