Théatre lyonnais de Guignol/Les Couverts Volés

La bibliothèque libre.
Théatre lyonnais de GuignolN. Scheuringtome 1 (p. _-41).
Les couverts volés

LES COUVERTS VOLÉS

PIÈCE EN DEUX ACTES

ACTE PREMIER.

Un village : sur l’un des côtés, l’entrée du château de M.Cassandre.


Scène Première.

Cassandre, sortant de son château.


JE suis dans un embarras mortel. Je donne aujourd’hui, pour l’anniversaire de ma naissance, un dîner de quarante couverts. J’ai invité toute la haute bourgeoise des environs, & voici que mon cuisinier est malade depuis hier… impossible à lui de se mettre à ses fourneaux… Je ne vois qu’un moyen de me tirer d’affaire, c’est de prier mon ami Orgon, de me prêter son chef pour aujourd’hui ; il ne doit pas être occupé puisque Orgon dîne chez moi. Je m’en vais y envoyer de suite mon domestique Guignol. (Il appelle.) Guignol ! Guignol !

Guignol, de l’intérieur.

Borgeois !

Cassandre.

Viens ici, viens vite.

Guignol, de même.

J’y vas, borgeois. Je choisis la salade ; j’y sors les petites limaces.

Cassandre.

Arrive donc, lambin.


Scène II

CASSANDRE, GUIGNOL
Guignol, entrant.

Me v’là, borgeois.

Cassandre.

Je t’ai dit plusieurs fois de ne pas m’appeler comme cela : borgeois !… c’est d’un commun qui ne convient pas à une maison comme la mienne. Appelle-moi : Monsieur… Oui, Monsieur ! Non, Monsieur !… Je veux faire de toi un domestique comme il faut ; mais j’ai bien de la peine. Fais au moins attention à ce que je te dis.

Guignol.

Oui, borgeois… (se reprenant), oui, M’sieu.

Cassandre.

Tu sais que j’ai aujourd’hui un dîner de quarante couverts & que Laridon est malade.

Guignol.

Oui… Ah ! je vous vois venir ; vous voulez que je le remplace… c’est moi qui va tourner la broche.

Cassandre.

Toi ! ce serait joli. Tu es bon à faire la cuisine aux bêtes.

Guignol.

Ah !… je vous ai bien fait l’autre jour une bonne soupe mitonnée.

Cassandre.

Une soupe, & un dîner de quarante couverts, c’est différent !… Tu connais bien mon ami Orgon ?

Guignol.

Monsieur Ogron ?

Cassandre.

Orgon.

Guignol.

Oui, oui, je le connais ! un gros pâté qui a un petit nez !

Cassandre.
.

Tu vas aller chez lui, & tu le prieras de me prêter son cuisinier pour mon dîner d’aujourd’hui.

Guignol.

Faudra-t-il l’apporter ?

Cassandre.

Je présume qu’il aura bien l’esprit de marcher tout seul.

Guignol.

Ah ! c’est que l’autre jour vous m’avez envoyé chercher une cuisinière qui était en ferblanc, j’ai cru que c’était de même.

Cassandre.

Tu es bien bouché, mon pauvre Guignol. Ce que je t’ai envoyé chercher l’autre jour, c’est un instrument de cuisine. Aujourd’hui il s’agit de François, le cuisinier d’Orgon… Puis, comme je veux simplifier l’ouvrage de la maison, il me faudra prendre quelques plats tout faits. Tu sais bien le pâtissier qui est sur la grande place, à droite. (Il fait un geste de la main droite.)

Guignol, qui est en face de lui, fait un geste du même côté avec la
main gauche.

À droite !… Non, à gauche !

Cassandre, répétition du geste.

Mais non, à droite.

Guignol, idem.

Mais, borgeois, c’est à gauche. Voilà bien ma main gauche ? c’est de ce côté.

Cassandre, le faisant tourner & lui prenant la main droite.

Tourne-toi. C’est de ce côté, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est à droite.

Guignol.

Ah, oui, à droite. (Se retournant.) Mais à présent c’est à gauche.

Cassandre.

Enfin, chez le pâtissier de la grande place… Tu le connais ?

Guignol.

Oui, borgeois… Oui, m’sieu.

Cassandre.

Tu lui diras de m’apporter pour cinq heures précises, tout ce que je vais te détailler… Fais bien attention… 1o Un gâteau de Savoie.

Guignol.

Il fait donc des gâteaux avec sa voix, le pâtissier !… je croyais qu’il les faisait avec de la pâte.

Cassandre.

Tu es bête !… un gâteau de la Savoie.

Guignol.

Mais, borgeois, il n’y a plus de Savoie à présent : ils sont greffés, les Savoyards.

Cassandre.
.

Qu’importe ! c’est un nom qu’on donne à une espèce de gâteau ; il saura ce que cela veut dire. — 2o Un pâté de Chartres.

Guignol.

Un pâté de chatte !… Oh ! je ne pourrai pas manger de chat ; j’aime trop les petits mirons.

Cassandre.

