Théorie analytique de la propagation de la chaleur/Chapitre 1

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Théorie analytique de la propagation de la chaleur
Georges Carré (p. 1-16).

THÉORIE ANALYTIQUE
DE LA
PROPAGATION DE LA CHALEUR


CHAPITRE PREMIER

HYPOTHÈSES DE FOURIER. — FLUX DE CHALEUR

1. La théorie de la chaleur de Fourier est un des premiers exemples de l’application de l’analyse à la physique ; en partant d’hypothèses simples qui ne sont autre chose que des faits expérimentaux généralisés, Fourier en a déduit une série de conséquences dont l’ensemble constitue une théorie complète et cohérente. Les résultats qu’il a obtenus sont certes intéressants par eux-mêmes, mais ce qui l’est plus encore est la méthode qu’il a employée pour y parvenir et qui servira toujours de modèle à tous ceux qui voudront cultiver une branche quelconque de la physique mathématique. J’ajouterai que le livre de Fourier a une importance capitale dans l’histoire des mathématiques et que l’analyse pure lui doit peut-être plus encore que l’analyse appliquée.

Rappelons d’abord succinctement quel est le problème que s’est proposé Fourier : il a voulu étudier la propagation de la chaleur, mais il faut distinguer.

La chaleur peut, en effet, se propager de trois manières : par rayonnement, par conductibilité et par convection.

2. Rayonnement. — Soient deux corps placés à une certaine distance l’un de l’autre, tout se passe comme si le plus chaud cédait à l’autre de la chaleur. On admet qu’un corps qui se trouve dans un milieu transparent ou dans l’éther émet des radiations qui se comportent comme les radiations lumineuses ; plus sa température est élevée, plus il émet de radiations.

Supposons un corps solide enfermé dans une enceinte dont il est séparé par un milieu transparent ; le corps et l’enceinte émettront des radiations. Soit la température du corps la température de l’enceinte .

Si :


il y a équilibre de température.

Si :


le corps est plus froid que l’enceinte, il émettra moins de radiations, le corps va s’échauffer et l’enceinte va se refroidir. Le contraire aurait lieu si l’on avait :

L’équilibre de température par rayonnement ne peut donc s’établir que par une série de compensations dont l’étude serait fort intéressante, mais est étrangère à mon sujet.

3. Loi de Newton. — On admet que les échanges de chaleur sont régis par la loi de Newton :

La quantité de chaleur perdue par le corps est proportionnelle à .

Cette loi n’est qu’approximative et ne peut être considérée comme exacte que si est petit.

De plus, on ne peut admettre que la quantité de chaleur rayonnée soit fonction seulement de la différence des températures : elle doit dépendre aussi des températures absolues des corps en présence.

Par exemple, dans le cas où :

 ;

et dans le cas où :

 ;


la quantité de chaleur rayonnée ne sera pas la même.

4. Conductibilité. — Considérons un corps solide. Si les différents points de ce corps ne sont pas à la même température, ces températures tendent à s’égaliser.

Fig. 1.

Soit par exemple une barre (fig. 1).

Supposons que l’on chauffe . Dans ce mode de propagation, ne peut pas céder directement de la chaleur à . La partie ne pourra s’échauffer qu’après que la partie se sera échauffée elle-même. De sorte que l’on peut se représenter les molécules du solide comme émettant des radiations qui sont rapidement absorbées par les molécules voisines.

5. Convection. — Quand les différents points d’un fluide sont à des températures différentes, il se produit des mouvements intérieurs qui mélangent les parties inégalement chaudes et égalisent rapidement les températures.

Ce phénomène porte le nom de convection. De ces trois modes de propagation nous étudierons seulement le second, c’est-à-dire la propagation par conductibilité. C’est là, en effet, l’objet essentiel de la théorie de Fourier.

flux de chaleur

6. Hypothèse fondamentale de Fourier. — Soient deux molécules , , d’un corps quelconque, soient , leurs températures respectives, et soit leur distance.

Fourier admet que pendant le temps la molécule cède à la molécule , une quantité de chaleur égale à :


étant une fonction de , négligeable dès que a une valeur sensible.

Cette dernière hypothèse n’est que la traduction du fait que nous avons énoncé plus haut : il n’y a pas échange direct de chaleur entre deux parties d’un corps éloignées l’une de l’autre.

L’hypothèse de Fourier est restrictive, car elle suppose que la quantité de chaleur cédée par la molécule à la molécule , ne dépend que de la différence des températures et nullement de ces températures elles-mêmes.