Ce n’est pas de chatte, c’est de Chartres : c’est le nom d’une ville de France. Tu lui demanderas un grand pâté avec une cheminée.

Guignol.

Faudra ben qui soye grand pour qu’il y mette une cheminée… faudra qui soye grand comme une maison.

Cassandre.

La cheminée, c’est cette carte qu’on met au milieu du pâté.

Guignol.

Une cheminée de carte ! elle prendra feu tout de suite.

Cassandre.

3o Des œufs à la neige… chauds.

Guignol.

Allons, bon ! v’là le borgeois qui perd la boule… je vas chercher un fiacre pour lui faire monter le Chemin-Neuf[1].

Cassandre.

Qu’est-ce que tu dis ?

Guignol.

Vous n’y pensez pas, borgeois ! vous dites des œufs à la neige chauds. Si y fait chauffer la neige, elle fondra, & vous n’aurez plus que du bullion.

Cassandre.

Mais ce n’est pas de la neige véritable… des œufs à la neige sont des œufs que l’on bat… (il fait le geste de battre des œufs) jusqu’à ce qu’ils ressemblent à de la neige.

Guignol.

Ah !

Cassandre.

4o Des biscuits de Reims.

Guignol.

Des biscuits qui aient été à la plate[2] ?

Cassandre.

Mais non ; Reims, c’est encore le nom d’une ville de France.

Guignol.

Une ville où on se fiche des rincées.

Cassandre.

Tu lui demanderas : 5o quatre mendiants.

Guignol.

Si vous vouliez quatre mendiants, fallait donc le dire ce matin ; n’y aurait pas eu besoin d’aller chez le pâtissier… y en a plus de vingt qui ont sigrolé[3] la sonnette.

Cassandre.

On appelle quatre mendiants : les noix, les noisettes, les amandes, les raisins secs. On les appelle mendiants, parce que cela demande à boire,

Guignol.

Ah ! ben, moi, je ferais ben un bon mendiant, parce que je demande souvent aussi à boire.

Cassandre.

Enfin, tu lui commanderas : 6o huit douzaines de pâtisseries assorties… mais des pâtisseries cuites du jour.

Guignol.

Si elles ont été cuites de nuit, vous n’en voulez pas.

Cassandre.

Ce n’est pas cela que je veux dire… des pâtisseries fraîches, qui n’aient pas été dans la montre.

Guignol.

Faudrait ben qu’elle soye grande sa montre, pour qu’il y mette ses pâtisseries dedans.

Cassandre.

Mais, ignorant, tu ne sais donc pas ce que c’est que la montre d’un pâtissier ?

Guignol.

La montre d’un pâtissier, c’est comme celle d’un perruquier… c’est ce que vous mettez dans votre gousset & qui fait tic toc, tic toc.

Cassandre.

On appelle cela une montre en effet ; mais on appelle aussi une montre l’endroit où les pâtissiers exposent leur marchandise. Tu sais bien quand tu passes dans la rue Saint-Dominique, quand tu regardes toutes les gourmandises derrière une vitre ? c’est ça une montre.

Guignol.

C’est une montre qu’on ne met pas dans son gousset, mais dans sa corniole[4].

Cassandre.

Tu lui demanderas tout cela pour 40 personnes.

Guignol, à part.

Je demanderai pour cinquante ; y m’en restera davantage.

Cassandre.

Te souviendras-tu bien de tout ?

Guignol.

Oui, oui.

Cassandre.

Allons, répète un peu ta leçon.

Guignol.

Ma leçon !… yz, a, za ; yz, é, zé ; yz, i, zi…

Cassandre.

Qu’est-ce que tu dis là ?

Guignol.

Je dis la leçon que vous m’avez fait apprendre ce matin.

Cassandre.

Ce n’est pas cela… répète-moi ce que je viens de te dire, ce que tu dois demander au pâtissier.

Guignol.

Ah ! tout de suite !… un gâteau de Savoyard annexé, avec une cheminée… des œufs de chatte dans de la neige.

Cassandre.

Mais non, mais non !… (Guignol répète ainsi ridiculement plusieurs des objets commandés par Cassandre & est repris par lui)[5]. Tiens, vois-tu, j’y renonce ; tu es incorrigible. Je te donnerai cela par écrit… Le plus pressé est d’aller demander à Orgon son cuisinier.

Guignol.

J’y vais… Mais, dites donc, not’maître, prêtez-moi cent sous, s’il vous plaît.

Cassandre.

Pourquoi ?

Guignol.

C’est que je dois quatre francs dix sous au marchand de tabac sur la place ; je n’ose plus passer devant sans le payer… ça me fait faire un grand détour.

Cassandre.

Mais, je t’ai donné vingt francs l’autre jour sur tes gages.

Guignol.

Je les ai mis à la caisse d’épargne. (À part.) Seulement ce jour-là le bureau de la caisse d’épargne était établi chez le cabaretier.

Cassandre.

Je vois avec plaisir que tu deviens économe. Tiens (il lui donne de l’argent), & reviens vite.

Guignol.

Oui, borgeois… oui m’sieu. (Il s’en va en répétant :) Des œufs chauds comme la neige… des pâtisseries dans une horloge, &c…


Scène III

Cassandre, seul.

Je crois que je finirai par en faire quelque chose de ce pauvre Guignol… Mais il y a encore bien à faire… Allons vite donner mes ordres pour mon dîner ; ma maison est aujourd’hui fort désorganisée. (Il rentre.)


Scène IV

Scapin, entrant précipitamment du côté par lequel Guignol est sorti.

Je viens de voir passer là tout près le nommé Guignol, celui qui servait avec moi chez M. Mont-d’Or, & dont la déposition m’a fait condamner il y a cinq ans. Est-ce qu’il est placé dans ce village ?… Ah ! par exemple, celui-là, si je puis lui jouer un tour, aussi vrai que je m’appelle Scapin, je ne le manquerai pas… Mais il faut vivre en attendant. Je viens d’apprendre que M. Cassandre cherche un cuisinier pour aujourd’hui… Je ne suis pas bien fort en cuisine, mais avec de l’esprit… Je vais me présenter. (Il sonne.)


Scène V

SCAPIN, CASSANDRE
Cassandre, entrant.

Que demandez-vous, Monsieur ?

Scapin.

C’est à Monsieur de Cassandre que j’ai l’honneur de parler ?

Cassandre.

À lui-même. Que puis-je pour vous ?

Scapin.

On m’a dit, Monsieur, que vous aviez besoin d’un chef & je venais vous offrir mes services.

Cassandre.

Vous êtes bien instruit. J’ai en effet aujourd’hui un dîner de quarante couverts, & mon cuisinier est malade. Vous savez faire la cuisine ? Où avez-vous servi ?

Scapin.

Je puis présenter à Monsieur les plus belles références. J’ai travaillé chez M. de Montmorency & chez M. de Talleyrand, & j’ai dirigé quelques dîners au congrès de Vienne en 1815.

Cassandre.

Quelle trouvaille !… Vous savez apprêter une sole normande, un plum-poudding anglais ?

Scapin.

Oh ! Monsieur, ce sont là des enfantillages. Je vous servirai une charlotte norwégienne, des écrevisses à la japonnaise, & des artichauts sauce grenouille… Je me recommande à Monsieur pour la cuisine à la broche, dont Monsieur apprécie sans doute l’immense supériorité sur la cuisine au fourneau. Le petit four est aussi un de mes triomphes.

Cassandre.

Oh ! c’est délicieux ! Quels gages me demandez-vous ?

Scapin.

Pour avoir l’honneur de travailler chez Monsieur, je ne lui demanderai que douze cents francs.

Cassandre.

C’est beaucoup.

Scapin.

Oh ! Monsieur verra mes talents. Si Monsieur veut d’ailleurs m’employer pour son dîner d’aujourd’hui, je suis certain que nous nous arrangerons ensuite.

Cassandre.

Comment vous appelez-vous ?

Scapin.

Brochemar.

Cassandre.

(À part.) Il est vraiment très-bien ce Brochemar, il s’exprime avec beaucoup d’élégance : il doit avoir servi dans de grandes maisons… (Haut.) Allons ! c’est entendu ! je vous retiens pour mon dîner, & si je suis content de vous, je vous engage… Venez, nous n’avons point de temps à perdre, je vais vous installer à vos fourneaux. (Ils entrent au château.)


Scène VI

Guignol, seul.

(À la cantonnade) Adieu, Mamselle Benoîte ! au revoir, Mamselle Benoîte ! Est-elle cannante[6], est-elle cannante, Mamselle Benoîte ! Elle a deux yeux bleus qui sont ouverts, qui brillent comme un ver luisant, & grands comme çà… (Il montre avec ses mains la grandeur des yeux de Mlle  Benoîte.) Oh ! je n’ai jamais vu deux yeux aussi jolis que ceux-là… Oh si, si : j’en ai vu un à Brindas, & l’autre à Margnoles… Mais je m’amuse ici… Le borgeois va me gronder, d’autant plus que je lui amène pas le cuisinier de M. Orgon ; il s’est fait une entorse.


Scène VII

SCAPIN, GUIGNOL.
Scapin, à la cantonnade.

Oui, Monsieur, je vais acheter les épices qui me sont nécessaires. Je réponds à Monsieur d’être prêt pour l’heure.

Guignol.

Qu’est-ce donc que ce particulier qui sort de chez le borgeois ?… J’ai vu cette tête sur les épaules de quéqu’un… il marque mal… Je ne me trompe pas ;… c’est ce nommé Escarpin qui était avec moi chez M. Mont-d’or & qui a marché sur son argenterie… Est-ce qu’il vient faire quelque escamotage chez le papa Cassandre ?… Ah ben par exemple ! Je vais le dégraboler d’ici. (Il le saisit & l’amène vers la bande). Viens voir ici, beau merle !

Scapin, cherchant à l’éviter.

Que voulez-vous ? je ne vous connais pas.

Guignol.