Fourier n’aurait pas fait de restriction si, au lieu de la formule :


il avait admis la suivante :

En effet, la quantité de chaleur cédée ne dépend évidemment que de , et  ; elle peut donc se représenter par :

ce que l’on peut écrire :


ou, en développant suivant les puissances croissantes de qui est très petit, puisque les molécules sont très voisines :

Le premier terme est évidemment nul, et en négligeant les puissances de supérieures à la première, on a :

7. Conséquences de l’hypothèse de Fourier. — En admettant l’hypothèse de Fourier :

on voit que, si toutes les températures sont augmentées d’une

même constante, la quantité de chaleur reste la même.

Si elles sont multipliées par une même constante, la quantité de chaleur sera également multipliée par cette constante.

8. Flux de chaleur. — Nous avons dit que était négligeable dès que devient supérieur à une certaine limite. Soit cette limite.

Considérons un élément de surface très petit en valeur absolue, mais infiniment grand par rapport à (fig. 2).


Fig. 2.
Soient deux molécules ; , situées de part et d’autre de l’élément  ; cède à une certaine quantité de chaleur ; considérons tous les couples de molécules tels que et faisons la somme des quantités de chaleur correspondantes. Cette somme est, par définition, le flux de chaleur qui traverse l’élément .

D’après ce que nous avons dit plus haut, si toutes les températures sont augmentées d’une même constante, le flux de chaleur reste le même ; si elles sont multipliées par un même nombre, le flux de chaleur est multiplié par ce nombre.

9. Considérons un corps possédant un plan de symétrie , et supposons que la distribution des températures soit également symétrique par rapport à ce plan . Le flux de chaleur relatif à un élément pris dans ce plan est évidemment nul.

Il en sera encore de même si, sans être lui-même symétrique, le corps est tel que la distribution des températures le soit. Cela résulte de ce que les échanges de chaleur ne se font qu’entre des molécules très voisines. On peut par conséquent, sans que le flux change, supprimer les portions du corps qui ne sont pas contiguës à l’élément et réduire le corps à une petite sphère ayant pour centre cet élément : Celte sphère étant symétrique par rapport au plan P, nous sommes ramenés au cas précédent.

Considérons maintenant un corps symétrique par rapport à un point , et supposons aussi la distribution des températures symétriques par rapport à ce point. Le flux de chaleur sera le même en valeur absolue pour deux éléments et symétriques par rapport au point .

Il en sera encore de même pour la même raison que plus haut, si la distribution des températures seulement est symétrique.

Si, enfin, la distribution des températures est telle que deux points et symétriques par rapport au point aient des températures égales et de signes contraires, les flux relatifs à deux éléments symétriques seront égaux en valeur absolue. Il en sera encore de même si la somme des températures de deux points symétriques, au lieu d’être nulle, est égale à une constante quelconque :

10. Problème. — Soit un corps quelconque ; supposons que la loi des températures soit la suivante :

Soit un élément f/o> situé dans.un plan parallèle à . La distribution des températures est symétrique par rapport au plan de cet élément ; donc le flux de chaleur qui le traverse est nul. De même, le flux de chaleur à travers la surface latérale d’un cylindre parallèle à est nul, puisque les éléments de cette surface latérale ont leur plan parallèle à .

Considérons maintenant deux éléments plans perpendiculaires à , par exemple deux petits carrés égaux : soient et leurs centres. Joignons  ; soit , le milieu (fig. 3).

Fig. 3.

Soient et les ordonnées des deux éléments, et celle du point  ; on a :

La distribution des températures est telle que la somme des températures de deux points symétriques par rapport à est constante. En effet, on a :

Donc les deux flux à travers les éléments et sont égaux ; par suite, le flux est constant à travers un élément de surface quelconque parallèle à .

Considérons un élément quelconque, fini ou non, dans le plan des , ou dans un plan parallèle. Le flux de chaleur à travers cet élément est proportionnel à  ; par suite, on peut le représenter par :

, étant indépendant de , ne peut dépendre que de et .

Il ne dépend pas de , puisqu’on peut faire varier sans changer le flux. Si on multiplie toutes les températures par une même constante, le flux est multiplié par cette constante. Donc est proportionnel à .

Par suite, le flux de chaleur peut s’écrire :


est une constante qu’on appelle coefficient de conductibilité.


Fig. 2.`
11. Soit maintenant un élément d’orientation quelconque, faisant un angle avec le plan des . Considérons un plan parallèle au plan des et infiniment voisin de cet élément, et considérons le cylindre projetant l’élément sur ce plan (fig. 4). La projection de cet élément est :

Le volume du cylindre et, par suite, son poids sont des infiniment petits du troisième ordre (en regardant comme du premier ordre les dimensions linéaires de ). La somme algébrique des flux de chaleur à travers la surface totale du cylindre doit être du troisième ordre. En effet, le corps recevant dans l’unité de temps une quantité de chaleur égale à , l’élévation de température serait :


étant la chaleur spécifique du corps.