Moi je te connais… je me souviens quand on t’a arrangé comme une bardoire[7] ; on t’avait attaché par la patte… Te viens voir par ici s’y a queque chose à soupeser… on t’a donc lâché, vieux ?…

Scapin.

Je ne sais ce que vous voulez dire. Laissez-moi.

Guignol.

Non, non ; te parlais tout à l’heure avec le papa Cassandre… je ne veux pas que tu lui fasses la barbe… je vas l’avertir. (Il se dirige vers le château.)

Scapin, vivement.

Guignol !

Guignol.

Ah ! ah ! te ne me connais pas, & te sais comme je m’appelle !

Scapin.

Guignol, ne me perds pas, je t’en supplie… j’ai été plus malheureux que coupable… tu le sais.

Guignol.

Oui ! & ces couverts que t’avais dans ta poche, ils y étaient donc venus tout seuls ?

Scapin.

Un hasard fatal !

Guignol.

Oui, te les as pris par hasard, & te les as gardés par occasion.

Scapin.

Je t’assure que j’ai le plus grand regret de ce qui est arrivé, & que j’ai changé complètement de conduite. Garde-moi le secret du passé, & ne me fais pas perdre la place que je viens d’obtenir chez M. Cassandre.

Guignol.

(À part.) Au fait, il a p’t-être changé. Faut avoir pitié du pauvre monde. (Haut.) Te me promets que te ne mettras pas la patte sur les pistoles du papa Cassandre ?

Scapin.

Je te le jure. Tiens, voilà ma main.

Guignol.

Ah ! non, non, ne me touche pas. Tu as eu la fièvre de rapiamus ; ça se prend p’t-être ça. Écoute, je ne dirai rien ; mais je te promets que je te soignerai, & si je vois quelque chose de louche, je te fais flanquer à la porte. (À part.) Voilà un gone[8] que je vais lui veiller plus les mains que les pieds.

Scapin.

Merci, Guignol. M. Cassandre m’a pris pour cuisinier ; je te promets de te bien traiter. (À part.) Si je peux te faire pendre !… (Il sort du côté du village.)


Scène VIII

GUIGNOL, CASSANDRE.
Guignol.

J’ai p’t-être tort ; mais c’est un pauvre diable tout de même, & ça me ferait de peine de lui empêcher de travailler.

Cassandre, entrant.

Eh ! bien, Guignol, le cuisinier d’Orgon ?

Guignol.

M. Orgon m’a dit qu’il était bien fâché, mais que son cuisinier avait une entorse & ne pouvait pas venir.

Cassandre.

Allons ! ce n’est qu’un demi-malheur. J’ai trouvé quelqu’un qui fera, je crois, parfaitement mon affaire. (Scapin traverse le théâtre dans le fond & rentre au château.) Tu vas aller maintenant chez le pâtissier. Voici la commande que j’ai mise par écrit. Tu lui diras d’être chez moi à cinq heures moins un quart. Reviens vite ; je te donnerai un bon verre de vin de Bourgogne à ton retour.

Guignol.

Deux, si vous voulez, not’borgeois. (Il sort.)


Scène IX

CASSANDRE, puis SCAPIN.
Cassandre.

C’est le ciel qui m’a envoyé ce cuisinier étranger : sans lui je ne sais comment je me serais tiré d’affaire.

Scapin, entrant.

Monsieur, je suis désolé de vous laisser dans l’embarras ; mais je vous demande la permission de me retirer.

Cassandre.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Scapin.

Je croyais être entré dans une maison sûre… je ne veux pas vivre entouré de domestiques infidèles qui mettent une maison au pillage.

Cassandre.

Expliquez-vous enfin !

Scapin.

J’étais allé, comme vous me l’aviez ordonné, dans la chambre de votre domestique Guignol, pour y prendre des casseroles de cuivre. Que vois-je en entrant ? D’abord sous son lit plusieurs bouteilles de vin fin. Cela attire mon attention ; je remarque bientôt le cou d’un dindon qui sortait de la paillasse… Tout cela c’était peu de chose ; mais en fouillant dans cette paillasse, j’y trouve douze couverts & une poche en argent.

Cassandre.

Savez-vous, Monsieur, que vous portez une accusation terrible contre un ancien & fidèle serviteur de ma maison ?

Scapin.

Monsieur peut y aller voir lui-même. J’ai laissé les choses dans l’état.

Cassandre.

J’y vais de ce pas. (Il sort.)

Scapin, seul.

Guignol, tu me paieras cher ta déposition d’il y a cinq ans. Mes mesures sont bien prises : & si tu n’es pas pendu, il n’y aura pas de ma faute.

Cassandre, rentrant.

Cela est malheureusement trop vrai !… Qui l’aurait jamais cru de Guignol ?… Sa simplicité même me paraissait une garantie de sa fidélité… À qui se fier désormais ? (À Scapin) Retournez à vos fourneaux, Monsieur Brochemar. Je mettrai ordre à cela. Ne vous inquiétez de rien. (Scapin sort.)


Scène X

CASSANDRE, puis GUIGNOL.
(On entend Guignol chanter :)
air du Juif errant.

Est-il rien sur la terre
Qui soye plus cannant
Que de siffler un verre
De bon vin de Mornant ?
Mais c’est encor bien mieux
Quand on en siffle deux !

(Ou tout autre refrain populaire.)
Cassandre.

Il chante, le misérable ! Quelle audace !

Guignol, entrant.

Borgeois, le pâtissier sera là, avec tout son bataclan, à quatre heures & demie.

Cassandre.

Monsieur Guignol, regardez-moi en face.

Guignol.

Pourquoi faire ? Je vous vois ben assez.

Cassandre.

Regardez-moi en face.

Guignol.

Allons, je vous arregarde. Hé ben !

Cassandre.

Qu’est-ce que vous voyez quand vous me regardez ?

Guignol.

Tiens ! Je vois un ben brave homme ! (à part) un peu melon, par exemple !

Cassandre.

Faites-moi la même question.

Guignol

Pourquoi donc ?… Nom d’un rat ! Y veut me faire poser, le borgeois !

Cassandre.

Faites-moi la même question. Demandez-moi ce que je vois quand je vous regarde.

Guignol.

Pardi, vous voyez un bon enfant, un domestique comme y n’y en a pas beaucoup.

Cassandre.

Ce n’est pas cela ; c’est moi qui dois répondre à cette question : Qu’est-ce que vous voyez quand vous me regardez ?

Guignol.

Qu’est-ce que je vois quand vous m’arregardez ?… Non… Qu’est-ce que vous voyez quand je vous arregarde ?… Ah ben ! faites comme si je l’avais dit.

Cassandre.

Monsieur Guignol, je vois devant moi un voleur !

Guignol.

Un voleur ! redites-le donc.

Cassandre.

Oui ; un voleur ! un voleur !

Guignol.

Il l’a dit trois fois !… Vous n’êtes qu’une vieille bugne[9] ! vous ne prouverez pas c’te bêtise !

Cassandre.

Qu’avez-vous dans votre paillasse ?

Guignol.

Pardi, j’ai de puces, j’ai de punaises, & quéques cafards.

Cassandre.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. C’est de mon vin & de mes couverts d’argent. Je les ai vus & ils y sont encore !… Vous ne répondez rien ?

Guignol.

Ah ! vous n’y voyez pas si long que votre nez ; il est trop grand ; il vous gêne.

Cassandre.

Allez-y voir !

Guignol.

Tout de suite. (Il sort.)

Cassandre, seul.

Le drôle a un aplomb qui me confond… Quel scélérat ! Il cache sous une apparence de bonhomie la nature la plus perverse… Je serai pour lui sans pitié.

Guignol, pleurant dans la coulisse.

Ah ! ah ! ah ! je suis perdu. (Rentrant.) Not’borgeois, ce n’est pas vrai… bien sûr, ce n’est pas moi.

Cassandre.

Comment expliquez-vous la présence de ces objets dans votre paillasse ?

Guignol.

Ce sera une histoire comme celle de la pie voleuse. Je crois que c’est votre chatte qui a apporté tout ça dans ma paillasse. L’autre jour, elle y a bien apporté quatre petits chats.

Cassandre.

Votre excuse est trop grossière… Monsieur Guignol, j’ai pu supporter votre bêtise et votre maladresse ; mais je ne garde pas les voleurs dans ma maison… les voleurs, je les chasse… Sortez de chez moi sur-le-champ.

Guignol, pleurant.

Mais, Monsieur…

Cassandre.

Je ne me laisse pas toucher par vos larmes ; elles sont feintes… Allez vous faire pendre ailleurs.

Guignol.

Eh ben, non ; comme je suis-t-innocent, je ne m’en irai pas, na !… C’est trop bête aussi !

Cassandre.

Ah ! vous le prenez sur ce ton ; vous m’injuriez !… Je vais avertir M. le Bailli & la maréchaussée, & nous verrons si vous resterez dans ma maison malgré moi, malheureux ! (Il sort.)

Guignol, seul.

Ah ! mon Dieu ! il le fera comme il le dit !… Que devenir ? Je n’ai d’autre parti à prendre que de m’ensauver dans la forêt… Adieu, borgeois : je vous aime tout de même, quoique vous vous comportiez à mon égard comme un vieux cocombre. Adieu ! vous viendrez quéque jour pleurer sur ma tombe, vous y jetterez des fleurs, & vous direz en vous arrachant la perruque : Pauvre Guignol ! C’est pourtant moi, ganache, que je suis cause qu’il est là dedans !.. Mais il sera trop tard pour m’en sortir… Adieu les amis ! Adieu la maison ! Adieu mamselle Benoîte !.. Ah ! ah ! ah ! (Il sort en pleurant.)


Scène XI

LE BAILLI, LE BRIGADIER et UN GENDARME, SCAPIN, puis CASSANDRE.
Scapin.

Par ici, Monsieur le Bailli. Le crime est flagrant ; on a trouvé les objets volés dans la paillasse de son lit : du vin, un dindon, douze couverts d’argent.