Si était d’un ordre inférieur au troisième, cette élévation de température serait infinie. est donc du troisième ordre au moins et, par suite, négligeable en présence des infiniment petits du deuxième ordre.

Écrivons donc que le flux de chaleur à travers la surface totale est nul.

Le flux de chaleur à travers la surface latérale est nul ; il est donc le même pour les deux éléments et .

Le flux de chaleur pour la section droite est :


et c’est le même pour l’élément .

12. Supposons maintenant que nous ayons pour la loi des températures :

Un simple changement d’axes de coordonnées nous ramènera au cas précédent.

Considérons le plan dont l’équation est :

Les angles de la normale avec les axes sont donnés par les formules :

 :  ;


en posant :


D’où l’on tire :

On obtient facilement le flux à travers un élément faisant un angle avec le plan . Prenons le plan comme plan . On aura :

.


Et on a pour l’expression :


Le flux cherché est donc :

Considérons en particulier des éléments parallèles aux trois plans de coordonnées. Ils font avec le plan des angles respectivement égaux à , , . Par suite, les flux de chaleur à travers cas éléments seront respectivement :

13. Cas général. — Supposons maintenant que la distribution des températures soit quelconque.

Soit la température en un point.

Soit un élément de surface ; , un point de cet élément ; nous allons chercher le flux de chaleur à travers l’élément . Ce flux de chaleur ne dépend que de la température des points voisins de l’élément .

Soit un tel point. Posons :

La température au point aura pour expression :

Les quantités , sont très petites. On peut donc négliger leurs carrés, et l’on a :

.

Appliquons les résultats établis dans le paragraphe précédent. Les flux de chaleur à travers des éléments perpendiculaires aux axes et passant par un point quelconque seront respectivement :

.
.
.

Pour évaluer le flux de chaleur à travers un élément d’orientation quelconque, considérons un tétraèdre infiniment petit ayant ses trois arêtes , , respectivement parallèles aux axes (fig. 5).


Fig. 5.
On démontrerait comme précédemment que la somme algébrique des flux de chaleur à travers les quatre faces est nulle aux infiniment petits du troisième ordre près.

Soient , , les cosinus directeurs de la normale à l’élément , dont la surface est . Les aires des trois autres faces seront respectivement :

, , .

Appelons le flux de chaleur à travers l’élément . On aura :

.

Pour préciser le signe du flux de chaleur, nous choisirons sur la normale à l’élément un sens positif, et nous donnerons au flux le signe ou le signe , suivant que le mouvement de la chaleur aura lieu dans le sens positif ou dans le sens négatif. On voit facilement avec ces conventions que le flux de chaleur est :


étant la dérivée suivant la normale, prise dans un sens convenable.

14. Autre démonstration. — Le raisonnement de Fourier que nous venons de faire peut être remplacé par un calcul plus court

Soit un élément  ; considérons deux points , , de part et d’autre de l’élément . Soient :

les coordonnées de  ;
celles de  ;
et : les températures.

La quantité de chaleur cédée par à est :

.

Or, on a :

.


Fig. 6.
De plus, on peut remplacer , , dans les dérivées partielles par les coordonnées , , du point , centre de gravité de (fig. 6).

On a alors :

.

et la quantité de chaleur cédée par à est, par suite :

.

Le flux total à travers est donc :

Posons :

On aura :

Si nous rejetions l’hypothèse de Fourier, il faudrait dans les équations ci-dessus remplacer par .

Alors , , seraient des fonctions de la température.

Supposons l'élément du perpendiculaire à l'axe . Si le corps est homogène,, , seront les mêmes pour tout élément perpendiculaire à . Ce seront des constantes non seulement par rapport à la température, mais encore par rapport à , , . Si, de plus, le corps est isotrope, l'expression du flux de chaleur ne doit pas changer, quand on change en , car tout plan est alors un plan de symétrie pour la constitution du corps. Donc . De même . Et, si l'on change en , le flux changera de signe, ce qu'on voit en effet sur la formule.

Le flux de chaleur à travers un élément du perpendiculaire à sera donc :

.

En raison de l'isotropie du corps, le flux de chaleur à travers des éléments perpendiculaires à et sera respectivement :


la constante K étant la même.

Pour un élément quelconque on aura :

Le signe se détermine aisément en prenant l’axe des parallèle à la normale à l’élément.