Le bailli.

Il faut saisir le dindon comme pièce à conviction.

Scapin.

Voici M. Cassandre, qui va vous expliquer cela comme moi.

Cassandre, entrant.

Oui, Monsieur le Bailli, un domestique en qui j’avais la plus grande confiance… cela me dérange beaucoup ; j’ai aujourd’hui un dîner de quarante couverts.

Le bailli.

Où est le coupable ?

Cassandre.

Il a pris la fuite quand son crime a été connu.

Le brigadier.

Quand les couverts ont été découverts !

Scapin.

C’est cela. J’apprends à l’instant qu’on lui a vu prendre le chemin de la forêt.

Le bailli.

Mettons-nous à sa poursuite.

Scapin.

Je vous servirai de guide.

Le bailli.

Nous le ramènerons… & dans tous les cas, Monsieur Cassandre, nous viendrons dîner ici.

Le brigadier à Scapin.

Monsieur Brochemar, marchez en éclaireur.

Le bailli.

Cavaliers, prenez vos distances. En avant !

(Ils marchent vers la forêt. — Cassandre rentre au
château. — Le rideau tombe.)


ACTE II

Une Forêt.


Scène I

GUIGNOL, seul.

Du depuis trois jours que je suis dans c’te forêt, je ne me mets à table que devant les buissons… Je n’ai encore mangé que de pelosses, de mûrons, de ratabouts & de poires d’iziau… Mon ventre est mou comme une poire blette, & mon estomac me gargouille comme la fontaine des Trois-Cornets[10]… Que vas-tu devenir, pauvre Guignol ?… Je n’ose pas buger, les malchaussés tournent par là pour me prendre… Je suis perdu si je sors de la forêt… Avec ça, y a de mauvaises bêtes par ici, de loups, de serpents qui me donnent la chair de poule… Je ne peux plus me traîner ; il faut que je dorme un instant. (Il se couche sur la bande.) — Ah ! ma pauv’ m’man ! Si elle me savait ici, elle m’apporterait une soupe de farine jaune ; elle sait que je l’aime bien… Pauvre m’man ! elle venait tous les soirs me border dans mon lit. (Il s’endort & est bientôt éveillé par des hurlements, & par l’approche d’un serpent.) Ah ! qué grosse larmise[11] (Il s’enfuit & revient quand le serpent a quitté la scène.) Ah ! je suis trop malheureux ! je peux plus y tenir. N’avoir rien à manger, & être mangé soi-même par de vilaines bêtes comme ça ! C’est trop terrible ! Je vais me parcipiter dans le grand étang. (On entend un bruit de tonnerre. — Flamme.)


Scène II

GUIGNOL, LE GÉNIE DU BIEN.
LE GÉNIE.

Guignol, où vas-tu ?

GUIGNOL.

(À part.) Tiens, voilà un particulier qui ressemble au tambour-major de la vogue de la Guillotière. — (Haut.) Mossieu, je ne vais pas à la noce, je vais me noyer.

LE GÉNIE.

As-tu le droit de disposer de ton existence ? Tu n’as donc aucune confiance dans celui qui t’a créé ? C’est un crime que tu vas commettre.

GUIGNOL.

Je suis trop malheureux ; je peux plus y tenir.

LE GÉNIE.

Guignol, je connais tes malheurs ; je m’intéresse à toi. Reprends courage : je suis le Génie du bien ; je veux te sauver.

GUIGNOL.

Tiens, c’est un soldat du génie. Il a une drôle d’uniforme… On m’accuse d’être un voleur ; mais c’est bien à faux, Monsieur du génie.

LE GÉNIE.

Je connais ton accusateur, & je veux le confondre. Attends-moi ici. (Il disparaît. — Flamme.)

GUIGNOL.

Qu’est-ce qui fait donc là-bas ? Je crois qu’il allume sa pipe. (Flamme.)

LE GÉNIE, reparaissant.

Voici une baguette qui sera pour toi un talisman. (Il la lui donne.) Je vais l’enchanter. (Il la touche en disant : ) Abracadabra ! Furibundus ! Salamalec !

GUIGNOL, à part.

Il parle d’omelette !

LE GÉNIE.

Il te faut maintenant deux mots du grimoire… Lorsque tu verras tes persécuteurs, oppose-leur cette baguette. Si tu dis berlique, elle les frappera d’enchantement ; si tu dis berloque, l’enchantement cessera. Souviens-toi bien : berlique & berloque… Ne te sers de cette baguette que pour le bien, car elle est impuissante pour le mal, & si tu en faisais un mauvais usage, elle tournerait sa force contre toi. Adieu ! Guignol, je vais travailler à ta justification, & je reviens. (Il disparaît. — Flamme.)


Scène III

GUIGNOL, seul.

Il appelle ça une baguette, l’officier du génie ! c’est ben une trique pour assommer les bœufs à la boucherie de Saint-Paul ! Quel archet !… Soyez tranquille, Monsieur du génie, je cognerai de bon courage… Mais qu’est-ce que je vois là-bas ? les malchaussés qui arrivent avec Escarpin : ils causent avec un bûcheron… Ah ! je devine l’affaire à présent : je parie que c’est ce gueusard d’Escarpin qui m’aura mis ces couverts sur le casaquin pour se venger de il y a cinq ans, & qui veut à présent me faire pendre. Atatends, vieux ; je vais t’arranger le cotivet[12] avec mon tablisman. Cachons-nous un peu desdelà. (Il se cache.)


Scène IV

SCAPIN, LE BAILLI, LA MARÉCHAUSSÉE,
GUIGNOL, caché.
SCAPIN.

Venez, Monsieur le Bailli… on l’a vu, il y a un instant, vers le Grand rocher, & nous en sommes à quelques pas. (Guignol paraît.) Ah ! le voici !

LE BAILLI.

Cavaliers, saisissez cet homme. Monsieur Brochemar, en avant !

GUIGNOL.

Bonjour, Messieurs, la compagnie. (Les gendarmes s’avancent.) Berlique ! (Tous restent immobiles devant la rampe.) Ah ! ah ! comment ça va-t-il ? Eh ben ! on ne buge donc plus, mes gones ! Les v’là comme des estatues. Mais saluez donc la société, malhonnêtes ! Berlique ! (Ils saluent.) Encore ! (Ils saluent encore.) C’est bien, petits ; mais vous ne dites donc rien. Poque ! (Il les pousse avec sa baguette, et les fait heurter l’un contre l’autre & contre le montant.) Ils ont le sommeil dur ! (Il les frappe successivement avec le bâton en chantant.) Voilà comme on bat le blé à Venissieux, vieux !… Voyons, assez dormi comme cela… Berloque ! (Ils se réveillent.)

LE BAILLI.

Mais, cavaliers, que faites-vous donc ? Qu’attendez-vous pour vous saisir de ce drôle ?

LE BRIGADIER.

Je me sens une démangeaison derrière la nuque du cou.

LE GENDARME.

Et moi aussi sur le crâne de la tête.

SCAPIN.

Et moi aussi.

LE BAILLI.

Et moi aussi.

GUIGNOL.

Berlique ! (Ils redeviennent immobiles.) Allons, ça va à la baguette. Voyons encore ! Êtes-vous toujours bien obéissants ? Dansez-moi un petit air de rigaudon, pour vous dégourdir. (Ils dansent pendant que Guignol chante :)

Allons aux Bretteaux, ma mia Jeanne !

Plus vite ! (Ils dansent plus vite.) Allons vous êtes bien sages… Mais tout ça, c’est les bagatelles de la porte, & il faut me tirer d’ici. (Il donne un coup de bâton à Scapin en disant : Berlique pour toi, & le conduit au fond du théâtre. Puis il s’approche du bailli & des gendarmes & dit : Berloque pour vous ; ils se réveillent.)

LE BAILLI.

Mais, cavaliers, que veut dire tout cela ? Pourquoi cet homme n’est-il pas encore pris ?

GUIGNOL.

Ça veut dire, Monsieur le Bailli, que vous y voyez clair comme une taupe… Ce gone-là s’appelle pas Brochemar, mais Escarpin. C’est un gueusard qui vous a mis dedans, & moi je suis innocent comme un petit chardonneret qui tette sa maman.

LE BRIGADIER.

Serait-ce ce Scapin qui s’est évadé & que nous cherchons depuis huit jours ?

GUIGNOL.

Si vous voulez vous cacher un moment dernier ces arbres & écouter, vous saurez la vérité.

LE BAILLI.

Il faut d’abord venir en prison ! vous vous expliquerez ensuite.

GUIGNOL.

En prison ! Si vous pouvez m’y mener, papa ! & c’te baguette ! Vous voulez donc encore vous faire rafraîchir le cotivet ? C’est un tablisman.

LE BRIGADIER.

Il a peut-être raison, Monsieur le bailli. Son langage paraît sincère, & j’ai toujours cette démangeaison derrière la nuque du cou.

LE GENDARME.

Et moi aussi.

LE BAILLI.

Et moi aussi. Allons, Messieurs, plaçons-nous à portée, & écoutons.

GUIGNOL ramène Scapin sur le devant du théâtre.

Berloque pour toi.

SCAPIN, se réveillant.

Où suis-je ?… ah ! c’est Guignol.

GUIGNOL.

Avance donc, petit ! avance donc ! N’aie donc pas peur de c’te petite canne, capon !… Ah ! tu as voulu te revenger de ce que j’avais dit la vérité sur ton compte il y a cinq ans ! T’as voulu me faire passer pour un voleur comme toi !… Viens donc me pincer !

SCAPIN.

Qu’est devenue la maréchaussée ?

GUIGNOL.

Par la vertu de ma baguette, pft ! je les ai escamotés.

SCAPIN.

Guignol ! je vois que tu as un pouvoir supérieur au mien… Sois généreux, pardonne-moi. Oui, j’ai voulu me venger, & c’est moi qui ai caché dans ton lit les couverts de M. Cassandre… Je suis malheureux, ne m’accable pas.

GUIGNOL.

Tu n’es qu’une canaille !… débarrasse-moi le plancher (Scapin en voulant fuir est saisi par les gendarmes qui l’entraînent.) Tenez-le bien ; le lâchez pas ; ferrez-lui les pattes ; il n’a que ce qu’il mérite. (Bruit de tonnerre. — Flamme.)


Scène V

GUIGNOL, LE GÉNIE.
GUIGNOL.

C’est l’officier du génie qui revient ! Il paraît qu’il fait sa soupe à présent.

LE GÉNIE.

Es-tu content, Guignol ?

GUIGNOL.

Oh ! Monsieur du génie, je serais bien déjà allé vous remercier ; mais je savais pas votre adresse… Sans vous j’étais perdu… Vous avez là une fameuse baguette tout de même ! Si jamais vous avez besoin de Guignol pour un coup de main, vous pouvez compter sur lui.

LE GÉNIE.

Cette baguette ne t’est plus utile à présent ; rends-la moi. (Il la reprend). Que ce qui t’arrive te serve de leçon ; sois toujours vertueux ; ne donne jamais ta confiance & ton amitié à de mauvais sujets comme ce Scapin, & que son exemple t’apprenne à rester fidèle à ton devoir… Je te quitte ; mais je ne t’oublierai pas… Je t’ai dit que je suis le Génie du bien. Appelle-moi quand tu auras à faire une bonne action. Adieu ! je rentre dans ma grotte profonde, où l’on ne voit ni ciel ni monde. (Il disparaît. — Flamme.)

GUIGNOL.

Oui, Monsieur du génie, je serai toujours bien sage… Mes compliments à votre famille… Il va dîner… je voudrais bien n’en faire autant.


Scène VI

GUIGNOL, CASSANDRE.
CASSANDRE, accourant.

Qu’ai-je appris, mon pauvre Guignol ! Combien je suis fâché d’avoir aveuglément cru aux accusations de ce scélérat ! Excuse-moi, je t’en prie.

GUIGNOL.

Vous auriez bien dû le deviner à sa mine ; il a une figure à faire tourner une sauce blanche… Mais ne vous tourmentez pas, borgeois ! Tout le monde fait des bêtises ; vous n’êtes pas le premier. Moi qui vous parle…

CASSANDRE.

Que puis-je faire pour toi, mon garçon ?

GUIGNOL.

Ah ! borgeois, franchement, j’ai ici depuis trois jours une fichue cuisine. Si vous pouviez me donner un verre de vin & une rôtie de fromage fort, ça me remettrait joliment.

CASSANDRE.

Viens, mon garçon, je vais te faire servir à dîner… Désormais, tu ne me quitteras plus, & à dater d’aujourd’hui je double tes gages. Viens !… Mais tu ne peux pas partir d’ici sans adresser un mot aux personnes qui nous écoutent & qui se sont intéressées à tes malheurs !… Allons, en avant le petit couplet !

GUIGNOL.

Ah ! borgeois, mon estomac crie, & la soif me coupe le sifflet.

Au public.
Air : Patrie, honneur.
Vraiment, Messieurs, si j’n’avais pas si faim,

Je vous chant’rais tout de suite une ariette ;
Mais mon gosier réclame un verre de vin,
Et j’craindrais pas d’siffler une omelette.
Permettez-moi d’m’arroser le fanal

Et j’reviendrai chanter l’couplet final.

(Parlé.) Rien que deux ou trois bouteilles du vieux bourgogne du papa Cassandre… puis je dirai deux mots à son dîner de quarante couverts… y a des restes… au pâté de chatte, au gâteau annexé, &c… (Il répète les plats indiqués pendant la première scène, & est repris par Cassandre…)

Tout çà, messieurs, me r’mettra le fanal,
Et je chant’rai gaîment le couplet final[13].



fin des couverts volés.




  1. C’est-à-dire pour le conduire à l’Antiquaille, à l’hospice des aliénés.
  2. Platte ; bateau à laver.
  3. Sigroler ; agiter, ébranler.
  4. Dans son gosier.
  5. Cette énumération du menu de M. Cassandre est une des scènes ad libitum qu’on peut prolonger & varier indéfiniment. Les quolibets ci-dessus ne sont cités que comme exemples parmi ceux que Guignol improvise à chaque représentation, suivant le temps et le lieu.
  6. Cannant, cannante : agréable.
  7. Bardoire : hanneton.
  8. Gone ; garçon, fils : — un gone ; un particulier, un gaillard.
  9. Bugne ; espèce de gâteau : — une vieille bugne ; un vieil imbécile.
  10. Fontaine du quartier Saint-Georges, à Lyon.
  11. Larmise : lézard gris.
  12. La nuque.
  13. Je crois que les Couverts Volés ont été empruntés au répertoire d’un théâtre de marionnettes d’Allemagne. On y reconnaît, malgré de notables modifications, le caractère d’une féerie allemande du siècle dernier, & dans les manuscrits qui ont passé sous mes yeux, il en est un où Cassandre parle de son château de Renspach.